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The International Civil Liberties Alliance is a project of the Center for Vigilant Freedom Inc.  We are an international network of groups and individuals from diverse backgrounds, nationalities and cultures who strive to defend civil liberties, freedom of expression and constitutional democracy.

We aim to promote the secular rule of law, which we believe to be the basis of harmony and mutual respect between individuals and groups in the increasingly globalised world, and to draw attention to efforts to subvert it.  We believe in equality before the law, equality between men and women, and the rights of the individual and are open to participation by all people who respect these principles.

We believe that freedom of speech is the essential prerequisite for free and just societies, secular law, and the rights of the individual.

We are committed to building and participating in coalitions in all parts of the world to effect significant progress in protecting rights of the individual which are sadly being eroded in many countries including those in the West.


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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 07:38

 

Sixième mythe : Il n’y aurait de républicains qu’à gauche

 

jeudi 9 juillet 2009 - Copeau

 

Contrairement à ce que le mythe voudrait nous faire croire, il y a eu en France des républicains authentiques n’ayant aucune complaisance pour aucune forme de socialisme. Ils sont injustement oubliés aujourd’hui.

Du début de la IIIe République à la Première guerre mondiale

En 1871, les républicains étaient divisés en deux groupes, l’Union républicaine de Gambetta et la Gauche républicaine de Ferry et Grévy. Le premier groupe était, il est vrai, largement à cheval sur « 1789 » et « 1793 ». Ils firent toutefois des concessions nécessaires aux orléanistes pour que les lois constitutionnelles de 1875 puissent être votées. Les leaders de l’autre groupe, Waddington [1], Léon Say [2], Agénor Bardoux [3], Jules Simon [4], sont, eux, des démocrates libéraux convaincus, souvent cultivés, des anticléricaux rationnels décidés à défendre vigoureusement la liberté de conscience contre les laïcistes fanatiques.

Gambetta, mort en décembre 1882, Ferry devient le leader des deux groupes. Après sa propre mort (1889), ce sont encore des ferrystes qui dirigent les gouvernements de la décennie 1890 (Jules Méline [5], Alexandre Ribot [6], Charles Dupuy [7]) ; c’est à ce moment que le groupe reçoit la dénomination nouvelle de « progressistes ». En 1889, au moment où l’ancien gambettiste Waldeck-Rousseau fait alliance avec les radicaux, le clivage entre gambettistes et ferrystes reprend vigueur. Avec Eugène Motte, ces derniers créent la tendance qui deviendra, en 1903, la Fédération républicaine, tandis que Waldeck-Rousseau et les anciens gambettistes créent l’Alliance démocratique.

Malgré cette division tactique, les deux groupes sont incontestablement des républicains selon « 1789 ».

Il en est de même des ex-orléanistes. Jacques Piou [8] fonde en 1885 un groupe parlementaire, la « Droite constitutionnelle », composée de députés qui acceptent la République et la jugent définitive, gage d’union et d’unité.

Les protestants ex-monarchistes ou ex-bonapartistes agissent de même. Edgar Raoul-Duval fonde un parti intitulé « Droite républicaine ». Léon XIII, pape depuis 1878, enfonce le clou en précisant que la doctrine chrétienne n’est attachée à aucune forme particulière de régime ; il y a eu, et il y a, de nombreuses républiques chrétiennes, tant catholiques que protestantes (Venise, Florence, Gênes, Genève, les Etats-Unis, …), et l’Eglise n’a pas conséquent pas à entretenir de conflit en France avec la République [9]. Le cardinal Lavigerie ajoute qu’en jouant le jeu de la nouvelle constitution les catholiques, qui sont nombreux et auxquels on peut penser que le suffrage universel donnera des élus en nombre important, pourront peser sur la législation et faire rapporter ou amender les lois les plus antireligieuses. Même Albert de Mun rejoint ce qui deviendra en 1901 un parti politique, l’Action libérale populaire (ALP). Piou ne reproche pas à ses adversaires d’être républicains, il leur reproche au contraire d’être de faux républicains, des continuateurs des terroristes et des tyrans. Il réclame à cor et à cri une Cour suprême permettant, comme dans la République américaine, de protéger les libertés contre les empiètements d’un régime d’assemblée.

Les républicains modérés sont sur la même longueur d’onde, y compris les libéraux de la franc-maçonnerie, tels Yves Guyot ou Hippolyte Rigault [10]. La logique aurait donc voulu que catholiques ralliés et républicains modérés se rapprochent. Mais ces projets seront compromis par l’Affaire Dreyfus qui rejettera les uns dans le Bloc des gauches, les autres dans l’Anti-bloc. A partir de cette date et pour des décennies, la démocratie libérale française restera scindée en deux.

Entre les deux guerres

Le Parti radical lui-même, comme (semble-t-il) la franc-maçonnerie dont il émane, est partagé entre les idéaux de « 1789 » et « 1793 ». Les hommes de « 1793 », contrairement à la reconstruction a posteriori de l’historiographie, n’ont dominé le gouvernement de la France que lors de brefs épisodes sans lendemains, Bloc des gauches, les deux Cartels [11], le Front populaire. Plusieurs événements décisifs contribuent en effet à détourner les Français des tentations extrêmes.

D’abord, la Grande Guerre a imposé l’ « Union sacrée », ce qui a mis un terme quasi définitif aux persécutions antichrétiennes. C’est l’époque où Barrès écrit Les Diverses familles spirituelles de la France. Même les radicaux mettent la pédale douce sur leur anticléricalisme. Il y aura aussi, dès la fin de la guerre, le repoussoir de la Révolution bolchevique. Il déniaisera et « déradicalisera » les radicaux [12].

Des influences de type « 1789 » s’exercent ensuite lors du Bloc national [13], puis sous les gouvernements Poincaré et les autres gouvernements modérés des années 1920 et 1930.

Il y a d’abord les successeurs des ferrystes-grévistes, les « progressistes », réunis maintenant dans la Fédération républicaine. En 1919, leurs rangs se grossissent de nombreux catholiques issus de l’Action libérale populaire de Piou, au sein de l’Entente républicaine démocratique (ERD).

Les autres partisans de « 1789 », ceux qui ont choisi de suivre Waldeck-Rousseau et de participer au Bloc des gauches, se sont organisés dans l’ARD. C’est le parti des grands dirigeants de centre droit – Poincaré, Barthou, Tardieu, Flandin. Le slogan du parti, « ni réaction, ni révolution », marque son anti-collectivisme assumé. L’Alliance s’est même délibérément constituée en réaction à la création du Parti radical-socialiste, parce qu’elle est antisocialiste sur le plan économique et antilaïciste sur le plan idéologique.

Après la Première Guerre mondiale, l’ARD est présidée par Auguste Jonnart. Elle change deux fois de nom, devient le Parti républicain démocrate (PRD) puis le Parti républicain démocrate et social (PRDS). Les anciens sont rejoints par une nouvelle génération (Maginot, Lebrun, Reynaud, Petsche).

Face à eux, il y a le grand Parti radical. Et celui-ci n’est pas hostile à « 1789 ». Il est certes attaché à une certaine extension du secteur public. Mais aussi à la méritocratie républicaine, par définition anti-égalitariste. Il défend donc une politique nullement socialiste, mais social-démocrate, tendant vers l’Etat-providence, vaguement inspirée par le solidarisme de Léon Bourgeois. Cette politique implique une forte fiscalité, mais elle ne remet pas radicalement en cause les principes de la démocratie libérale selon « 1789 ». Elle ne le pourrait d’ailleurs pas, car son électorat est constitué de classes moyennes, et plus précisément de classes moyennes indépendantes, avec une forte composante de self-made men. Comme l’écrit Albert Thibaudet en 1926, les radicaux ont été empêchés par leurs électeurs de mettre en œuvre des programmes trop socialisants. Ceux-ci sont attachés à la propriété privée ; ce à quoi ils sont hostiles, c’est aux « gros ». Ils refusent les « réformes de structure », c’est-à-dire la vague de nationalisations proposées par les socialistes lors du Front populaire. C’est ensuite le radical Daladier qui met brutalement fin aux réformes du Front populaire, chassant les socialistes du gouvernement et prenant avec lui des hommes du centre et même de la droite, Champetier de Ribes [14], Paul Reynaud, Jacques Rueff.

Parmi les républicains, il faut aussi citer les partisans de la démocratie chrétienne. Il y a eu un catholicisme libéral dans la période 1830-1848 (Lamennais, Lacordaire, Montalembert, relayés en 1848 par l’abbé Maret et Ozanam [15]). Frédéric Le Play [16], Albert de Mun et René de La Tour du Pin [17] fondent des cercles catholiques d’ouvriers. Leurs travaux, réalisés dans un esprit conservateur, inspireront la Doctrine sociale de l’Eglise de Léon XIII [18]. Les mêmes se rallient, à la demande du pape, à la République.

En parallèle, d’autres catholiques, comme l’abbé Lemire, ont également adhéré à la République. A partir de 1892-1893, leur mouvement demande la « coopération », la participation des salariés aux bénéfices, la « solidarité ». Ils acceptent les principes de « 1789 », la souveraineté du peuple, les libres élections. Ils inspirent le Sillon de Marc Sangnier.

Après la réintégration dans la République de l’Alsace et de la Moselle, en 1918, toute une génération d’hommes qui ont eu l’expérience d’un parti catholique est le noyau d’une nouvelle formation démocrate-chrétienne. En 1924 naît ainsi le Parti démocrate populaire (PDP), présidé par le Dr Thibout, puis par Auguste Champetier de Ribes. Il est aidé par la condamnation pontificale de l’Action française en 1926. Aux élections de 1928, le nouveau parti aura une vingtaine d’élus (dont l’abbé Desgranges, ou encore Robert Schuman).

Tout au long de la IVe puis de la Ve République, ce mouvement perdurera, sous les avatars successifs du Mouvement républicain populaire (MRP), du Centre des démocrates sociaux (CDS), fondu ensuite dans l’UDF puis l’UMP. Tous ces gens sont d’excellents républicains, qui ne sacralisent pas l’Etat, défendent la famille, les libertés religieuses, les écoles libres, les autonomies locales et régionales, les associations. Ils ne sont pas seulement antitotalitaires, ils sont aussi antijacobins.

Par ailleurs, l’historiographie de gauche essaie parfois de présenter comme de mauvais républicains, voire comme des antirépublicains décidés, des hommes politiques des années 1930 qui ont proposé de réformer la République parlementaire. Voyons ce qu’il en est réellement.

- Alexandre Millerand avait tenté de rompre avec la tradition du 16 Mai, selon laquelle le Président ne doit exercer aucun des rôles politiques que lui reconnaissent formellement les lois constitutionnelles, et surtout pas dissoudre la Chambre.

- Gaston Doumergue avait proposé d’étendre le droit de dissolution et de limiter l’initiative parlementaire en matière de dépenses.

- André Tardieu, dans L’Heure de la décision, lance en 1934 un cri d’alarme, immédiatement suivi de La Réforme de l’Etat. Puis il jette carrément l’éponge et abandonne la vie politique. L’esprit général des réformes proposées par Tardieu est libéral. Il s’agit de limiter les pouvoirs de l’Etat et la ponction économique que la fonction publique opère sur la société civile. Quand une nouvelle majorité arrive au pouvoir, les spoliations pèsent sur d’autres catégories sociales, sans remise en cause des spoliations antérieures. Plus encore, comme l’écrit Tardieu, « Il faut choisir en fonction du but que l’on désire atteindre. Ce but, Herbert Spencer l’avait prophétiquement discerné, il y a bien des années, quand il écrivait : « la fonction du libéralisme dans le passé a été de mettre une limite au pouvoir des rois. La fonction du libéralisme dans l’avenir sera de limiter le pouvoir des parlements » » (La Réforme de l’Etat, p. 109).

La IVe République

Au lendemain de la guerre, le MRP incarne ce courant démocrate chrétien. Il a certes dû faire des concessions aux idées socialistes alors prépondérantes, mais il reste un parti modéré, chrétien, personnaliste, anticommuniste.

Il y a une autre famille de partis politiques directement ou indirectement issus des partis de la droite républicaine d’avant guerre : les indépendants. Le Parti paysan de Paul Antier [19] ; l’Entente républicaine de Joseph Denais [20] ; le Parti républicain de la liberté (PRL) de Joseph Laignel [21] et Michel Clemenceau [22] ; la Fédération républicaine, désormais dirigée par Louis Marin ; le Centre national des Indépendants (CNI) créé en janvier 1949, avec pour fondateurs Roger Duchet [23], Jean Boivin-Champeaux et René Coty ; plus tard le CNIP, le mouvement des républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing et Démocratie libérale d’Alain Madelin incarnent ce courant, globalement libéral. Ce parti critique entre autres l’adjonction, dans le Préambule de la Constitution, aux droits de l’Homme de 1789, des droits économiques et sociaux. La « Troisième force » qu’ils constituent avec la « conjonction des centres » tombera sur la question de la Communauté européenne de défense (CED), refusée en 1954 à la fois par les communistes et les gaullistes.

Antoine Pinay, Joseph Laignel deviennent présidents du Conseil dans les années 1952-1953, et mènent une politique libérale, orléaniste dans l’esprit.

Néanmoins, la conjonction des centres a été tentée plusieurs fois, sans jamais avoir réussi à se pérenniser. Pourquoi la place que les familles républicaines démocrates libérales ont occupé dans la vie politique de notre pays a-t-elle été si instable ?

Une déficience idéologique de la démocratie libérale ?

Face à une gauche qui a depuis 1793 une mystique – un millénarisme – et depuis le début du XXe siècle une doctrine construite, le marxisme, face à une droite traditionnaliste qui a elle aussi une mystique, les démocrates libéraux ont eu des difficultés à proposer un idéal.

Certes, les doctrines démocrates-libérales ont dominé au début de la Révolution, rayonné ensuite jusque tard dans le XIXe siècle. Cependant, il est de fait que la tradition libérale perd ensuite une grande part de son attractivité. La crise de 1929 paraît, aux yeux de nombreux intellectuels, sonner le glas de l’économie libérale [24]. Les intellectuels mêmes qui sont assez intelligents et informés pour comprendre les dangers et les horreurs des régimes totalitaires, ne se rallient pas pour autant avec netteté à l’idéal « 1789 » [25]. Les anticonformistes des années 1930 considèrent que le monde de ces années vit une terrible régression civilisationnelle. Ils renvoient dos à dos le capitalisme et le marxisme, qu’ils considèrent tous deux comme des matérialismes conduisant au règne de la machine et à la déshumanisation de la société. Ils entendent donc promouvoir une société où la personne humaine et les valeurs spirituelles seront remises au premier plan. Or il est évident, à leurs yeux, que la République démocrate libérale est incapable de produire une telle société. Ils refusent, certes, le révolutionnarisme de l’extrême gauche comme celui de l’extrême droite ; mais ils ne reconnaissent de valeur ni spirituelle ni morale à la République modérée qui a fait accomplir au pays tant de progrès scientifiques, économiques et sociaux.

Sous l’effet des traitements de choc que constituent la Deuxième Guerre mondiale puis la Guerre froide, l’Europe se réveille bientôt de la fascination pour les régimes antilibéraux. Toute une génération reprend alors la réflexion sur le modus operandi de l’économie de marché, sur le rôle essentiel que jouent la propriété privée et la liberté des contrats pour permettre une coopération sociale pacifique et efficiente, sur le caractère essentiel à cet égard du droit formel, sur le bien-fondé de la démocratie politique pluraliste, et enfin sur le rôle des libertés intellectuelles. Parmi beaucoup d’autres, il faut citer Michael Polanyi, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Karl Popper, Walter Eucken, Karl Boehm, Hannah Arendt, Piero Gobetti, Luigi Einaudi, Bruno Leoni, Luigi Sturzo, Alexandre Zinoviev, Ayn Rand… On reconnaît enfin que les sociétés modernes complexes ne peuvent être gérées que dans le cadre d’ordres sociaux polycentriques, c’est-à-dire démocrates libéraux. Ces auteurs ont repris à la gauche la magistrature morale. Ce qui ne rend que plus étranges, par contraste, les difficultés que rencontre cette philosophie politique pour se faire entendre en France.


Conclusion : l’Eglise de la Gauche

mardi 14 juillet 2009 - Copeau 

 

Nous pouvons observer un quasi monopole des tenants de « 1793 » dans les réseaux de la communication sociale. Les entreprises de médias peuvent bien appartenir à des capitalistes, cela ne veut pas dire que ceux-ci aient le moindre contrôle sur l’idéologie qu’ils diffusent. Surtout, ce ne sont pas les médias qui peuvent créer en profondeur une culture. La culture d’un pays est forgée par d’autres institutions, les grandes institutions pérennes et qui forment les esprits depuis la jeunesse.

« 1793 », nous l’avons vu, est un millénarisme. Cette religion de substitution, Nemo l’appelle la « Gauche » avec une majuscule, en prenant le mot non au sens parlementaire ou partisan, mais précisément en son sens spirituel – une mystique qui ne se discute pas. Pour son malheur, la France a donné à la religion de la Gauche l’Eglise dont elle avait besoin : c’est l’Education nationale.

Les intellectuels de Gauche ne sont pas des isolés et sont bien rarement des penseurs originaux. Ce sont plutôt les estafettes d’une armée permanente, constituée des enseignants fonctionnaires, auxquels il faut ajouter nombre d’employés des organismes publics de la culture. A contrario, privée d’un accès normal à l’école et à l’Université, la famille idéologique libérale n’a plus jamais eu d’assise institutionnelle lui permettant de vivre et de rayonner. Cela s’est déroulé le long d’une suite de décisions malencontreuses qui se sont enchaînées en cascade selon une path dependance fatale. Aujourd’hui, la République a renoncé purement et simplement à toute idée de gouverner l’Education nationale. Bien que nominalement public et fonctionnant avec l’argent des citoyens-contribuables, c’est une entreprise privée qui s’autogère, gouvernée par les seuls chefs de l’Eglise de la Gauche, francs-maçons et syndicalistes. Simultanément, l’Etat rend à la nouvelle Eglise le signalé service d’empêcher la société civile de faire naître et vivre des écoles concurrentes. Or il est un fait que le pluralisme scolaire existe sous une forme ou une autre dans toutes les démocraties autres que la France jacobine.

L’appareil social massif fonctionne à maints égards dans la société française comme l’Eglise fonctionnait dans les sociétés européennes traditionnelles [1]. La vie de 1 250 000 personnes et de leur famille dépend de l’institution. Les syndicats ont le pouvoir de tuer dans l’œuf toute politique qui serait voulue par les représentants de la souveraineté nationale, mais qui ne leur agréerait pas. Cette Eglise se recrute elle-même ; non seulement elle forme ses professeurs, mais elle contrôle aussi, depuis les accords Lang-Cloupet, la formation des professeurs du privé. Elle bénéficie des statuts créés en 1946 par Maurice Thorez, ainsi que des franchises universitaires, qui rendent tout professeur titulaire inamovible.

Dès lors qu’elle est une institution monopolistique, elle dispose d’un pouvoir d’uniformisation plus grand que celui qu’a jamais possédé l’Eglise de Rome qui n’était pas l’employeur de tous ses clercs. Cette institution est aussi marquée par son monocolorisme. Presque toute trace des anciennes sagesses, des autres philosophies politiques, des autres manières de voir le monde, ont été progressivement éliminées. D’autres visions sont systématiquement écartées, refoulées, tenues soigneusement en marge, contraintes de se réfugier dans l’underground, de communiquer par les samizdats (quelques rares journaux, des réseaux associatifs, et – ce qui est d’ailleurs le grand avenir – internet). Nous vivons une véritable situation d’oppression.

Ce système monopolistique n’existe dans aucun autre pays démocratique. Il tient en tutelle les pouvoirs séculiers. Il contrôle l’Etat sub rationae peccati, c’est-à-dire en se faisant juge de l’orthodoxie ou de la déviance des hommes politiques. Certes, il existe en France des hommes politiques de droite et du centre. Mais ils n’ont le droit d’exister dans le débat public que s’ils restent spirituellement de Gauche.

L’Eglise de la Gauche s’est arrogé le droit de délier les citoyens français du devoir d’obéir à la loi. Elle s’est même donné le droit de dispenser les citoyens français de tout devoir d’obéir à des décisions du gouvernement ou à des lois du Parlement qu’elle juge impies, et d’absoudre n’importe quel citoyen qui, pour lutter contre ces décisions et ces lois, use de moyens violents. C’est l’explication de fond que nous recherchions de la prévalence des mentalités « 1793 » dans notre pays.

Tout vœu du peuple qui ne correspond pas aux canons moraux de l’Eglise est repoussé comme « populiste ». On ne veut pas envisager l’idée que les membres du gouvernement ou le président de la République soient des hommes mauvais ; ils n’oseront donc pas s’élever contre le Bien. C’est exactement le type d’influence cléricale que dénonçaient les anticléricaux rationnels du XIXe siècle. C’est, au sens propre du terme, du cléricalisme.

Le ministre de l’Education nationale, en particulier, ne doit rien toucher à l’institution dont il reçoit pour quelques mois la direction nominale. Les gouvernements de la République font comme l’empereur germanique Henri IV ; ils vont tous les jours à Canossa et baisent la mule des francs-macs.

L’Eglise millénariste a décrété que l’école avait pour fonction non d’éduquer et d’instruire, mais de « réduire les inégalités ». Outre qu’elle a contribué à aggraver en réalité les inégalités sociales, elle n’a cessé de faire reculer la qualité des études [2].

Nous sommes, nous, dans la situation où était l’Empire ottoman à la fin du XIXe siècle, paralysé intellectuellement et socialement par ses oulémas, en passe d’être submergé par des civilisations supérieures.

Beaucoup de Français croient en toute bonne foi que ce qu’ils ont reçu de « 1789 », ils le doivent à « 1793 ». C’est donc manifestement l’éducation qu’ils ont reçue qui fait problème. Nous devons faire œuvre d’anticléricalisme rationnel, et songer à mettre d’urgence en chantier une loi de séparation de l’Eglise de la Gauche et de l’Etat.



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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 06:10

Quatrième mythe : « 1793 » aurait été dreyfusard

 

mercredi 1er juillet 2009 - Copeau

 

- Introduction  
- Chapitre 1 : Premier mythe : « 1793 » aurait été démocrate
- Chapitre 2 : Deuxième mythe : « 1793 » aurait fondé la République
- Chapitre 3 : Troisième mythe : « 1793 » aurait été laïque
- Chapitre 4 : Quatrième mythe : « 1793 » aurait été dreyfusard
- Chapitre 5 : Cinquième mythe : Les adversaires de « 1793 » auraient été nazis
- Chapitre 6  : Sixième mythe : Il n'y aurait  de républicain qu'à gauche
- Conclusion : l’Eglise de la Gauche

 

L’affaire Dreyfus a fourni aux radicaux et aux socialistes l’occasion de prendre le pouvoir des mains des modérés, qui gouvernaient depuis 1879. Selon l’historiographie officielle, cette affaire aurait opposé la droite, brutale, immorale et pré-nazie, à la gauche, camp de l’humanisme et de la civilisation. Or, à quelques nuances près, les dreyfusards ont été des hommes de « 1789 », et les antidreyfusards des hommes de « 1793 ». Pour expliquer ce retournement historiographique, il faut distinguer deux phases bien distinctes de l’affaire Dreyfus, l’une que l’on peut dire « judiciaire », l’autre « politique » ; ce qui s’est cristallisé dans la seconde a fait complètement oublier ce qui s’était réellement passé dans la première.

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Dreyfusards et antidreyfusards dans la phase judiciaire de l’affaire

Dans ses Souvenirs sur l’Affaire, Léon Blum témoigne que les premiers dreyfusards ont appartenu essentiellement aux milieux libéraux : « c’est dans ce milieu composite que les dreyfusards trouvèrent d’emblée le plus de partisans ouverts, et surtout le plus d’alliés secrets ou discrets » [1]. Blum cite ainsi Jean Casimir-Périer [2], Waldeck-Rousseau [3], Adrien Hébrard [4], Ludovic Trarieux [5], et même ses principaux adversaires politiques de droite des années 1920-1930, Raymond Poincaré [6], Louis Barthou [7], Charles Jonnart [8] ou Georges Leygues [9], qui étaient « tous dreyfusards ».

« Les Princes, poursuit Blum, les membres des familles royale et impériale, ne doutaient pas de l’innocence de Dreyfus. L’impératrice Eugénie [10], par exemple, était dreyfusarde convaincue et résolue ». De même que le duc d’Aumale [11], du pape et des plus hauts dignitaires de l’Eglise romaine. Ou encore du vice-président du Sénat Scheurer-Kestner [12], du député Joseph Reinach [13], ou d’Yves Guyot, du commandant Ferdinand Forzinetti [14], du colonel Picquart [15], d’Edgar Demange [16], de Louis Leblois, de Fernand Labori ou de Gabriel Monod [17]. Ils sont dreyfusards car ils sont modérés et instruits, familiers du droit.

Il est vrai que, parmi les premiers dreyfusards, il y a aussi le leader radical Georges Clemenceau, le leader socialiste Jean Jaurès, le militant socialiste Lucien Herr ; mais ils défendent Dreyfus en hommes civilisés, en bourgeois instruits.

A contrario, qui compose le camp des antidreyfusards ? C’est le scandale public délibérément créé par toute une certaine presse qui interdit tout retour en arrière du ministre de la Guerre, Mercier ; c’est cette même presse qui sans cesse soufflera sur le feu ; c’est elle qui parviendra à persuader une partie de l’opinion que toute remise en cause de la culpabilité de Dreyfus serait une nouvelle trahison. Or les journaux en question sont ceux des nationalistes et des antisémites, de l’ancien communard Henri Rochefort [18], d’Edouard Drumont [19], Eugène Guérin [20], Maurice Barrès [21] ; ils incarnent la pointe avancée des républicains radicaux et socialistes du temps. Les premiers antidreyfusards ont donc été les radicaux et les socialistes. Même « les francs-maçons radicaux [22], poursuit Blum, n’osaient pas découvrir leurs amis, ou engager le gouvernement ». Quant à leurs collègues radicaux [23], ils étaient antidreyfusards sans états d’âme. Cavaignac en particulier est un antidreyfusard passionné. Même Jean Jaurès, qui a pourtant joué dans le combat dreyfusard le rôle éminent que l’on sait, s’est converti assez tardivement, et on a de lui, dans la première période, des déclarations antidreyfusardes (et même antisémites) hautes en couleur. Les socialistes, dit Blum, ne voulaient pas avoir « pour alliés d’un moment des adversaires permanents « de classe » qui embarrasseraient l’action future [du socialisme] de liens pesants et d’habitudes dangereuses » [24]. Les radicaux et socialistes considèrent que Dreyfus est, d’une part, un riche bourgeois, d’autre part un quasi-étranger, et que le défendre ne relève pas de leur combat anticapitaliste et jacobin. La revendication des « rouges » est de « réviser » la Constitution, c’est-à-dire d’instaurer une dictature jacobine avec l’aide éventuelle d’un chef charismatique. Par ailleurs, ils condamnent le développement du capitalisme, horrifiés qu’ils sont par le scandale de Panamá [25].

Plus précisément, et en regardant les idées plutôt que les hommes, il y a une nette continuité entre les premiers socialismes et l’antisémitisme du temps de l’Affaire. Ainsi, Fourier et les fouriéristes ont été antisémites [26]. Marx, quant à lui, identifie capitalisme et judaïsme [27]. Proudhon tient des propos d’un antisémitisme échevelé [28]. Blanqui n’est pas en reste [29]. Leurs disciples encore moins [30]. Il faut toutefois préciser que le socialisme n’est antisémite qu’indirectement, du fait qu’il veut recréer une communauté traditionnelle solidaire, un groupe « chaud » qui ne peut se souder qu’en excluant des boucs émissaires. Comme l’écrit Drumont, l’antisémitisme a toujours été une question économique et sociale pour eux, pas une question religieuse.

Ce même Drumont s’inscrit expressément dans la tradition jacobino-socialiste. Son maître-ouvrage, La France juive, est constitué d’une série de charges furieuses contre le capitalisme national et international, les grandes compagnies, les banques, le crédit, les spéculateurs, au règne desquels il faut mettre un terme par l’étatisation de l’économie.

Les autres doctrinaires de l’antisémitisme appartiennent au même camp radical et socialiste. Le théoricien raciste et organiciste Vacher de Lapouge [31] est un socialiste révolutionnaire, militant guesdiste aux élections de 1889. Il est proche du leader socialiste allemand Ludwig Woltmann, qui entend faire la synthèse du marxisme et du darwinisme. Des organes de presse se créent dans les années 1890-1891 qui associent la propagande socialiste et la propagande antisémite [32].

Ce jacobinisme intransigeant se manifeste aussi via la Ligue des Patriotes de Paul Déroulède. Fondée en 1882, elle vire rapidement à l’antiferrysme au nom de la vraie République jacobine. Déroulède fait fusionner les groupes de la Ligue des Patriotes [33] avec les groupes blanquistes, c’est-à-dire les anciens communards, pour constituer les troupes de choc du boulangisme [34]. Par ailleurs, une « Ligue antisémitique de France », créée par Drumont puis renouvelée par Guérin, voit le jour et se rapproche elle aussi des blanquistes, ce qui est naturel puisque les doctrines sont proches.

Dans la première phase de l’Affaire, quelle position tient l’Armée ? Au début, elle marque un entêtement dans l’erreur du petit groupe d’officiers du service de renseignement dont tout est parti. Mais après ? N’y a-t-il pas quelque chose d’étrange dans le prolongement indéfini de cette attitude de fermeture qui, évidemment, nuit à l’honneur de l’Armée bien plus qu’elle ne le sert ? Jean Doise, dans Un Secret bien gardé, livre une explication convaincante à ce phénomène [35].

- Le service de renseignements français aurait voulu intoxiquer les Allemands au sujet d’une arme sophistiquée, un canon léger de 75 mm, et aurait employé dans ce but l’officier français Esterhazy.

- Une partie de la famille Dreyfus était restée à Mulhouse ; le capitaine, à l’occasion d’un passage de la frontière, aurait été dénoncé à tort comme suspect. Mais, pour le pas brûler son honorable correspondant de Mulhouse, Sandherr, destinataire du renseignement erroné, aurait imaginé le scénario du bordereau [36], dans lequel il n’est question que d’un canon de 120 mm sans importance.

- Le suspect n’avait-il pas trahi le secret important entre tous, celui du 75, ou n’allait-il pas le trahir si l’on n’agissait pas assez vite ? Ceci expliquerait la détermination de l’Armée à mettre très vite Dreyfus au secret.

- Le problème était que Dreyfus était innocent, tant du bordereau que des activités suspectes qu’on lui avait prêtées en Alsace. Mais sans doute Sandherr était-il parvenu à convaincre quelques-uns de ses supérieurs de la réalité et de la valeur de la « lettre d’Alsace » qui dénonçait Dreyfus. Après sa mort, son adjoint Henry allait embrouiller encore les choses par des faux de nature à surprendre la bonne foi de ces mêmes grands chefs.

- Les chefs successifs de l’Armée se seraient transmis ce secret et auraient espéré, en faisant bloc pour empêcher toute intervention indiscrète de la justice civile, prolonger indéfiniment l’indispensable mystification de l’ennemi.

Outre ces explications historiques, notons aussi que de nombreux militaires étaient, contrairement à l’image d’Epinal, proches du déroudélisme et du boulangisme, et, en ce sens, du radicalisme. Il y a toujours eu une tradition militaire plébéienne [37] ; elle a été interrompue pendant de longs siècles par la féodalité, mais la Révolution et l’Empire l’ont ressuscité.

Qu’en est-il, par ailleurs, du présupposé antisémitisme et antidreyfusisme de l’Eglise ? Malgré le rôle joué dans la campagne antidreyfusarde par le journal des Assomptionnistes, La Croix, il est absolument faux que l’Eglise en tant que telle ait été antidreyfusarde. Il s’agit plutôt d’une abstention générale de celle-ci. Le pape Léon XIII, par exemple, n’a pas caché qu’il ne croyait pas à la culpabilité de Dreyfus.

Quant à La Croix, est-elle représentative de l’opinion catholique ? Elle ne l’est pas, en tout cas, de la hiérarchie. Il est vrai que ce journal a une diffusion considérable, mais il touche surtout le bas clergé. C’est par vindicte sociale que ces prêtres obscurs sont antidreyfusards, plus que pour des motifs religieux.

Le Salut par les juifs (1892) de Léon Bloy [38] illustre le fait que l’antisémitisme théologique ne fait nullement l’unanimité parmi les catholiques. Israël chez les nations d’Anatole Leroy-Beaulieu [39] (1893), a une diffusion comparable à La France juive. Béranger, Buffet, Cassagnac, Cochin, Viollet, La Ligue des Droits de l’homme de Trarieux, incarnent ce catholicisme éclairé. Il y a de nombreux catholiques parmi les antidreyfusistes parce qu’il y a de nombreux antidreyfusistes en France et que la France est catholique. Pour la même raison, il y a de nombreux catholiques parmi les dreyfusards. Le catholicisme comme tel est étranger à la question.

Enfin, quelle position ont adopté les milieux sociaux privilégiés à l’orée de l’Affaire ? Il faut signaler, certes, la mauvaise inspiration d’un prince d’Orléans et des petites têtes sensibles aux modes, qui caressent la perspective pararomantique d’une prise de pouvoir à l’emporte-pièce, d’un putsch, ce qui suppose qu’ils aient des troupes, des prétoriens, ce qui est loin d’être le cas. Ils croient simplement qu’il est du dernier chic que de s’encanailler avec les jacobins de L’Intransigeant.

D’une façon plus générale, si les milieux socialement favorisés ont eu leur part dans la fièvre antidreyfusarde et antisémite des années 1898-1899, elle a été la même, ni plus ni moins, que celle de tous les autres milieux sociaux de l’époque.

Ce que l’on appelle le « moment antisémite » est cette année et demi (1898-1899) qui va de l’acquittement d’Esterhazy, du J’Accuse de Zola et de son procès (janvier-février 1898) au second Conseil de guerre de Rennes (août-septembre 1899). Il y a partout en France des manifestations antidreyfusardes et antisémites auxquelles ne répondent que de rares contre-manifestations dreyfusardes. Ce sont des ouvriers, des artisans, des petits-bourgeois ; des étudiants et des lycéens ; enfin, des « casseurs » descendus de leurs banlieues. L’anticapitalisme, le rejet de l’économie de marché qu’incarne le « Syndicat juif », la haine de la République « panamiste », des « gros » et des « riches », voilà ce qui caractérise ce mouvement spontané. Ils scandent des slogans du type « non au grand commerce, non aux bazars » (ancêtres de nos grandes surfaces), « non à la concurrence, non à la spéculation financière ». Certes, on s’en prend dans ces manifestations particulièrement aux Juifs ; mais on s’en prend à eux en tant que représentants des capitalistes, fourre-tout dans lequel on mêle aussi les protestants, les opportunistes, les affairistes, les panamistes, les « gros » en général, et même un « Italien » (Zola).

Il semble que les manifestations de 1898 n’aient été organisées par personne ; elles ont été un phénomène collectif et quasi anonyme, comme la Grande Peur de 1789. Parfois, toutefois, c’est l’establishment local radical qui souffle sur les braises, comme La Dépêche du Midi à Toulouse. Il entend engranger les profits électoraux de l’antidreyfusisme et de l’antisémitisme à l’occasion des élections législatives de mai 1898. Même Jean Jaurès y signe des éditoriaux [40] passés depuis sous un silence pesant. La Dépêche n’adhérera au camp dreyfusard que tardivement.

