D'abord couronnées de succès, les croisades s'achevèrent avec le départ des chrétiens, après deux cents années de guerres, de massacres ignobles et de mémorables faits d'armes. Dans un contexte où la croisade est l'anathème que l'on jette à la figure de tout chrétien qui interroge le caractère pacifique de l'islam, il est important de rappeler que le concept de guerre sainte est absent des écritures chrétiennes et qu'il ne fut développé, mille ans après la mort du Christ, qu'en réponse au formidable djihad musulman. Mille années encore ont passé et voici qu'un autre pape, Benoît XVI, souligne le caractère crucial dans la pensée islamique du concept de djihad (guerre sainte), et déplore la violence dont il est porteur.

Eh quoi ? Quelqu'un pourra-t-il donner tort au Saint Père ? Le djihad n'est-il pas un aspect cardinal de l'islam, institué en pilier de la foi par les chiites ?

«Attention, répond-on généralement à ceux qui interrogent la notion, il convient de distinguer le petit djihad du grand djihad» : le djihad guerrier du djihad mené par l'homme en son for intérieur contre ses propres passions. Le djihad est un concept ambivalent, certes, mais aucun docteur de la foi islamique jamais, dans aucune des écoles du Fiqh (droit islamique), n'a contesté l'impératif de la guerre sainte ; et si les références au djihad contre les passions existent dans les textes de l'islam, elles sont littéralement noyées dans les références à la nécessité du djihad comme guerre sainte. Ce n'est un hasard que pour les idéologues et ceux qui ne veulent pas voir que les musulmans, tout au long de l'histoire, aient constamment porté la guerre dans les territoires infidèles au nom de leur foi.

Quand même Benoît XVI se serait-il fourvoyé sur le fond, mais qui s'embarrasse encore de ces scrupules ? Quod non, ce qui est en cause est l'une des valeurs qui fondent la civilisation occidentale, depuis les brumes de l'Antiquité grecque (isegoria) jusqu'à nos constitutions modernes : la liberté d'expression, le droit de critiquer, la liberté d'analyser des textes et d'exprimer une opinion à leur sujet. S'excuser d'une dissertation érudite abaisserait non seulement l'Église catholique romaine, mais ne ferait que reculer une confrontation désormais inévitable et qui ne pourrait qu'empirer.

Il est temps de quitter la vision onirique de ces intellectuels, parfois bien intentionnés, qui marient l'islam, en l'état, avec la modernité et de rappeler, fermement, que certaines valeurs sont indérogeables. En abdiquant la liberté dont elle a donné le concept au monde, l'Europe ne ferait qu'ajouter le déshonneur à une défaite dont plus rien, alors, ne pourrait la garder.

Par le directeur de l'institut Hayek

Autre extrait, celui de l'article d'Alain-Gérard Slama :

Le discours du Pape est une synthèse puissante du débat sur les rapports entre foi et raison qui opposait alors les modernistes catholiques aux conservateurs, tenants de l'autorité de la tradition. Une polémique byzantine de 1391, confrontant l'empereur érudit Manuel II Paléologue à un Persan lettré sur le christianisme et l'islam a servi de tremplin à Benoît XVI pour compléter dans un sens moderniste la thèse de Jean-Paul II, selon laquelle la raison des Lumières sans la foi conduit au nihilisme et est, par nature, totalitaire. Sans citer son prédécesseur, le Pape s'est efforcé de montrer que, réciproquement, la foi sans la raison, autrement dit sans le Verbe de la Bible, sans le Logos grec des Évangiles, conduit à la violence.

Ce raisonnement vise tous les traditionalismes, tous les fanatismes de l'autorité qui, en particulier au sein du monde chrétien, ont favorisé les croisades et l'Inquisition. Mais comme le contradicteur de Manuel II est musulman, comme celui-ci défend la thèse du principe d'autorité pur et absolu d'un Dieu exigeant une soumission totale à son arbitraire et ce choix, de la part de Benoît XVI, ne saurait être innocent ! – il n'en a pas fallu davantage pour que l'islam tout entier se trouve agressé par la mise en évidence d'une objection que ses théologiens n'ont jamais ignorée et que, à la différence des chrétiens, leur incapacité de s'unifier en une Église leur interdit de surmonter.

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