Il en est de même des francs-maçons. Le baron le Guay, par exemple, qui avait mis en cause à Angers « une bande de Juifs et de francs-maçons qui cherchent à traîner dans la boue l’armée française », reçoit une lettre de la loge locale qui lui retourne le compliment, accusant les barons d’être nombreux chez les Juifs et très rares chez les francs-maçons.

La phase politique, création d’un mythe

Léon Blum, là encore, précise le cadre chronologique : « L’idée d’ « Affaire Dreyfus » se lie aujourd’hui dans les esprits, par une association naturelle, aux idées « Bloc des gauches » et « Cartel ». (…) Il y a là une erreur d’époque. L’amalgame du dreyfusisme et de ce qu’on peut appeler la contre-offensive démocratique ne commença que beaucoup plus tard, après le suicide du colonel Henry, après l’enquête de la Cour de cassation, après le coup d’Etat manqué de Reuilly [41], après l’avanie d’Auteuil dont le président Loubet fut victime [42]. C’est alors seulement dans l’été 1899 que Waldeck-Rousseau et son ministère de « Défense républicaine » réussirent à demi la fusion, et elle ne s’acheva que trois ans plus tard, sous le ministère de Combes .

Cette chronologie nous apprend que le dreyfusisme de la gauche est le produit d’un événement politique, la création du « Bloc des gauches », et non la manifestation d’une quelconque essence philosophique permanente. Le dreyfusisme « politique » n’a rien à voir avec celui de la « phase humaine et passionnelle ». Anatole Leroy-Beaulieu nous en livre en début d’explication : « L’anticléricalisme (…) a pris prétexte des violences de quelques feuilles soi-disant religieuses et des emportements d’un antisémitisme soi-disant catholique, pour identifier le clergé avec les ignominies de l’antisémitisme et pour exiger, contre les congrégations et contre l’Eglise, des mesures de défense nationale, analogues à celles réclamées, par les antisémites, contre les Juifs et contre la Synagogue » [43].

Les dirigeants de la gauche, sachant maintenant que Dreyfus était innocent, ont eu l’excellente intuition manœuvrière d’attribuer à la droite seule l’antisémitisme qui sévissait. Comme le précise Daniel Halévy, il y a eu autant d’irrationalité dans le passage de la gauche au dreyfusisme qu’il y en avait eu antérieurement dans son adhésion quasi unanime aux campagnes de haine contre Zola et le « Syndicat ». Halévy déplorait depuis longtemps la « folie » des antidreyfusards ; mais quand l’opinion commence à se retourner, à croire en l’innocence de Dreyfus, Halévy constate avec tristesse qu’elle le fait en vertu d’une « folie inverse » [44]. C’est en effet et plus précisément avec le coup de canne donné à Loubet à Auteuil par le baron Christiani (le 4 juin 1899) que tout a basculé [45].

Le peuple, dit Halévy, n’est pas entré dans la cause des dreyfusards, mais à côté. Il a l’impression que ce sont les gens de la « haute » qui dirigent le camp antidreyfusard. Et cela seul le pousse à se désolidariser instinctivement de ce camp ! Ainsi la Chambre, jusque-là antidreyfusarde, sent le vent. Alliés à Waldeck-Rousseau au sein de la « Défense républicaine », les anciens antidreyfusards organisent alors de nouvelles manifestations publiques, pour renforcer la cohésion de leur camp.

Ce qu’il y a d’inouï dans la partie « politique » de l’Affaire, c’est la recomposition des deux camps, « 1789 » et « 1793 ». « 1793 » s’est scindé en deux, extrême gauche et extrême droite. Certains socialistes et radicaux suivent Waldeck-Rousseau et la « Défense républicaine », d’autres se spécialisent dans le nationalisme. Les premiers se trouvent obligés, contre leur gré et leurs instincts, de se rattacher au camp dreyfusard dont l’idéologie de type « 1789 » est bien éloignée de la leur. Ce qui ouvre la porte, pour eux, à la première participation socialiste à un gouvernement, celle d’Alexandre Millerand, puis à la cogestion de la coalition parlementaire du Bloc des gauches par Jaurès. Les socialistes ont ainsi accepté de faire glisser leur vindicte des Juifs vers les cléricaux, c’est-à-dire en changeant de boucs émissaires.

Les autres, les nationalistes, à l’approche du nouveau danger allemand, se sont attachés de façon de plus en plus rigide au militarisme et au revanchisme ; ils vont constituer l’extrême droite. C’est alors que naît cette famille politique. L’extrême droite n’est pas une extrémisation de quelque composante traditionnelle de la droite, christianisme, monarchisme ou libéralisme ; elle n’est autre chose qu’une partie détachée du camp « 1793 » qui a adopté pour tactique l’alliance à droite au nom du nationalisme. Certains hommes de gauche déroulédisites-jacobins ont constaté que certains monarchistes, certains bonapartistes, et aussi certains catholiques hostiles à la politique anticléricale du régime, étaient aussi antilibéraux qu’eux-mêmes, aussi soucieux d’unité nationale, aussi « patriotes » et avides d’en découdre, tant avec l’Allemagne qu’avec la République « panamiste » corrompue. De la valorisation de la Patrie, ils passeront à celle de la Tradition, et de là, pour certains, à celle de la Race. Ils continueront à condamner le capitalisme, mais ils rejetteront désormais avec violence le communisme. Ils prôneront des solutions de type corporatiste et dirigiste, par atavisme antilibéral. Ils resteront des révolutionnaires. Au sein du camp de la droite, ils seront et demeureront des hommes de « 1793 ».

Ainsi, extrême droite et extrême gauche sont deux frères, bientôt ennemis comme seuls des frères savent l’être : ils se ressemblent trop, le même sang coule dans leurs veines. Cela seul explique le grand nombre et le caractère régulier, incessant, de leurs passages d’un camp à l’autre, dans les deux sens, de 1900 à 1950. Mussolini, Henri de Man, Déat, Doriot ne sont que les plus connus des leaders socialistes, communistes ou syndicalistes devenus fascistes ou nazis.

L’autre camp, celui de « 1789 », a connu lui aussi une scission. Le parti ex-opportuniste, appelé « progressiste » depuis quelques années, se divise en effet en deux formations. L’une, qui va prendre le nom d’Alliance démocratique, accepte la concentration républicaine de Waldeck-Rousseau [46]. L’autre fraction prend le nom de « Fédération républicaine » [47] et se range dans l’opposition, a côté des catholiques ralliés à la République. Elle est inquiète des progrès de l’anarchisme et du socialisme, et entend résister à l’agression anticléricale contre les libertés publiques essentielles. Le malheur est qu’elle voisine par là même, dans l’opposition, avec les nationalistes venus de « 1793 ».

Cette scission des hommes de « 1789 » a rendu impossible en France ce qu’on appelait à l’époque la « conjonction des Centres », c’est-à-dire la cristallisation de l’idéal type « 1789 » en une doxa politique stable et consensuelle [48].

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Tableau synoptique des forces de l’Affaire Dreyfus

L’Anti-bloc regroupe quant à lui quatre composantes : la Fédération républicaine ; les catholiques ralliés à la République, membres d’un parti alors appelé Action libérale populaire [49] ; les monarchistes traditionnels ; les nationalistes. Ainsi cohabitent au sein de la droite parlementaire, à partir de cette époque, des gens qui ne sont décidément pas faits pour s’entendre et qui ne s’entendront jamais. Maurras séduira certes quelques salons, mais il n’empêchera jamais la masse de la bourgeoisie et des classes moyennes de voter pour les partis républicains modérés, la Fédération ou L’Action.

L’Anti-bloc a cependant quelques convictions communes, liées à l’identité française, à l’appui à l’armée. Et si les électeurs de l’Anti-bloc sont clairement antisocialistes, ils sont aussi anti-anticléricaux, même quand ils ne sont pas personnellement catholiques. Tous ceux qui se sentaient agressés par la politique de gauche, par l’entreprise hystérique de déchristianisation qu’elle menait, avaient tendance à resserrer les rangs, à instaurer une « union sacrée » pour défendre une certaine idée traditionnelle de la France, à dénigrer tout ce qui venait de la gauche – même le dreyfusisme.

L’antidreyfusisme passe donc à droite, le dreyfusisme à gauche. Et c’est ce résultat de la crise que le mythe voudra faire passer pour sa cause, provoquant dans les esprits une confusion qui dure encore aujourd’hui.

De l’autre côté, la « concentration républicaine » du Bloc des gauches rassemble des composantes tout aussi disparates que celles de l’Anti-bloc. Il n’y a aucune cohérence idéologique entre les options philosophiques et les systèmes de pensée profonds de ces familles dont les unes viennent de « 1789 », les autres de « 1793 ». En témoignent une série de questions absolument jamais élucidées par les historiens :

-  Comment peut-on être à la fois individualiste et holiste ?

-  Comment peut-on être favorable au droit et aux méthodes violentes de la Révolution ?

-  Comment peut-on être à la fois partisan de la démocratie formelle, et porter aux nues les Jacobins ?

-  Comment peut-on se déclarer partisan d’une démocratie pacifiée et prôner les méthodes violentes des syndicats ?

-  Comment peut-on défendre, d’un côté, l’esprit critique, la science, et approuver par ailleurs l’unanimisme de masse et une idéologie fanatique comme le marxisme ?

La « concentration républicaine » est un mensonge, c’est le Mensonge par excellence : celui qui consiste à cacher « 1793 » sous « 1789 », à dissimuler frauduleusement la barbarie du premier idéal type en la couvrant du manteau de civilisation du second.

Après la Seconde Guerre Mondiale, sera consolidée l’idéologie politique selon laquelle la gauche incarne seule la Vérité, le Droit et la Justice ; que c’est pour cela qu’elle a été dès le début et ne pouvait être que dreyfusarde. Jean-Pierre Rioux, Vincent Duclert, Michel Winock – parmi tant d’autres – se fendent d’ouvrages entiers qui défendent ce qui pour eux relève d’une évidence. La Justice et la Vérité seraient nées avec le ministère Waldeck-Rousseau et le Bloc des gauches ; elles ne s’étaient jamais rencontrées auparavant dans l’histoire de France, sauf lors de la prise de la Bastille, ajoute Winock.

Or il y a au moins trois objections qui réfutent cette consolidation savante a posteriori du mythe.

-  Les idées nationalistes de Barrès et de Maurras ne sauraient être celles de la droite à l’époque de l’Affaire Dreyfus, pour la bonne raison qu’elles ont été élaborées après l’Affaire.

-  Le cynisme, le machiavélisme, le culte de la force pure, le mépris du droit sont des idées qui seront bel et bien défendues par l’extrême droite dans les premières décennies du XXe siècle. Mais elles viennent de l’extrême gauche ! Georges Sorel [50] en particulier, assure la transition entre Blanqui et Mussolini. Il faut beaucoup d’imagination pour voir dans le christianisme rien qui soit hostile par principe à la Vérité, au Droit et à la Justice. Il en faut encore plus pour y voir quelque holisme philosophique. Les antidreyfusards catholiques ne le sont pas pour d’obscures motifs, mais parce qu’ils croient tout simplement qu’Alfred Dreyfus est coupable. Les antidreyfusards de 1899 ne sont pas holistes ni cyniques, ni préfascistes, ils ne sont pas d’extrême-droite. Maurras, bien loin de refléter l’opinion dominante de la droite d’alors, l’a profondément choquée. Il est vrai qu’à mesure qu’on avance dans les deux premières décennies du XXe siècle, Maurras saura s’attirer des sympathies à droite. Sa doctrine, athée, aura pris la décision tactique de défendre l’Eglise, dans laquelle il voit un principe d’ordre et de « classicisme ». Cela n’empêche pas nos universitaires de faire comme si les spéculations hasardeuses et marginales des intellectuels holistes à la mode sorélienne et maurrassienne avaient été dès 1894, voire depuis toujours, l’idéologie implicite de la moitié de la France.

-  Les partis qui ont traditionnellement composé la gauche après l’Affaire Dreyfus n’ont jamais mis spécialement en avant des valeurs personnalistes et humanistes. Ils prônaient au contraire des théories sociales où le rôle des individus et le bien-fondé du droit sont systématiquement minorés, décriés.

L’idée qu’on doit défendre un individu lynché par une foule a une origine culturelle bien précise et repérable : la Bible. L’idée que la procédure de droit doit prévaloir sur la force a une origine bien précise et repérable, le civisme grec et le droit romain. Ces différentes origines ont été synthétisées et confirmées par l’humanisme, la Réforme et la Contre-Réforme. Même les arguments et plaidoyers des dreyfusards de gauche (Zola, Jaurès, Clemenceau), viennent d’une tradition de l’Etat de droit qui remonte au droit romain, au droit canonique, au vieux droit français et au Code civil. Comme l’écrit Philippe Nemo en conclusion,

« Je pense avec tristesse à ces étudiants d’aujourd’hui à qui l’on ne fait rien étudier et qui, ajoutant foi à ce que disent ces mauvais guides, commettent l’erreur étrange d’attribuer à la gauche marxisante ce qui vient d’Accurse, Bartole, Balde, Huguccio, Hostiensis, saint Thomas, Cujas, Vittoria, Suarez, Grotius, Domat, Pufendorf, Locke, Beccaria, Hamilton, le Chief Justice Marshall, Portalis, Bigot de Préameneu, Benjamin Constant – et à la « République » ce qui vient de l’Evangile. »


Cinquième mythe : Les adversaires de « 1793 » auraient été nazis

 

mercredi 8 juillet 2009 - Copeau

 

La profondeur de l’humiliation nationale de juin 1940 a été telle que l’on a recherché avec une extrême violence, dès cette même date, et sans cesse depuis lors, des boucs émissaires auxquels faire porter la responsabilité de la défaite. C’est l’alliance des gaullistes et des communistes, triomphatrice à la Libération, qui a été en situation de désigner les boucs émissaires ; « 1793 » a bénéficié d’un regain inattendu de légitimité, cependant que tout ce qui lui était opposé était frappé d’une nouvelle suspicion aggravant celles nées des mythes précédemment créés.

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Gaullistes et communistes

Un pacte secret [1] fut scellé entre de Gaulle et Staline dès l’attaque allemande contre l’URSS (juin 1941). Il fut renouvelé, officiellement cette fois, un an plus tard, fin 1942. Les communistes, inféodés à Moscou, avaient pendant toute la « drôle de guerre » et la première année de l’Occupation, soit pendant deux ans, appelé à un rapprochement avec les nazis. L’Humanité reçut son autorisation de reparaître. Si finalement, elle ne reparut pas sous cette forme, ce ne fut pas en raison des scrupules des communistes, mais à cause du veto de Vichy.

Avec le déclenchement de l’opération Barberousse, en juin 1941, les communistes voulurent soulager l’Union soviétique en allumant un second front à l’Ouest. Mais, comme ils restaient des traîtres dans l’opinion des Français, il leur fallait impérativement sortir de leur isolement, être reconnus par la France libre et par la Résistance. Ils commandèrent donc des opérations de résistance qui étaient en fait des opérations suicides destinées à fabriquer artificiellement des héros communistes et à faire du « parti des fusillés » un des piliers de la Résistance. Cette stratégie ne pouvait être que confortée par un accord avec de Gaulle.

Quant à ce dernier, il avait besoin d’une reconnaissance diplomatique d’un pays tiers comme l’URSS pour se constituer en chef d’Etat virtuel destiné à gouverner une future France libérée. Mais, en échange de cette reconnaissance, Staline exigea que de Gaulle acceptât d’associer étroitement à la libération de la France les forces « démocratiques », autrement dit les communistes. Jean Moulin, en particulier, a ainsi contribué non seulement à intégrer les communistes dans la mouvance de la France libre, selon les instructions de de Gaulle, mais finalement à leur assurer la prépondérance dans le Conseil national de la Résistance.

Cette alliance sera même renforcée après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, en novembre 1942. Face à Darlan puis Giraud, avec qui les Américains traitaient, de Gaulle put croire qu’il allait être marginalisé ; il bénéficia donc une nouvelle fois de l’appui de Staline. Giraud était favorable au plan de Churchill consistant à attaquer l’Allemagne dans le « ventre mou » des Balkans, manœuvre qui aurait permis aux Alliés d’arriver à Vienne avant l’Armée rouge et aurait considérablement gêné, voire réduit à néant, les projets soviétiques de communisation de l’Europe centrale. Staline commanda aux communistes français de discréditer délibérément Giraud en le faisant passer, en tant que « vichyste », pour collaborationniste et même fasciste. Or, de Gaulle ne contredit pas cette propagande. Giraud et ses proches, effectivement discrédités, furent éliminés en quelques mois et de Gaulle resta seul en piste avec les communistes.

Il ne faut pas oublier que de Gaulle communiait avec les communistes dans l’étatisme, l’antilibéralisme et ce qu’on pourrait appeler l’anti-anglo-saxonnisme. De Gaulle méprisait la bourgeoisie industrielle et commerçante, qu’il croyait être, par nature, égoïste et intéressée. Il ne comprendra la vraie nature du communisme qu’à partir de 1944, lorsque les communistes voudront lui imposer leurs volontés dans le gouvernement d’Alger, et surtout à partir des débuts de la Guerre froide.

N’oublions pas non plus que de Gaulle défiera l’Amérique, non par antipathie irrationnelle, mais par refus réfléchi du type de société qu’elle incarne. Il ne sera jamais vraiment hostile aux syndicats marxistes, dont le péché était plus à ses yeux le « séparatisme », que l’anticapitalisme en tant que tel. De Gaulle commettra aussi l’immense erreur, peut-être à jamais irréparable, de finir de céder aux syndicalistes l’école, en appliquant dès le début de la Ve République, le Plan Langevin-Wallon de 1947 qui avait pourtant été repoussé deux fois par le Parlement de la IVe.

Ainsi, de Gaulle et les communistes ont constamment communié sur un terrain au moins, celui de l’étatisme et de la croissance de la fonction publique – et, en ce sens, sur « 1793 ».

Le « précipité chimique » idéologique de l’après-guerre

On laissa, au sortir de la guerre, entendre que c’était le système démocrate-libéral, impuissant et corrompu, qui avait inéluctablement conduit à la défaite et que la bourgeoisie française, après avoir été en majorité, avant guerre, sympathisante des régimes autoritaires, l’avait été tout naturellement, pendant la guerre même, du régime de Vichy et donc, laissait-on entendre, du nazisme.

Les communistes furent en pointe de cette propagande. Selon leur vulgate, lorsque la bourgeoisie se sent menacée par les progrès des révolutionnaires, elle met bas le masque démocrate libéral sous lequel elle se dissimule d’ordinaire, et son vrai visage d’exploiteur apparaît à découvert. Sa stratégie consiste alors à s’allier avec la petite bourgeoisie et à mobiliser, comme masses de manœuvre, qu’elle paie et habille d’uniformes, les plus basses classes de la société, le Lumpen-proletariat. Telle est l’origine et la raison d’être des régimes autoritaires. Les gaullistes, qui pour leurs propres raisons partageaient le même désir de rupture que les communistes, s’abstinrent de rappeler que c’étaient les communistes, et en aucune manière les « bourgeois » ou les classes moyennes françaises, qui avaient été complices des nazis pendant deux an [2].

Ainsi, à partir du moment où l’alliance gaullo-communiste contrôla toutes les expressions officielles du combat de la Libération nationale, le seul fait d’être anticommuniste ou adversaire idéologique résolu du marxisme valut soupçon de collaborationnisme et de trahison.

Or, la majorité des Français, à cette date, était autant anticommuniste qu’antifasciste. André Tardieu [3] ou Paul Reynaud [4] incarnèrent en particulier ce courant majoritaire. Ce qui se produisit donc à la Libération, ce fut la délégitimation de ce sentiment antimarxiste prépondérant dans le pays. Le fameux diptyque : désignation de bous émissaires comme seuls coupables / amnistie des vrais coupables, joua de nouveau à plein.

La droite, seule coupable

Un amalgame fut fait à partir de 1945 entre tous les genres de droite, qui furent indistinctement accusées d’avoir été les complices actifs ou secrètement consentants de ceux qui avaient occupé la France. L’élimination du général Giraud illustre bien ce processus.

Giraud avait, dès le 14 mars 1943, explicitement proclamé son rejet de Vichy et abrogé en Afrique française toutes les lois postérieures au 23 juillet 1940, à commencer par le statut des Juifs [5]. Les fonctionnaires et la population avaient servi et supporté Vichy, sans doute, mais ce n’est pas pour cela qu’ils étaient « vichystes » au sens idéologique qu’on voulait maintenant donner à ce mot. C’est cette France centriste ou de droite qui a fourni les gros contingents d’hommes qui ont permis de gagner la guerre au coude à coude avec les Alliés. C’est l’armée d’Afrique, préparée par Weygand dès 1940-1941, réorganisée par Giraud dans les premiers mois de 1943, commandée par ces généraux « vichystes » (eux aussi) qu’étaient Juin ou de Lattre de Tassigny, qui ont joué le rôle militaire effectif, bien plus grand que celui de la France libre (ce qui n’enlève rien aux mérites militaires de celle-ci, bien entendu).

Dans la IVe République naissante, il faudra que les dirigeants du MRP se disent de gauche et avalisent nombre de réformes de structure imposées par les communistes à la Libération, à commencer par les nationalisations. N’oublions pas, en parallèle, l’effrayante propagande qui présentera l’Eglise et tout ce qui est catholique comme plus ou moins fasciste, Pie XII comme complice d’Hitler [6]. Quant aux doctrines économiques et sociales libérales, elles furent caricaturées et de plus en plus oubliées. Il y eut bien Antoine Pinay, Jacques Rueff ou Raymond Aron, mais les idées libérales n’étant pour ainsi plus enseignées aux étudiants, la tradition libérale fut quasiment interrompue.

La gauche amnistiée et magnifiée

On « oublia » complètement les deux années d’alliance entre le Parti communiste et les nazis. On masqua la grande similitude des deux genres de totalitarisme [7], les travaux de Friedrich Hayek [8], de Karl Popper [9] ou d’Hannah Arendt [10]. Le régime de Vichy lui-même, surtout lors de ses années de collaboration affirmée, était constitué en grande partie de gens de généalogie « 1793 » - à savoir, d’une part, l’extrême droite des Ligues, et, d’autre part, des représentants éminents de la gauche et de l’extrême gauche de l’immédiat avant guerre.

Pendant les premières années du régime de Vichy, l’immense majorité des Français voulait à la fois le « bouclier » et le « glaive », et était plus ou moins persuadée qu’il existait une entente secrète entre Vichy et Londres. Dans cette phase, Pétain gouverne avec les maurrassiens et les catholiques. Il est certain qu’il n’aime pas la démocratie. Mais il n’est ni fasciste ni nazi, il n’est pas assez radical, millénariste, révolutionnaire, pas assez de gauche pour cela !

La situation change avec le gouvernement Darlan : cette fois, il s’agit d’une collaboration non pas subie, mais voulue et assumée. Laval, qui a organisé Montoire, gardera toujours la même ligne de conduite, même après les premiers reculs stratégiques de l’Allemagne, le débarquement allié en Afrique du Nord, puis la reddition allemande à Stalingrad. Car il jugea alors que les difficultés mêmes du Reich l’inciteraient à mieux traiter une France qui lui aurait manifesté une fidélité sans faille.

Darlan comme Laval ont commis l’erreur intellectuelle d’avoir cru

spip">viables des régimes socialistes totalitaires. Or il y a une explication bien simple à cette erreur, c’est que ce sont tous deux, à certains égards, des hommes de gauche.

Darlan se dit tel [11] ; il était de tempérament radical et anticlérical, et cela l’opposait à Pétain. Il nommera auprès de lui des hommes venus du Parti populaire français (PPF) de l’ex-communiste Jacques Doriot, comme Pierre Pucheu ou Paul Marion.

Quant à Laval, c’est un ancien député socialiste, de tendance blanquiste. Et non pas à l’âge tendre et brièvement, mais à l’âge mûr et longuement. Lui aussi, il s’affirme antichrétien et anticlérical.

Par ailleurs, la collaboration est l’affaire de partis profascistes installés à Paris, en contact direct avec les Allemands. Or, ces partis ont été fondés et sont essentiellement composés d’anciens communistes et socialistes, au point que Rudolf Schleier, conseiller d’ambassade remplaçant Abetz provisoirement disgracié, dira : « la grande majorité des partisans de la politique de collaboration vient de la gauche française [12] ». De fait, le PPF de Jacques Doriot et le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, sont des partis d’extrême gauche.

Doriot est un ancien dirigeant communiste, qui a été Secrétaire général de la Jeunesse communiste, député et maire de Saint-Denis. S’il est exclu du parti en 1934, ce n’est certes pas pour anticommunisme, c’est parce qu’il est en désaccord avec la ligne « classe contre classe » suivie par le Komintern. Son journal collaborationniste et jacobin s’intitule Le Cri du peuple. Il ira combattre sur le front de l’Est sous l’uniforme allemand.

Marcel Déat est dans les années trente le « dauphin » de Léon Blum. Il crée, au sein de la SFIO, une tendance « néosocialiste », qui finit par rompre avec le parti en 1933. Non pas, là encore, parce que Déat serait devenu de droite, mais parce qu’il reproche à Blum ses erreurs et sa mollesse dans le combat révolutionnaire. Le RNP et son journal, L’Œuvre, prêche ouvertement la collaboration dès l’été 1940.

Au-delà de ces groupes, de nombreuses autres personnalités de gauche ont participé au gouvernement ou à l’administration de Vichy. Adrien Marquet [13], René Belin [14], Hubert Lagardelle [15], Charles Spinasse [16], Ludovic-Oscar Frossard [17], Paul Faure [18], Angelo Tasca [19] en sont les plus importants. Mais il faut citer aussi Gaston Bergery [20], Paul Marion [21], François Chasseigne [22], Pierre Cathala [23], Georges Hilaire [24], René Bousquet [25]. Sans oublier nombre de syndicalistes, tels que René Mesnard [26], Gabriel Lafaye [27], Pierre Vigne, Raymond Froideval [28], André Delmas, Georges Dumoulin [29], Gaston Guirand. Certains deviennent des collaborateurs des ministres de Vichy, comme Pierre Vigne, Marcel Roy, Alfred Savoy ou Georges Dumoulin.

Il faut citer aussi des francs-maçons comme Paul Rives, René Château, Robert Lefebvre, Alexandre Rauzy ou Fernand Roucayrol.

L’objet de cette longue liste n’est pas de faire oublier que d’autres personnages clés du régime ont été des hommes de droite, y compris des catholiques [30]. Mais il est bien commode pour la gauche d’aujourd’hui d’observer un silence total sur cette présence très substantielle de ses membres dans le régime avec lequel elle prétend n’avoir eu aucun rapport réel ni concevable.

Ce qui permet à ces hommes de se rapprocher (à des degrés divers, certes) des nazis, c’est en effet la même haine du libéralisme, du capitalisme et du parlementarisme. La même haine de « 1789 ». Ils défendent le but explicite de conduire avec les nazis partout en Europe une politique « réellement socialiste et révolutionnaire ». Ils savent gré à Hitler d’avoir abattu le capitalisme. Ils reprochent même aux gouvernements successifs de Vichy de compter en leur sein trop de « réactionnaires » et de représentants du « grand capital ». Ils n’ont évidemment aucune querelle avec l’idée de parti unique ; ils n’ont aucune querelle avec la « jeunesse unique », qu’ils s’efforcent d’imposer au vieux Pétain. Ce sont des fanatiques de l’unanimisme, des nostalgiques de ce communautarisme « chaud » qui efface l’individu « égoïste » et le force à « se dépasser » en poursuivant des buts « spirituels » supérieurs. Ils n’ont pas de querelle non plus avec l’usage délibéré de la violence en politique, ni avec la dictature d’une minorité sur la majorité. Jacques Doriot, l’ex-communiste, trouve tout à fait normal de proposer à Otto Abetz d’envoyer à Vichy sa Milice, l’équivalent français des SA Allemands, qui ne feront qu’une bouchée des quelques escouades de gendarmes qui défendent la place.

Ces hommes sont des « élus », le « petit reste » des saints, dit Déat, reprenant les accents de Saint-Just. Nous reconnaissons là la vieille idée millénariste des Jacobins, la série des héros de Lissagaray. Marcel Déat et ses amis entreprirent de donner aux conceptions nazies des « antécédents français » ; ils les trouvèrent chez Rousseau et chez les Jacobins de l’an II dont ils firent les pères spirituels du nazisme et dont la lignée, passant par Mazzini et Jaurès, venait aboutir au RNP [31].

La majoration de l’influence du marxisme dans la culture française d’après-guerre

En conséquence de cette amnésie-amnistie, l’influence du marxisme fut dramatiquement majorée dans la culture du pays. Nous avons ainsi assisté à une profonde décadence de toute la vie culturelle française pendant près d’un demi-siècle. Au lendemain de la guerre, Sartre et Merleau-Ponty firent des émissions de radio, fort écoutées et célébrées, où ils trahissaient leur incompréhension intellectuelle totale des principes de l’économie de marché, de la démocratie et de la pensée critique. Longtemps, le communisme sera présenté comme l’évidente antithèse du fascisme, l’unique remède à lui opposer. Les pays du monde libre seront a contrario présentés comme fascistes à la moindre intervention diplomatique ou militaire contre une subversion communiste.

L’information au sujet de la réalité de l’Union soviétique et du Goulag ne pourra être entendue en France qu’à partir de l’époque des « nouveaux philosophes » et de la publication des grands textes de Soljenitsyne, c’est-à-dire aussi tard que les années 1974-1980.

La conception démocratique libérale, pourtant largement française dans ses origines et qui avait été, au total, dominante sous la IIIe République, tendra à apparaître comme étrangère, anglo-saxonne, et sera, pour ainsi dire, arrachée comme un corps étranger du pays où elle était née.

 

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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 05:47

Premier mythe : « 1793 » aurait été démocrate

 

jeudi 11 juin 2009 - Copeau


- Introduction  
- Chapitre 1 : Premier mythe : « 1793 » aurait été démocrate
- Chapitre 2 : Deuxième mythe : « 1793 » aurait fondé la République
- Chapitre 3 : Troisième mythe : « 1793 » aurait été laïque
- Chapitre 4 : Quatrième mythe : « 1793 » aurait été dreyfusard
- Chapitre 5 : Cinquième mythe : Les adversaires de « 1793 » auraient été nazis
- Chapitre 6  : Sixième mythe : Il n'y aurait  de républicain qu'à gauche
- Conclusion : l’Eglise de la Gauche

 


L’histoire nous apprend que les hommes se réclamant de « 1793 » ont toujours usé de voies de fait et d’émeutes et n’ont jamais pratiqué de bonne foi les élections.

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Les républicains se réclamant de « 1793 » ont toujours usé de voies de fait et d’émeutes…

De manière très révélatrice, la nature essentiellement violente de « 1793 » a été assumée et expressément revendiquée par un historien de la Commune, Prosper-Olivier Lissagaray [1]. La verve et l’enthousiasme de celui-ci s’emportent lorsqu’il évoque la guerre civile de 1871 : rapprochant la Commune de la Révolution, et en particulier de la série de victoires militaires françaises enregistrées à partir de Valmy [2], Lissagaray marque son admiration pour les Jacobins [3], et promeut une guerre à outrance contre les armées impériales dans l’unique but de rejouer septembre 1792 et d’imposer à toute la France un nouveau « 1793 ».

On comprend, d’une certaine manière au moins, l’enthousiasme de Lissagaray pour ces événements. Il y a eu pendant la Commune nombre d’actes individuels héroïques. Mais il semble tenir pour acquis que ces actes violents étaient tous porteurs d’un avenir radieux. On peut soutenir au contraire qu’ils ont été essentiellement stériles et que, si la France est devenue une terre de liberté et un grand pays industriel moderne, c’est en dépit d’eux et non grâce à eux.

Lorsque la « force populaire », magnifiée par Lissagaray dans un vocabulaire clairement religieux, se manifeste, c’est qu’elle est mise en mouvement par une minorité agissante composée d’individus décidés et organisés. Par exemple, le 10 août 1792 n’est nullement un jour où le « peuple » aurait voulu abolir la monarchie et aurait pris les Tuileries dans ce but [4]. C’est une action soigneusement préparée par un comité insurrectionnel secret de six membres. Du reste, les minorités agissantes de l’époque révolutionnaire ont souvent payé leurs hommes de main. Or, payer un lumpenproletariat pour avoir une masse de manœuvre, cela définit le fascisme pour les marxistes-léninistes. Si l’ont tien à dire que c’est « le peuple » qui a fait le 10-Août, il faut dire aussi que c’est lui qui a fait la Marche sur Rome ou la Nuit des Longs Couteaux.

La Charbonnerie [5], par exemple, reprend la méthode mise au point par Babeuf. Comme les « Trois Glorieuses » [6] de 1830 ne ramènent pas « 1793 », mais un nouveau roi, diverses sociétés secrètes [7] se lancent alors dans l’activisme, et provoquent ainsi les émeutes des 17-18 et 19 octobre 1830, puis l’insurrection républicaine des 5 et 6 juin 1832 [8]. Ou encore l’attentat commis contre Louis-Philippe, le 28 juillet 1835, sur le boulevard du Temple à Paris [9].

Les violences reprennent sous l’influence des nouvelles théories socialistes, incarnées en particulier par l’affreux Auguste Blanqui, qui sera partie prenante de quasiment toutes les insurrections « rouges » du XIXe siècle. Ce sinistre individu, « affreux » selon Nemo, avait à chaque insurrection ou presque la manie d’offrir aux casseurs la tête de son propre frère Adolphe [10], grand économiste libéral et pacifiste savant, qui ne dut sa vie sauve qu’aux scrupules éprouvés par les insurgés à satisfaire ainsi la haine d’un frère [11].

Après l’élection de l’Assemblée nationale constituante le 23 avril 1848, qui scelle la défaite des révolutionnaires, les violences de rue font rage. Les « rouges » déclenchent ensuite les très sanglantes journées de juin 1848. Cavaignac, que l’historiographie marxisante présente comme un monstre sanguinaire [12], est pourtant un bon républicain « bleu », sans l’ombre de « blanc ». Mais il ne supporte pas que des casseurs remettent en cause l’autorité – sacrée, à ses yeux – du suffrage universel tout nouvellement institué.

Après les élections législatives de mai 1849, l’extrême gauche, mécontente de sa défaite, essaie d’envahir avec Ledru-Rollin l’Assemblée nationale. Le 4 septembre 1870, le « gouvernement de la défense nationale » qui se met en place [13], avec notamment Léon Gambetta et Jules Ferry, est contesté par les « rouges », qui partent à l’assaut du nouveau pouvoir dès le 31 octobre. Ils seront certes repoussés, mais réussiront leur coup lors de la journée révolutionnaire du 18 mars 1871 qui instaure la Commune proprement dite.

L’autorité insurrectionnelle prend alors une série de mesures dignes de la Terreur. Elle supprime la liberté de la presse pour ses adversaires, elle attente à la propriété en décrétant une « remise générale des loyers », en réquisitionnant les appartements ou les ateliers de ceux qui ont quitté Paris, elle expulse les enseignants congréganistes. Deux tiers des églises parisiennes sont fermées ou affectées à diverses activités laïques, ou encore profanées ou pillées. La Commune établit une surveillance générale de la population, en recréant l’équivalent des « certificats de civisme » de la Terreur.

Lorsque survient enfin la « Semaine sanglante » des 21-29 mai [14], les émeutiers incendient délibérément Paris. Une centaine d’otages sont tués de sang-froid. C’est peu, certes, face aux milliers d’exécutions sommaires qui seront perpétrées aussitôt par l’armée versaillaise victorieuse. Du moins l’historiographie serait-elle avisée de ne pas faire des Communards d’innocentes victimes et des prophètes de la fraternité humaine.

… et ils n’ont jamais pratiqué de bonne foi les élections

Remontons aux Etats Généraux du premier semestre 1789. Ce furent les seules élections régulières au suffrage universel (indirect, certes) qui aient eu lieu dans cette période. Sans doute, chaque communauté locale était censée émettre une opinion unanime. De plus, les cahiers de doléances ont exprimé surtout l’opinion des lettrés ; mais il est incontestable que ces élections furent régulières. C’est ensuite que tout se dégrade : l’élection de l’Assemblée législative dans l’été 1791 est l’occasion de graves irrégularités [15]. Le pire survient lors de l’élection de la Convention, en aout-septembre 1792. En effet, ce sont maintenant les Jacobins qui organisent le scrutin. Le vote est à deux degrés. Les Jacobins ont tout manipulé, les candidatures, la composition des assemblées tant primaires que secondaires, la procédure même du vote. Ils font arrêter les prêtes réfractaires ; ils interdisent les journaux non jacobins ; ils publient une liste de 28 000 signataires de pétitions « royalistes » [16] ; ils inscrivent dans la loi que seuls pourraient voter ceux qui auront prêté serment de fidélité « à la liberté et à l’égalité » ; ils décident que le vote pour l’élection de la Convention aura lieu par appel nominal et à haute voix. Là où l’on n’a pas osé toucher à la loi, qui prévoyait le vote secret, les chances des candidats antijacobins sont compromises par l’appel nominal, par la longueur même des opérations qui favorise, en l’absence d’isoloir, les suggestions plus ou moins menaçantes, et surtout par les violences répétées qui détournent tout simplement les électeurs modérés de se présenter physiquement aux assemblées. Enfin, un premier niveau de scrutin nomme des assemblées électorales qui, elles-mêmes, éliront les députés. Ces assemblées « s’épurent elles-mêmes », comme dit Mathiez, c’est-à-dire qu’elles chassent de leur sein les éléments qu’elles jugent « anticiviques » avant de procéder à l’élection des députés. Le résultat de ces mesures est clair : à Paris, où la participation électorale est estimée à moins de 10%, tous les élus sont des hommes de la Commune de Paris. Il en est de même en province, où les futurs girondins et futurs montagnards ne sont pas encore bien distingués, et le club des Jacobins fait front commun contre les « aristocrates » et les Feuillants. Cette même minorité épurera, enfin, la Convention elle-même au long des deux années suivantes, éliminant d’abord les Girondins, puis les hébertistes, puis les dantonistes…

La Convention, qui a prétendu parler au nom du « peuple souverain », a résulté en réalité d’un putsch mené par une petite minorité au mépris de toute démocratie. Les Montagnards ne sont pas gênés pour carrément supprimer les élections, c’est le principe du « gouvernement révolutionnaire » qui suspend, le 10 août 1793, la Constitution de l’an I. Saint-Just et Danton demandent que le Comité de Salut public puisse casser les corps constitués élus et les remplacer par un « agent national » directement nommé par le Comité, véritable commissaire politique au sein des partis totalitaires modernes. Le Comité supprime l’élection des municipalités. Les juges non plus ne sont plus élus, mais nommés directement par lui. Même après la Terreur, sous le Directoire, la participation électorale – lorsqu’il y a des élections – est de moins de 20%. Les électeurs voient bien, de fait, que le jeu est truqué : ainsi du décret des deux-tiers de 1795 [17]. Le mécontentement populaire à l’encontre du régime se manifeste notamment lors de la tentative de coup de force du 13 vendémiaire an III, durant laquelle les antigouvernementaux sont parvenus à mobiliser 18 « sections » parisiennes sur une quarantaine et à occuper la plus grande partie de la capitale.

En avril 1797, on interdit l’élection des émigrés et des babouvistes. Hoche fait arrêter tous les nouveaux élus ainsi que les journalistes qui les ont soutenus. Les ex-Jacobins n’ont plus qu’à faire voter, par les Conseils ainsi épurés, l’annulation des élections dans 49 départements, donc l’élimination pure et simple de 177 députés et la déportation en Guyane de 65 députés et journalistes.

Bonaparte en profite pour faire un coup d’Etat, ratifié par un plébiscite, dans lequel les électeurs doivent obligatoirement apposer sur un registre le sens de leur vote, en même temps que leur nom et leur signature. Tous ces exemples rendent difficile de considérer que la Convention doive être l’épopée fondatrice de la France moderne.

En il est de même en 1848. Après la nette victoire des modérés, lors des élections du 23 avril, une troupe d’hurluberlus prend d’assaut l’Assemblée nationale. Aloysus Huber s’empare de la tribune et s’écrire : « l’Assemblée est dissoute ! » Dissoute ? Elle vient d’être élue trois semaines plus tôt par le peuple souverain dans des conditions de parfaite régularité. Elle représente incontestablement le peuple.

Ainsi en est-il encore de 1871, alors que la nouvelle Chambre est aux deux tiers royaliste. Les électeurs ne se sont sans pas prononcés pour ou contre la monarchie, la question ne leur a d’ailleurs pas été posée, mais pour ou contre la paix. Mais cela n’empêche point les « démocrates » de tenir pour non avenu le libre choix des Français et de se lancer dans une nouvelle insurrection meurtrière, la Commune. Pendant ces événements, le « Comité central de la Fédération de la Garde nationale » fut le fruit d’élections imaginaires. Les vrais élus essaient d’organiser, le 22 mars, une manifestation de protestation ; mais le Comité central insurrectionnel n’hésite pas à faire tirer sur le cortège où l’on compte douze morts. Le Comité central organise finalement des élections « régulières » le 26 mars. Mais il n’y eut à cette occasion ni liberté de candidature, ni liberté de campagne ; la presse d’opposition était interdite, ses imprimeries confisquées ; sans compter les diverses manipulations qui ont entaché le scrutin. Tous les conseillers modérés sont contraints de démissionner [18].

Explication : un millénarisme laïcisé

Il est certain que les tenants de « 1793 » n’obéissent pas à l’idéal démocratique ; mais ce ne sont pas, pour autant, des hommes sans idéal. Ils se réfèrent, parfois explicitement, la plupart du temps implicitement, au millénarisme, doctrine dérivée (ou plus exactement hérétique) du christianisme. La similitude et le recouvrement quasi parfait des théories de la révolution et de celles de l’Apocalypse sont incontestables. L’Apocalypse de Jean appelle au grand combat qui fera advenir le millenium, cette période par laquelle se terminera l’histoire du monde, lorsque le Christ régnera sur une société humaine devenue fraternelle. Le millénarisme fut condamné par l’Eglise officielle postconstantinienne. Mais il subsista néanmoins pendant des siècles de façon souterraine, car il autorisait, dans certains milieux, l’espoir d’un changement social décisif. Ainsi l’ « Empereur des derniers jours », la doctrine de Joachim de Flore, des Spirituels franciscains, la Croisade des Pauvres ou le mouvement des Flagellants incarnent le rêve d’un millenium associé à une révolution sociale. Il eut des traductions sociales de plus grande ampleur encore vers la fin du Moyen Age : les mouvements hussite et taborite en Bohême, la guerre des Paysans en Allemagne, les Anabaptistes de Münster menés par Jean de Leyde. Engels, dans son livre La guerre des Paysans, a soutenu que les luttes du prolétariat moderne étaient le prolongement de ces mouvements millénaristes du XVIe siècle.

Dans leur vision, l’ultime mutation de la société et du monde sera accomplie à la faveur d’un combat inexpiable où seront exterminés les méchants et les impurs. Ce combat sera mené par une poignée d’élus, miraculeusement aidés par Dieu. Pour passer du schéma millénariste traditionnel au schéma révolutionnaire moderne, il suffisait de le séculariser. Ce qui fut fait aux XVIIIe et XIXe siècles.

Si la conduite des opérations est l’affaire des seuls élus, c’est parce que le peuple est essentiellement composé de pêcheurs. La vérité des révolutionnaires n’est pas, en effet, le fruit d’un échange critique entre esprits humains limités ; elle est connue d’eux de façon intuitive et immédiate, et c’est une vérité totale, une clef universelle qui explique toute l’Histoire. C’est parce qu’ils sont guidés par ce Savoir Absolu qu’ils sont en mesure de guider à leur tour les masses. Ils n’ont donc pas besoin de se faire conférer un mandat par autrui ; ils peuvent et doivent se poser d’eux-mêmes en leaders du mouvement social. Les prédications de Lénine dans Que Faire ? sont l’équivalent d’un sermon calviniste. Les révolutionnaires n’organiseront pas d’élections, ni dans la phase de combat, ni d’ailleurs plus tard. Dans la période intermédiaire, ils devront participer, à l’occasion, aux élections organisées par d’autres. Mais ils le feront uniquement à titre tactique et en gardant leur entière liberté de manœuvre. Ils pensent qu’il ne faut pas craindre la guerre révolutionnaire, qui sera la dernière de l’Histoire. Il faut au contraire la préparer et la hâter. Ce sont les tièdes qui sont coupables.

Si les hommes de « 1793 » chers à Lissagaray n’ont jamais pratiqué de bonne foi les élections, ce n’est pas parce que l’occasion leur ait manqué, c’est que leur idéal-type l’exclut.

 

[1] Il est surtout célèbre pour l’enquête qu’il a menée avec acharnement sur l’histoire de la Commune de 1871, événement auquel il a participé. Il recueille ainsi des témoignages auprès de tous les survivants en exil, à Londres, en Suisse. Voir en ligne.

[2] En s’annexant ainsi volontiers le patriotisme national, mais en oubliant de mentionner au passage les massacres de septembre 1792, sans doute par le plus grand des hasards.

[3] Véritable parti unique sous la Révolution, le club dans Jacobins assure de facto le gouvernement de la France, en lieu et place de l’Etat et des institutions publiques. On peut donc le comparer aux partis uniques des pays totalitaires modernes. Les décisions de cette organisation ne sont pas publiques ni tournées vers l’intérêt général, mais opaques et partisanes, et elle pratique la violence. Ces traits sont bien ceux par lesquels Hannah Arendt, dans Les Origines du totalitarisme, définit les partis des régimes totalitaires. Comme l’écrivent Patrice Gueniffey et Ran Halévy dans l’article « Clubs et sociétés populaires » du Dictionnaire Critique de la Révolution française, « la résurgence d’un véritable débat politique [après la Terreur] condamne une forme d’association dont la principale caractéristique avait été justement de dissoudre tout débat, tout pluralisme d’opinion dans une unanimité artificielle ».

[4] La famille royale résida pendant trois ans dans le palais. Le 21 juin 1791, elle tenta de s’enfuir mais, arrêtée à Varennes, fut contrainte de regagner les Tuileries. Puis, le 10 août 1792, à 7 heures du matin, elle fut contrainte de quitter le palais, assiégé par les émeutiers, pour aller se réfugier dans la salle du Manège, qui abritait alors l’Assemblée législative et qui se trouvait le long du jardin (à l’emplacement de l’actuel carrefour entre les rues de Rivoli et de Castiglione). La garnison de gardes suisses resta en place autour du palais désormais vide. Il fut envahi et pillé, et près de 600 gardes moururent soit pendant le combat, soit ensuite massacrés par la foule. Une centaine d’entre eux parvint toutefois à s’échapper grâce à une partie de la population parisienne. Le 21 août, la guillotine fut dressée sur la place du Carrousel, à l’est du palais.

[5] Le carbonarisme (pour l’Italie) ou charbonnerie (pour la France) est un mouvement initiatique et secret, à forte connotation politique, qui joua un rôle occulte important sous la Révolution française et qui contribua à l’unification de l’Italie au milieu du XIXe siècle.

[6] La révolution de Juillet, révolution française à la faveur de laquelle un nouveau régime, la monarchie de Juillet, succède à la Seconde Restauration, se déroule sur trois journées, les 27, 28 et 29 juillet 1830, dites les « Trois Glorieuses ».

[7] Société des Amis du peuple, Francs régénérés, Réclamants de Juillet, Société des Droits de l’Homme…

[8] L’insurrection républicaine à Paris en juin 1832 a pour origine une tentative des Républicains de renverser la monarchie de Juillet, deux semaines après le décès du président du Conseil, l’énergique Casimir Perier, emporté par l’épidémie de choléra le 16 mai 1832.

[9] Giuseppe Fieschi échoue à tuer le roi, mais fait tout de même 18 morts et 23 blessés.

[10] Voir en ligne.

[11] En tant que socialiste, Blanqui est favorable à une juste répartition des richesses au sein de la société. Mais le blanquisme se singularise à plusieurs égards des autres courants socialistes de son temps. D’une part, contrairement à Karl Marx, Blanqui ne croit pas au génie messianique de la classe ouvrière, ni aux mouvements des masses : il pense, au contraire, que la révolution doit être le fait d’un petit nombre de personnes, établissant par la force une dictature temporaire. Cette période de tyrannie transitoire doit permettre de jeter les bases d’un nouvel ordre, puis remettre le pouvoir au peuple. D’autre part, Blanqui se soucie davantage de la révolution que du devenir de la société après elle : si sa pensée se base sur des principes socialistes précis, elle ne va que rarement jusqu’à imaginer une société purement et réellement socialiste. Il diffère en cela des utopiques. Pour les blanquistes, le renversement de l’ordre bourgeois et la révolution sont des fins qui se suffisent à elles-mêmes, du moins dans un premier temps. Il fut l’un des socialistes non marxistes de son temps.

[12] L’article de Wikipédia dit ceci : « Les journées de juin 1848 font de nombreuses victimes. Les forces gouvernementales perdent environ 1 600 morts 2, gardes nationaux (boutiquiers et bourgeois de Paris et de province), gardes mobiles (recrutés dans les parties les plus pauvres du prolétariat parisien) et soldats de carrière en grande partie des fils de paysans. La République réprime dans le sang la révolution parisienne. Les insurgés perdent environ 4 000 morts pendant les combats. S’y ajoutent environ 1 500 fusillés sans jugement. Il y a 11 000 arrestations. Les tribunaux condamnent 4000 personnes à la déportation en Algérie. Marx et Engels analysent cette révolution comme l’acte de naissance de l’indépendance du mouvement ouvrier. Les acteurs de la Révolution de février 1848 se sont divisés en deux camps. Le premier, celui de la bourgeoisie, est satisfait de la mise en place de la République telle qu’elle est. Désormais, face à elle, les ouvriers n’ont pas oublié les mots d’ordre de "République sociale" et c’est logiquement qu’on les retrouve en juin pour les défendre encore. » Voir en ligne.

[13] À Paris, où le général Trochu est gouverneur militaire, le gouvernement fait peu d’efforts pour défendre efficacement la capitale. Le gouvernement ayant choisi de rester dans Paris encerclé par les troupes prussiennes et leurs alliés, une délégation est envoyée à Tours pour coordonner l’action en province sous les ordres d’Adolphe Crémieux, ministre de la Justice, accompagné par Alexandre Glais-Bizoin et l’amiral Fourichon. Elle est rejointe le 9 octobre par Léon Gambetta investit des ministères de la guerre et de l’intérieur pour former de nouvelles armées : l’armée du Nord, l’armée de la Loire puis l’armée de l’Est. En janvier 1871, devant l’avance des armées allemandes, la délégation se replie sur Bordeaux. Trochu remet sa démission le 22 janvier et le 19 février, l’entrée en fonctions du gouvernement d’Adolphe Thiers met fin à l’existence du Gouvernement de la Défense nationale.

[14] Voir en ligne.

[15] Taine, dans les Origines de la France contemporaine, a fait le récit des violences et des meurtres ayant accompagné ces opérations électorales à Marseille, Dax ou Montpellier. Il conclut : « Déjà, dans les procédés par lesquels [les Jacobins] obtiennent le tiers des places en 1791, on aperçoit le germe des procédés par lesquels ils prendront toutes les places en 1792 ».

[16] Autant d’hommes qui seront exclus ipso facto de l’élection et de l’éligibilité et ne risqueront donc pas de devenir membres de la Convention.

[17] Le 1er fructidor an III (18 août 1795), le député Baudin des Ardennes présente un rapport « sur les moyens de terminer la Révolution », dans lequel il préconise que les deux tiers des sièges au Conseil des Anciens et au Conseil des Cinq-Cents soient réservés à des membres de l’ex-Convention, soit 500 des 750 élus. Pour le justifier, il explique que « la retraite de l’Assemblée Constituante vous apprend assez qu’une législature entièrement nouvelle pour mettre en mouvement une constitution qui n’a pas été essayée est un moyen infaillible de la renverser ». Seul le girondin Saladin proteste. Ce décret est voté, avec la constitution, le 5 fructidor an III (22 août 1795).

[18] Nemo souligne le caractère absurde de la phraséologie de gauche qui parle toujours de la lutte héroïque du « peuple de Paris », alors que ledit « peuple » n’a fait, dans sa grande majorité, que subir la situation, épuisé qu’il était depuis la mi-septembre par le siège et la famine, terrorisé par les activistes, rendu muet par la peur des mouchards. La faute impardonnable de l’armée versaillaise est d’avoir passé par les armes un bien plus grand nombre de Parisiens qu’elle n’avait d’adversaires réels.


Deuxième mythe : « 1793 » aurait fondé la République

 

samedi 13 juin 2009 - Copeau

 

La IIIe République n’a pas été instaurée par les adeptes et les nostalgiques de la Ière République. Elle l’a été, d’une part, par des monarchistes, anciens orléanistes ou anciens partisans de l’Empire libéral, et d’autre part par des républicains modérés se réclamant de « 1789 » et récusant formellement « 1793 ». Les néojacobins et les socialistes ont été des opposants à la IIIe République. Ce n’est qu’à l’époque de l’Affaire Dreyfus [1] et du « Bloc des gauches » [2], soit trente ans après sa création, qu’ils ont fini par s’y rallier. Ralliement d’ailleurs fragile, nombre d’entre eux travailleront à faire de la France une démocratie populaire, tandis que d’autres participeront à Vichy.

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Incarnations successives de « 1789 » jusqu’à 1870

Le Code civil promulgué le 21 mars 1804 incarne les idéaux de « 1789 » : l’égalité civile, la liberté de l’usage de la propriété individuelle, le contrat qui devient la loi des parties. Le Concordat de 1801 assure quant à lui des libertés équivalentes sur le plan religieux. Enfin, la monnaie est rétablie, la liberté du commerce intérieur garantie. Cela est considérable, même si, sur le plan politique, l’Empire est la négation même de la démocratie. La Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 consacre elle aussi les libertés de 1789 ; cette fois même, il y a une ébauche de démocratie puisque le régime admet la co-souveraineté du peuple [3].

En 1830, est instauré un nouveau régime, la Monarchie de Juillet, qui a délibérément voulu reproduire la Glorieuse Révolution anglaise de 1688 [4]. L’intention de ses initiateurs était d’instaurer en France une monarchie limitée, constitutionnelle, à l’anglaise, et sur le plan économique, une société de libertés [5]. Ce régime repose sur un système de pensée incarnée par deux écoles.

Il y a d’une part les Doctrinaires [6], qui appellent, selon la formule de Guizot, à l’avènement d’une « classe moyenne » universelle, autour d’un idéal proche des whigs anglais. Face à eux, les Idéologues, menés par Benjamin Constant, qui critiquent un régime jugé trop peu libéral en matière économique et auquel ils reprochent un suffrage encore trop censitaire. La République ne leur parait pas indispensable à l’établissement de libertés politiques et civiles solides. Pour ces hommes de « 1789 », la question de la dévolution du pouvoir au sommet de l’Etat est importante, certes, mais c’est une question d’ordre « technique ». Ce qui importe, c’est que le gouvernement puisse être changé quand l’opinion évolue, ce qui impose a contrario un pouvoir qui assume la continuité de l’Etat et puisse arbitrer les conflits institutionnels, au-dessus des partis. Pour Constant, le problème crucial est la garantie des libertés et de la société civile ; il faut ainsi une constitution, garantissant la séparation des pouvoirs, et tout le reste est de moindre importance.

Or, la Monarchie de Juillet paraît réaliser les différents points de ce programme. Ainsi, si les hommes du régime de Juillet ne sont pas républicains par définition, au sens nominal du terme, ils n’en incarnent pas moins les idées de « 1789 », et donc la République au sens d’idéal-type.

Il est vrai qu’il y a en France, à la même époque, des hommes qui se réclament explicitement, eux, de la forme républicaine du gouvernement. Mais, outre qu’ils sont très peu nombreux, ils sont en plus divisés entre « bleus » et « rouges ». Ces derniers sont largement majoritaires. Néanmoins, si les « bleus » refusent de se rallier aux monarchies constitutionnelles de l’époque, ils ne sont pas moins hostiles aux néojacobins [7].

Sous la IIe République, les idées de « 1789 » continueront à faire florès. La nouvelle République n’est pas jacobine : elle supprime la peine de mort en matière politique, elle ne manifeste aucune volonté de déchristianiser le pays, elle n’inquiète d’aucune manière le personnel politique qui vient d’être écarté du pouvoir. On refusa même, au moment de rédiger la constitution, d’y inscrire un « droit au travail » qui aurait pu entraîner un début d’étatisation de l’économie. En somme, la nouvelle République présente une grande continuité avec le régime de Juillet. On a changé la tête de l’Etat, mais personne n’entend « changer de société », ou ceux qui le pensent sont ultra minoritaires. Des élections au suffrage universel sont immédiatement annoncées. Les révolutionnaires en sortent battus [8]. Louis-Napoléon Bonaparte est élu, et la majorité élue prend le nom de « parti de l’ordre » pour symboliser la grande alliance des républicains modérés et des anciens partisans de la monarchie constitutionnelle. Ce vaste parti de « 1789 » (500 représentants à la Chambre) fait front face au parti de « 1793 » (250 représentants). Par « parti de l’ordre » il ne faut rien entendre de fixiste ou de réactionnaire ; ce terme signifie l’adhésion à l’Etat de droit, le refus de l’émeute, des massacres et des pillages. Rien de plus. Du reste, si quelqu’un demande de l’ordre, c’est bien l’électorat, terrifié par les Journées de Juin [9]. Le peuple français, apparemment, ne croit pas que c’est des émeutes que résulteront son progrès, son bien-être, son bonheur, sa dignité.

Après le coup d’Etat du 1er décembre 1851, il est évidemment impossible de dire que le régime de Napoléon III s’inscrit dans la démocratie. Néanmoins, le Second Empire est assez libéral sur d’autres plans ; il respecte les libertés économiques, la propriété, les contrats ; il laisse vivre la société civile. En outre, vers la fin de la décennie 1860, Napoléon III se décide à libéraliser progressivement la vie politique elle-même : le droit de réunion est établi, le régime de la presse est libéralisé. Sous l’impulsion d’Emile Ollivier [10], une nouvelle constitution est élaborée, qui fait du régime une sorte de monarchie parlementaire à l’anglaise. Il est très injuste que Sedan ait fait oublier cette évolution ultime de l’Empire, car il est certain que la démocratie libérale de la IIIe République en est largement le fruit. Ainsi, de 1799 à 1870, c’est principalement grâce aux monarchies constitutionnelles qui se sont succédé dans le pays que la France s’est peu à peu acclimatée à « 1789 ».

La mise en place des institutions républicaines. Le rôle clé des orléanistes (1870-1879)

Le régime républicain proprement dit va être fondé. Mais il ne le sera pas par les nostalgiques de la Ière République ; il le sera par leurs adversaires.

Le nouveau gouvernement, dirigé par Adolphe Thiers, a pour souci premier d’empêcher les « rouges » de profiter de la situation. Thiers se disait disciple des Idéologues ; il n’était pas éloigné non plus des Doctrinaires. Membre de la garde rapprochée de Louis-Philippe, il avait néanmoins accepté la République en 1848. L’un des leaders du « parti de l’ordre », il s’était toutefois bientôt opposé au prince-président, tout autant qu’aux radicaux et au socialisme naissant. Il avait demandé à maintes reprises les « libertés nécessaires » sous le Second Empire ; cela importait plus pour lui (à l’instar de Constant ou Prévost-Paradol) que la nature républicaine ou monarchiste du régime. Cette posture lui permit de conclure le « pacte de Bordeaux » : que l’Assemblée le laisse gouverner dans la forme républicaine actuelle, il sera alors en mesure de faire la paix avec les Allemands et de régler la question de l’ordre public. C’est seulement ensuite, quand le calme sera revenu, que l’on pourra aborder sereinement la question du régime. Il conclut avec les francs-maçons la promesse d’instaurer définitivement le régime républicain.

L’Assemblée conservatrice ne parvient pas à rétablir la monarchie. Le prétendant, en particulier, rend les choses impossibles en refusant les concessions qu’on exige de lui. Mais en réalité, il y a beaucoup moins de distance entre les orléanistes, qu’ils soient catholiques ou voltairiens, et les républicains modérés, qu’il n’y en a entre les ultras et les orléanistes. Albert de Broglie, Cissey, Léonce de Lavergne, Edouard Laboulaye, incarnent cette famille d’esprit ; ils sont résolument hostiles au jacobinisme. Ce sont eux qui élaborent la constitution de la IIIe République [11]. L’Amendement Wallon scelle le choix de principe de la République [12]. A ce moment les républicains modérés n’ont pas encore fait la concession essentielle que les orléanistes attendent d’eux quant à l’existence d’une Chambre haute. Lorsque, enfin, cette concession sera faite, la Constitution de 1875 pourra être votée à une large majorité, les voix de l’ensemble du centre-droit, y compris celle du duc de Broglie lui-même, s’ajoutant à celles du centre-gauche de Thiers et de la gauche républicaine modérée.

Cette constitution est un compromis. D’un côté, les orléanistes ont accepté la République sans rien céder de ce qu’exige leur philosophie politique, la démocratie libérale. Quant aux républicains, ils ont fait fi des protestations de leur aile gauche, les radicaux, et se sont rangés à l’épure constitutionnelle orléaniste. De nombreux traits distinguent nettement ce régime des idées de « 1793 » :

- La présidence de la République est contraire aux traditions jacobines, qui ont toujours voulu un exécutif collégial. Cette existence donne une saveur monarchique au régime, puisqu’il est la possibilité donnée à un homme seul de contredire la volonté du peuple souverain qui a élu la Chambre.

- Le Sénat est une institution empruntée aux monarchies constitutionnelles, tant françaises qu’anglaise [13].

- La nature parlementariste renforce le rapprochement évident entre ce régime et ceux de l’Angleterre et des Etats-Unis. En particulier, l’Etat n’y a pas le pouvoir de violer les propriétés ni les autres libertés individuelles ; c’est un Etat limité.

Après les législatives de 1876, Mac-Mahon nomme à la tête du gouvernement un républicain modéré, Jules Simon. Ce dernier promulgue plusieurs réformes anticléricales, qui conduisent Mac-Mahon à le renvoyer puis à dissoudre la Chambre. Ce qu’on a appelé le « coup d’Etat » du 16-Mai ne l’est que de façon tout à fait impropre, puisque, en décidant de faire trancher par le pays son différend avec la majorité de l’Assemblée, le président de la République n’a fait qu’user de son droit constitutionnel légitime [14]. Les républicains ont aspiré à être reconnus comme des modérés, favorables au développement économique dans les structures libérales alors existantes, et ils se sont bien gardés de se réclamer du jacobinisme révolutionnaire.

La « République des républicains » : un changement sociologique, non idéologique

Le parti républicain qui arrive au pouvoir en 1879 reprend à son compte les principes de la démocratie libérale sur lesquels a été scellé le compromis de 1875.

Parmi les idées politiques professées par les républicains, il y a tout d’abord le positivisme. Il ne serait pas exact de dire que celui-ci aurait un lien direct avec l’idéologie de la IIIe République. Comme Saint-Simon l’avait déjà reconnu, le positivisme se rapproche en réalité de la république autoritaire. Le déterminisme de la théorie positiviste ne fait pas de place au principe de liberté qui caractérise « 1789 », ni, par conséquent, au polycentrisme social que celui-ci implique. Et si par « positivisme » on entend l’adhésion à une vision scientifique du monde, cela ne distingue en rien cette période de la Renaissance, de la doctrine des Idéologues, des milieux orléanistes et de la frange saint-simonienne du Second Empire. Au XXe siècle, elle sera reprise sous la forme de l’ « industrialisme ». Autre idée majeure de ce courant républicain, le kantisme. Si Kant a détesté « 1793 », c’est parce que sa philosophie est un anti-holisme absolu. Le républicanisme de Kant est une réfutation anticipée de tout socialisme. Le kantisme est par conséquent démocrate-libéral et représentatif de l’idéal type « 1789 » [15]. Philippe Nemo ne nie pas le compagnonnage du républicanisme anticlérical avec le kantisme ; mais cela ne concerne qu’un aspect du kantisme.

Jules Ferry puise ses idées économiques chez Adam Smith. Il était même sincèrement convaincu qu’une gestion socialiste de l’économie conduisait à l’appauvrissement de tous, et en premier lieu des pauvres.

Durant les décennies suivantes, un nouveau courant est apparu : le solidarisme. Il est nettement postérieur à l’établissement du régime républicain. Lancé par Charles Renouvier, le solidarisme première version s’est opposé au jacobinisme en ses composantes collectivistes et totalitaires, parce que son kantisme ne peut supporter aucune forme de holisme. Mais Renouvier voudrait quelque forme de politique sociale, pour assurer, outre l’égalité des droits, une certaine égalité des chances. Cela implique une intervention limitée de l’Etat dans le domaine social.

Les disciples de Renouvier vont aller plus loin dans le sens socialisant, en particulier Léon Bourgeois [16]. Il considère que les individus ne sont pas des points de départ absolus. Ils sont un produit de la société et de son histoire. Celui qui a un héritage est en dette vis-à-vis de la société ; il lui est redevable de la richesse qui est aujourd’hui la sienne. Selon le même principe, d’autres peuvent prétendre qu’ils n’ont pas reçu toute la part qui leur était due de l’héritage social. Selon le cas, donc, le citoyen peut être tenu de rendre à la société ce qu’il a reçu d’elle en excès, ou il est fondé de lui demander réparation pour ce qui lui a manqué. Il y aurait ainsi un « quasi-contrat » entre l’individu et la société.

Si l’on peut concevoir un principe juste de contribution aux frais qu’implique le maintien de l’ordre public, ou aux services publics, il n’y a aucun critère objectif pour décider combien chacun aurait reçu en surplus, ou aurait manqué à recevoir, de la société. Cette quotité sera donc décidée en fonction des seuls rapports de force électoraux [17]. De plus, l’ajout de la médiation étatique n’a rien de nécessaire. Pour qu’elle le soit, il faudrait que, dans une société, seul l’Etat représentât le trans-temporel. Ce qui n’est absolument pas le cas dans les pays libéraux : cette médiation entre les générations est assurée aussi par les Eglises, les fondations, les associations, les entreprises, et par les patrimoines privés eux-mêmes, qui se transmettent d’une génération à une autre au sein des familles. Il semble ainsi que le solidarisme n’ait été qu’une idéologie des tinée à donner une apparence de justification philosophique à la spoliation de la propriété privée des riches au profit de l’électorat des partis de gauche. Enfin, les doctrines solidaristes reflètent l’opinion d’une tendance républicaine parmi d’autres, la tendance radicale-socialiste. Elles ne sont donc pas représentatives de tout le parti républicain.

Enfin, le passage de la « République des ducs » à la « République des républicains » reflète un changement d’ordre sociologique, et non pas idéologique. L’arrivée au pouvoir des « classes moyennes » de Guizot ne saurait générer un régime politique sui generis, sauf à admettre la thèse marxiste selon laquelle la situation sociologique détermine les pensées. Nemo estime au contraire qu’aucune catégorie sociale n’a, en tant que telle, certaines idées ; et qu’inversement, les idéologies peuvent passer d’une catégorie sociale à une autre en restant peu ou prou identiques à elles-mêmes. Les couches nouvelles paraissent avoir adopté les principales idées de « 1789 ». Elles se sont embourgeoisées – d’où l’aigreur de la gauche révolutionnaire à leur endroit. Le changement qui survient en 1879 consiste simplement dans le remplacement progressif d’une catégorie sociale par une autre aux postes de direction politiques et administratifs. Par rapport à ces vrais fondateurs de la République, les socialistes et les communistes resteront longtemps des opposants inexpiables. S’il est vrai que les orléanistes et tout l’ancien personnel des monarchies constitutionnelles ont été exclus du pouvoir à partir de 1879, ce sont leurs idées qui, incarnées désormais par les hommes venus de nouvelles couches sociales, ont continué à structurer les mentalités et les institutions du pays. Le radical-socialisme et le socialisme ne sont alors que des options parmi toutes celles des courants républicains. Il n’y a aucune raison de les dire plus « républicaines » que les options concurrentes. Le poids qu’elles vont prendre, la prétention qu’elles afficheront bientôt d’être la « République » par excellence et par exclusive est le résultat d’une politique délibérée dont la pièce maîtresse est l’offensive laïciste.

 

[1] Cette affaire bouleverse la société française pendant douze ans, de 1894 à 1906.

[2] Le Bloc des gauches ou Bloc républicain est une alliance de forces politiques de gauche, créée en 1899 en vue des élections législatives françaises de 1902. Nom donnée à la coalition des partis de gauche pour les élections générales (législatives) de 1902, née de la recomposition des fractions de gauche et conservatrices à la suite des remous de l’Affaire Dreyfus. L’aile droite (méliniste) du parti républicain progressiste (opportuniste) ayant rejoint l’opposition conservatrice et nationaliste par rejet de la politique dreyfusiste et anticléricale du gouvernement de Défense républicaine de Waldeck-Rousseau, la coalition rassemble les poincaristes (progressistes anticléricaux), les « radicaux, les radicaux-socialistes et indépendants » et des « socialistes indépendants ». Pour la première fois les radicaux l’emportent dans les comités républicains et leur politique animera désormais celle du gouvernement de la République avec le soutien partiel des socialistes qui à partir de cette époque font de leur côté une percée non nég

ligeable.

[3] L’autorité monarchique reste fondée sur le droit divin. Le début du préambule invoque « la divine providence ». On fait comme si la Révolution n’avait été qu’une parenthèse : le mot Charte est ancien et le Préambule dans son intégralité évoque des actes de divers rois de Louis le Gros à Louis XIV. La charte elle-même est datée de la 19e année du règne ! L’article 13 souligne que le roi est inviolable et sacré mais aussi que l’autorité toute entière réside dans la personne du Roi. Il est donc bien le souverain : il est irresponsable même si Louis XVIII prétextant ses problèmes de santé (il est presqu’infirme) ne se fera jamais sacrer à Reims. Enfin, l’article 6 fait de la religion catholique la religion de l’État.

Néanmoins, la Restauration du Roi et des Bourbons n’est pas une restauration de l’absolutisme. La Charte est une constitution qui n’ose pas dire son nom même si le mot apparaît dans le préambule : « constitution libre et monarchique… ». Le texte se montre désireux de rétablir la paix « paix si nécessaire à la France comme au reste de l’Europe ». Par l’article 12, la conscription est abolie mais il est nécessaire aussi de réconcilier aussi les Français d’où l’article 11 qui réclame l’oubli des opinions qui ont divisé les Français (royalistes, républicains, bonapartistes). La Charte accepte les acquis révolutionnaires : l’égalité en droits (articles 1 à 3) et les libertés fondamentales (articles 4-5-8). La rédaction des articles est éloquente, les articles 1, 2, 3, 4, 5, 8, 9, 10 recopient presque mot pour mot la Déclaration des droits de l’Homme d’août 1789. Le Concordat est maintenu : les ministres des cultes chrétiens reçoivent des traitements du Trésor royal. Les articles 9 et 10 suscitent l’hostilité des royalistes car ils légalisent la nationalisation des biens du clergé et des émigrés pendant la révolution (les biens nationaux). L’idée d’une indemnité permet cependant de faire espérer des compensations aux émigrés qui ont été lésés.

[4] La Glorieuse Révolution d’Angleterre (en anglais Glorious Revolution, aussi appelé Seconde Révolution anglaise par certains historiens français, ou encore « bloodless revolution ») fut une révolution pacifique (1688-1689) qui renversa le roi Jacques II (Jacques VII d’Écosse) et provoqua l’avènement de la fille de celui-ci, Marie II et de son époux, Guillaume III, prince d’Orange. La révolution aboutit à l’instauration d’une monarchie constitutionnelle et parlementaire à la place du gouvernement autocratique des Stuarts.

Succédant à son frère Charles II en 1685, le catholique Jacques II s’aliéna rapidement l’opinion par des mesures impopulaires : brutalité de la répression contre la rébellion du duc de Monmouth, création d’une armée permanente, entrée de catholiques au gouvernement, dans l’armée et dans les universités, ainsi que le rapprochement avec la papauté (venue d’un nonce apostolique à Londres). En 1687, il ordonna qu’une déclaration d’indulgence, accordant la liberté de culte aux catholiques et aux dissidents, soit lue dans toutes les églises. Cette décision, ajoutée à la naissance de son fils en juin 1688 d’un second mariage avec une catholique, qui garantissait une succession catholique, incita les opposants au roi à agir, mais le souvenir encore frais de la guerre civile, assorti d’un certain loyalisme, dissuadaient tout mouvement violent. Le gendre de Jacques II, Guillaume III d’Orange, stathouder des Pays-Bas, époux de la princesse Marie, voyant s’éloigner la perspective d’accéder indirectement au trône, déclencha les hostilités en débarquant avec une petite armée anglo-hollandaise le 5 novembre 1688, à Torkay. Pris de panique, le roi Jacques II s’enfuit en France, ce dont profita Guillaume d’Orange qui, dès son arrivée à Londres le 28 décembre 1688, fit valoir que la fuite du roi équivalait à une abdication. S’emparant de fait du gouvernement, Guillaume d’Orange, en accord avec le Parlement, fit réunir une convention qui proclama la déchéance du roi et offrit conjointement le trône au prince Guillaume et à la princesse Marie. En contrepartie, ceux-ci devaient contresigner, en février 1689, la Déclaration des droits (Bill of Rights) laquelle inscrivit dans la loi les acquis du Commonwealth d’Angleterre et du règne de Charles II. La Déclaration interdisait l’accession au trône d’un catholique, assurait des élections libres et le renouvellement du Parlement, rendait illégale la présence d’une armée en temps de paix.

[5] On peut toutefois ajouter que la Monarchie de Juillet se caractérise aussi par ses lois anticléricales très avancées, comme l’abolition de la loi du Sacrilège, l’exclusion des évêques de « l’État », la suppression des traitements supplémentaires en faveur des ecclésiastiques.

[6] Leur idéal était en fait de faire cohabiter un roi qui aurait loyalement accepté les acquis de la Révolution, et qui règnerait dans un esprit libéral, et une chambre élue qui l’assisterait de ses conseils. Elle devait être désignée par un collège électoral très limité, où les propriétaires et les gens instruits formeraient sinon la totalité mais au moins une très grande majorité. Ils ne devaient pas trouver un roi de cette espèce jusqu’à la Monarchie de Juillet et au règne de Louis-Philippe. C’est Guizot qui a le mieux exprimé l’idéologie des doctrinaires dans son traité Du gouvernement représentatif et de l’état actuel de la France. Dans la presse, les principaux organes du parti étaient L’Indépendant, devenu Le Constitutionnel en 1817, et Le Journal des Débats. Les doctrinaires étaient principalement soutenus par d’anciens fonctionnaires de l’Empire, qui croyaient en la nécessité d’un gouvernement monarchique mais se souvenaient encore de la rude poigne de Napoléon, ainsi que des négociants, des industriels et des membres des professions libérales, en particulier des avocats, qui n’avaient pas moins de haine envers l’Ancien Régime. On compte parmi les principaux représentants de ce courant Pierre-Paul Royer-Collard, Camille Jordan, François Guizot, Victor de Broglie, Tanneguy Duchâtel, Charles de Rémusat, Jaubert, Prosper Duvergier de Hauranne, Victor Cousin, le Baron de Barante, Jouffroy, Abel-François Villemain.

[7] Parmi ces modérés, il faut citer Lamartine, Armand Carrel et Armand Marrast, le journal Le National, les frères Cavaignac, Godefroy et Eugène. On peut citer aussi les six députés républicains qui siègeront dans la dernière Chambre des députés du régime : Marie, Carnot, Dupont de l’Eure, Garnier-Pagès, Ledru-Rollin et Arago.

[8] Y compris, parmi leurs leaders, Cabet, Raspail, Blanqui.

[9] Les journées de Juin sont une révolte du peuple de Paris du 22 au 26 juin 1848 pour protester contre la fermeture des Ateliers nationaux.

[10] Ollivier accepta d’être le rapporteur de la loi du 25 mai 1864, qui abolit le délit de coalition créé par la loi Le Chapelier de 1791 et instaure le droit de grève. Cherchant à concilier ordre et liberté, il engagea une révision constitutionnelle d’ensemble pour mettre sur pied un système semi-parlementaire (constitution du 21 mai 1870). Il abandonna les procédés de la candidature officielle, renvoya Haussmann et quelques autres préfets autoritaires, amnistia Ledru-Rollin exilé depuis 1849, fit appliquer avec modération la législation sur la presse. Le succès du plébiscite de mai 1870 consacra le succès de cette politique mais, paradoxalement, renforça les bonapartistes autoritaires qui contestèrent de plus fort le gouvernement. Ollivier était persuadé d’avoir la situation en main alors que, lâché par les républicains et contesté par les bonapartistes autoritaires, il était de plus en plus isolé et ne se maintenait plus que grâce à la faveur de Napoléon III. Bien que personnellement favorable à la paix, il se laissa dépasser par Gramont et par les partisans de la guerre. Le 5 juillet 1870, devant le Corps législatif, il déclare maladroitement accepter la guerre avec l’Allemagne « d’un cœur léger ». Suite à la dépêche d’Ems (13 juillet), et sous la pression populaire, il annonça la déclaration de guerre à la Prusse, qu’il officialisa le 19 juillet 1870. Les premiers revers fournirent à la Chambre l’occasion de le renverser, à une écrasante majorité, le 9 août 1870.

[11] Il est vrai qu’en renversant Thiers avec l’aide des légitimistes et en portant le duc Albert de Broglie au pouvoir, les orléanistes avaient d’abord voulu jouer une dernière carte en faveur de la restauration monarchique. Avant de se raviser.

[12] 30 janvier 1875, adopté à une seule voix de majorité.

[13] Il se trouve que la composition réelle du Sénat ne correspondra pas au vœu du centre-droit orléaniste, parce qu’un accord électoral entre républicains et légitimistes assurera à ces deux groupes la quasi-totalité des premiers mandats de sénateurs inamovibles.

[14] Le 16-Mai aura cependant la conséquence fâcheuse de faire tomber en désuétude le droit de dissolution de la Chambre par le président de la République ; aucun président ne se risquera donc plus à en user.

[15] D’ailleurs, Constant et Laboulaye, protestants tout comme Kant, se réfèrent explicitement à lui en de nombreuses occasions.

[16] Léon Bourgeois, Solidarité, 1896.

[17] Ceci n’est pas sans rappeler Friedrich A. Hayek, Droit, législation et liberté, tome 2, « le mirage de la justice sociale », 1976.


 

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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 05:25

Recension de l’ouvrage de Philippe Nemo

Les deux républiques françaises

 

jeudi 30 avril 2009 - Guillaume Kalfon


Dans les Deux Républiques Françaises, Philippe Nemo défend la thèse de l’existence continue en France, depuis la Révolution, de deux courants qui s’opposent et qui se disputent la légitimité de l’appellation « républicain » ainsi que la légitimité de l’héritage de la Révolution. Le premier, qu’il appelle « 1789 », correspond à ceux qui sont restés attachés au contenu de la Déclaration Des Droits De L’Homme Et Du Citoyen de 1789 et au respect de l’expression du suffrage du peuple. Le second, qu’il intitule « 1793 », héritière du Jacobinisme, est dirigiste, ne rechigne pas à l’usage de la force, ne respecte guère le vote populaire, et use volontiers des organes de l’Etat pour imposer un vision unique de sa mission, mais aussi pour promouvoir une espèce de religion millénariste sans dieu, le laïcisme.

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Pour démontrer et illustrer son propos, l’auteur analyse une série d’éléments clés de l’identité Française contemporaine, en comparant pour chacun d’entre eux les attitudes prises par ceux qui se rapprochent de « 1789 » et de ceux qui se rapprochent de « 1793 ». Ces éléments sont : le respect de la démocratie, les fondations de la République, la laïcité à laquelle il rattache la question de l’enseignement, l’affaire Dreyfus, l’occupation Allemande pendant la IIème Guerre Mondiale et enfin l’accaparement du terme « républicain » par la gauche.

Dans ce contexte, l’histoire de France se trouve mal enseignée aux enfants, dans un but de perpétuations d’un certain crédo dit républicain, qui tait le rôle positif joué par bien des acteurs de l’histoire et qui donne une image exagérément embellie d’un certain nombre de personnages présentés comme exemplaires. Nemo, avec cet ouvrage, exprime clairement le désir d’amorcer une inflexion afin qu’un rééquilibrage devienne un jour possible.

Le poids de 1793

En premier lieu, le premier mythe : que « 1793 » serait démocrate. En fait, depuis sa première incarnation en la personne des Jacobins, elle n’a eu de cesse que de remettre en cause le verdict du suffrage du peuple, par le biais d’artifices aussi innombrables que divers tels l’élimination de candidats gênants, la prise de contrôle déloyale des assemblées, mais aussi la violence et l’émeute, justifiées sans honte par des historiens tels Lissagaray. La force populaire, le peuple, sont alors présentés comme un personnage héroïque à qui tout est permis, alors même qu’on nie l’expression de son vote.

La charbonnerie, les sociétés secrètes de la Restauration, l’affreux Auguste Blanqui qui avait l’habitude d’appeler au meurtre de son propre frère Adolphe, les « rouges » des journées de juin 1848, la Commune qui s’élève pour renverser un gouvernement légitimement élu, les exemples soigneusement décrits abondent, jusqu’aux innombrables blocages se faisant passer pour des grèves, dont nous sommes encore quotidiennement les témoins.

Dans cette lutte, « 1793 » a clairement pris le dessus en arrivant à contrôler des pans entiers de la vie politique et syndicale Française. Sa force découle d’un discours millénariste, c’est à dire de la promesse d’un âge d’or sur terre grâce l’action d’une catégorie d’hommes à la sagesse presqu’infaillible, se présentant comme des sauveurs.

Deuxième mythe : « 1793 » aurait fondé la République. Au moment de sa création, la IIIème république est l’œuvre de « monarchistes, anciens orléanistes, anciens partisans de l’empire libéral », d’une part des républicains « récusant formellement 1793 ». Avant cela, une lignée de penseurs prolonge et enrichit le projet de « 1789 » aspirant à une constitution qui « interdise à l’Etat de transgresser les libertés publiques essentielles », tels Guizot, Say, et surtout Constant.

Il est à noter tout de même que c’est sous la IIIème République que s’enclenche le processus de redistribution des richesses par l’Etat, sous la forme d’une « intervention limitée de l’Etat dans le domaine social et la perception par l’Etat de ressources fiscales permettant cette intervention ».

1793 et le laïcisme

Troisième point, troisième mythe, et le pilier central qui porte le livre, « 1793 » se prétend laïque. De fait il ne s’agit en rien de laïcité, c’est-à-dire la non implication du pouvoir dans les affaires de la foi, mais d’une guerre sans pitié pour l’élimination, et à défaut la mise sous contrôle totale, des religions. Bien sûr, le point de départ est une situation où Taine, enseignant, n’ose pas faire lire à sa classe L’Ecole Des Femmes du fait de la pression de l’église, et cette dérive elle-même ne peut être tolérée. Mais une fois cela admis, on ne peut pour autant justifier un anticléricalisme, et même un antichristianisme, intolérant et jusqu’au boutiste.

Un inspirateur important de l’anticléricalisme fanatique est Edgar Quinet, qui considère le catholicisme comme rigoureusement incompatible avec la liberté et comme « un danger… le ciment de tout ce qui reste de servitude sur terre ». Pour lui, il faut interdire l’enseignement du catholicisme en employant l’arme absolue, le monopole scolaire, mais il faut aussi rendre le culte chrétien « matériellement impossible ». Et cela ne peut se faire en respectant les droits de l’homme et la liberté : « le despotisme religieux ne peut extirpé sans qu’on sorte de la légalité ». Quinet est aussi un haut gradé du Grand Orient de France. La Franc Maçonnerie jouera un rôle essentiel dans ce combat, en particulier en recrutant nombre d’instituteurs.

La religion est perçue comme une concurrente du pouvoir. Dès lors il faut imposer « la religion de la Révolution française ». De telles idées entraineront logiquement des persécutions antichrétiennes. La loi Ferry de 1879 revient à tuer dans l’œuf les universités catholiques. Les Jésuites sont dissous, les autres congrégations « non autorisées ». La loi de gratuité de l’école laïque signifie que qui veut confier ses enfants à une autre éducation doit payer deux fois. Une génération de protestants libéraux tels Halévy joueront un rôle majeur dans l’éclosion des Hussards noirs de la République, mettant ainsi en place les conditions de la prise de contrôle de l’éducation par ce nouveau corps devenu puissant.

Ce sera ensuite la Franc Maçonnerie qui réalisera ce potentiel de contrôle. Tout comme Quinet, un grand nombre de membres du Bloc des Gauches en fait partie. En 1910, les enseignants qui ne sont pas maçons sont du moins en relation étroite avec la Ligue de l’Enseignement, véritable filiale de l’ordre. Léon Bourgeois dira, « l’éducation nationale a pour fin dernière de créer [l’] unité des esprits et des consciences » ; le président Lafferre, au convent du Grand Orient : « par-dessus les gouvernements qui passent, la Maçonnerie, bras armé de la République, demeure ». Le secret maçonnique permettra de plus de donner l’apparence de nombreuses voix diverses et convergentes recommandant les mêmes réformes.

Une fois ces bases posées, tout sera en place pour que l’instruction publique, devenue éducation nationale, devienne la chose de syndicats politisés ne répondant plus qu’à eux même, avec l’intention déclarée de ne même plus avoir de compte à rendre à l’Etat, pour aboutir enfin à l’adoption du plan Langevin Wallon avec les réformes Berthouin de 1959 et Fouchet de 1963, sans que le projet et les fins de l’école unique n’ait jamais été clairement présenté à la population. « Voilà comment les minorités mènent le monde ».

Le 1793 des Dreyfusards

Le quatrième mythe mis à jour de façon convaincante par Philippe Nemo est que la France de 1793 aurait été dans le camp Dreyfusard à l’occasion de l’affaire Dreyfus. De fait, à l’aide de très nombreux exemples, l’auteur défend la thèse qu’il y a, en fait, eu deux époques dans cette affaire. Durant la première, « 1793 » a été très clairement anti dreyfusarde. La deuxième, déclenchée de façon spectaculaire par l’agression à coup de canne par du Président Loubet par le Baron Christiani en juin 1899 verra un renversement du tout au tout de cette position.

De la première époque, Léon Blum, contemporain de l’affaire, dira « je puis affirmer, sans forcer en rien la vérité, que ceux qui devaient, un peu plus tard, former la base du « Bloc des gauches » étaient alors en grande majorité hostiles à la révision [du procès contre Dreyfus] ». En ces années de l’après 1870, en plus d’être anticapitalistes et antibourgeois nombreux sont en effet les gens de gauche qui sont aussi anti étrangers. Par extension, ceux qui sont antisémites ne sont pas rares, sans toutefois aller tous jusqu’à l’extrême de Proudhon qui propose d’exterminer les juifs. Les exemples abondent. On se contentera de citer le grand Jaurès : « la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par un sorte de fièvre du gain quand ce n’est pas celle du prophétisme ».

Ce n’est que suite au coup d’éclat de Christiani, un aristocrate qui attaque un élu, que la gauche changera de camps, et n’aura alors de cesse que de faire croire qu’il n’en est rien, qu’elle avait toujours été dreyfusarde. Cinquième mythe et le plus proche de nous , la sombre période de l’occupation allemande, pour laquelle « 1793 » prétend que ce sont ses adversaires qui ont été Nazis. En fait, beaucoup des noms célèbres de la collaboration sont socialistes ou anciens socialistes, voire gauchistes et communistes. Ainsi Déat, Guilbaud, Luchaire, Tissot et Darnand qui, dans une longue lettre de septembre 1943, écrivent à de hautes personnalités allemandes à Paris et Berlin leur souhait de construire avec eux partout en Europe une politique « réellement socialiste et révolutionnaire ». Pour eux, Hitler a vaincu le capitalisme tant détesté.

A la libération et dans la période qui l’a suivie, on n’aura de cesse de dissimuler cet état de fait, et fabriquera l’image de la gauche et du communisme inflexibles résistants de toujours.

Et enfin le sixième mythe sans cesse alimenté par la gauche dans la discussion nationale : qu’il n’y a de républicains qu’en son sein. Comme pour les cinq premiers, Nemo démonte méticuleusement cette assertion à l’aide d’exemples multiples, même s’il est de toutes façons permis de douter de l’importance du terme républicain dans la bonne marche de la démocratie libérale, celle-ci fonctionnant pour le moins aussi bien dans les monarchies constitutionnelles que dans les républiques.

Comme conclusion du livre, Nemo nous livre une analyse aussi juste que déprimante de la situation de la France d’aujourd’hui, où une religion inavouée de type millénariste à trouvé en le monopole de l’éducation nationale l’église par laquelle elle peut s’assurer que l’ensemble de la population est copieusement exposée à sa doctrine. Sur l’éducation il résume : « le système , bien que nominalement public et fonctionnant de facto avec l’argent des citoyens contribuables , est une entreprise privée qui s’autogère. Il est dirigé par les seuls chefs de l’Eglise de la Gauche, francs maçons et syndicalistes, qui considèrent le peuple comme privé de voix délibérative, puisqu’il n’est pas initié et ne peut délibérer valablement de l’avenir qu’ils lui préparent – le « Temple » ou le socialisme. »

Retrouver la pertinence de 1789

Par sa rigueur, par son infatigable énergie à revenir sur les vérités acceptées par presque tous et qui pourtant n’ont pas grand-chose de vrai, par la liste interminable d’exemples tous plus parlant les uns que les autres, qui nous font nous immerger dans les contextes et les épisodes décrits, par ses révélations sur certains des personnages considérés comme sacrés de l’histoire de France, Nemo nous propose une critique au plus haut point convaincante et dévastatrice de l’édifice révolutionnaire jacobin qu’il appelle « 1793 » et de ses retombées contemporaines. Pour cette raison, ce livre devrait être lu par le plus grand nombre, et relu pour bien en saisir le contenu après la réalisation plus viscérale de l’étendue des dégâts telle qu’ obtenue en première lecture.

Sa défense de la France libérale démocratique dite « 1789 », que semble promettre le titre de l’ouvrage, est, elle, en fait, moins fournie. Elle apparait plus comme l’image lumineuse mais vague de ce qu’il y a de bien face à l’autre composante de l’alternative, une image que Nemo nous demande d’accepter sans en discuter abondamment le contenu. Il y aurait donc un peut-être un autre ouvrage critique à écrire sur cet héritage là, en abordant des questions que le livre ne fait que frôler, telles par exemple :

Comment défendre le principe même de révolution puisqu’il porte en lui le risque chaotique, que son potentiel de troubles est incontrôlable et que son résultat final ne peut être maitrisé si l’on s’en tient à des principes libéraux ?

Ou encore, les libéraux qui ont posé les bases de l’éducation nationale, et même du monopole de celle-ci, par anticléricalisme « rationnel », ne se sont-ils pas par la même donné le bâton pour se faire battre, puisque leur créature a pu si facilement ne plus répondre qu’à elle-même et leur infliger une défaite dont aujourd’hui encore ils ne semblent pas prêts de se remettre ?

Enfin, même si le modèle républicain jacobin français prouve particulièrement bien en ces temps troublés, de blocages d’universités en séquestration de patrons, d’endettement public catastrophique en étouffante pression fiscale, qu’il est une impasse et porte en soi des risques de troubles graves, néanmoins les démocraties libérales non entachées de jacobinisme, présentée par Nemo comme un contre exemple à suivre, échappent-elles à une lente mais dommageable dérive, via les problèmes de « public choice » et les effets cliquets sur la dépense publique, et pour nombres d’entre elles, ne se retrouvent-elles pas aujourd’hui plongées dans des problèmes presqu’aussi insurmontables que les nôtres ?

S’il veut retrouver une pertinence, « 1789 » doit chercher des réponses au grand défi qui lui fait face : comment limiter les prérogatives que l’Etat n’a de cesse de s’arroger ; comment éviter que le suffrage universel ne continue de donner cette dangereuse illusion que les domaines légitimes d’intervention du pouvoir sont eux aussi universels ?

 


Les Deux Républiques françaises - Introduction

 

vendredi 5 juin 2009 - Copeau

 

- Introduction  
- Chapitre 1 : Premier mythe : « 1793 » aurait été démocrate
- Chapitre 2 : Deuxième mythe : « 1793 » aurait fondé la République
- Chapitre 3 : Troisième mythe : « 1793 » aurait été laïque
- Chapitre 4 : Quatrième mythe : « 1793 » aurait été dreyfusard
- Chapitre 5 : Cinquième mythe : Les adversaires de « 1793 » auraient été nazis
- Chapitre 6  : Sixième mythe : Il n'y aurait  de républicain qu'à gauche
- Conclusion : l’Eglise de la Gauche


La République n’a jamais fait l’objet d’une unanimité en France, contrairement à l’image d’Epinal que l’on peut en avoir. Pour les uns, la République, c’est l’Etat de droit [1] démocratique et libéral, le suffrage universel et les libertés politiques essentielles. Pour les autres, la République est un projet de société jacobin, étatiste et socialiste.

Philippe Nemo ambitionne dans cet ouvrage d’étudier la nature et l’histoire de cet antagonisme, au cours des deux derniers siècles.

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La Ière République, régime totalitaire

En guise de propos liminaire, Nemo observe que la conception jacobine de la République se réfère à un événement historique très circonscrit, la Ière République dite « Montagnarde ». Celle-ci débute en septembre 1792 et s’achève en octobre 1795 pour l’ensemble de l’épisode de la Terreur, mais en réalité la focale doit être réduite, dans l’esprit jacobin, à la séquence septembre 1792 – juillet 1794, et en particulier à la convention montagnarde de juin 1793 (après la chute des Girondins) à juillet 1794 (chute de Robespierre). Nous sommes donc sur l’épaisseur du trait historique. Or, dit Nemo, cette Ière République présente la particularité peu louable d’avoir été un régime totalitaire, dont les horreurs ont égalé, sinon en ampleur, du moins en nature, celles des régimes nazis et staliniens. Ce qui pose problème est que certaines forces politiques d’aujourd’hui donnent ce passé détestable comme l’épopée fondatrice du pays, comme son écriture sacrée, et même comme ce qui constitue la France comme nation.

Alors qu’en Allemagne ou en Russie, les intellectuels ont depuis longtemps engagé un processus critique de leur passé noir, en France, au contraire, le pays officiel continue à célébrer la République jacobine. « 1793 » serait en particulier le prix à payer pour faire passer « 1789 » dans la réalité. Tous ces crimes auraient été nécessaires [2] ; et le syllogisme se poursuit de la manière suivante : ce qui est nécessaire pour faire advenir un bien ne saurait être mauvais. La République serait une sorte d’ « alternative » à la France, qui s’inscrit au moment de la Révolution contre plus d’un millénaire d’histoire nationale. C’est bien ainsi que l’on professe au lycée ou à l’université l’histoire de la France contemporaine.

Les deux révolutions françaises

Quelle est la nature exacte du lien entre « Révolution » et « République » ? Nemo observe qu’il n’est pas aussi simple qu’il y paraît de prime abord. La Révolution n’est pas d’emblée républicaine, puisqu’elle instaure d’abord une monarchie constitutionnelle. La République jacobine ne sort pas non plus naturellement de la Révolution : elle résulte d’un accident ou plus exactement d’une série d’accidents qui précipitent la chute de la monarchie constitutionnelle [3]. La Ière République a pour origine l’émeute du 10-Août et les massacres de septembre 1792, et elle s’identifie ensuite, peu ou prou, avec la Terreur. Loin de parachever l’œuvre constitutionnelle des hommes de 1789, représentants de l’esprit des Lumières, la Ière République est le régime qui a voulu anéantir cette œuvre et a failli y parvenir.

On sait que la Convention, assemblée qui se veut représentative du « peuple souverain », n’a été élue que par une très petite fraction du corps électoral. Sur 7 millions d’électeurs, on estime que 90 % se sont abstenus. Le choix des députés appartient donc à une minorité décidée. Comme en 1789, le scrutin à deux tours a pour effet d’éliminer les classes populaires de la représentation nationale. La composition de la Convention reflète les coups de force et les manipulations des Jacobins. Sans compter le fait que le pouvoir sera durant la Terreur entre les mains non de cette assemblée, mais de son gouvernement révolutionnaire, le Comité de Salut public (Barère, Danton, Robespierre, Saint Just, Carnot, Couthon, Billaud-Varenne et quelques autres), avatar comme tant d’autre des régimes dictatoriaux. Tous ces traits font de la Ière République française l’antagonique absolu, et en aucun sens l’héritière, du mouvement des Lumières.

Nemo, s’inscrivant dans la pensée de Guglielmo Ferrero [4], précise que le mot « Révolution » peut recouvrir deux sens bien différents. Il peut s’agir, d’une part, d’un phénomène créateur (une orientation nouvelle de l’esprit humain, une porte ouverte sur l’avenir). Mais il peut aussi s’agir, d’autre part, d’un phénomène destructeur (écroulement d’une légalité ou d’une légitimité, subversion des règles établies). Le propre et la particularité de la Révolution française est d’avoir cumulé ces deux types de révolutions. Chacun a sa propre logique, irréductible à l’autre, et ne concerne pas les mêmes segments de la société. Chacun couvre un champ qui dépasse, en amont comme en aval, le strict cadre des événements révolutionnaires et puise sa force et son origine bien au-delà. Suivant la méthode wébérienne des idéaux-types, Philippe Nemo appelle « 1789 » la Révolution créatrice et « 1793 » la destructrice. Ces deux concepts constituent des dates hypostasiées, des lignes directrices courant sur des siècles voire des millénaires, et dont l’idéal-type s’incarne encore aujourd’hui dans les débats intellectuels contemporains. Si l’épisode révolutionnaire a été le théâtre le plus marquant de l’affrontement direct entre ces deux concepts, c’est bien plus à cause du hasard de l’histoire que d’un déterminisme préétabli, épisode dont il ne faut par conséquent pas survaloriser le poids dans ce grand combat. Il en est un avatar, certes majeur, mais ni le catalyseur, ni l’aboutissement.

« 1789 »

1789, c’est la démocratie libérale. C’est-à-dire la tolérance religieuse, la liberté de penser, de s’exprimer et de publier, la démocratie politique, enfin la liberté économique (liberté d’entreprendre, liberté du travail). Ces idées sont issues du mouvement des Lumières. Elles sont fondées sur la conviction de la fécondité des libertés, sur trois plans complémentaires.

  Sur le plan intellectuel, cette prise de conscience tient à la division religieuse de l’Europe qui a résulté de la Réforme au XVIe siècle. Avec cette division, le dogmatisme de l’Eglise et le monopole d’un pouvoir spirituel unique devenaient impossibles [5]. La réflexion est entamée par les humanistes hollandais et anglais, Grotius [6] ou Bayle [7]. C’est grâce à eux si, à partir du XVIIe siècle, les philosophes sont libres de s’exprimer et de publier, si les hypothèses scientifiques même a priori les plus farfelues et contraires aux dogmes et convictions du temps peuvent être librement formulées. Le pluralisme idéologique est irréductible, parce qu’il est lié au caractère éclaté de la vérité. La pensée des Lumières envisage une agora dans laquelle les thèses se confrontent et se réfutent, dans un processus de rationalisme critique qui connaîtra une descendance fructueuse [8].

  Sur le plan politique, les doctrines opposées à l’absolutisme royal se font jour dès l’aube du XVIe siècle, en parallèle et à l’opposé de la centralisation du pouvoir monarchique au détriment du régime féodal [9]. Elles ont constitué le berceau des doctrines démocratiques contemporaines. On peut faire remonter ces thèses au conciliarisme [10] du XVe siècle, aux monarchomaques protestants [11], à la théorie calviniste des magistrats inférieurs [12], à la théologie du covenant [13]. En France, les doctrines démocratiques de 1789 proviennent naturellement des critiques formulées contre l’absolutisme louis-quatorzien par Claude Joly, Pierre Jurieu ou Fénelon. L’anti-absolutisme prend substance ensuite avec la Fronde des Parlements [14] qui retrouvent leur droit de remontrances sous la Régence et entre en lutte ouverte avec le pouvoir presque jusqu’en 1789.

  Sur le plan économique enfin, la fin des XVIIe et le XVIIIe siècle voient le développement dans tous les grands pays européens, d’une science économique libérale, et en particulier d’une grande tradition libérale française [15]. Celle-ci court de Pierre de Boisguilbert à Vincent de Gournay, en passant par les physiocrates, Turgot et tant d’autres. Tous croient – c’est la conviction profonde de Turgot, de Destutt de Tracy ou de Say – que la croissance économique seule est la vraie solution de fond aux problèmes sociaux, et non pas la chimère de la simple répartition des richesses qui ne se pose pas la question de savoir comment on la produit. Ils prônent la liberté du commerce et de l’industrie, qui n’ont de sens que si l’on respecte le droit et les contrats : les hommes de cette tradition défendent donc les voies de droit que, depuis longtemps, les Parlements français ont défendues contre l’arbitraire de l’absolutisme. Une autre branche de cette tradition fondera aussi la doctrine des droits de l’Homme, qui est d’origine antique et médiévale, et qui sera reprise par les théoriciens modernes du droit naturel à partir de la seconde scolastique espagnole du XVIe siècle [16].

Il est indispensable de bien comprendre qu’une grande part de l’opinion publique française était acquise à ces idées de liberté dès avant 1789. C’est ce qui explique le large consensus dont ont bénéficié les premières mesures de la Constituante. Ce large mouvement, qui déborde en arrière comme en avant l’épisode révolutionnaire, est commun aux grands pays d’Europe et à la jeune Amérique.

« 1793 »

La révolution destructrice des Jacobins est une réaction à ce mouvement. Les idées de « 1793 » sont beaucoup plus anciennes que l’épisode de la Terreur, et ne doivent quasiment rien aux Lumières ; elles héritent des collectivismes millénaristes et apocalyptiques de l’Antiquité et du Moyen Age. Plus anciennement encore, elles renvoient à l’atavisme holiste des sociétés archaïques antérieures à l’émergence de la civilisation gréco-romaine et chrétienne. En même temps que, sous l’Ancien Régime, les doctrines anti-absolutistes se développaient, de violents mouvements de foule antinobles, antibourgeois, anticléricaux, antiriches, apparaissent, fédérés par des thèmes religieux millénaristes : les croisades des pauvres [17], les mouvements autour de l’Empereur des Derniers jours [18], le mouvement des Flagellants [19], le mouvement taborite [20]… Le phénomène s’exacerbe avec l’essor commercial et industriel du XVIe siècle, issu des Grandes découvertes de l’humanisme et de la Réforme : la guerre des paysans [21] et le terrifiant mouvement anabaptiste de Thomas Münzer [22], par exemple.

C’est à cette période que naissent aussi les premières utopies, depuis Thomas More et Campanella, jusqu’à Vairas d’Alais, Claude Gilbert et tant d’autres [23]. Les thèmes du futur socialisme apparaissent, autour de l’idée qu’on pourrait établir en Europe même des sociétés alternatives à la société existante pourvu qu’on n’ait pas peur d’y provoquer des changements radicaux. Ces idées se cristallisent dans les systèmes des Diggers lors de la Première révolution anglaise [24], du curé Meslier [25] à la fin du XVIIe siècle, de Morelly ou de Mably au XVIIIe.

Dans la prose des auteurs tenants de ces thèses, la « République » doit assurer non seulement l’égalité des droits, mais encore l’égalité des conditions. Cette dernière revendication se subdivise à son tour en deux revendications différentes, potentiellement contradictoires : dans un cas, un idéal de démocratie de petits propriétaires indépendants ; dans l’autre, l’idéal d’abolition pure et simple de la propriété privée. Dans tous les cas, un rôle majeur revient à la puissance publique : c’est elle qui est censée produire toute la richesse.

On peut noter le caractère très rudimentaire de la réflexion économique de ces auteurs. Ils n’ont pas conscience de ce que, déjà en leur temps, la vie sociale est le fruit d’une division du travail poussée qui ne peut se maintenir que si les mécanismes de marché, transmetteurs d’information, fonctionnent. Au surplus, le système d’échange d’information qu’est le marché suppose lui-même le respect de la propriété privée et des contrats, donc le droit. Un des traits les plus significatifs de la mentalité « 1793 » sera donc le mépris du droit et de ses formes, l’approbation délibérée de la violence comme moyen de faire advenir une société estimée plus juste que la société d’alors.

Ces idées prennent un tour nouveau avec l’apparition autour des années 1820 des premières doctrines socialistes [26]. Ce qui distingue ces nouvelles doctrines des précédentes, c’est le caractère systématique, complet, qui fait du socialisme une véritable alternative à la société existante. Le socialisme s’agrège donc à « 1793 » comme la forme achevée de cet idéal-type.

La « guerre des deux France »

La « guerre des deux France », ainsi qu’on la nomme classiquement, a existé. Elle a opposé la Contre-Révolution à la Révolution, c’est-à-dire les tenants de l’Ancien Régime à la nouvelle France issue de 1789. La Contre-Révolution a résisté longuement à tout ce qui paraissait venir de la Révolution, qu’il s’agisse de « 1789 » ou de « 1793 ». Joseph de Maistre, Louis de Bonald, Frédéric Le Play ou René de La Tour du Pin en sont les principaux représentants.

Seulement, ce combat intellectuel est mineur par rapport au conflit principal, celui qui oppose « 1789 » à « 1793 ». Le combat de l’égalité civile contre la société d’ordres a été gagné pour l’essentiel dès le XVIIIe siècle, comme le prouve l’effondrement quasi instantané de l’ancienne structure politique en 1789. Nonobstant quelques combats d’arrière-garde menés par des hobereaux isolés, les droites ont réellement pris part à la vie politique et ont admis la Charte, l’égalité civile, la liberté religieuse, le Code civil, la représentation parlementaire très rapidement.

Ce qui, a contrario, a fait les feux, la rage, les crimes de la Révolution, puis des guerres civiles françaises des XIXe et XXe siècles, ce n’est pas ce combat-là, mais celui qui a opposé « 1793 » à « 1789 ». Or, la conscience publique a été abusée depuis des décennies par une série de mythes, infondés. Philippe Nemo ambitionne de « déconstruire » ces mythes, afin d’identifier que les traits de mentalités françaises qu’on croyait permanents se révèlent à l’examen être, en réalité, le fruit d’une construction historique récente.


- Philippe Nemo, Les Deux Républiques Françaises, éditions PUF, 2008. Ouvrage lauréat du Prix Wikibéral 2009

- Lire la recension de Guillaume Kalfon sur Contrepoints ici

[1] Il faudrait plutôt dire : l’Etat de droit, mais aussi l’état de droit, autrement dit certes le respect de la hiérarchie des normes, l’égalité des sujets de droit, l’indépendance de la justice, le contrôle de constitutionnalité – tous fondements de l’Etat de droit ; mais aussi – et peut-être plus encore – le Rule of Law, autrement dit le fait qu’il existe une loi supérieure à n’importe quelle puissance politique. C’est l’état de droit plus encore que la théorie de Kelsen qui fonde la démocratie libérale.

[2] Voir les travaux d’Albert Soboul, et la critique faite par François Furet du « catéchisme révolutionnaire » de Claude Mazauric dans Penser la Révolution française, 1978. Voir en ligne.

[3] En particulier, et la liste n’est pas exhaustive : la déconfiture de la fuite à Varennes de Louis XVI, l’agitation permanente du Comte d’Artois, la déclaration de guerre à l’Empereur d’Autriche et l’arrivée des redoutables armées prussiennes, le veto mis par le roi aux décrets permettant la déportation des prêtres réfractaires, la dissolution de la garde personnelle du roi et la constitution d’un camp de gardes nationaux fédérés pour défendre Paris, la prise des Tuileries, puis, après la chute proprement dite de la monarchie, les « massacres de septembre » (massacre des prêtres réfractaires, des suspects d’activité contre-révolutionnaire et des détenus de droit commun incarcérés dans les prisons à Paris), …

[4] Guglielmo Ferrero, Les Deux Révolutions françaises, 1951.

[5] On pourrait ajouter l’influence qu’exerce Machiavel, plus réformateur religieux que philosophe, comme l’écrit Pierre Manent, cette fois-ci dans le monde catholique. Voir en ligne.

[6] Œuvrant en négociateur patient durant près de dix ans, Grotius estime que le pouvoir politique n’est pas autorisé à donner son avis dans les controverses religieuses et les disputes doctrinales et, partant, est inapte à se réclamer de la vérité religieuse pour imposer par la force la doctrine qu’il considère « juste ». Cette position tolérante sera considérée par Nassau et les calvinistes comme subversive ; notamment parce qu’elle sera jugée trop favorable aux catholiques - désignés par les calvinistes hollandais comme des ennemis étant donné que l’Eglise désapprouve l’idée protestante de prédestination. De ce pro-catholicisme supposé, les adversaires de Grotius déduisent un sentiment pro-espagnol. Les soupçons de conspiration et de trahison ne tardent donc pas à peser sur le courageux conciliateur. Il n’a jamais été facile de défendre la liberté, en voici encore une preuve. ], Roger Williams, Locke [[Pour Locke, il est bien clair que seul le magistrat à la charge du pouvoir temporel, qui consiste à maintenir par la loi un ordre public assurant le bien public et la paix civile. Le magistrat n’a aucun droit sur les intérêts spirituels des individus, car chacun est libre de choisir la manière de vivre dont il estime qu’elle lui assurera le salut. Chacun peut donc adhérer librement aux dogmes qui lui plaisent ; les sociétés religieuses doivent être libres et volontaires, mais n’ont aucune légitimité quant à l’usage de la force, pas plus qu’elles n’ont le droit d’influencer les décisions de l’action politique publique. Le pouvoir politique doit donc tolérer les sectes du moment qu’elles respectent ces conditions ; la mission temporelle de l’État exige de lui qu’il protège les droits de tous les hommes quelles que soient leurs croyances, et précisément afin que chaque homme puisse mener sa vie selon les croyances qu’il juge les meilleures, et dont il est de droit le seul juge.

[7] En 1684, Pierre Bayle commence la publication de son journal de critique littéraire Nouvelles de la république des lettres, qui obtinrent dans toute l’Europe un rapide succès En 1690 paraît un Avis important aux réfugiés prônant la liberté de religion et la tolérance, ce qui provoque la colère de Pierre Jurieu et celle de l’évêque de Rieux.

[8] Condorcet, Wilhelm von Humboldt (et son important Essai sur les limites de l’action de l’Etat), John Stuart Mill et plus près de nous Karl Popper ou encore Thomas S. Kuhn.

[9] Bertrand de Jouvenel, dans Du Pouvoir, rappelle l’histoire de cette lutte entre féodalité et monarchie absolue d’une part, puis entre monarchie absolue et doctrines anti-absolutistes d’autre part.

[10] Cette doctrine d’origine ecclésiastique, apparue au XIIe siècle pour prévenir le risque d’une défaillance de la raison en la personne du Pape, se transforme au XVe siècle en une tentative de limiter l’autorité papale par la prééminence du concile sur elle. Dans Unitate Ecclesiastica (1409), le français Jean de Gerson - disciple de Guillaume d’Ockham, le père du nominalisme -, le concile doit être considéré comme l’assemblée représentant la communauté des fidèles. Quant au pouvoir pontifical, il ne signifie nullement que son détenteur - et a fortiori l’Eglise - soit mandaté pour gouverner au-dessus des lois. Surtout, Gerson établit un parallélisme entre l’institution pontificale et les sociétés profanes. Il considère ainsi que nul gouvernant ne peut s’estimer comme propriétaire de la vie et des biens d’autrui ; il est uniquement le ministre (au sens étymologique de serviteur) de ses compatriotes, pas leur souverain absolu. Voir en ligne.

[11] Les monarchomaques sont actifs au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle. Ils prônent une certaine "souveraineté du peuple", très différente du concept contemporain du même nom, bien éloigné des considérations politiques de l’époque. L’existence au XVIe siècle des monarchomaques (du grec ancien μαχομαι combattre donnant étymologiquement le sens de "ceux qui combattent le monarque") démontre que la théorie de l’absolutisme n’était pas une évidence. On les trouve dans de nombreux pays (France, Espagne...) ; certains sont catholiques (Juan de Mariana, Jean Boucher) mais la plupart protestants (Philippe de Mornay, François Hotman, Théodore de Bèze, Hubert Languet, George Buchanan).

[12] Le peuple, face à un magistrat indigne, peut chez Calvin espérer l’intervention des magistrats inférieurs (princes de sang, états généraux) auxquels Dieu a délégué une part du pouvoir politique avec pour fonction de freiner les princes et d’intervenir automatiquement lorsque ceux-ci s’écartent de leur propre fonction. En tant qu’homme privé, le magistrat inférieur n’aurait aucun droit à juger le prince auquel il est assujetti. Mais, dans la mesure où cela relève d’une fonction étatique (donc assignée par Dieu), le magistrat inférieur a le devoir de faire des remontrances au roi, de présenter des doléances, de refuser l’enregistrement d’une ordonnance, etc. Voir en ligne.

[13] Cette doctrine affirme qu’un peuple allié avec Dieu a le droit de se révolter contre un Etat malfaisant et que cette responsabilité incombe non seulement aux magistrats, mais encore à chaque chrétien pris individuellement, d’où la légitimité du suffrage universel.

[14] L’idée-force défendue par les Frondeurs est celle de la limitation du pouvoir royal, qui doit être encadrée par des assemblées, des corporations ou l’aristocratie. Ainsi, la Fronde cherche à défendre les libertés anciennes, les libertés féodales des villes à charte, des corporations, des parlements, des aristocrates, plus que la liberté. On peut voir un parallèle, dans une certaine mesure, avec les « libertés germaines » dont les hommes du XVII-XVIIIe siècle se feront les hérauts et que Jaques de Saint-Victor analyse dans les Racines de la liberté (Perrin, 2007). Il ne s’agit donc pas d’un message « révolutionnaire », appelant à une abolition de la monarchie. Celle-ci n’est jamais remise en cause en tant que telle. Et ce message, contrairement à ce qu’une première impression pourrait laisser croire, ne suffit pas à dissocier la Fronde des idées libérales : le libéralisme ne se préoccupe en effet pas tant de qui doit exercer le pouvoir, que de sa limitation, comme l’a souligné Benjamin Constant. Une monarchie peut être libérale et une démocratie ne pas l’être. L’essentiel est que ce pouvoir soit encadré par un état de droit, le régime de Rule of Law cher à Hayek. Vouloir encadrer le pouvoir et le limiter va dès lors plutôt dans le bon sens.

[15] Voir Murray Rothbard, An Austrian Perspective on the History of Economic Thought (2 vol.), 1995.

[16] Dont les représentants les plus éminents furent l’Ecole de Salamanque, parmi lesquels Francisco de Vitoria (1483-1546), Luis de Molina (1535-1600) et Francisco Suárez (1548-1617). Voir en ligne.

[17] Lors du lancement de la Première croisade (1095) par Urbain II, e pape ne se doutait pas de l’enthousiasme et de la ferveur que son appel à la croisade allait susciter parmi les simples citadins et les paysans. En effet, parallèlement à la croisade des barons, se forme une croisade des pauvres dont le principal initiateur et prédicateur est Pierre l’Ermite, originaire d’Amiens. Partis les premiers, ces croisés, dirigés par Pierre l’Ermite et Gautier Sans Avoir, traversent l’Europe centrale, commettant nombre d’exactions sur leur passage (notamment en Germanie contre les Juifs). Environ 12 000 d’entre eux atteignent le Proche-Orient mais, mal équipés, ils sont rapidement anéantis par les Turcs à Nicomédie (aujourd’hui Izmit) en octobre 1096.

[18] Face aux puissances du mal se dresse, dans l’imagerie populaire de tradition apocalyptique, la silhouette de « l’Empereur des Derniers jours », gardien de la chrétienté, inaugurant l’ère de félicité annonciatrice de la fin des temps. Charlemagne aurait un temps incarné ce personnage mythique. Selon une légende tena

ce, entretenue par certains chroniqueurs, il aurait jadis mené victorieusement la croisade et restauré la Jérusalem chrétienne. Plus d’un croisé, en route vers la Terre sainte, était convaincu de suivre la route jadis construite par Charlemagne

[19] Ceux qui y prenaient part pensaient que la pratique de la flagellation leur permettrait d’expier leurs péchés, atteignant ainsi la perfection, de manière à être acceptés au royaume des cieux, censé arriver sur terre après l’Apocalypse. Ils allaient en procession par les villes, nus jusqu’à la ceinture et armés d’un fouet dont ils se flagellaient publiquement, en chantant des cantiques, pour expier leurs péchés. Il convient d’éviter l’erreur largement répandue qui consiste à confondre les flagellants avec les Pénitents. Ces derniers sont apparus en 1267 avec la création, à Rome, par Saint Bonaventure de la première confrérie de pénitents, sous le vocable « Confrérie du Gonfalon ».

[20] Les Taborites (en tchèque : Táborité, pluriel de Táborita) forment la secte proto-protestante du hussitisme du XVe siècle. Ils tirent leur nom du bourg de Tábor en Bohême. Jan Žižka est leur chef militaire. Ce mouvement nait de la prédication de Mikuláš Biskupec de Pelhřimov et de Prokop le Grand. La communauté dure une trentaine d’année, puis se dissout après la défaite des Taborites à la bataille de Lipany le 30 mai 1434 quand treize à dix-huit-mille hommes sont tués. Ils signent alors un traité avec Sigismond Ier du Saint-Empire, également roi de Bohême. Ils rejettent le purgatoire, la confession auriculaire, la confirmation, la présence réelle, …

[21] La guerre des Paysans allemands (Deutscher Bauernkrieg) est une jacquerie qui a enflammé le Saint Empire romain germanique entre 1524 et 1526 dans de larges parties de l’Allemagne du Sud, de la Suisse et de l’Alsace. On l’appelle aussi, en allemand, le Soulèvement de l’homme ordinaire (Erhebung des gemeinen Mannes), ou en français la révolte des Rustauds. Cette révolte a des causes religieuses, liées à la réforme protestante, et sociales, dans la continuité des insurrections qui enflamment alors régulièrement le Saint-Empire, comme celles menées par Joß Fritz.

[22] Jean de Leyde (Jan van Leiden) prit la tête de l’insurrection de ceux qui voulaient établir une théocratie dans la ville de Münster. L’armée coalisée des princes ne tarda pas à mettre le siège devant la ville révoltée. Les assiégés, fanatisés par leur propre résistance, donnèrent libre cours à leur imagination religieuse : Jean de Leyde, par exemple, comme d’ailleurs David Joris (un autre chef anabaptiste pacifiste quant à lui), alla jusqu’à se proclamer successeur de David et, à l’instar de ce roi, s’unit à plusieurs femmes. Quand, en 1535, après une année de siège et de résistance opiniâtre, la ville fut prise d’assaut, Jean de Leyde et ses lieutenants succombèrent sous la torture. Les anabaptistes dits conquérants furent traqués et poursuivis dans toute l’Allemagne et jusqu’en Suisse.

[23] Voir Armand Mattelart, Histoire de l’utopie planétaire. De la cité prophétique à la société globale, La Découverte, 1999.

[24] Les Bêcheux, ou Piocheurs (Diggers en anglais) sont une faction chrétienne de la Première révolution anglaise, fondée en 1649 par Gerrard Winstanley. Se faisant appeler Vrais Niveleurs à leurs débuts (True Levellers), le public finit par les baptiser « Bêcheux », Diggers, en raison du mode de vie qu’ils prônaient. Il s’agit du plus ancien collectif de squatteurs connu à ce jour. Leur nom s’explique par leur croyance en une sorte de communisme chrétien, selon certaine lecture des Actes des Apôtres. Les Bêcheux tentèrent de réformer l’ordre social existant par un style de vie strictement agraire (refusant l’enclosure act : l’appropriation privée des prés communaux et plus généralement des terres communales, terres qui étaient auparavant mises en commun par les paysans et habitants), s’organisant autour de petites communautés rurales autonomes et égalitaires.

[25] Jean Meslier, né à Mazerny (Ardennes) le 15 juin 1664, est un prêtre et un philosophe français, curé d’Étrépigny où il est mort le 17 juin 1729. Son existence n’a été connue qu’à partir de la publication en 1762 par Voltaire, sous le titre de Testament de J. Meslier, d’un texte qu’il présentait comme un extrait d’un texte beaucoup plus volumineux, retrouvé chez lui et dans lequel un curé professait avec détermination son athéisme. Ce texte, en forme de manifeste, et dont l’attribution reste incertaine, est considéré comme le fondateur de l’athéisme et de l’anticléricalisme militant en France.

[26] Les doctrines des saint-simoniens, de Fourier, Leroux, Cabet, Buchez, Louis Blanc, Auguste Blanqui, Proudhon, Spence, Owen, Mazzini, Marx, Engels, … ne sont que la continuation de celles que Meslier, Morelly, Mably, Dolivier, L’Ange, Babeuf et d’autres avaient formulées au XVIIIe siècle, dont on peut dire qu’elles étaient socialistes sur le fond.


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15 mars 2011 2 15 /03 /mars /2011 23:37

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  • Mister Peikoff,
    As I know that you will be informed of this translation soon after its free
    release, it would not behoove to me to apologize for translating ATLAS
    SHRUGGED in French language without ever asking for your agreement, and
    without prior submission, be it as a matter of mere courtesy, of its text to you
    before release. Such an initiative is unlikely to be pardoned, of course.
    To the attention of French readers, I managed to explain above, in their
    language, the reasons that justified my will to do this translation’s works; and
    I have made clear to them that it was a personal initiative done unbeknown to
    you and to Penguin Publishing Group. My motive for doing it is that too many
    French-speaking admirers of Ayn Rand have waited for more than half a
    century for reading ATLAS SHRUGGED, an American best seller of worldwide
    renown; and nothing suggested that they might enjoy the pleasure to read a
    print version of it anytime soon. In the eye of many of those people, it was
    tantamount to no less than a form of unbearable and unacceptable censorship.
    However, if ever it happened that this translation’s works could express the
    thought of Ayn Rand as you would like it, then on behalf of the Editions du
    Travailleur publishing company and on mine, please consider this French
    translation as your exclusive property coming to compensate for the possible
    loss its public release without your agreement might entail to your interests
    and reputation.
    Sincerely yours,

  • Monique di Pieirro – 11 Septembre 2009

 

P R E M I E R E   P A R T I E


NON-CONTRADICTION

 

 

C H A P I T R E
I


LE THEME



— Qui est John Galt ?
La lumière déclinait, et Eddie Willers ne pouvait distinguer
le visage du pique-assiette. Le pique-assiette avait posé la
question le plus simplement du monde, sans aucune expression
dans la voix. Mais le soleil qui se couchait au loin, au bout de la
rue, envoyait des éclats de lumière jaune qui faisaient ressortir
ses yeux qui fixait Eddie Willers ; des yeux fixes et moqueurs,
comme si la question avait été adressée pour piquer cette gène
irraisonnée qui était en lui.
— Pourquoi dites-vous cela ? demanda t-il.
Le pique-assiette s’appuyait contre le chambranle de la
porte ; l’arête d’un morceau de verre brisé derrière lui reflétait
le jaune métallique du ciel.
— Ça vous ennuie ?
— Pas du tout. répliqua sèchement Eddie Willers.
Il plongea prestement sa main dans sa poche. Le piqueassiette
l’avait apostrophé pour lui demander une pièce de 10
cents, puis avait enchaîné sur autre chose, comme pour faire
diversion et remettre la demande purement matérielle à plus
tard. Faire la manche pour des petites pièces était devenu une
chose si fréquente, dans la rue, qu’il était inutile de prêter
attention aux justifications, et il n’avait d’ailleurs nul désir d’en
savoir plus sur les raisons du désespoir de cet homme.
— Tiens, vas te chercher ta tasse de café. dit-il, tendant la
pièce à cette ombre qui n’avait pas de visage.
— Merci Monsieur. dit la voix d’un ton détaché ; et la tête
de l’homme resta inclinée en avant pendant un instant. La face

hâlée semblait avoir été érodée par les vents, coupée de lignes
exprimant de la lassitude et une résignation cynique ; les yeux
étaient intelligents. Eddie Willers poursuivit son chemin, se
demandant pourquoi il le ressentait toujours à ce moment de la
journée ; ce sentiment d’effroi irraisonné. « Non », se dit-il,
« pas d’effroi, il n’y a pas à avoir peur de quoi que ce soit : juste
une immense appréhension confuse, sans origine ou objet. » Il
s’était fait à ce sentiment, mais il ne pouvait se l’expliquer ;
pourtant le pique-assiette avait parlé comme s’il savait qu’Eddie
le ressentait, comme s’il pensait qu’on devait le ressentir ; et en
plus, comme si lui, il en connaissait la raison.
Eddie Willers remonta ses épaules droites en un acte
conscient d’autodiscipline. Il devait mettre un terme à ce
problème, se dit-il ; il était en train de commencer à s’imaginer
des choses. L’avait-il toujours ressenti ? Il avait trente-deux ans.
Il essayait de se souvenir. Non. Mais il était incapable de se
souvenir quand cela avait commencé. Ce sentiment le saisissait
soudainement, de temps à autres, mais maintenant cela arrivait
plus souvent que jamais. « C’est le crépuscule, » se dit-il ; « j’ai
horreur du crépuscule. »
Les nuages et les lignes des gratte-ciels qui s’opposaient à
eux étaient en train de devenir brun, comme sur une vieille
peinture à l’huile ; la couleur d’une belle toile ternie par les
âges.
De longues traînées de poussière de charbon couraient depuis
sous leurs faîtes le long des étroits murs avalés par la suie. Sur
le côté d’une tour, une crevasse longue de dix étages perçait la
forme figée d’un éclair lumineux. Les contours irréguliers d’une
forme coupaient le ciel au-dessus des toits ; c’était une demispirale
qui retenait encore la lueur du soleil couchant ; la dorure
à la feuille avait disparue de l’autre moitié depuis longtemps
déjà. La lueur était rouge et figée, comme le reflet d’un feu ; pas
un feu rageur, mais plutôt un feu mourant qu’il n’était plus
nécessaire d’éteindre.
Non, pensa Eddie Willers, il n’y avait rien de perturbant dans
les monuments de la cité. Ils semblaient êtres comme ils
l’avaient toujours été. Il continuait à marcher, se rappelant qu’il
allait revenir au bureau en retard. Il ne se réjouissait pas de la
tâche qui l’attendait à son retour, mais elle devait être faite.
C’est pourquoi il ne songea pas à la remettre à plus tard, et
accéléra même son pas.

Il bifurqua à un angle de la rue. Dans l’étroit espace qui
séparait les silhouettes sombres de deux buildings comme dans
la fente d’une porte, il vit la page du gigantesque calendrier
suspendu dans le ciel. C’était le calendrier que le maire de New
York avait fait ériger au sommet d’un building, de manière à ce
que les habitants puissent immédiatement dire la date du mois,
comme on pouvait dire les heures d’un simple regard à une tour
publique. C’était un rectangle blanc qui pendait au-dessus de la
cité, annonçant la date aux hommes qui se trouvaient en bas,
dans les rues. Dans cette luminosité vespérale aux couleurs de
rouille, le rectangle disait : 2 SEPTEMBRE. Eddie Willers
détourna le regard. Il n’avait jamais aimé la vue de ce
calendrier. Cela le dérangeait d’une manière qu’il aurait été
incapable d’expliquer ou de définir. Ce sentiment semblait être
une partie de son mal-être ; il en avait la même teneur. Il lui vint
soudainement à l’esprit qu’il y avait une phrase, une citation
peut-être, qui exprimait bien ce que le calendrier semblait
suggérer. Mais il ne parvenait pas à s’en souvenir. Il marchait,
triturant cette phrase qui demeurait en suspend dans son esprit,
comme une enveloppe vide. Il ne parvenait ni a remplir les
vides de cette enveloppe, ni à la faire disparaître. Il jeta un coup
d’oeil en arrière. Le rectangle blanc demeurait au-dessus des
toits, répétant son inamovible finalité : 2 SEPTEMBRE.
Le regard d’Eddie Willers revint vers le bout de la rue pour
s’attarder un instant sur une carriole de légumes arrêtée devant
le porche d’un immeuble de pierres brunes. Il vit une pile de
carottes dorées, et le vert frais des oignons. Il vit la blancheur
impeccable d’un rideau gonflé par le vent dans une fenêtre
ouverte. Il vit un autobus dont les mains expertes qui tenaient
son volant lui firent accomplir un virage précis. Il se demandait
pourquoi il se sentait rassuré, puis, ensuite, pourquoi il ressentit
soudainement l’inexplicable souhait que toutes ces choses ne
puissent être laissées à elles-mêmes sans protection contre le
ciel ouvert. Quand il gagna la Cinquième Avenue, son regard
s’attarda sur les vitrines des magasins qu’il dépassait. Il n’y
avait rien dont il avait besoin ou qu’il aurait souhaité acheter ;
mais il prenait plaisir à regarder les étalages d’articles, tous les
articles, objets faits par la main de l’homme pour être utilisés
par les hommes. La vue des rues prospères lui procurait du
plaisir ; quoique pratiquement un magasin sur quatre était
fermé, ses vitrines sombres et vides. Il ne sut pas pourquoi il

pensa au chêne. Rien ici n’aurait pu lui faire s’en souvenir. Mais
il y pensait, comme aux étés de son enfance passés sur la
propriété des Taggart. Il avait vécu la plupart de son enfance
avec les enfants des Taggart, et maintenant il travaillait pour
eux, comme son père et son grand-père avaient travaillé pour
leur père et leur grand-père avant cela.
Le grand chêne se dressait sur une colline surplombant le
fleuve Hudson, en un endroit isolé de la propriété des Taggart.
Eddie Willers, alors âgé de sept ans, aimait aller à cet arbre pour
le regarder. Il avait été là durant des centaines d’années, et il se
disait qu’il y demeurerait toujours. Ses racines attrapaient la
colline comme un poing dont les doigts seraient enfoncés dans
le sol, et il pensa que si un géant pouvait le saisir par son faîte il
serait incapable de le déraciner et déplacerait plutôt la colline et
la Terre entière avec lui, comme d’aucun l’eut fait avec une
boule accrochée à un fil. Il se sentait en sécurité auprès de cet
arbre ; c’était quelque chose que rien ne pouvait affecter ou
mettre en péril ; c’était pour lui un symbole qui représentait le
mieux la force.
Une nuit, la foudre saisit le chêne. Eddie l’avait vu le
lendemain matin. Il était à moitié couché, et il regarda dans son
tronc comme on aurait pu le faire s’il s’était agi d’un tunnel
noir. Le tronc n’était qu’une coquille vide ; son coeur avait
pourri et disparu il y avait déjà bien longtemps ; il n’y avait rien
à l’intérieur, juste une fine couche de poussière grise qui était en
train de se disperser au gré des caprices des vents les plus
légers. La puissance faite chose vivante était partie, et son
enveloppe charnelle n’avait pu y résister. Des années plus tard,
il avait entendu dire que les enfants devaient être protégés
contre les chocs, contre leurs premières confrontations avec la
mort, la douleur et la peur. Mais tout cela ne l’avait jamais
effrayé ; son choc à lui survint lorsqu’il demeura silencieux, très
silencieux, regardant le trou noir du tronc. C’était une immense
trahison : plus terrible encore car il ne parvint même pas à
définir précisément ce qui avait été trahi. Ce n’était pas lui, ça il
le savait, ni sa confiance ; c’était quelque chose d’autre. Il
demeura là pour un moment, sans émettre aucun son, avant de
s’en retourner à la maison. Il n’en parla jamais à personne.
Eddie Willers secoua la tête alors que le grincement d’un
mécanisme rouillé changeant l’indication d’un feu de
signalisation le stoppa sur le bord d’une courbe. Il ressentait de

la colère contre lui-même.Il n’avait aucune raison justifiant
qu’il se remémore le chêne ce soir. Cela ne signifiait plus rien
pour lui, aujourd’hui ; seulement une légère pointe de tristesse,
et, quelque part en lui, un soupçon de douleur qui venait et
disparaissait comme une goutte de pluie sur la vitre d’une
fenêtre, dont la course était la marque d’une question.
Il voulait qu’aucune tristesse ne vienne entacher son
enfance ; il en aimait les souvenirs ; chaque jour de ceux-ci dont
il aurait pu se rappeler était invariablement envahi par la
persistante brillance de la lumière du soleil. Il lui semblait que
quelques rayons qui en parvenait atteignaient son présent :
enfin, pas des rayons, mais plutôt de petites taches de lumière
qui rehaussaient occasionnellement de quelques petits éclats son
travail, son appartement d’homme seul, et la silencieuse et
scrupuleuse progression de son existence.
Il pensa à un certain jour d’été, lorsqu’il avait dix ans. Ce
jour là, l’unique précieuse compagne de son enfance lui dit ce
qu’ils feraient plus tard, lorsqu’ils auraient grandi. Les mots
étaient durs et lumineux comme la lumière du soleil ; il écoutait
avec admiration et émerveillement. Quand il lui fût demandé ce
qu’il voulait faire, il répondit immédiatement :
— N’importe quoi de bien.
Avant d’ajouter :
— Tu devrais faire quelque chose de grand… Je veux dire,
nous deux, ensemble.
— Quoi ? demanda t-elle.
Il dit :
— Je ne sais pas. C’est ce que nous devrions justement
trouver. Pas seulement ce que tu disais. Pas seulement les
affaires et gagner sa vie. Des choses telles que gagner des
batailles ou sauver des gens des flammes, ou escalader des
montagnes.
— Pourquoi faire ?
Il dit :
— Dimanche dernier, le Ministre a dit que nous devons
toujours atteindre le meilleur de ce qui se trouve en chacun de
nous. Qu’est-ce qui est le meilleur en nous, d’après toi ?
— Je ne sais pas.
— Ce sera à nous de le trouver.
Elle ne répondit rien ; elle regardait ailleurs, au-dessus de la
voie ferrée.Eddie Willers souriait. Il avait dit “n’importe quoi de bien”,
il y avait vingt deux ans. Il avait gardé cette phrase à l’esprit, et
nulle autre qui aurait pu la contredire depuis. Les autres
questions s’étaient évanouies dans les méandres de son esprit ;
il avait été bien trop occupé pour se les poser depuis. Mais il
pensait qu’il était évident que l’on devait faire ce qui était bien ;
il n’avait jamais appris comment les gens pouvaient vouloir
faire autrement ; il avait seulement appris qu’ils le faisaient.
Cela lui semblait simple et incompréhensible : simple que les
choses devaient êtres bien faites, et incompréhensible qu’elles
ne le soient pas. Il savait qu’elles ne l’étaient pas. Il y pensa
alors qu’il tournait à un angle et arrivait au pied du grand
building de la Taggart Transcontinental.
L’édifice se dressait au-dessus de la rue, comme sa plus
haute et plus fière structure. Eddie Willers souriait toujours
quand il l’apercevait. Ses longues bandes de surface vitrée
étaient intactes, ce qui contrastait avec celles des immeubles
voisins. Ses lignes ascendantes coupaient le ciel, sans angles qui
s’effondraient ni arêtes ébréchées. Il semblait résister aux
années, intact. Il sera toujours ici, pensa Eddie Willers.
Chaque fois qu’il entrait dans le bâtiment de la Taggart, il se
sentait soulagé et en sécurité. C’était un lieu de compétence et
de pouvoir. Le sol de ses allées était un miroir fait de marbre.
Les rectangles dépolis de ses éclairages électriques étaient des
morceaux de lumière solide. Derrière les baies vitrées, des
rangées de filles étaient assises devant des machines à écrire, les
cliquetis de leurs touches, ainsi joué à l’unisson, ressemblant au
bruit des roues d’un train lancé à grande vitesse ; et, comme un
écho lui donnant la réplique, une légère vibration venant des
tunnels du grand Terminus parcourait les murs de temps à autre,
montant depuis les fondations de l’immense structure ; là d’où
les trains partaient pour traverser tout un continent, puis
s’arrêtaient alors qu’ils venaient de le traverser, ainsi qu’ils
avaient toujours démarré puis stoppé, génération après
génération.
« Taggart Transcontinental », pensa tout haut Eddie Willers,
« De l’océan à l’océan » : le fier slogan de son enfance, bien
plus brillant et sacré que n’importe quel commandement de la
Bible. « De l’océan à l’océan, pour toujours, » rectifia Eddie
Willers, à la manière d’une dédicace personnalisée alors qu’il
marchait dans les halls immaculés vers le coeur du bâtiment où

se trouvait le bureau de James Taggart, président de Taggart
Transcontinental.
James Taggart était assis à son bureau. Il avait l’allure d’un
homme approchant la cinquantaine qui avait traversé les âges de
sa vie depuis l’adolescence, sans connaître les stages
intermédiaires de la jeunesse. Il avait une petite bouche
pétulante et des cheveux fins s’accrochant à la calvitie de son
front. Sa posture était affaissée, d’une négligence excentrée,
comme dans une attitude de défiance infligée à son grand corps
mince ; un corps doté d’une ligne élégante qui voulait suggérer
la prestance d’un aristocrate, mais qui s’était transformé en
l’attitude gauche d’un lourdaud. La peau de son visage était pâle
et molle. Ses yeux étaient également pâles et voilés, et son
regard se déplaçait lentement sans jamais vraiment s’arrêter,
planant au-dessus et au-delà des choses avec une expression de
ressentiment à leur égard. Il avait l’air entêté et vide. Il avait
trente-neuf ans.
Il releva la tête en affectant une humeur irritée, lorsqu’il
entendit le son de la porte qui s’ouvrait.
— Ne m’ennuie pas, ne m’ennuie pas, ne m’ennuie pas ! dit
James Taggart.
Eddie Willers s’avançait vers le bureau.
— C’est important Jim. dit-il sans élever la voix.
— D’accord, d’accord ; qu’est-ce que c’est ?
Eddie Willers regardait une carte accrochée à un mur. Sous
le verre les couleurs de la carte étaient passées ; il se demandait
combien de présidents avaient siégé ici avant l’homme qui était
en face de lui, et durant combien d’années. Les chemins de fer
Taggart Transcontinental, le réseau de lignes rouges qui
labouraient la surface terne du pays, de New York à San
Francisco, ressemblait aux veines d’un système sanguin. On
aurait dit que le sang avait circulé à travers l’artère principale et
que, sous la pression de sa propre surabondance, des
ramifications s’y étaient connectées au hasard pour ensuite
courir à travers tout le pays. Une trace rouge ondulait depuis
Cheyenne, dans le Wyoming, pour descendre jusqu’à El Paso,
au Texas ; c’était la Ligne Rio Norte de la Taggart
Transcontinental. Un nouveau tracé avait prolongé cette ligne
qui allait maintenant au-delà d’El Paso, mais Eddie Willers
détourna rapidement son regard quand ses yeux atteignirent ce
point.Il regarda James Taggart et dit :
— C’est la Ligne Rio Norte.
Il remarqua le regard de Taggart qui se posa sur un angle du
bureau.
— Nous avons eu un autre accident.
— Des accidents de train se produisent tous les jours.
Devais-tu m’ennuyer juste pour ça ?
— Tu sais ce que je suis en train de dire, Jim. La Rio Norte
est faite pour... la voie en a “pris un coup”… tout le long. Il faut
en poser une autre.
Eddie Willers poursuivit comme s’il ne devait pas y avoir de
réponse :
— Cette voie est foutue. Ça ne sert à rien d’essayer de faire
rouler des trains là-bas. Les gens ne se risquent même plus à les
prendre.
— Il n’y a pas une voie de chemin de fer dans le pays, il me
semble, qui n’ait pas quelques embranchements générant des
pertes financières. On n’est pas les seuls. C’est une situation
nationale ; une situation nationale temporaire.
Eddie continuait à l’observer silencieusement. Ce que
Taggart n’aimait pas chez Eddie Willers, c’était cette habitude
de regarder les gens droit dans les yeux. Les yeux d’Eddie
étaient bleus, larges et interrogateurs ; il avait les cheveux
blonds et un visage carré, sans remarquable particularité sinon
ce regard exprimant l’attention scrupuleuse, et un étonnement
émerveillé qu’il n’essayait pas de cacher.
— Qu’est-ce que tu veux ? fit sèchement Taggart.
— Je venais seulement te dire quelque chose que tu devais
savoir, parce que quelqu’un devait te le dire.
— Que nous avons eu un autre accident ?
— Que nous ne pouvons pas laisser tomber la Ligne Rio
Norte.
Il arrivait rarement que James Taggart relève la tête ; quand
il regardait les gens, il le faisait en relevant ses lourdes
paupières ainsi que ses yeux abrités par son large front dégarni.
— Qui songe à laisser tomber la Ligne Rio Norte ? Il n’a
jamais été question de l’abandonner. Je n’aime pas te l’entendre
dire. Je n’aime pas ça du tout.
— Mais nous n’avons pas respecté les horaires durant les six
derniers mois. Nous n’avons pas fait un seul trajet sans qu’il n’y
ait eu une panne, majeure ou mineure. On est en train de perdre

tous nos transporteurs et messageries les uns après les autres.
Combien de temps encore allons-nous tenir le coup ?
— Tu es un pessimiste, Eddie. Tu manques de foi. C’est cela
qui mine le moral d’une organisation.
— Tu veux dire que rien ne va être fait à propos de la Ligne
Rio Norte ? »
— Je n’ai pas dit cela du tout. Aussitôt que nous aurons la
nouvelle voie…
— Jim, il n’y aura pas de nouvelle voie.
Il regardait les paupières de Taggart se soulever lentement, et
poursuivit :
— Je reviens tout juste du bureau de l’Associated Steel. J’ai
parlé avec Orren Boyle.
— Qu’est-ce qu’il a dit ?
— Il a parlé une heure et demi durant, et il ne m’a pas donné
une seule réponse claire.
— Pourquoi l’as-tu dérangé ? Il me semble que la livraison
de la première commande de rails ne devait pas être effectuée
avant le mois prochain.
— …et avant ça, elle était prévue pour trois mois plus tôt.
— Circonstances imprévues ! Absolument au-delà du
contrôle d’Orren.
— Mais avant cela la livraison était planifiée pour six mois
plus tôt. Jim, nous avons attendu treize mois que l’Associated
Steel nous livre ces rails, et nous n’en avons même pas eu un
seul à ce jour.
— Qu’est que tu veux que je fasse ? Je ne peux pas diriger
les affaires d’Orren Boyle à sa place.
— Je veux que tu comprennes que nous ne pouvons
attendre.
Taggart formula lentement sa demande, sa voix se faisant
mi-moqueuse, mi-prudente :
— Qu’est-ce qu’a dit ma soeur ?
— Elle ne sera pas de retour avant demain.
— Bien ; qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
— C’est à toi de décider.
— Bien ; quoique que tu puisses dire d’autre, il y a une
chose que tu ne mentionneras pas après ça ; et c’est Rearden
Steel.
Eddie ne répondit pas immédiatement, puis il dit enfin d’une
voix plus grave :— D’accord Jim. Je n’en ferai pas mention.
— Orren est un ami.
Il n’entendit aucune réponse, et ajouta :
— Je n’aime pas ton attitude. Orren Boyle nous livrera ces
rails aussitôt que cela sera humainement possible. Aussi
longtemps qu’il ne sera pas en mesure de nous les livrer,
personne ne nous en voudra.
— Jim ! Qu’est-ce que tu racontes ? Ne comprends-tu pas
que la Ligne Rio Norte est en train de disparaître, que quiconque
nous en veuille ou non pour cela ?
— Les gens s’en accommoderaient, et ils n’auraient pas le
choix, s’il n’y avait pas la Phoenix-Durango.
Il vit les traits du visage d’Eddie se durcir.
— Personne ne s’est jamais plaint de la Ligne Rio Norte,
jusqu’à ce que Phoenix-Durango fasse son entrée.
— La Phoenix-Durango fait un brillant travail, l’interrompit
Eddie avant que Taggart ne poursuive :
— Imagine une chose appelée la Phoenix-Durango entrant
en compétition avec Taggart Transcontinental ! Ce n’était rien
d’autre qu’une ligne locale de transport de lait, il y a dix ans.
— Ils ont pris la plupart du transport de fret de l’Arizona, du
Nouveau Mexique et du Colorado, maintenant.
Taggart ne répondit pas.
— Jim, on ne peut pas perdre le Colorado. C’est notre
dernier espoir. Si nous ne nous remuons pas, nous laisserons
aller tous les gros transporteurs de cet Etat à Phoenix-Durango.
Nous avons perdu les champs de pétrole Wyatt.
— Je ne vois pas pourquoi tout le monde continue de parler
des champs de pétrole Wyatt.
— Parce qu’Ellis Wyatt est un prodige qui…
— Qu’Ellis Wyatt aille en enfer !
Ces puits de pétrole, se demanda tout-à-coup Eddie,
n’avaient ils pas quelque chose en commun avec les vaisseaux
sanguins sur la carte ? N’était-ce pas comme cela que les tracés
rouges avaient progressé à travers le pays, il y a des années ; un
exploit qui semblait incroyable maintenant ? Il se représenta le
pétrole jaillissant des puits, alimentant un courant noir qui
courait presque plus vite à travers le continent que les trains de
la Phoenix-Durango n’auraient pu le porter.
Ce champ de pétrole n’avait été qu’une parcelle de terrain
rocheux dans les montagnes du Colorado, déclaré épuisé depuis

longtemps. Le père d’Ellis Wyatt s’était débrouillé pour
s’octroyer d’obscurs revenus pour jusqu’à la fin de ses jours ;
produit de ces puits de pétrole mourants. Mais maintenant
c’était comme si quelqu’un avait administré une piqure
d’adrénaline au coeur de la montagne ; un coeur s’était mis à
battre et le sang noir s’était mis à jaillir des rochers. Bien sûr
que c’est du sang, pensa Eddie Willers, parce que le rôle du
sang est de nourrir, de donner la vie, et c’est justement ce que
Wyatt Oil avait fait. On avait réveillé d’inertes pentes de terrain
pour leur donner une raison d’être. Cela avait amené de
nouveaux bourgs, de nouveaux équipements de production
d’électricité, de nouvelles usines, dans une région que personne
n’avait remarquée, même sur une carte. De nouvelles usines,
pensa Eddie Willers, à une époque où le transport de fret de
toutes les grandes industries était en train de décliner, année
après année. Un nouveau champ de pétrole fertile au moment où
les pompes étaient en train de s’arrêter, d’un important gisement
à un autre. Une nouvelle région industrielle, là ou personne
n’aurait pu raisonnablement espérer plus que des activités
d’élevage et de culture de betteraves. Un seul homme l’avait
fait, et il l’avait fait en seulement huit années, pensa encore
Eddie Willers. C’était une de ces histoires qu’il avait lu
autrefois dans les livres scolaires, et qu’il n’avait jamais
vraiment crue. Des histoires d’hommes qui avaient vécu au
temps où le pays connaissait ses jeunes années. Il aurait voulu
avoir la chance de rencontrer un homme tel qu’Ellis Wyatt. On
parlait énormément de lui, mais bien peu avaient eu la chance
de le rencontrer ; il venait rarement à New York. On disait qu’il
avait trente-trois ans et qu’il piquait des colères plutôt violentes.
Il avait découvert un truc pour réanimer les puits de pétrole
épuisés, et c’est ce qu’il était en train de faire.
— Ellis Wyatt est un enfoiré de gripsou qui ne s’intéresse à
rien d’autre qu’à l’argent. s’écria James Taggart. « Il me semble
qu’il y a dans la vie des choses plus importantes que de “faire
de l’argent”. »
— Qu’est-ce que tu es en train de dire, Jim ? Qu’est-ce que
cela a à voir avec…
— De plus, il nous a trahis. Nous avons désservi
l’exploitation pétrolière de Wyatt pendant des années, du mieux
que nous le pouvions. Du temps du père Wyatt, on lui allouait
un train de wagon-citernes tout entier par semaine.

— On n’en est plus au temps du père Wyatt, Jim. La
Phoenix-Durango lui fournit deux trains par jour, là-bas ; et ils
sont à l’heure.
— S’il nous avait donné le temps de nous adapter à sa
croissance…
— Il n’a pas de temps à perdre.
— Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Qu’on va se débarrasser de
nos autres clients ; qu’on va lui sacrifier les intérêts du pays tout
entier et qu’on va lui donner tous nos trains ?
— Pourquoi ? Non ! Il n’attend rien de nous. Il est juste en
affaire avec Phoenix-Durango.
— Je pense que c’est un ruffian destructeur sans scrupules.
Je pense qu’il est un parvenu irresponsable dont les
compétences ont été exagérées.
C’était quelque chose d’étonnant d’entendre cette soudaine
émotion dans la voix sans vie de James Taggart.
— Je ne suis pas sûr que ses champs de pétrole soient si
rentables que cela. Je pense surtout qu’il a disloqué l’économie
du pays tout entier. Personne n’attendait que le Colorado
devienne un Etat industrialisé. Comment pouvons-nous assurer
notre sécurité et planifier quoique ce soit, si tout est en train de
changer en permanence ?
— Bonté divine, Jim ! Il est…
— Oui, je sais ; il fait du fric. Mais ce n’est pas sur une telle
base, il me semble, qu’on définit ce qu’un homme peut apporter
à la société. Et pour ce qui concerne son pétrole, il viendrait
nous voir en rampant et il attendrait son tour avec les autres
transporteurs, et il ne demanderait pas plus que ce que
commandent les limites du raisonnable, s’il n’y avait pas la
Phoenix-Durango. Nous ne pouvons rien faire, si nous tentons
de nous élever contre ce genre de compétition destructrice. Et
d’ailleurs, personne ne nous en voudrait.
La pression dans sa poitrine et dans ses tempes, pensa Eddie
Willers, exprimait l’intensité des efforts qu’il était en train de
faire. Il avait décidé de clarifier les choses une bonne fois pour
toutes, et elles étaient si claires, se dit-il, que rien ne pouvait
empêcher Taggart de les voir ainsi ; à moins qu’il devienne
incapable de développer et de justifier sa propre argumentation.
Il avait bien essayé du mieux qu’il l’avait pu, mais il était “à
côté de la plaque”, comme il avait toujours été “à côté de la
plaque” dans toutes les conversations qu’ils avaient euensemble ; quoi

qu’il dise, il ne semblait jamais parler du même
sujet.
— Jim, de quoi es-tu en train de parler ? Qu’est-ce que cela
peut bien faire que personne ne nous en veuille, quand la voie
est en train de partir en petits morceaux ?
James Taggart souriait. C’était un sourire presque
imperceptible ; un sourire amusé, mais froid.
— C’est touchant, Eddie. C’est touchant…ton dévouement
pour Taggart Transcontinental. Si tu ne fais pas plus attention,
tu vas devenir un de ces vrais serfs des temps féodaux.
— C’est ce que je suis, Jim.
— Mais puis-je te demander si c’est ton travail de débattre
de tels sujets avec moi ?
— Non, ça ne l’est pas.
— Alors, pourquoi refuses-tu de comprendre que nous
avons, dans cette compagnie, des départements en charge de ces
questions ? Pourquoi n’irais-tu pas rapporter tout cela à qui en
est en charge ? Pourquoi ne pleures-tu pas plutôt sur les épaules
de ma chère soeur ?
— Ecoutes, Jim ; je sais que ce n’est pas mon rôle de te
conseiller, mais je ne comprends pas ce qui se passe. Je ne sais
pas ce que tes conseillers personnels te disent, ou pourquoi ils
ne parviennent pas à te le faire comprendre. C’est pourquoi je
m’étais dit que je devais essayer de te le dire moi-même.
— Je t’apprécie sincèrement comme ami d’enfance, Eddie,
mais penses-tu que cela te permets d’entrer ici sans te faire
annoncer quand tu le veux ? Considérant ta position dans
l’entreprise, ne devrais-tu pas faire l’effort de te rappeler que je
suis le President Directeur Général de Taggart
Transcontinental ?
Ça avait été vain. Eddie Willers le regardait comme il avait
l’habitude de le faire. Pas blessé ni touché ; seulement
interloqué. Il demanda tout de même :
— Alors tu n’as pas l’intention de faire quoi que ce soit pour
la Ligne Rio Norte ?
— Je n’ai pas dit ça. Je n’ai pas dit ça du tout.
Taggart était en train de regarder la ligne rouge du sud d’El
Paso sur la carte.
— Aussitôt que les Mines de San Sebastian vont
fonctionner, et que notre branche Mexicaine commencera à
rapporter…— Ne t’attarde pas là-dessus, Jim.
Taggart se tourna, éberlué par le phénomène sans précédent
de cette colère implacable dans la voix d’Eddie.
— Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Tu ne le sais justement pas, ce qu’il se passe. Ta soeur
dit…
— Qu’elle aille au diable, ma soeur ! dit James Taggart.
Eddie Willers ne bronchait pas. Il ne répondait pas. Il
continuait à regarder en face de lui, mais il ne voyait pas James
Taggart ou quoi que ce soit d’autre dans le bureau. Au bout
d’un moment, il adressa une courbette de pure forme, et sortit
de la pièce.
Dans l’antichambre, les secrétaires de l’équipe personnelle
de James Taggart étaient en train d’éteindre les lumières et se
préparaient à rentrer chez elles. Mais Pop Harper, le chef du
service, était encore assis à son bureau, en train de détordre les
tiges des touches d’une machine-à-écrire à moitié démontée.
Tout le monde dans la société partageait cette impression que
Pop Harper était venu au monde ici, dans cet angle de la pièce
en particulier, assis derrière ce bureau en particulier, et qu’il
n’avait pas l’intention d’en partir. Il était chef de ce service
depuis la présidence du père de James Taggart.
Pop Harper leva les yeux vers Eddie Willers alors qu’il sortit
du bureau présidentiel. C’était un regard lent et sage, qui
semblait vouloir dire qu’il savait que la visite d’Eddie dans cette
partie de l’édifice signifiait des problèmes sur la Ligne ; il
savait que rien de constructif n’était sorti de cette visite, et il
n’en avait cure de le savoir. C’était cette même indifférence
cynique qu’Eddie Willers avait vu dans les yeux du piqueassiette
au coin de la rue.
— Dites-donc, Eddie ; ’savez ou-est-ce que j’pourrai trouver
des maillots de corps en laine ? ’Essayé dans toute la ville.
Personne en n’a.
— Je n’en sais rien. dit Eddie en s’arrêtant, « Pourquoi me le
demander ? »
— J’demande à tout le monde. ’Y-a bien quelqu’un qui doit
le savoir, dites moi.
Eddie avait du mal à maintenir son regard sur ce visage
émacié à l’expression neutre, surmonté d’une chevelure
blanche.— ’Fait froid dans cette “boîte”. ’Va faire encore plus froid
cet hiver.
— Qu’est-ce que vous faites ? Eddie demanda en désignant
les pièces de la machine à écrire.
— Cette saloperie est encore “en rade”, et j’serais pas plus
avancé si je l’envoyai en réparation. Ça leur à pris trois mois
pour m’la réparer, la dernière fois que j’leur ai donné. ’Pensé
que j’pouvais bricoler ça tout seul, mais j’crois que ça tiendra
pas bien longtemps.
Il laissa tomber une larme sur les touches.
— T’es bonne pour la casse, ma vieille. Tes jours sont
comptés.
Eddie reprit son chemin. C’était cette expression dont il avait
essayé de se souvenir : tes jours sont comptés. Mais il avait
oublié dans quel contexte il avait déjà essayé de s’en souvenir.
— Ça ne sert à rien Eddie. dit Pop Harper.
— Qu’est-ce qui ne sert à rien ?
— Rien. N’importe quoi.
— Qu’est-ce que vous voulez dire, Pop ?
— J’vais pas réquisitionner une nouvelle machine à écrire.
Les nouvelles sont en fer blanc. Quand y en aura p’us de
vieilles, c’sera la fin de la machine-à-écrire. Y a eu un accident
dans le métro, ce matin. Les freins marchaient plus. Vous
devriez rentrer chez vous, Eddie ; allumer la radio et écouter un
bon tube. Oh, oubliez, mon gars. L’problème avec vous c’est
que vous n’avez jamais eu de hobby. Quelqu’un a encore piqué
les ampoules en bas de la cage d’escalier, où j’habite. J’ai
attrapé une douleur dans la poitrine. ’Pas pu trouver de gouttes
pour la toux, c’matin ; l’drugstore au coin d’la rue à mis la clé
sous la porte la s’maine dernière. Y’s’ont fermé l’pont
Queensborough pour réparations provisoires, hier. Oh, pourquoi
faire, d’tout’ façons. Qui est John Galt ?
***
Elle était assise dans le train, côté fenêtre ; sa tête renversée
en arrière, une jambe allongée sur le siège qui lui faisait face.
La vitesse faisait trembler le cadre de la fenêtre. La vitre la
séparait de l’obscurité, et des points lumineux en déchiraient de
temps à autres la surface comme des traînées lumineuses. Les
reflets moulants de ses bas qui achevaient de sculpter la longue

ligne de ses jambes, depuis la courbe de son coup-de-pied
cambré jusqu’à la pointe de ses escarpins à hauts talons, avaient
une élégance toute féminine qui n’avait pas sa place dans le
wagon de train poussiéreux, lui-même étrangement incongru
avec le reste de sa personne. Elle portait un manteau de poils de
chameau lissés qui devait avoir coûté cher, et qui enveloppait
sans un pli les formes fines de son corps nerveux. Le col du
manteau remontait jusqu’aux bords inclinés de son chapeau.
Une mèche de cheveux bruns ondulés tombait en touchant
presque la ligne de ses épaules. Son visage était un assemblage
anguleux de surfaces planes ; les contours de sa bouche
parfaitement découpés, une bouche sensuelle maintenue fermée
avec une inflexible précision. Elle gardait les mains dans les
poches de son manteau dans une attitude contractée, comme si
elle ne supportait pas l’immobilité, et pas tant féminine, comme
si elle était inconsciente de ses formes et du fait même d’être
une femme. Elle était assise, écoutant la musique : c’était une
symphonie de triomphe. Les notes qui se succédaient en un flot
ininterrompu parlaient d’ascension, et elles étaient cette
ascension. Elles étaient l’essence et la forme même de ce
mouvement ascendant. Elles semblaient incarner tout acte et
toute pensée d’origine humaine qui pouvait exprimer
l’élévation. C’était une éclaircie sonore rayonnante, sortant de
sa clandestinité et se répandant sans retenue dans les airs. Cela
avait la liberté d’une libération, et la tension du propos. Ça
nettoyait littéralement l’espace, en ne laissant rien d’autre que la
joie d’un effort sans retenue. Seul un écho à peine discernable
de l’endroit d’où cette musique s’échappait trahissait ce
sentiment ; mais la musique parlait en riant d’étonnement, à la
découverte qu’il n’existait point de choses telles que la laideur
ou la douleur, et qu’il n’y avait jamais eu de telles choses.
C’était l’air d’une immense délivrance.
Elle se dit : « Pour seulement quelques instants, tant qu’ils
peuvent durer, est-il bon de complètement se rendre ; de tout
oublier et de ne rien s’autoriser d’autre que de ressentir des
émotions. Laisse-toi aller ; abandonne tout contrôle. C’est ça. »
Quelque part vers les limites de la partie consciente de son
esprit, sous la musique, elle entendait le bruit des roues du train.
Elles semblaient marteler un rythme régulier, chaque quatrième
choc plus accentué que les autres, comme pour affirmer un
propos conscient doué d’intelligence. Elle pouvait se détendre,

précisément parce qu’elle entendait ces roues. Elle écoutait la
symphonie en se disant : « Voila pourquoi les roues ne doivent
pas s’arrêter de tourner, et voila où elles vont. »
Elle n’avait jamais entendu cette symphonie, auparavant,
mais elle savait qu’elle avait été composée par Richard Halley.
Elle en reconnaissait la violence et la magnifique intensité. Elle
reconnaissait le style du thème. C’était une mélodie tout à la
fois claire et complexe, à une époque lors de laquelle plus
personne n’écrivait de mélodies. Elle était assise, le regard
renversé en arrière, fixant vaguement le plafond du wagon mais
ne le voyant pas, et avait oublié où elle se trouvait. Elle ne
savait pas si elle était en train d’écouter un orchestre
symphonique au grand complet, ou seulement le thème ; peutêtre
reconstruisait-elle l’orchestration dans sa tête. Il lui effleura
à peine l’esprit que l’on trouvait des échos prémonitoires de ce
thème dans l’intégralité de l’oeuvre de Richard Halley, à travers
toutes les années de sa longue lutte jusqu’au jour, vers le milieu
de sa vie, où la célébrité le saisit soudainement et l’assomma.
C’était, continua-t-elle d’y songer tout en écoutant la
symphonie, ce qui avait été l’objet de son combat. Elle se
remémorait les tentatives avortées dans sa musique, phrases
annonciatrices, bouts épars de mélodie interrompue sitôt après
avoir commencé… « Quand Richard Halley composa cela,
il… » Elle se redressa sur la banquette. « Quand Richard Halley
composa t-il cela ? »
A cet instant précis, elle réalisa où elle se trouvait et se
demanda pour la première fois d’où provenait cette musique. A
quelques pas, au bout du wagon, un employé garde-frein était
en train d’ajuster la température du système d’air conditionné.
C’était un jeune homme blond. Il était en train de siffler le
thème de la symphonie. Elle réalisa alors qu’il l’avait sifflé
depuis quelques temps déjà, et que c’était tout ce qu’elle avait
entendu.
Elle le regarda pendant un moment avec incrédulité, avant
d’élever la voix pour demander :
— Excusez-moi. Pourriez-vous me dire ce que vous êtes en
train de siffler ?
Le garçon se tourna vers elle ; elle rencontra un regard franc
et vit un large sourire empressé, comme s’il était en train de
partager une confidence avec un ami. Son visage aux traits
tendus et fermes lui plu. Il n’avait pas cette apparence de

muscles flasques tentant d’échapper à la responsabilité d’une
forme qu’elle avait appris à rencontrer dans le visage des gens.
— C’est le Concerto de Halley. répondit-il, toujours
souriant.
— Lequel ?
— Le Cinquième.
Elle laissa s’écouler un bref instant, avant de dire lentement
et avec grande réserve :
— Richard Halley n’a écrit que quatre concerti.
Le sourire du jeune homme disparut. C’était comme si la
réalité venait de le rappeler à l’ordre, exactement comme cela
venait de lui arriver quelques instants auparavant. C’était
comme si un volet coulissant venait de se refermer brutalement,
et que tout ce qui lui restait était un visage dénué d’expression ;
impersonnel, indifférent et vide.
— Oui, bien sûr ; je me suis trompé. dit-il.
— Alors qu’est-ce que c’était ?
— Quelque chose que j’ai entendu quelque part.
— Quoi ?
— Je ne sais pas.
— Où l’avez-vous entendu ?
— Je ne m’en souviens pas.
Elle s’interrompit, las. Il était en train de retourner à ses
occupations, sans manifester plus d’intérêt.
— Ça ressemblait à un thème de Halley ; mais je connais
chaque note qu’il a écrite, et il n’a jamais écrit ça. insista-t-elle.
Il n’y avait toujours pas d’expression ; seulement l’indication
d’une légère attention dans le visage du garçon, lorsqu’il se
tourna à nouveau vers elle et lui demanda :
— Vous aimez la musique de Richard Halley ?
— Oui, je l’apprécie vraiment. dit-elle.
Il la considéra pendant un moment avec une attitude
d’hésitation, avant de se tourner encore pour revenir à sa tâche.
Elle observa l’experte efficacité de ses mouvements, alors qu’il
continuait son travail. Il travaillait en silence.
Elle n’avait pas dormi depuis deux jours, mais elle ne
pouvait pas se le permettre. Elle devait concentrer son esprit sur
beaucoup trop de problèmes, et n’avait pas beaucoup de temps.
Le train devait arriver à New York tôt le matin. Elle avait
besoin de temps, quoiqu’elle eût bien voulu que le train aille
plus vite ; mais c’était la Comète Taggart, le train le plus rapide

du pays. Elle essaya de concentrer son attention, mais la
musique, obsédante, continuait à jouer quelque part dans un
recoin de son esprit, et elle ne pouvait s’empêcher de l’écouter,
comme s’il s’était agit de la marche implacable de quelque
chose que l’on ne pouvait stopper… Elle secoua la tête en une
réaction de courroux, se débarrassa nerveusement de son
chapeau, et alluma une cigarette.
Elle ne dormirait pas, se dit-elle ; elle pouvait tenir le coup
jusqu’à demain soir… Les roues du train cliquetaient
maintenant en un rythme accentué. Elle s’était si bien faite à ce
bruit qu’elle ne parvenait pas à l’écouter consciemment, mais le
son en était devenu un sentiment de plénitude en elle. Quand
elle éteignait une cigarette elle savait qu’elle en avait besoin
d’une autre, mais pensait qu’elle se donnerait une minute de
pause… ou juste quelques minutes… avant d’allumer la
prochaine…
Elle s’était endormie et se réveilla brusquement avec un
mouvement de convulsion, devinant que quelque chose n’allait
pas ; juste avant de comprendre ce que c’était : les roues
s’étaient arrêté de tourner. Le wagon était immobile, silencieux
et sombre dans la luminosité bleue que prodiguaient les
quelques rares éclairages extérieurs. Elle jeta un bref coup d’oeil
à sa montre : il n’y avait aucune raison pour que le train stoppe
maintenant. Elle regarda à travers la vitre : le train était
immobile au milieu d’une plaine déserte.
Elle entendit quelqu’un bouger dans un siège, de l’autre côté
de l’allée centrale du wagon, et elle demanda :
— Depuis combien de temps sommes-nous à l’arrêt ?
Une voix d’homme répondit avec indifférence :
— Environ une heure.
L’homme la contempla d’un regard à la foi étonné et
endormi, car elle se dressa sur ses jambes avec une énergie
inattendue pour se diriger prestement vers la porte du wagon.
Dehors, un vent glacial soufflait sur une étendue vide sous un
ciel vide. Elle entendit de grandes herbes folles frémir dans
l’obscurité. Au loin, vers l’avant du train, elle vit des silhouettes
humaines, immobiles, près de la locomotive et, comme en
suspension dans les airs, la lumière rouge d’un signal.
Elle s’avança rapidement vers les ombres humaines,
dépassant les rangées de roues des wagons. Personne ne la
remarqua, quand elle se fut rapprochée. L’équipe des cheminots

et quelques passagers formaient un groupe sous la lumière
rouge. Ils avaient cessé de parler et semblaient attendre avec
une attitude de placide indifférence.
— Que se passe t-il ? demanda-t-elle.
Le mécanicien se tourna vers elle, étonné. Sa question avait
l’accent d’un ordre ; pas celui de la curiosité profane du
passager ordinaire. Elle demeurait immobile, les mains dans les
poches, le col de son manteau remonté, quelques mèches de ses
cheveux battues par le vent en travers de son visage.
— “C’est rouge”, chère Madame, dit-il en pointant un pouce
en l’air.
— Depuis combien de temps ?
— Une heure.
— Nous ne sommes plus sur la voie principale, n’est-ce
pas ?
— C’est exact.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas.
Le conducteur s’adressa au groupe :
— J’pense pas qu’on nous a envoyé sur une voie de garage
pour quelque chose. Le switcher ne devait pas bien marcher, et
ce machin ne marche pas du tout.
Il désigna le point lumineux rouge d’un brusque mouvement
de tête vertical.
— J’pense pas que ce signal va s’arrêter d’être au rouge.
J’pense qu’il est “en rade”.
— Alors, qu’allez-vous faire ?
— Attendre qu’il réagisse.
Remarquant l’attitude de mécontentement outré qu’affichait
la femme, le pompier de service s’esclaffa :
— La semaine dernière, le Spécial Crack de la Southern
Atlantic est resté “en carafe” sur une voie de garage pendant
deux heures ; juste parce que quelqu’un “s’est gouré”.
— Celui-ci, c’est la Comète Taggart. La Comète n’a jamais
été en retard. dit-elle.
— C’est le seul dans le pays qui ne l’a jamais été. dit le
mécanicien.
— Il y a toujours une première fois. dit le pompier.
— Vous ne connaissez pas bien les trains, Madame. Il n’y a
pas un seul système de signalisation ou un aiguillage dans le
pays qui vaut quelque chose. dit un passager.

Elle ne daigna pas se tourner vers celui qui venait de parler,
ni même ne le remarqua, et s’adressa à nouveau au mécanicien :
— Si vous savez que le signal est en panne, qu’avez-vous
l’intention de faire ?
Il n’appréciait pas son ton autoritaire, et il ne comprenait pas
pourquoi elle en présumait avec autant de naturel. Elle avait
l’air d’une gamine ; seuls sa bouche et ses yeux indiquaient
qu’elle devait avoir la trentaine. Les deux yeux sombres étaient
directs et provocateurs, comme s’ils transperçaient les choses,
n’ayant aucune considération pour tout ce qui semblait sans
importance. Le visage lui semblait familier, mais il ne parvenait
pas à se rappeler où il l’avait déjà vu. Il lui dit :
— Madame, je n’ai pas l’intention de prendre de risques.
— Il veut dire que notre travail consiste à attendre les
ordres. enchérit le pompier.
— Votre travail est de faire fonctionner ce train.
— Pas de les faire passer au rouge. Si le feu dit “stop”, nous
stoppons.
— Une lumière rouge signifie “danger”, Madame. dit encore
le passager.
— Nous ne prendrons aucun risque. fit le mécanicien avant
d’ajouter :
— Qui que puisse être celui qui est responsable de ce qui
arrive, il se déchargera sur nous, si nous bougeons. Et donc,
nous ne bougerons pas d’ici jusqu’à ce que quelqu’un nous dise
de le faire.
— Et si personne ne le fait ?
— Quelqu’un se manifestera tôt ou tard.
— Combien de temps proposez-vous d’attendre ?
Le mécanicien s’esclaffa une nouvelle fois :
— Qui est John Galt ?
— Il veut dire, ne posez pas de questions auxquelles
personne ne peux répondre. aida encore le pompier.
Elle jeta un regard à la lumière rouge, puis aux rails qui
s’enfuyaient vers l’obscurité, vers un point inconnu.
Elle dit alors :
— Continuez prudemment jusqu’au prochain signal. Si tout
semble être en ordre, revenez sur la voie principale. Après quoi
vous ferez un arrêt au premier bureau qui est ouvert.
— Ah ouais ? Qui a dit ça ?
— Moi.

— Qui êtes-vous ?
Ça devait être la plus courte des pauses à venir, un moment
d’étonnement en réponse à une question qu’elle n’aurait jamais
pu prévoir, mais le mécanicien regarda de plus près son visage,
et, à l’instant même où elle répondit, il sursauta :
— Oh-là-là !
Elle répondit sans agressivité, seulement comme quelqu’un
qui n’avait pas l’habitude d’entendre une telle question :
— Dagny Taggart.
— Et ben, j’serai… fit le pompier.
Après quoi tout le monde demeura silencieux. Elle poursuivit
avec le même ton naturel d’autorité :
— Continuez et revenez sur la voie principale, puis arrêtezmoi
ce train au prochain bureau qui sera ouvert.
— Bien, Mademoiselle Taggart.
— Vous aurez du temps à rattraper. Vous avez le restant de
la nuit pour le faire. Faites arriver la Comète à l’heure.
— Bien, Mademoiselle Taggart.
Elle était en train de faire demi-tour pour s’en retourner dans
son wagon, lorsque le mécanicien lui demanda :
— Si jamais nous avons un problème, en prenez-vous la
responsabilité, Mademoiselle Taggart ?
— Bien sûr.
Le conducteur lui emboîta le pas. Encore tout étonné, il lui
dit :
— Mais… juste une place dans une voiture de jour,
Mademoiselle Taggart ? Comment ça se fait ? Pourquoi ne nous
avez-vous pas prévenu ?
Elle souriait facilement.
— Pas le temps de faire des chichis. Mon wagon personnel
était dans le Train 22, au départ de Chicago, mais il partait à
Cleveland et il était en retard ; alors je l’ai laissé partir. La
Comète était le prochain, et je l’ai pris. Il n’y avait plus de
compartiments couchettes de libres.
Le conducteur secoua la tête.
— Votre frère ; il ne serait pas monté dans une voiture
ordinaire.
Elle rit.
— Non, sûrement pas.

Les hommes restés près de la locomotive la regardaient
s’éloigner. Le jeune garde-frein était parmi eux. Il demanda, en
la désignant du regard :
— Qui c’est ?
— C’est ce qui dirige la Taggart Transcontinental, répondit
le mécanicien.
Le respect dans le ton de sa voix était authentique.
— Ça, c’est le vice-président exécutif.
Quand le train s’ébranla, le son puissant du sifflet mourait
encore au loin dans la plaine. Elle s’assit près de la vitre et
alluma une nouvelle cigarette. Elle méditait : c’est en train de
craquer… comme ça… partout dans le pays ; ça pouvait arriver
n’importe où, n’importe quand. Mais elle ne ressentait ni colère
ni anxiété ; elle n’avait pas le temps d’avoir des émotions.
Ce ne serait rien qu’un problème de plus à régler avec tous
les autres. Elle savait que le directeur de la division Ohio n’était
pas bon, et qu’il était un ami de James Taggart. Elle n’avait pas
trop insisté pour que l’on s’en débarrasse, il y avait longtemps
déjà ; seulement parce qu’elle n’avait trouvé personne de mieux
que lui pour le remplacer. Les bons hommes étaient si
étrangement difficiles à trouver. Mais elle devait s’en
débarrasser, se dit-elle, et elle donnerait son poste à Owen
Kellogg, ce jeune ingénieur qui était en train de faire un brillant
travail en temps que l’un des assistants du directeur du
Terminus Taggart de New York ; c’était Owen Kellogg qui
faisait tourner le Terminus. Elle avait parfois observé sa façon
de travailler. Elle était toujours à l’affut des signes de
compétence, tel un prospecteur de diamants dans une terre aride
et passablement prometteuse. Kellogg était encore un peu jeune
pour être nommé directeur de division. Elle avait voulu le
laisser mûrir une année de plus, mais on ne pouvait plus s’offrir
le luxe d’attendre. Il fallait qu’elle aille le voir aussitôt qu’elle
reviendrait.
La bande de terre à peine visible à travers la vitre était en
train de défiler plus rapidement, formant un ruban
uniformément gris. Au milieu des phrases de calcul arides de
son esprit, elle remarqua qu’elle avait le temps de ressentir
quelque chose : c’était le dur, mais ô combien grisant, plaisir de
l’action.
Avec la première bouffée d’air sifflant, lorsque la Comète
plongea dans les tunnels du Terminus Taggart, sous la cité de

New York, Dagny Taggart prit une posture plus droite sur son
siège. E

lle ressentait toujours cela lorsque le train s’engouffrait
sous terre : ce sentiment d’empressement, d’espoir et de secrète
excitation. C’était comme si une existence normale n’était
qu’une photographie en couleurs de mauvaise qualité,
représentant des choses sans formes ; mais la sienne était un
dessin fait de quelques traits vifs qui donnait aux choses une
allure claire et nette, importante, et elle valait la peine d’être
faite. Elle s’attarda sur les tunnels qui coulaient à flots derrière
elle ; murs de béton nus ; un faisceau de tubes et de câbles ; un
réseau de rails qui partaient en arrière pour disparaître dans des
trous noirs d’où ne semblaient pouvoir réchapper que des
lumières vertes et rouges en suspension, telles des gouttes de
couleur. Il n’y avait rien d’autre, rien d’autre pour diluer tout
cela, si bien que l’on pouvait admirer le propos brut et le génie
qui l’avaient accompli. Elle eut une pensée pour le Building
Taggart se dressant au-dessus de sa tête en ce moment, poussant
droit vers les cieux, et elle dit en songe : « Ceci sont les racines
du Building, racines creuses zigzagant sous la terre, nourrissant
la cité. »
Quand le train stoppa, quand elle sortit et entendit le béton
du quai sous les talons de ses chaussures, elle sentit la lumière
et se sentit décoller, projetée dans l’action. Elle marchait d’un
pas rapide, comme si la vitesse de ses pas avait le pouvoir de
donner une forme aux choses qu’elle ressentait. Quelques
instants s’étaient déjà écoulés quand elle se surprit à siffler une
pièce de musique, et qu’elle réalisa que c’était le thème du
Cinquième Concerto de Halley. Elle se sentit observée et se
retourna. Le jeune garde-frein, immobile, la regardait avec
intensité.
***
Elle s’assit sur l’accoudoir d’un large fauteuil faisant face au
bureau de James Taggart, son manteau largement ouvert sur un
costume de voyage plissé. Eddie Willers était assis à l’autre
bout de la pièce, prenant des notes de temps à autre. Son titre
était celui d’assistant spécial du vice-président exécutif, et son
devoir principal était d’être son garde du corps la défendant
contre toute perte de temps. Elle lui demandait d’être présent
lors d’entretiens de cette nature, car dès lors elle n’aurait plus à

lui expliquer quoi que ce soit par la suite. James Taggart était
assis derrière son bureau, sa tête rentrée dans ses épaules.
— La Ligne Rio Norte est un tas de vieilleries d’un bout à
l’autre. dit-elle, « C’est bien pire que je le pensais. Mais nous
allons la sauver. »
— Bien sûr. dit James Taggart.
— Une partie des rails peut être sauvée. Pas une grande
quantité et pas pour longtemps. Nous commencerons à poser
des rails dans les sections situées dans les montagnes, le
Colorado en premier. Nous aurons les nouveaux rails dans deux
mois.
— Oh, Orren Boyle a-t-il dit…
— J’ai commandé les rails chez Rearden Steel.
Le léger et bref son étranglé venant en direction d’Eddie
Willers était une ovation mal contenue.
James Taggart prit un temps pour s’exprimer.
— Dagny, pourquoi ne t’assieds-tu pas normalement dans le
fauteuil, comme n’importe qui est censé le faire ? dit-il
enfin d’un ton irrité, « Personne ne tient des réunions d’affaire
de cette façon. »
— Moi, si.
Elle fit suivre sa réponse d’un silence appuyé pour faire
place à la réplique de son interlocuteur. Il ne tarda pas à
demander enfin, ses yeux fuyant les siens :
— As-tu dit que tu as commandé les rails chez Rearden ?
— Hier soir. Je lui ai téléphoné de Cleveland.
— Mais le Conseil d’administration n’a pas avalisé une telle
décision. Je ne l’ai pas avalisée. Tu ne m’as pas consulté.
Elle tendit la main pour saisir le combiné du téléphone sur le
bureau de son frère et le lui tendit, en ajoutant :
— Appelle Rearden et annule la commande, dans ce cas.
James Taggart se renversa en arrière dans son fauteuil.
— Je n’ai pas dit ça. répliqua t-il. « Je n’ai pas dis ça du
tout. »
— Alors on la maintien.
— Je n’ai pas dit ça non plus.
Elle se tourna.
— Eddie ? fais le nécessaire pour qu’on prépare le contrat
avec Rearden Steel. Jim le signera. elle plongea la main dans sa
poche pour en extraire une feuille de bloc-notes froissée et la

tendit en direction d’Eddie, en ajoutant, « Les chiffres et les
termes du contrat sont là-dessus. »
Taggart s’étouffa :
— Mais le Conseil d’administration n’a…
— Le Conseil n’a rien à voir avec ça. Il t’a autorisé à acheter
les rails, il y a treize mois. Où tu les achètes ; c’est ton affaire.
— Je ne pense pas que ce soit correct de prendre une telle
décision, sans offrir aux actionnaires une chance d’exprimer
leur opinion. Et je ne vois pas pourquoi je devrais prendre cette
responsabilité.
— Je suis en train de la prendre.
— Et qu’est-ce qu’on fait avec le surcoût qui…
— Rearden est moins cher qu’Orren Boyle Associated Steel.
— Oui ; et qu’est-ce qu’on fait avec Orren Boyle ?
— J’ai annulé le contrat. Nous avions le droit de le rendre
caduque depuis six mois.
— Quand l’as-tu fait ?
— Hier.
— Mais il ne m’a pas demandé de le lui confirmer.
— Il ne le fera pas.
Taggart, le regard baissé, semblait contempler le dessus de
son bureau. Elle se demandait pourquoi il redoutait la nécessité
de faire affaire avec Rearden, et pourquoi cette crainte avait une
expression si bizarrement évasive. Rearden Steel avait été le
principal fournisseur de Taggart Transcontinental durant dix
années, sous la présidence de leur père ; et ce depuis que le
premier haut-fourneau de Rearden avait été allumé. Durant dix
ans, la plupart de leurs rails étaient venus de chez Rearden
Steel. Il n’y avait pas beaucoup de firmes dans le pays qui
livraient en temps et en heure ce qui était commandé, et dans le
respect des quantités. Rearden Steel était l’une d’entre-elles.
Sachant que Rearden faisait son travail avec une remarquable
efficacité, Dagny songea que si elle devait être folle, alors elle
ne pouvait que conclure qu’il avait horreur de faire des affaires
avec Rearden ; mais ce n’était pas ce quelle conclurait, parce
qu’elle songea qu’une telle explication n’était pas pensable.
— C’est déloyal. dit James Taggart.
— Qu’est-ce qui l’est ?
— Que nous donnions toujours tout notre travail à Rearden.
Il me semble que nous devrions offrir une chance à d’autres,
aussi. Rearden n’a pas besoin de nous ; il a plein de travail.

Nous devrions aider à se développer de plus petits partenaires.
Sinon, nous ne faisons que favoriser une situation de monopole.
— Ne dis pas de bétises, Jim.
— Pourquoi devons-nous toujours faire faire les choses par
Rearden ?
— Parce qu’il nous les livre toujours.
— Je n’aime pas Henry Rearden.
— Moi si. Mais qu’est-ce qui importe, d’une façon ou d’une
autre ? Nous avons besoin de rails, et il est le seul qui puisse
nous les fournir.
— Le facteur humain est vraiment important. Tu ne tiens
absolument pas compte de l’aspect humain des choses.
— Nous sommes en train de parler de sauver une voie
ferrée, Jim.
— Oui, bien sûr, bien sûr ; mais, cependant, tu n’as aucun
sens de l’élément humain.
— Non, je ne l’ai pas.
— Si nous donnons à Rearden une aussi grosse commande
de rails d’acier…
— Ils ne vont pas être en acier. Ils seront en Rearden Metal.
Elle avait toujours évité les réactions personnelles, mais elle
se sentit obligée d’enfreindre sa propre règle lorsqu’elle vit
l’expression sur le visage de Taggart.
Elle éclata de rire.
Le Rearden Metal était un nouvel alliage produit par Rearden
après dix années de recherche et d’expérimentations. Il l’avait
récemment lancé sur le marché, mais n’avait toujours pas eu de
commandes et n’avait pas pu trouver de clients pour ce produit.
Taggart était incapable de comprendre la transition du rire de
Dagny vers le ton nouveau et abrupt qu’elle adoptait
maintenant ; un ton froid et cassant :
— Laisse tomber, Jim. Je sais d’avance tout ce que tu vas
me dire. Personne ne l’a jamais utilisé avant... Personne
n’approuve ce métal… Personne ne s’y intéresse… Personne ne
le veut… Cependant, nos rails vont bel et bien être en Rearden
Metal.
— Mais… tempêta Taggart, mais… mais personne ne l’a
jamais utilisé avant !
Il observa avec satisfaction que hausser la voix la faisait
taire. Il aimait observer les émotions. Elles étaient des lumières
rouges accrochées le long des profondeurs sombres et

inconnues de la personnalité, indiquant les points faibles. Mais
comment pouvait-on ressentir une émotion pour un alliage de
métal, et qu’est-ce que pouvait indiquer une telle émotion ;
c’était quelque chose qu’il ne parvenait pas à comprendre ; c’est
pourquoi il ne pouvait rien faire de cette découverte
psychologique.
— Le consensus auquel est arrivé les plus éminentes
autorités de la métallurgie, dit il, « semble être très sceptique à
propos du Rearden Metal ; s’y opp… »
— Laisse tomber, Jim.
— Bon ; sur l’opinion de qui te bases-tu ?
— Je n’ai besoin de l’opinion de personne.
— Tu te bases sur quoi, dans ce cas ?
— Le jugement.
— Bien ; sur le jugement de qui t’appuies-tu ?
— Le mien.
— Mais qui as-tu consulté à ce propos ?
— Personne.
— Alors, qu’est-ce que tu connais du Rearden Metal ?
— Que c’est la plus grande chose jamais lancée sur le
marché.
— Pourquoi ?
— Parce que c’est plus dur que l’acier, moins cher que
l’acier et résistera plus longtemps que n’importe quel autre type
de métal existant.
— Mais qui dit ça ?
— Jim, j’ai fait des études d’ingénieur, à l’université. Quand
je regarde les choses, je sais voir leurs qualités.
— Et qu’est-ce que tu as vu ?
— La formule de Rearden ; et les tests qu’il m’a montré.
— D’accord, si c’était si bien que cela, quelqu’un l’aurait
déjà utilisé, mais personne ne l’a fait. il vit la réaction de colère,
et poursuivit nerveusement, « Comment peux-tu savoir que
c’est bien ? Comment peux-tu en être sûre ? Comment peux-tu
en décider ? »
— Quelqu’un décide de telles choses, Jim ? Qui ?
— Bon ; je ne vois pas pourquoi nous devons être les
premiers. Je ne vois pas du tout.
— Veux-tu sauver la Ligne Rio Norte, ou pas ?
Il ne répondit pas.

— Si la voie pouvait le supporter, je me débarrasserai de
tous les morceaux de rail de tout le système pour les remplacer
par du Rearden Metal. Tout a besoin d’être remplacé. Rien ne
résistera bien longtemps. Mais on ne peut pas se le permettre.
On doit se débarasser d’un sale problème, en premier lieu.
Veux-tu qu’on arrive à avancer ou pas ?
— Nous sommes toujours la meilleure société ferroviaire
dans le pays. Les autres font bien pire.
— Alors veux-tu qu’on reste dans notre merdier ?
— Je n’ai pas dit ça ! Pourquoi réduis-tu toujours les choses
comme ça ? Et si les questions d’argent te tracassent tant, je ne
vois pas pourquoi tu veux en gaspiller sur la Ligne Rio Norte,
au moment ou Phoenix-Durango nous a pris tous nos clients làbas.
Pourquoi dépenser de l’argent alors que nous n’avons
aucune protection contre un concurrent qui va détruire notre
investissement ?
— Parce que Phoenix-Durango est une excellente société de
chemin de fer, mais j’ai bien l’intention de faire mieux avec la
Ligne Rio Norte. Parce que je vais battre la Phoenix-Durango, si
nécessaire. Seulement, ça ne sera pas nécessaire, parce qu’il y a
assez de place dans le Colorado pour faire la fortune de deux ou
trois compagnies de chemin de fer. Parce que je vais mettre le
système en vente par prêt hypothécaire pour étendre une
ramification dans tous les districts situés autour d’Ellis Wyatt.
— J’en ai plus qu’assez d’entendre parler d’Ellis Wyatt !
Il n’aimait pas cette façon qu’elle avait de bouger les yeux
vers lui pour le regarder fixement et longuement.
— Je ne vois aucun besoin de nous engager dans une action
immédiate. dit-il. Il avait l’air offensé, « Qu’est ce que tu
considères de si alarmant dans la situation présente de Taggart
Transcontinental ? »
— Les conséquences de ta politique, Jim.
— Quelles conséquences ? De quelle politique parles-tu ?
— Ces treize mois d’expérience avec Associated Steel,
d’une part. Ta catastrophe mexicaine, d’autre part.
— Le Conseil d’administration a approuvé le contrat avec
Associated Steel. s’empressa t-il de répliquer, « Le Conseil a
voté pour la construction de la Ligne San Sebastian. Par
ailleurs, je ne vois pas pourquoi tu appelles ça une
catastrophe ? »

— Parce que le gouvernement mexicain va nationaliser ta
Ligne dans les prochains jours.
— C’est un mensonge ! sa voix s’était transformée en un cri.
— Ce ne sont rien d’autre que de vicieuses rumeurs ! Je le
tiens d’une influence haut placée, et…
— Ne montre pas que tu as peur, Jim. lui dit-elle avec
mépris.
Il ne répondit pas.
— Ça ne sert à rien de paniquer à propos de ça, maintenant.
ajouta-t-elle, « Tout ce que nous pouvons faire, c’est d’essayer
d’encaisser le coup. Et ça va être un sale coup. 40 millions de
dollars ; c’est une perte dont on ne va pas se remettre
facilement. Mais Taggart Transcontinental a encaissé pas mal
de coups durs, dans le passé. Je veillerai au grain pour qu’elle
encaisse celui-là. »
— Je refuse de considérer… je refuse absolument de
considérer l’éventualité que la Ligne San Sebastian soit
nationalisée.
— D’accord, ne le considère pas.
Elle demeura silencieuse. Il défendit :
— Je ne vois pas pourquoi tu manifestes tant
d’empressement pour offrir une chance à Ellis Wyatt, alors que
tu penses qu’il est mal avisé de prendre part au développement
d’un pays sous-développé qui n’a jamais eu une chance.
— Ellis Wyatt ne demande de chance à personne. Et je ne
suis pas dans les affaires pour offrir des chances. Je dirige une
compagnie de chemin de fer.
— C’est là une vision extrêmement étroite, il me semble. Je
ne vois pas pourquoi nous devrions vouloir aider un homme à la
place d’un pays tout entier.
— Ça ne m’intéresse pas d’aider qui que ce soit. Je veux
gagner ma vie, et sauver cette compagnie.
— C’est une attitude impensable. L’égoïste avidité pour le
profit est une chose du passé. Il a été généralement admis que
les intérêts de la société, dans sa globalité, doivent toujours
passer en premier dans n’importe quelle entreprise qui…
— Combien de temps encore as-tu l’intention d’éviter le
sujet, Jim ?
— Quel sujet ?
— Le bon de commande pour le Rearden Metal.

Il ne répondait pas. Il demeurait assis, l’étudiant
silencieusement du regard. Son corps mince, sur le point de
s’effondrer d’épuisement, était maintenu par la ligne droite que
formaient ses épaules, et les épaules étaient maintenues par un
effort conscient de volonté. Peu de gens appréciaient son
visage ; il était trop froid ; ses yeux trop intenses ; rien ne
pourrait jamais lui prêter le charme d’une douce attention.
Les belles jambes, inclinées depuis l’accoudoir du fauteuil où
elles reposaient jusqu’au centre de son champ de vision,
l’ennuyaient ; elles gâtaient ce qui lui restait d’estime.
Comme elle demeurait silencieuse, elle aussi ; il se sentit
obligé de demander :
— As-tu passé cette commande juste comme ça, sous
l’impulsion du moment, par téléphone ?
— J’ai décidé de le faire il y a six mois. J’étais en train
d’attendre que Hank Rearden soit prêt à lancer la production.
— Ne l’appelle pas “Hank” Rearden. C’est d’un vulgaire.
— C’est comme cela que tout le monde l’appelle. Ne change
pas de sujet.
— Pourquoi devais-tu l’appeler, hier soir ?
— Pas pu le joindre plus tôt.
— Pourquoi n’as-tu pas attendu d’être revenue à New York,
et…
— Parce que j’avais vu la Ligne Rio Norte.
— Bon ; j’ai besoin de temps pour considérer tout cela ;
pour le présenter devant le Conseil d’administration ; pour
consulter les meilleurs…
— Il n’y a pas le temps.
— Tu ne m’as pas laissé une chance de me faire une
opinion.
— J’en ai rien à faire, de ton opinion. Je n’ai pas l’intention
d’ergoter avec toi, avec ton Conseil d’administration ou avec tes
professeurs. Tu as un choix à faire, et tu vas le faire maintenant.
Dis moi juste “oui”, ou “non”.
— C’est une absurde, tyrannique et arbitraire façon de…
— Oui ou non ?
— C’est ça le problème, avec toi. Tu réduis toujours tout à
“oui” ou “non”. Les choses ne sont jamais aussi tranchées que
ça. Rien n’est absolu.
— Les rails en métal le sont ; que nous les ayons où pas,
c’est le cas.

Elle attendait. Il ne répondait pas.
— Alors ? fit-elle.
— Est-ce que tu prends la responsabilité de cette décision ?
— Je la prends.
— Vas-y, dit-il avant d’ajouter, « mais à tes propres risques
et périls. Je n’annulerai pas cette décision, mais je n’engagerai
pas ma responsabilité lorsque je présenterai la chose au Conseil
d’administration. »
— Dis tout ce que tu veux.
Elle se leva pour partir. Il était appuyé en avant sur son
bureau, hésitant à marquer la fin de l’entretien, et de la marquer
d’une manière si décisive.
— Tu réalises, bien entendu, qu’une longue procédure sera
nécessaire pour mettre tout cela en route, dit-il ; ses paroles
semblaient presque teintées d’espérance, « Ce n’est pas aussi
simple que ça. »
— Oh, je n’en doute pas. dit-elle, « Je t’enverrai un rapport
détaillé qu’Eddie va préparer, et que tu ne liras pas. Eddie
t’aideras à faire avancer le travail. Je vais à Philadelphie, ce
soir, pour voir Rearden. Lui et moi avons pas mal de travail à
faire. » elle ajouta, « C’est aussi simple que ça, Jim. »
Elle venait de tourner les talons pour s’en retourner à son
bureau, lorsqu’il l’interpella ; et ce qu’il dit sembla aussi
ahurissant qu’en dehors du sujet.
— Tout va bien pour toi parce que tu as de la chance. Les
autres ne peuvent pas le faire.
— Faire quoi ?
— Les autres sont humains. Ils sont sensibles. Ils ne peuvent
pas dévouer toute leur vie à du métal et à des moteurs. Tu as de
la chance. Tu n’as jamais eu aucun sentiment. Tu n’as jamais
rien ressenti du tout.
Alors qu’elle le regardait, ses yeux gris sombre passèrent
lentement de l’étonnement à l’immobilité, puis à une étrange
expression qui ressemblait à de la lassitude, sauf qu’ils
semblaient exprimer bien plus que l’endurance dont elle venait
de faire montre.
— Non, Jim, dit-elle calmement, « je crois que je n’ai jamais
rien “ressenti” du tout. »
Eddie Willers la suivit jusqu’à son bureau. Chaque fois
qu’elle se retournait, il avait la sensation que le monde lui
devenait soudainement clair, limpide, facile à affronter ; et il

oubliait ses moments d’appréhension indistincts. Il était la seule
personne qui trouvait cela si complètement naturel, qu’elle
doive être le vice-président exécutif d’une grande compagnie de
chemin de fer, bien qu’elle soit une femme. Elle lui avait dit,
quand il avait dix ans, qu’un jour elle dirigerait la compagnie.
Ça ne l’étonnait pas, maintenant ; exactement comme cela ne
l’avais pas étonné, cet autre jour, dans la clairière.
Quand ils entrèrent dans son bureau, quand il la vit s’asseoir
derrière le bureau et jeter un regard vers les mémorandums qu’il
avait posé là pour elle, il se sentit comme si il était dans sa
voiture, quand le moteur démarrait et que les roues pouvaient
tourner pour faire bondir l’engin.
Il était sur le point de quitter son bureau, lorsqu’il se souvint
d’un sujet dont il ne lui avait pas parlé.
— Owen Kellogg, du département du Terminus, m’a
demandé s’il pourrait obtenir un rendez-vous avec toi. lui dit-il.
Elle leva les yeux, étonnée.
— C’est drôle. J’étais sur le point de le faire aller chercher.
Fais-le venir. Je veux le voir….
— Eddie, ajouta-t-elle soudainement, « avant que je
commence, dis leur de me mettre en relation téléphonique avec
Ayers, de l’Ayers Music Publishing Company. »
— La Music Publishing Company ? répéta-t-il, incrédule.
— Oui. Il y a quelque chose que je voudrais lui demander.
Quand la voix de Monsieur Ayer, courtoisement empressée,
s’enquit de savoir quel service il pouvait bien lui rendre, elle
demanda :
— Pouvez-vous me dire si Richard Halley a écrit un
nouveau concerto pour piano ; le Cinquième ?
— Un cinquième concerto, Mademoiselle Taggart ?
Pourquoi ? Non ; bien sûr qu’il n’a rien fait de tel.
— Vous en êtes certain ?
— Tout à fait certain, Mademoiselle Taggart. Il n’a rien écrit
depuis huit ans.
— Est-il encore en vie ?
— Pourquoi ? Oui… quoique je ne peux le dire avec
certitude. Il a complètement rompu avec la vie publique, mais je
suis sûr que nous en aurions entendu parler, s’il était mort.
— S’il écrivait quoi que ce soit, le sauriez-vous ?
— Bien entendu. Nous serions les premiers à le savoir. Nous
publions l’ensemble de son oeuvre. Mais il a arrêté d’écrire.

— Je vois. Merci.
Quand Owen Kellogg entra dans son bureau, elle le regarda
avec satisfaction. Elle fût heureuse de voir que le vague
souvenir de son apparence physique était fidèle à la réalité. Son
visage avait la même qualité que celui du jeune garde-frein ; le
visage d’un genre d’homme avec qui elle pouvait faire quelque
chose.
— Asseyez-vous, Monsieur Kellogg. dit-elle ; mais il
demeura debout devant son bureau, et, contre toute attente, ce
fût lui qui prit la parole le premier :
— Une fois, vous m’avez demandé de vous faire savoir si
jamais je décidais de changer d’emploi, Mademoiselle Taggart.
fit-il, « C’est pourquoi, je suis venu vous dire que je présente
ma démission. »
Elle se serait attendue à entendre n’importe quoi, sauf ça.
Elle dut reprendre ses esprits pendant un instant, avant de lui
demander calmement :
— Pourquoi ?
— Pour une raison personnelle.
— Vous n’êtes vous pas satisfait, ici ?
— Si.
— Avez-vous reçu une meilleure offre ? Dans quelle
compagnie de trains comptez-vous aller ?
— Je ne vais aller dans aucune compagnie de trains,
Mademoiselle Taggart.
— Alors quel travail allez-vous faire ?
— Je n’en ai pas encore décidé.
Elle l’étudia, se sentant légèrement embarrassée. On ne
pouvait déceler aucune hostilité sur son visage ; il la regardait
bien en face ; il répondait simplement, directement ; il parlait
comme quelqu’un qui n’a rien à cacher, ni à démontrer ; le
visage était poli et impassible.
— Alors pourquoi devriez-vous avoir envi de partir ?
— C’est une affaire personnelle.
— Etes-vous souffrant ? Est-ce une question en rapport avec
votre santé ?
— Non.
— Quittez-vous la ville ?
— Non.
— Avez-vous hérité de quelque argent qui vous permet de
vous retirer ?

— Non.
— Avez-vous l’intention de continuer à travailler pour
vivre ?
— Oui.
— Mais vous ne souhaitez pas travailler pour Taggart
Transcontinental ?
— Non.
— Dans ce cas, quelque chose doit-être arrivé ici, pour
causer votre démission. Quoi ?
— Rien, Mademoiselle Taggart.
— J’aimerais que vous m’expliquiez. J’ai une raison de
vouloir en savoir plus.
— Croiriez-vous en ce que je pourrais vous en dire,
Mademoiselle Taggart ?
— Oui.
— Aucune personne, aucun sujet ou évènement en relation
avec mon travail ici n’est la cause de ma décision.
— Vous n’avez aucun reproche particulier à formuler contre
Taggart Transcontinental ?
— Aucun.
— Alors je pense que vous pourriez reconsidérer votre
décision, en entendant la proposition que j’ai à vous faire.
— Je suis désolé, Mademoiselle Taggart. Je ne le peux.
— Pourrai-je vous dire ce que j’ai en tête ?
— Oui, si vous le souhaitez.
— Me croiriez-vous si je vous dis que j’ai décidé de vous
proposer le poste que je vais vous offrir, avant que vous
demandiez à me voir. Je veux que vous sachiez ça.
— Je vous croirai toujours, Mademoiselle Taggart.
— Il s’agit du poste de directeur du département de l’Ohio.
Je vous l’offre, si vous le voulez.
Son visage ne trahit aucune réaction, comme si les mots
n’avaient pas plus de signification pour lui que pour un sauvage
qui n’aurait jamais entendu parler de chemin de fer.
— Je n’en veux pas, Mademoiselle Taggart. se contenta t-il
de répondre.
Après un instant, elle dit, d’une voix tendue, cette fois :
— Ecrivez votre propre salaire, Kellogg. Dites votre prix. Je
veux que vous restiez. Je peux vous offrir autant que ce que
n’importe quelle autre compagnie de chemin de fer vous offre.

— Je ne vais travailler pour aucune autre compagnie de
chemin de fer.
— Je pensais que vous adoriez votre travail.
Ce fut le premier signe d’émotion en lui : juste un léger
écarquillement de ses yeux, et un étrange surcroît de calme dans
sa voix, lorsqu’il répondit :
— J’adore mon travail, en effet.
— Alors dites-moi ce que je dois vous dire pour vous
garder ! Ce fut involontaire et si naturellement sincère qu’il la
regarda comme si elle l’avait atteint.
— Peut-être que c’est un peu rude de ma part, de venir
jusqu’ici pour vous dire que je m’en vais, Mademoiselle
Taggart. Je sais que vous m’avez demandé de me justifier parce
que vous vouliez avoir une chance de me faire une contreproposition.
Donc si je viens, ça a l’air de vouloir dire que je
suis prêt à négocier. Mais je ne le suis pas. Je suis venu
seulement parce que je voulais respecter la promesse que je
vous avais faite.
Cette cassure dans sa voix lui fit l’effet d’un éclair lumineux
qui lui dit combien l’intérêt qu’elle avait pour lui, et l’offre
qu’elle venait de lui faire, avaient comptés, et que sa décision
n’avait pas été facile à prendre.
— Kellogg, n’y a t-il rien que je puisse vous proposer ? elle
demanda.
— Rien, Mademoiselle Taggart. Rien sur Terre.
Il tourna les talons, et partit. Pour la première fois de sa vie,
elle se sentit désespérée, et battue.
— Pourquoi ? elle demanda dans le vide, sans s’adresser à
lui.
Mais il entendit, et s’arrêta pour hausser les épaules en
souriant. Il sembla être vivant, pendant un bref instant, et ce fût
le plus étrange de tous les sourires qu’elle n’eût jamais vu. Il
était porteur d’un secret amusement intérieur, et aussi d’un
immense chagrin d’une amertume infinie. Il répondit :
— Qui est John Galt ?

 

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15 mars 2011 2 15 /03 /mars /2011 02:11

Publié le 30/10/2010

Si vous n’avez pas le temps de vous plonger dans les 1800 pages d’Atlas Shrugged en anglais, si « La vertu d’égoïsme » vous donne mal au crâne (rien que le titre vous donne des boutons) et si vous n’arrivez même pas à prononcer son nom (Hène Rand, Aïne Rand, Hène Rénde ou Ah-ïne Rènd ?) RIEN N’EST PERDU !

Un peu de pédagogie :
Voici 3 mn de présentation de l’objectivisme, la philosophie d’Ayn Rand, dans une langue parfaitement claire et limpide, avec un bel accent américain ! (Il s’agit d’un extrait d’une émission dont j’ai perdu la trace. L’animateur lit un texte d’Ayn Rand datant de 1962.)

(retranscription en anglais et en français)


Objectivism in a brief (1962, Ayn Rand Institute – www.aynrand.org)

At a sales conference at Random House, preceding the publication of Atlas Shrugged, one of the book salesmen asked me whether I could present the essence of my philosophy while standing on one foot. I did as follows :


1. Metaphysics : Objective Reality

2. Epistemology : Reason

3. Ethics : Self-interest

4. Politics : Capitalism


If you held these concepts with total consistency, as the base of your convictions, you would have a full philosophical system to guide the course of your life. But to hold them with total consistency—to understand, to define, to prove and to apply them—requires volumes of thought.

My philosophy, Objectivism, holds that :

1. Reality exists as an objective absolute—facts are facts, independent of man’s feelings, wishes, hopes or fears.

2. Reason (the faculty which identifies and integrates the material provided by man’s senses) is man’s only means of perceiving reality, his only source of knowledge, his only guide to action, and his basic means of survival.

3. Man—every man—is an end in himself, not the means to the ends of others. He must exist for his own sake, neither sacrificing himself to others nor sacrificing others to himself. The pursuit of his own rational self-interest and of his own happiness is the highest moral purpose of his life.

4. The ideal political-economic system is laissez-faire capitalism. It is a system where men deal with one another, not as victims and executioners, nor as masters and slaves, but as traders, by free, voluntary exchange to mutual benefit. It is a system where no man may obtain any values from others by resorting to physical force, and no man may initiate the use of physical force against others. The government acts only as a policeman that protects man’s rights; it uses physical force only in retaliation and only against those who initiate its use, such as criminals or foreign invaders. In a system of full capitalism, there should be (but, historically, has not yet been) a complete separation of state and economics, in the same way and for the same reasons as the separation of state and church.


Traduction


Lors d’une conférence de presse chez Random House, précédant la publication d’Atlas Shrugged, un lecteur m’a demandé si je pouvais présenter l’essence de ma philosophie en quelques mots. Je l’ai fait comme suit :


1. Métaphysique : la réalité objective

2. Epistémologie : la raison

3. Ethique : l’accomplissement de soi

4. Politique : le capitalisme


Si vous déteniez ces concepts dans une totale cohérence, comme la base de vos convictions, vous disposeriez d’un système philosophique complet pour orienter le cours de votre vie. Mais les maintenir avec une cohérence totale, les comprendre, les définir, les prouver et les appliquer, exige des heures de réflexion.

Ma philosophie, l’objectivisme, soutient que :

1. La réalité existe comme un absolu. Les faits sont les faits, indépendamment des sentiments humains, des souhaits, des espoirs ou des craintes.

2. La raison (la faculté qui identifie et intègre les éléments fournis par les sens de l’homme) est le seul moyen de percevoir la réalité, sa seule source de connaissance, son seul guide d’action et son seul moyen de survie.

3. Tout homme est une fin en lui-même, et non un moyen pour les autres. Il doit exister pour lui-même, et non se sacrifier pour autrui, ni sacrifier autrui à lui-même. La poursuite de son intérêt rationnel ou de son propre bonheur est le plus haut but moral de sa vie.

4. Le système politico-économique idéal est le capitalisme de laissez-faire. C’est un système dans lequel les hommes se considèrent entre eux, non comme des victimes et des bourreaux, ni comme des maîtres et des esclaves, mais comme des commerçants, par des échanges libres et volontaires, dans leur intérêt mutuel. C’est un système dans lequel aucun homme ne peut obtenir quelque chose des autres par le recours à la force physique, et dans lequel aucun homme ne peut user de la force physique contre les autres. Le gouvernement agit seulement comme une agence de protection des droits, il n’utilise la force physique que pour des représailles et seulement contre ceux qui prennent l’initiative de son usage, tels que des criminels ou des envahisseurs étrangers. Dans un système de capitalisme intégral, il devrait y avoir (mais, historiquement, cela n’a jamais existé) une séparation complète de l’Etat et de l’économie, de la même manière et pour les mêmes raisons que la séparation de l’État et l’Eglise.


Publié le 12/02/2011

 

Atlas Shrugged est le plus célèbre roman d’Ayn Rand, publié en 1957 aux États-Unis. La première partie de l’adaptation cinématographique de ce roman culte pour des millions d’Américains sortira sur les écrans le 15 avril prochain.

 

 

Le thème de Atlas Shrugged (la Révolte d’Atlas, littéralement : « Atlas haussa les épaules » – pour faire tomber le monde qu’il portait sur ses épaules) met en avant la pensée rationnelle et indépendante comme moteur du monde (d’après l’auteur elle-même : « le rôle de l’esprit humain dans la société »).

Dans ce livre, les « hommes de l’esprit » (scientifiques indépendants, entrepreneurs honnêtes, artistes individualistes, travailleurs consciencieux) disparaissent mystérieusement, provoquant crises et catastrophes. Celui qui les entraîne dans cette « grève », dans ce retrait à l’écart d’une société de plus en plus collectivisée et règlementée, est John Galt, héros randien type, à la fois entrepreneur, philosophe et grand savant, qui a inventé un nouveau moteur extraordinaire, mais a refusé de le développer (on raconte que sa référence implicite était Nikola Tesla, grand savant serbe de Croatie et grand entrepreneur aux États-Unis, promoteur du courant alternatif). En l’absence de ceux qui supportent le monde (tel le légendaire titan grec Atlas), la société s’écroule.

Le morceau de bravoure du roman est le long discours de John Galt (plusieurs dizaines de pages) dans lequel il explique le sens de son combat.

Pour certains, la lecture d’Atlas Shrugged a été une révélation intellectuelle, qui leur a permis de comprendre les ravages de la démocratie sociale interventionniste, de même que l’Archipel du Goulag de Soljénitsyne à l’égard du communisme.

 

http://www.contrepoints.org/wp-content/themes/WpAdvNewspaper133/headPics/ccontrepoints.png

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8 février 2011 2 08 /02 /février /2011 15:10

http://sitamnesty.files.wordpress.com/2011/01/2011_annee_internationale_de_la_verite_sur_l-islam.jpg

 

La mouvance internationale de l’Alliance “Stop à la charia” initiée par VVD a décrété 2011 année internationale de la vérité sur l’islam avec ce texte associé :

2011 L’année de la vérité sur l’islam. L’islam actuel est un système politico-religieux totalitaire basé sur le principe de l’esclavage.


Le but unique de l’idéologie islamique décrit dans ses textes fondamentaux est d’imposer de gré ou de force la Charia à l’humanité.


La Charia contient l’obligation au Jihad, d’y participer ou de soutenir ceux qui le mènent, militairement, politiquement, culturellement, sociologiquement ou financièrement.


La Charia viole les droits de l’Homme, les principes démocratiques et abolit les droits à la vie, à l’intégrité physique et à la propriété de ceux qui refusent de s’y soumettre.


Guerres de conquête, esclavage, innombrables persécutions et meurtres, génocides comme celui des Arméniens et les tentatives actuelles de destruction systématique des minorités religieuses, 14 siècles d’efforts pour imposer la Charia à l’humanité ont creusé une cicatrice sanglante dans l’Histoire humaine.


Toute promotion ou propagation, directe ou indirecte, de la Charia rend celui ou ceux qui s’en rendent coupables, complices d’une incitation à la haine et à la violence religieuse à l’échelle du monde entier et donc de crime contre l‘humanité.


Cela doit être su, cela doit être dit.

Nous déclarons 2011 l’année internationale de la vérité sur l’islam.


Image

 

Discours d'un des représentants de Vérité, Valeurs et Démocratie (organisation membre de l'Alliance, Stop à la Charia) lors de la manifestation du 30.10.2010 à Amsterdam organisée pour la défense de la liberté d'expression, la lutte contre l'introduction de la Charia en Europe et le soutien à Geert Wilders et tous ceux qui sont poursuivis quand ils dénoncent les dangers de l'islam politique.

Nous ne voulons pas la charia en Europe, ni maintenant, ni demain, jamais…

Nous avons un problème, nous avons tous un problème. Un problème philosophique et éthique, mais aussi un problème politique. Je parlerai en premier de philosophie, je ne parlerai pas de religion aujourd’hui. Parce que nous n’avons pas de problèmes avec les religions, nous avons avant tout un problème philosophique.

Pourquoi?
Parce qu’aujourd’hui, dans toute l’Europe, il y a des individus et des organisations tentant d’introduire une loi étrangère dans nos pays. Une loi qui n’est pas démocratique, qui ne respecte pas les droits de l’Homme. Et c’est un problème, c’est notre problème.
Cette loi se nomme la Charia, la loi de l’islam.

Mais ce n’est pas notre loi, nous sommes des pays démocratiques, les lois sont votées par les gens. Nous sommes les artisans de nos lois.
En islam on ne fait pas de loi, on vit sous l’esclavage d’une loi religieuse. Et j’appelle ça esclavage, oui l’esclavage. Et notre problème philosophique est que nous sommes dans un combat, le combat entre la Démocratie et l’esclavage.

Nous sommes le camp de la Liberté, des individus et des organisations tentent d’introduire dans nos pays démocratiques un système basé sur l’esclavage. Et c’est absolument inacceptable. C’est immoral, et plus que cela, c’est illégal. Et ça c’est la partie politique.

Qu’est-ce que la Charia ?
Charia ? Tout le monde connaît l’islam, mais la Charia est plus mystérieuse car le plus souvent, ces gens, ces activistes politiques ne parlent jamais de la Charia.
Pourquoi ?
Vous allez comprendre très vite :
Parce que la Charia est un racisme religieux. Et cela est facile à comprendre.

Qu’est-ce que le racisme ?
C’est quand vous séparez l’humanité en groupes, jusque là ce n’est pas du racisme. Mais quand vous introduisez une hiérarchie entre ces groupes, et que vous dites : « Ces humains sont meilleurs ce ceux-là et ceux-ci sont inférieurs et impurs » alors vous êtes raciste. Vous n’êtes pas un raciste « génétique », vous êtes un raciste religieux. Et la Charia introduit le racisme religieux en Europe, c’est inacceptable.

Et vous devriez tous vous sentir concernés ici parce que pour la Charia, vous êtes la part inférieure de l’humanité. Vous êtes les Kaffirs, les incroyants, les mécréants, vous n’êtes même pas des êtres humains. Et c’est un problème!

Et la Charia c’est aussi la xénophobie religieuse. Car que vous apprenez a haïr les gens parce qu’ils ne croient pas comme vous. Nous sommes des sociétés démocratiques, nous ne haïssons pas les gens à cause de leurs pensées, nous agissons, et devons agir, à cause de ce qu’ils font. Et nous avons des activistes politiques maintenant, déguisés en religieux. Ils disent « Nous sommes des gens de religion » mais c’est faux. Quand vous essayez de modifier la manière dont la société est organisée, pour la transformer en quelque chose de non démocratique, vous êtes un activiste politique, une personne subversive. Et vous devriez être jeté en prison ou expulsé d’Europe.

Et je n’en ai pas fini avec la Charia. La Charia est un sexisme religieux parce que les femmes y sont dominées par les hommes. Et c’est également inacceptable, c’est immoral. Ici nous sommes au pays de l’égalité entre hommes et femmes.

Ok, reprenons. Je n’en avais pas fini avec la Charia, parce que comme je l’ai dit, la Charia c’est le racisme religieux, la xénophobie religieuse, le sexisme religieux, mais ce n’est pas tout. C’est aussi un apartheid religieux. La Charia et ceux qui en font la promotion introduisent dans nos sociétés un apartheid religieux. Un apartheid scandaleux et immoral. Un auto-apartheid, alimentaire, vestimentaire et comportemental.

La Charia est incompatible avec les principes de la Démocratie. Et pas de chance pour la Charia, nous sommes basés sur les principes démocratiques. Alors, comment des organisations, comment des individus peuvent-ils tenter de promouvoir une idéologie non démocratique, non respectueuse des droits de l’Homme, totalitaire ?
Cela ne devrait pas être possible !
Et le problème, et c’est là qu’il devient un problème politique, c’est que nos hommes politiques, nos représentants, qui devraient défendre la Démocratie, qui devraient NOUS défendre contre une idéologie et un changement de société non démocratique, ne nous protègent pas.

Regardez, un citoyen britannique, non violent, venu ici pour parler, pour parler dans une Démocratie, se voit empêché de parler par sa propre Police, son Gouvernement. Comment cela est-il possible dans une Démocratie ? Comment pouvez-vous interdire aux gens de parler ? Vous n’insultez personne, vous n’appelez pas à la haine, vous êtes juste en train de parler de politique et d’idéologie. Comment est-il possible que cela soit interdit dans une démocratie ?

Comment pouvons-nous prétendre être en démocratie quand des organisations religieuses interdisent aux gens de parler ?
C’est impossible, scandaleux et immoral. Et c’est pour cela que l’Alliance a été créée. Nous avons quelque chose de politique à dire à nos gouvernements…

Allez, venez, vous avez quelque chose contre la Démocratie ? Dites-le! Dites-le plus fort! Vous avez quelque chose contre la Démocratie ? Parce que nous sommes ici pour parler de Démocratie.
Oui nous sommes ici pour parler de Démocratie , nous voulons défendre la Démocratie, nous voulons vivre en Démocratie. Nous voulons protéger notre Liberté. Nous voulons protéger la Liberté de nos enfants. Et cela ne devrait pas être interdit en Démocratie. Comment cela est-il possible ?

Et le problème politique que nous avons, est que nous avons de représentants qui ne nous défendent pas. Nous avons le droit de dire que l’idéologie politique promue par l’islam est inacceptable. Même si certains s’offusquent de cela.

Eh! Quel est le problème ? En Démocratie vous avez le droit de dire des choses qui choquent. Du moment que vous n’insultez personne, et ai-je insulté quelqu’un ? Du moment que nous ne prêchons pas la haine ni la violence, et est-ce le cas ? Qui est violent ici ?

Nous devrions avoir le droit de dire ce que nous voulons. C’est un problème d’ordre politique. Nous avons un problème avec des activistes politiques essayant d’introduire un système non démocratique dans nos pays.
La dernière chose que je veux dire c’est que l’Alliance est la symbolisation d’un simple fait. En Europe nos somme des centaines de millions de personnes à vouloir vivre en démocratie et à être libres. Et nous sommes des centaines de millions à ne pas vouloir de la Charia.
Nous ne voulons pas de la Charia en Europe. Ni maintenant, ni demain, jamais.

Et l’Alliance est là pour dire à nos politiciens, à nos représentants, vous devez nous entendre, nous avons quelque chose à dire : « Si vous ne faites pas votre travail, à la prochaine élection nous allons élire quelqu’un qui a le courage de faire le travail, de faire son devoir » . Et son devoir, leur devoir, est de nous protéger, de nous permettre de vivre dans une société libre, dans une société démocratique. Et s’ils ne le font pas aux prochaines élections nous allons les mettre dehors.

Parce que c’est un combat entre la Liberté et l’esclavage. Nous ne voulons pas vivre en esclavage. C’est tout simplement illégal de promouvoir l’esclavage, et les gens qui diffusent la Charia font la promotion de l’esclavage. Et ce n’est pas seulement illégal, c’est immoral et philosophiquement inacceptable.
Merci.

Alain Wagner

Discours fait à Amsterdam, le samedi 30 octobre

 

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25 octobre 2010 1 25 /10 /octobre /2010 19:59

Stop à la charia

 

 

Avant-propos

 

Avant toute chose, nous nous devons d’expliquer pourquoi nous n’utilisons pas le terme « islamisation », nous ne nous opposons pas à la présence de l’islam en Europe, ni à la croyance islamique en elle-même. Ce ne sont pas les croyances, fussent-elles particulières, envers quoi nous proposons de lutter. Mais envers le système juridique et politique de l’Islam. Il est important de comprendre que l’Islam est une nomocratie. Au gouvernement par les hommes, représenté par la démocratie, l’Islam oppose donc le concept d’Etat de Droit religieux. Ce n’est ni une théocratie (législation cléricale) ni une démocratie (au sens de processus de décision majoritaire). Tout être humain est directement inféodé à la loi divine. Puisque les musulmans pensent que la loi divine est objective (comme le droit naturel occidental), l’homme doit obéissance à la charia et non aux autres hommes.

 

Une nomocratie est un système dans lequel une loi, fixée une fois pour toutes, représente l'autorité suprême.

 

De ce fait, nous ne parlons pas d’une islamisation de la société occidentale, mais d’une nomocratisation (islamique). Ainsi, en tant que née d’une nomocratie, le système juridique islamique est clairement incompatible avec la conception occidentale de la justice, basée sur le droit naturel, le droit de propriété de son corps et de son travail, le droit à la liberté dans la limite de celle d’autrui.

 

 

L’Alliance « Stop Charia »

 

L’Alliance est internationale, apolitique et décentralisée, nous sommes indépendants de tous partis, de quelque pays qu’ils puissent venir ; ce qui n’empêche nullement une formation politique de nous soutenir ouvertement. Quels que soient nos origines, notre couleur de peau, nos croyances, notre statut social ou nos appartenances, nous défendons la Liberté, le Droit et la Démocratie.

 

L’Alliance est pour le moment un mouvement Européen qui regroupe tous ceux qui sont en accord dans nos pays respectifs pour promouvoir le vote de lois, transformant en délit :

 

1.    L’enseignement des règles de la charia ;  

2.    La promotion des règles de la charia ; 

3.    L’incitation, publique ou privée, de leur application individuelle ou collective en tant que normes comportementales. 

 

Nous proposons de même l’adoption de mesures éducatives, législatives et éventuellement répressives efficaces visant à un dépérissement rapide des pratiques sociales liées à ces règles.

 

Nous nous proposons de réunir toutes personnes (physiques ou morales) qui souhaitent montrer leur opposition à l’implantation de la charia en Europe, sous toutes ses formes. Ainsi lorsque vous décidez de rejoindre l’Alliance, c’est pour aider et soutenir les hommes et les femmes libres dans leur lutte contre l’esclavage de la charia.

 

 

Liberté contre esclavage 

 

L’islam est une idéologie, une doctrine religieuse, politique et un système juridique. Il s’agit de ce fait d’un système de pensée totalitaire, aucunes de vos actions ni pensées n’échappent au contrôle de la loi divine, donc de la charia. Il est question entre autre d’une religion collectiviste, le premier principe islamique est le primat du collectif, de la communauté des croyants.

 

Islam signifie « soumission » et musulman « personne soumise ». Beaucoup d'intellectuels musulmans vous diront qu'il s'agit seulement de la soumission à Dieu. Mais si vous lisez le Coran :

 

1.    Vous verrez qu'il est dit plus d’une vingtaine de fois « obéissez à Dieu, obéissez au prophète » et une fois « obéissez au prophète » (sans ajouter à Dieu).

2.    Il n'y a pas de versets où il est dit seulement « obéissez à Dieu ».

3.    Une autre fois il est dit « obéissez à Dieu, au prophète, et à ceux qui ont autorité », c'est-à-dire au calife, à ses représentants, ce qui signifie que le calife est le lieutenant d’Allah et qu’il faut lui obéir, ainsi qu’à ses représentants, comme à Allah lui-même.

 

La soumission, qui est à la base de la morale musulmane, est un élément commun à tous les autres systèmes totalitaires.


L'idéologie musulmane est fondée sur le Coran et sur les hadiths, les paroles ou les actes de Mahomet. Il y en a un million et demi. Il aurait fallu 600 ans pour qu'il les énonce. Tout le monde sait bien, musulmans compris, que la plupart des hadiths sont apocryphes. Il y a cependant six recueils, contenant au total 20 000 hadiths, tenus pour authentiques. Parmi ceux là il y en a un, celui de Boukhari, qui est tenu pour particulièrement sûr. Le Coran et le recueil de Boukhari sont les deux seuls livres sur lesquels un Musulman peut poser la main pour prêter serment.

La Charia est, dans sa définition exacte, le « droit coranique », en d’autres termes la formation en un code juridique précis des dogmes du Coran et de la tradition islamique, devenant ainsi un système juridique applicable dans un tribunal. Celui-ci régit la vie religieuse, politique, sociale et individuelle.

 

C’est le but de ce document que d’expliquer ce qu’est concrètement la Charia. Les gens ignorent ce qu’elle est, la plupart des musulmans vivant dans nos pays également, c’est là la source du problème : L’incapacité actuelle à détecter sa présence et à comprendre la menace qu’elle représente.

 

C’est l’introduction de ce code et de ce système juridique dans nos sociétés que nous proposons de combattre.

 

 

Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas

 

La charia ou charî'a[1] (arabe : الـشَّـرِيعَـة  , turc : Şerîat, « la voie »), recouvre les champs du religieux, du politique, du social, tant pour le droit privé que pour le droit public et ne fait pas la distinction entre le profane et le sacré. La charia n'est donc rien d'autre que le synonyme de dîn ou encore d'islam[2]. Le terme utilisé en arabe dans le contexte religieux signifie : « chemin pour respecter la loi [de Dieu] ». La Charia codifie à la fois les aspects publics et privés de la vie d’un musulman et de la dhimma[3], ainsi que les interactions sociétales. Les musulmans considèrent cet ensemble de normes comme l’émanation de la volonté de Dieu (Shar').

 

La loi est structurée en deux parties : La première ou Al 'Ibadat qui concerne le culte et contient les règles relatives à la purification rituelle (wudhû), à la prière (Salat), à l’aumône et à la charité (zakat), au jeûne (awm et Ramadan) et au pèlerinage à la Mecque (hajj).

 

La seconde ou Al Mu'amalat qui concerne les interactions humaines. Cette partie contient les règles relatives aux transactions financières, aux dotations, aux règles d’héritage, au mariage, au divorce et à la garde des enfants, à la nourriture et à la boisson (dont la chasse et les règles d’abattage rituel des animaux), à la guerre et à la paix, aux infractions pénales, aux affaires judiciaires (dont les témoignages et les preuves).

 

Dans le même temps, la Charia classe les actions humaines en cinq catégories. Ces catégories correspondent à cinq valeurs morales appelées al-akhām al-khamsa :

 

1.    ce qui est prescrit, désigné sous le terme de fard (aussi dénommé obligatoire — wajib, muhattam — ou requis — lazim)

2.    ce qui est recommandé, désigné sous le terme de mandub (aussi dénommé préférable — mustahabb — méritoire — fadila — ou désirable — marghub fih)

3.    ce qui est indifférent (mubâh)

4.    ce qui est blâmable désigné par le terme makrûh

5.    ce qui est interdit désigné par le terme haram

 

Néanmoins dans la société civile, un acte, une habitude, une institution ou une loi n'impliquent pas seulement un effet, mais une série d'effets. Ceux que l’on voit et ceux que l’on ne voit pas. Ainsi ce que l’on voit dans le droit musulman, c’est la prière, le ramadan, le pèlerinage à la Mecque, les interdits alimentaires, etc. mais il y existe aussi une face que l’on ne voit pas.

 

Le ramadan, par exemple. Voila une inoffensive coutume, festive et conviviale à première vue pour la plupart des gens, c’est ce que l’on voit. Mais en tant que musulman si vous ne la respectez pas, vous devenez un mécréant (kafir). Dans une société islamique (dont la loi est basée sur le droit musulman) vous pouvez aller en prison ou vous faire agresser par vos voisins parce que vous « insultez l’islam » uniquement en mangeant ou en buvant quelque chose pendant la période interdite.

 

Le ramadan est une obligation édictée pour une raison précise. Ainsi dans une société non encore islamique, le ramadan exerce une pression sociale extrêmement forte sur les musulmans osant prendre des libertés avec les prescriptions du droit musulman. Nos concitoyens de culture musulmane souffrent de cette « festive et conviviale coutume » qui permet en réalité de repérer et de condamner ceux qui veulent vivre une vie libre ; c’est ce que l’on ne voit pas.

 

Il en va de même pour tout le reste : le voile islamique, la nourriture halal, la construction de mosquées, etc. Tout cela nous le voyons chaque jour, sans même parfaitement le comprendre ; porter des vêtements en accord avec le droit islamique est une coutume qui est finalement, à nos yeux, peu dérangeante ; c’est ce qu’on voit. Mais il s’agit avant tout d’un signe de soumission à ses règles, donc d’une promotion de celles-ci ; c’est un signe de ralliement : un marquage social, c’est ce qu’on ne voit pas.

 

Consommer un hamburger halal est un autre exemple : c’est ce qu’on voit. Mais là encore il s’agit d’un signe de soumission aux règles de la Charia, en plus d’une contribution financière concrète à la promotion de celle-ci, c’est ce qu’on ne voit pas. De même pour les mosquées, qui nous sont présentées comme des lieux de prière partout dans nos villes, c’est ce que l’on voit. Mais où la Charia est souvent subrepticement enseignée comme une norme comportementale aux croyants, jeunes ou vieux ; c’est ce que l’on ne voit pas.

 

Dans un pays démocratique, chaque citoyen bénéficie d’un ensemble de droits et de libertés, il a ainsi le droit de vivre en tant qu’Homme libre du moment qu’il ne menace pas les droits et les libertés d’autrui : il est clair et évident que le droit musulman est pleinement et totalement incompatible avec la structure même de nos sociétés libérales.

Dans l’Alliance nous savons ce qu’est un citoyen libre et nous savons ce qu’est la Charia : elle enferme les Hommes dans une servitude dégradante. La Charia est, en tant que droit, une des formes de l’esclavage. C’est pour cette raison que nous n’acceptons pas et n’accepterons jamais la Charia.

 

 

La charia, la route vers la servitude

 

La Charia institue une discrimination institutionnelle : qui n’est pas musulman est traité comme un être inférieur, méprisable. Ainsi il existe des gens qui ne sont pas égaux en raison de leurs croyances : il s’agit là d’une discrimination. Nous sommes en présence d’une véritable forme de « racisme confessionnel ».

 

Esclavage, racisme, xénophobie, apartheid et sexisme confessionnel, la Charia incarne l’antithèse absolue des principes et valeurs occidentales que sont le respect des libertés et des droits de l’Homme.

 

Le racisme est le fait de séparer l'humanité en groupes et de créer une hiérarchie entre ces groupes. Ce que les racistes font sur des questions purement raciales, les musulmans le font pour des raisons confessionnelles. C'est un système qui magnifie et théorise la haine et le mépris de l’autre, de celui qui pense différemment.

 

Par exemple, le pacte d’Umar. Il s’agissait d’un traité entre le huitième calife des Omeyyade et les monothéismes non-musulmans. Instituant toute une série de mesures vexatoires (Dhila) à leur égard, dont le port obligatoire de la rouelle (petite étoffe ronde et jaune cousue sur un vêtement) pour les juifs et de la ceinture pour les chrétiens ; ces signes pouvaient aussi prendre la forme de turbans et d’autres pièces de vêtements réservées aux infidèles.

 

La xénophobie désigne les sentiments systématiques de crainte, d'hostilité, voire de haine envers ce qui est étranger. La Charia instaure un système basé sur la haine de ce qui n’est pas musulman en criminalisant toute déviance ou rejet de la loi islamique : Refuser de se soumettre à la Charia c’est se rebeller contre Allah et Mahomet, il ne peut y avoir de pire crime en islam.

 

Un apartheid, car la Charia impose aux musulmans de ne pas se fondre dans les sociétés non-musulmanes, l’assimilation est perçue comme une apostasie (crime puni de mort dans la tradition musulmane), les musulmans se voient imposer des usages et des comportements qui les différencient des mécréants et leur permettent de demeurer une communauté distincte du reste de la population (auto-apartheid vestimentaire, alimentaire, matrimonial, linguistique, etc.)

 

Un sexisme, car la Charia affirme le droit divin de l’Homme à dominer la femme, à exiger soumission et obéissance, sociale et sexuelle. Elle affirme la nature supérieure de celui-ci et donc des droits comme la polygamie, la répudiation, l’autorisation de la violence ainsi que des relations sexuelles avec des jeunes filles pré-pubères.

 

Tout cela nous conduit vers une guerre médiatique, culturelle, politique, sociétale et économique soutenue par une infrastructure en plein essor d’associations de quartiers, de « centres culturels », de mosquées, de banques et de syndicats musulmans.

 

Il existe bien différentes écoles juridiques, mais toutes ces écoles n'ont qu'une seule et unique voie tracée : ce chemin emprunte inévitablement la voie du Jihâd.

 

C’est une insurrection dont les prémices se drapent dans l’apparente légalité d’activités d’inspiration religieuse. Une subversion qui nous est imposée de l’extérieur et dont le but est de nous assujettir à une loi étrangère, la Charia. Un conflit que certains se refusent obstinément à voir par peur, par ignorance ou par intérêt.

 

Il est du devoir politique de nos gouvernements de nous protéger des propagandistes islamiques, de ces activistes politiques subversifs déguisés en prêcheurs, c’est un impératif d’ordre public. Mais c’est aussi un devoir moral que de protéger nos citoyens issus de culture musulmane, ceux qui ont fait le choix de la Liberté et des valeurs occidentales.

 

Notre objectif est de lutter contre l’action de ces groupes qui, partout en Occident, œuvrent avec pour unique objectif l’endoctrinement et la subversion ; formant de véritables organisations politico-sectaires qui, par prosélytisme, étendent l’influence islamique dans nos sociétés.

 

 

Conclusion

 

En Europe et dans l’Occident en général, nous avons des constitutions. Ces constitutions encadrent les pouvoirs des gouvernements et reconnaissent les droits des Hommes. Il existe des choses qu’on ne peut faire à un autre homme : le réduire à la servitude en fait partie et le devoir d’un gouvernement et de s’en assurer.

 

L’Europe est une terre de liberté, y entrer s’est abandonner ses chaînes ; l’être humain ne peut y aliéner sa propre liberté : la Constitution l’en empêche. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui nous avons pour objectif d’en appeler à la Constitution, à lui faire jouer son rôle.

 

L’Alliance rassemble tous ceux en Europe qui sont d’accord pour dire qu’introduire la Charia dans nos pays n’est pas un « Droit » mais une activité immorale et illégale. Nous sommes des centaines de millions à penser ainsi et l’Alliance par ses actions va le faire savoir, démocratiquement mais fermement, à tous nos représentants. Ceci jusqu’à ce qu’ils se décident à agir efficacement en vue de l’éradication de la Charia dans nos sociétés ou alors jusqu’à ce qu’ils soient remplacés, avec notre aide, par ceux qui auront le courage de faire leur devoir.

 

Nous, citoyens du monde libre voulons l’interdiction totale de la Charia dans nos pays.

 

C'est pour toutes ces raisons que nous vous incitons à signer la Charte des Nations qui refusent la Charia.

 

http://img179.imageshack.us/img179/3072/alliancestopcharia.png  


[1] Le mot charia est cité dans le Coran comme étant la voie à suivre par les musulmans : « Juge donc parmi eux d’après ce que Dieu a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, loin de la vérité qui t’est venue. À chacun de vous, Nous avons assigné une voie (chirʿah) et un plan à suivre. » Sourate 5, verset 48 ou « Puis Nous t’avons mis sur la voie (charî'a) de l’Ordre (une religion claire et parfaite). Suis-la donc et ne suis pas les passions de ceux qui ne savent pas. » Sourate 45, verset 18.

 

[2] Il est d’usage de désigner en Occident la charia par le terme de loi islamique (Terme qui est d’ailleurs utilisé en lieu et place de « droit musulman ») qui est une traduction très approximative puisque n'englobant que partiellement le véritable sens du mot.

 

[3] Le terme dhimma (arabe : imma, ذمة) appartient au vocabulaire technique du droit musulman et désigne habituellement, en pays d'islam, le système juridique auquel est soumis un non-musulman.

 

 

Pour plus d’information sur l’Alliance Stop à la Charia : http://tiny.cc/bn17k

 

Contact : alliance.stop.charia@gmail.com

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4 octobre 2010 1 04 /10 /octobre /2010 19:30

France : Un homme entendu par la police pour avoir brûlé et uriné sur un coran

Quoi que l’on pense de l’acte, on cherchera en vain pourquoi cet individu devrait être entendu par la police judiciaire. Brûler et uriner sur le coran serait-il devenu un  délit en France ? La police serait-elle devenue le bras séculier de l’inquisition musulmane ? C’est en tout cas ce que semblent croire les autorités musulmanes qui, poussant le bouchon du fascisme religieux toujours un peu plus avant, ont alerté les services de police et entendent porter plainte.

 

Un homme soupçonné d'avoir déchiré et brûlé des pages du Coran avant d'uriner dessus a été interpellé lundi matin et placé en garde à vue à Strasbourg (Bas-Rhin), a-t-on appris de source policière. 

Agé de 29 ans et domicilié à Bischeim, il avait diffusé le 2 octobre une vidéo le mettant en scène. Il aurait également utilisé des pages pour confectionner un avion en papier qu'il aurait lancé sur des boites censées représenter les twin towers de New York. Choqué, un internaute a prévenu la police qui a interpellé l'homme dont les coordonnées étaient visibles.

 


 

Les autorités musulmanes viennent de dénoncer une vidéo postée ce week-end sur Internet montrant un homme déchirant, brûlant et urinant sur le Coran. Utilisant le pseudo de Caliméro, son auteur présumé habiterait Bischheim, une commune en périphérie de Strasbourg. Selon nos informations, il serait actuellement entendu par la police judiciaire.

 

Un stylo de la gendarmerie pour dessiner un terroriste musulman

 

«J’ai découvert la vidéo ce matin après une alerte Google, explique Abdelaziz Choukri, Délégué Général de la Grande Mosquée de Strasbourg. Je suis allé la voir, j’ai trouvé des liens et des commentaires. J’ai également trouvé le numéro de son auteur présumé.» Contacté, ce dernier aurait «répondu qu’il avait fait la vidéo ce week-end mais que c’est une amie qui l’a mise en ligne, explique Abdelaziz Choukri. Il m’a dit qu’il faisait ce qu’il voulait et qu’en France on pouvait brûler un livre, même Winnie l’Ourson.» Les autorités musulmanes devraient rapidement déposer plainte.

Sur la vidéo, l’homme utilise notamment un stylo de la gendarmerie pour dessiner un terroriste musulman sur un avion en papier réalisé avec une page du Coran. L’objet symbolise l’attentat du World trade Center, le 11 septembre 2001. Il brûle également le livre saint avant d’éteindre les flammes en urinant dessus.


 

Selon le site 20minutes.fr, les autorités musulmanes s'apprêtent à porter plainte contre lui. L'enquête a été confiée à la Sûreté départementale de Strasbourg.


L’homme qui a brûlé et uriné sur un Coran comparaîtra pour “provocation et incitation à la haine raciale”

Ubuesque et inique. Il avait été interpelé par la police à la demande des autorités musulmanes (relire notre billet). Il va désormais comparaître devant le tribunal correctionnel pour provocation et incitation à la haine raciale. Quoi que l’on puisse penser de cet individu et de son acte, le fait que brûler le Coran et uriner dessus (ce qui n’a évidemment absolument rien d’illégal) puisse conduire aujourd’hui en France un individu à être interpelé et traduit en justice est extrêmement inquiétant et révélateur de la dérive en cours.  Les services de police et de justice sont-ils devenus les auxiliaires séculiers de l’inquisition musulmane ? Ne manquez pas de lire ci-après le communiqué de cette dernière.

blasphème france

Le communiqué de l’inquisition musulmane : le Conseil français du culte musulman (CFCM) (source - merci à tnr)

Le CFCM a pris connaissance d’une vidéo postée sur internet et dans laquelle un homme, habitant à Bishheim près de Strasbourg, profane le Saint Coran par des gestes ignobles et honteux.

Le CFCM est profondément indigné par cet acte abject et inqualifiable qui constitue un véritable délit d’incitation à la haine, à l’intolérance et à la division, et un mépris total pour les valeurs de la République.

Le CFCM appelle les pouvoirs publics à prendre toutes les mesures nécessaires contre l’auteur ou les auteurs de cette provocation lourde de conséquence.

Le Conseil Français du Culte Musulman annonce, pour sa part, qu’il déposera plainte contre l’auteur et ses complices.

Le CFCM indique, également, avoir reçu récemment des lettres d’insultes contenant des photos du Saint Coran profané.

Depuis le début de l’année, plusieurs actes antimusulmans et antisémites ont été répertoriés partout dans l’Hexagone et tout particulièrement dans l’agglomération alsacienne.

Le CFCM soutient et se joint à l’Appel du Sénateur-maire de Strasbourg, M. Roland Ries, pour «un front républicain de refus de l’inacceptable » et appelle l’ensemble des forces vives de la Nation à se dresser contre ces expressions de haine qui menacent le vivre ensemble et la cohésion nationale.

Le CFCM appelle les musulmans de France à rester vigilant et à affronter cette série de provocations avec la plus grande sérénité.

Paris le 5 octobre 2010

Mohammed MOUSSAOUI

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11 septembre 2010 6 11 /09 /septembre /2010 03:26
« Le racisme est la forme la plus abjecte et la plus brutalement primitive du collectivisme. Le racisme reconnaît un groupe et attribue ses vertus ou ses défauts, sa supériorité ou son infériorité à son origine raciale. Or il n'y a que des esprits individuels et des réalisations individuelles. [...] Le racisme est porté par le collectivisme et son corollaire l'étatisme. Son seul antidote est la philosophie individualiste et son corollaire le capitalisme de laissez-faire. » Ayn Rand


 

 

Ayn Rand (1905 - 1982)

Elle montre que le racisme et l'esclavage ont ceci ont commun qu'ils sont tous deux enracinés dans le collectivisme. Le collectivisme est la doctrine philosophique affirmant qu'un individu n'a pas de valeur propre et que le standard de valeur dans les affaires humaines est le groupe auquel il "appartient".

Les traits communs qui le relient à la collectivité (la tribu) peuvent être la nationalité (pour les nationalistes), la croyance religieuse, la race (KKK etc), le statut économique ou social (socialistes, communistes) etc...

Quand les membres d'un groupe ou d'une collectivité asservissent un autre groupe, c'est le collectivisme à l'œuvre.

Ainsi les conflits tribaux qui continuent de génération en génération dans diverses parties du monde sont aussi le collectivisme à l'œuvre. Ces groupes en guerre se tiennent responsables entre eux de méfaits perpétués il y a des siècles et sans aucune considération pour le fait que les individus d'aujourd'hui ne portent aucune responsabilité sur ces évènements anciens.

Les individus sont tenus responsables simplement par le partage de quelques caractéristiques du groupe.

Aussi l'individualisme, contrairement au sens commun dont on en fait les collectivistes, ne signifie pas vivre dans l'indifférence ou en autarcie. L'individualisme refuse de reconnaître des obligations née de l'appartenance hypothétique à un groupe et nous invite à développer nos propres valeurs, à tracer notre chemin indépendamment de ceux déjà tracés. Selon Ayn Rand, conformer ses actes à ce système de valeur est le préalable indispensable au bonheur.


Racisme et collectivisme

 

Il y a un phénomène qui reste soigneusement négligé dans les débats et analyses sur le racisme : c’est le lien logique et historique frappant qui existe entre racisme et collectivisme. Voilà une idée assez peu prisée dans les causeries intellectuelles contemporaines, à l’heure de la diabolisation de l’individualisme égoïste, de la glorification du groupe « solidaire » et « citoyen » et de la reconnaissance officielle croissante, par les pouvoirs publics, de diverses communautés, minorités et tribus en tous genres.

http://drx.typepad.com/psychotherapyblog/images/2007/09/03/ayn_rand_4.jpg
cliquez l'image pour biographie

Cette thèse a été brillamment développée par Ayn Rand dans une des conférences qui composent son magistral « The Virtues of selfishness », dont quelques extraits ont été traduits aux Belles Lettres en 1993. Il me semble nécessaire d’en rappeler les grandes lignes car elle peut nous être précieuse pour comprendre la progression actuelle du racisme en France.

Dans ce texte, Ayn Rand montre en quoi « le racisme est la forme la plus abjecte et la plus brutalement primitive du collectivisme ». Le racisme se manifeste partout où l’on réduit un individu aux caractéristiques du groupe auquel il appartient. C’est le cas, bien sûr, si l’on n’aime pas un noir parce qu’il appartient à la catégorie des noirs. Mais c’est aussi le cas lorsqu’un groupe d’hommes (par exemple une nation) se glorifie des mérites d’un de ses membres (par exemple un grand inventeur décédé). Il s’agit alors d’une sorte d’expropriation : cet individu est dépossédé de ses mérites au profit d’un groupe qui le dépasse et le possède.

Analysant les sources psychologiques du racisme, Ayn Rand montre qu’il provient du « sentiment qu’a le raciste de sa propre infériorité ». « Attribuer ses vertus à son origine raciale, c’est avouer que l’on n’a aucune connaissance du processus par lequel les vertus sont acquises et, la plupart du temps, que l’on n’a pas réussi à en acquérir ».

D’un point de vue historique, comment nier que « la montée ou la chute du racisme a toujours accompagné celles du collectivisme » ? Les Etats les plus collectivistes, ceux qui ont le plus écrasé l’individu, se sont toujours fondés sur des mécanismes racistes. Cela s’est vérifié en Allemagne nazie, bien sûr, mais également en Union soviétique, où la persécution des minorités raciales a été constante et où l’idéologie officielle prônait un conditionnement quasi-génétique des hommes au communisme par la propagande et par l’éradication des classes réticentes, pour que, in fine, les gens naissent communistes.

Le racisme anti-noir des Etats-Unis constituerait-il un contre-exemple à cette thèse ? Nullement. Au 19ème siècle, le racisme a diminué dans les sociétés qui se sont dotées d’institutions libérales (comme en Grande-Bretagne). Cette tendance est universelle : partout où la liberté individuelle a été mieux reconnue, le racisme a diminué. Il a, ailleurs, progressé à mesure que les Etats exacerbaient la « conscience » ou « l’identité » collectives, et que se diffusaient les idées socialistes. Cette logique s’est exactement vérifiée aux Etats-Unis : le racisme s’y est développé progressivement dans le Sud, c’est-à-dire dans la partie la moins capitaliste du pays, celle qui restait la plus imprégnée des valeurs traditionalistes et anti-individualistes. Par la suite, ce racisme s’est diffusé dans tout le pays à mesure que se développaient l’Etat fédéral, « l’économie mixte » et l’Etat-Providence.

Ayn Rand, qui déplore évidemment cette dégénérescence du système américain, à l’origine le plus libre et le moins raciste du monde (le massacre des indiens ne fournissant aucune indication sur la valeur des institutions qui ont ensuite été érigées sur leur territoire), condamne également, comme de nouvelles formes de racisme particulièrement sournoises, les politiques de discrimination positive. Celles-ci n’impliquent-elles pas, en effet, que des avantages soient distribués et que des contraintes soient imposées à des individus en raison même de leur appartenance à un groupe racial ?

En vérité, les remèdes au racisme ne proviendront pas de nouvelles intrusions de l’Etat dans la vie privée des gens et de nouvelles limites à la liberté individuelle, comme voudraient nous le faire croire les actuels recyclés du collectivisme, mais plutôt du contraire : « il n’y a qu’un seul antidote au racisme : la philosophie individualiste et son corollaire politico-économique, le capitalisme de laissez-faire ».

 

Je trouve cette analyse d’Ayn Rand particulièrement utile pour la France d’aujourd’hui. De manière évidente, le racisme s’y développe. Ce phénomène alimente de nombreux débats mais ses causes restent profondément incomprises, ce qui explique que les remèdes que l’on cherche à lui appliquer soient à ce point inadaptés et inefficaces.

La France connaît, depuis de nombreuses décennies, une étatisation et une socialisation croissante de ses activités (éducation, protection sociale, production culturelle, infrastructures, etc.). Certes, des privatisations ont lieu de temps en temps et les prix administrés et l’ORTF ont disparu. Mais ces avancées ne sont que de l’écume dérisoire sur la marée collectiviste qui monte inexorablement dans notre pays. Sur très longue période, la collectivisation est un phénomène radical et indéniable. Si l’on reste sceptique face à ce constat, on peut se référer à des indicateurs quantitatifs objectifs : le volume de réglementations produite, la part de la richesse nationale faisant l’objet d’un prélèvement obligatoire, le nombre d’individus rémunérés directement ou indirectement par les pouvoirs publics et leurs démembrements, le poids de la dette publique, le nombre de domaines où les échanges entre individus sont limités, encadrés, contrôlés, etc. Tous ces indicateurs nous révèlent de manière éclatante que le système soviétique n’a pas le monopole de la collectivisation.

Parallèlement, on assiste à une progression du racisme (et des tensions entre tous types de groupes sociaux, d’ailleurs). Cette progression n’a rien d’illogique. Loin d’être due au développement de l’ultra-individualisme capitaliste et égoïste, elle s’explique avant tout par la généralisation de raisonnements qui assimilent les individus aux groupes dans lesquels ils sont nés. Ces raisonnement proviennent non pas du capitalisme, ni même de la démocratie : ils sont intrinsèquement liés à l’Etat-Providence et aux nouvelles formes de communautarisme subventionné par l’Etat. L’analyse d’Ayn Rand s’applique à la lettre à la situation française.

Il en ressort que toutes les politiques d’inspiration étatistes et interventionnistes (toujours fondées sur les meilleures intentions du monde) qui prétendent limiter le racisme par la coercition ne peuvent qu’accentuer ce mal qu’elles cherchent à combattre et, plus généralement, hâter la désagrégation du tissu social.

Tom de Lathème


Mai 2005

Source : Conscience politique

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