“C’était la guérilla ! On a scié les poteaux téléphoniques. C’était un peu ce que faisaient les fellaghas en Algérie aussi. En Algérie, toutes les nuits, les poteaux étaient coupés… Il fallait faire quelque chose. Ce n’était pas très populaire bien sûr, mais c’était un moyen de semer le désordre (..) Cela marquait, parce que cela créait une ambiance de désordre, de tension” Jean-Marie Saillour (militant paysan et ex-parachutiste en Algérie, 1961) A Morlaix, c’est moi qu’ai été désigné donc, pour dire “Faites tout ce que vous voulez. Coupez les poteaux téléphoniques”. J’avais voulu faire référence à l’Algérie (..) en disant “là-bas, ça réussit”, parce qu’on sentait que ça réussissait déjà (..) Pierre Abéguilé (syndicaliste paysan, 1961) Les voitures et les bâtiments brûlés dont sont pleines les rues françaises sont le résidu intérieur du culte du jihad dont ces musulmans français ont été “drogués” par Al-Jazeera et qui a été légitimé par une classe intellectuelle française qui a toujours “romantisé” la résistance sous toutes ses formes. Nidra Poller (nov. 2005)
Avec l’appui de la télévision, les événements ont été instrumentalisés par les ennemis politiques du ministre de l’Intérieur, qui ont ressassé les termes de “racaille” et de “karcher”, sans jamais les replacer dans leur contexte (le décès d’un enfant victime d’un règlement de comptes entre bandes à La Courneuve), ni préciser qu’ils ne désignaient qu’une infime minorité de délinquants et non toute une population respectable. Ainsi caricaturés, ces mots sont devenus un cri de ralliement pour des casseurs potentiels déjà fascinés par des images de violences. Le discours de l’excuse s’est alors trouvé survalorisé, les prises de position normatives ont été rejetées comme politiquement incorrectes et les policiers ont fait office de boucs émissaires. Lucienne Bui Trong (mars 2006)
Dans le système traditionnel africain, tous les adultes interviennent. En France, ces enfants vivent une rupture entre le discours parental et les règles externes. Or la parole adulte fonctionne lorsque tous la renforcent.Hughes Lagrange (oct. 2007)
Immigration massive et récente d’Afrique noire, forte concentration et surchômage de jeunes de moins de 20 ans …
Mauvaise répartition des effectifs policiers, manque de moyens et imposition d’injonctions contradictoires à la police de base …
Suite aux toutes récentes émeutes raciales de Viliers-le-Bel …
Et à l’heure où nos étudiants et nos lycéens tentent tant bien que mal de reprendre, à une poignée d’irréductibles aux méthodes de casseurs et de racaille, leur droit à une éducation publique en voie avancée de paupérisation …
Confirmation, dans un entretien du sociologue Hughes Lagrange sur le site Contre-information et au-delà des clichés habituels sur le prétendu héritage post-colonial ou le supposé sur-racisme des policiers, du cocktail explosif qui est le plus souvent à l’origine de ces flambées régulières de violence …
Sans oublier bien sûr, des “jacqueries” paysannes au vandalisme étudiant ou antimondialiste, une longue tradition de violence “politique” et de stigmatisation de la police.
Mais surtout la culture de l’excuse et de l’impunité comme de l’aveuglement volontaire qu’ils contribuent indirectement à créer avec la collaboration plus ou moins consciente de nos sociologues de service pour qui, ultime signe d’intégration, il ne s’agit jamais que d’un … “mode d’entrée en politique”!
Extraits:
les villes qui ont connu des émeutes ont une forte population de jeunes – mais ce sont surtout les zones urbaines sensibles dans lesquelles la part des moins de 20 ans est supérieure à 30%. Ce sont des villes où l’on a une forte proportion de familles supérieure à six membres. On a retrouvé cette proportion dans les personnes déférées en comparution immédiate au tribunal de Bobigny. La taille des fratries est très élevée. Ce qui est un indicateur, approximatif, de l’immigration subsaharienne. Le trait saillant des émeutes de 2005, c’était qu’elles touchaient des villes qui accueillait une immigration récente.
la spécificité de la France, ce ne sont pas ses indicateurs sociaux, bien que le chômage des jeunes distingue particulièrement la France. C’est surtout le fait que la police soit systématiquement prise à partie dans les conflits qui concernent la jeunesse dans les villes les plus pauvres. Des villes pauvres, vous en avez partout – en Allemagne, en Angleterre… Vous avez eu des émeutes, des violences collectives en Angleterre et en Allemagne, mais jamais elles ne prennent à ce point la forme ritualisée de l’affrontement avec la police.
Cela me paraît très compliqué d’y voir un héritage post-colonial. Qui parmi la police a connu ne serait-ce que des policiers qui auraient connu la période post-guerre d’Algérie ? Les policiers partent à la retraite très tôt.
la police reste dans certains quartiers le service social sur lequel les autres institutions publiques se reposent. Et donc les policiers sont face à des populations qu’ils ne connaissent pas, et qu’on leur demande de maîtriser par tous les moyens possibles et surtout sans bavure. Ils sont pris dans un ensemble d’injonctions contradictoires, qui font que cela devient impossible pour eux
A Paris, on a la densité policière la plus élevée d’Europe. Le gros paradoxe, c’est que là où elle serait la plus nécessaire, c’est là où les moyens sont les moins abondants.
“Les émeutes sont un mode d’entrée en politique”
Contre-information
Décembre 2007
En 2005, la déclaration de Nicolas Sarkozy sur les “racailles” a été un facteur d’unité entre des villes et des cités » souligne Fabien Jobard, sociologue, chercheur au CNRS, qui revient sur les événements de Villiers-le-Bel et les relations entre les jeunes et la police. «Le fait que la police soit systématiquement prise à partie dans les conflits qui concernent la jeunesse dans les villes les plus pauvres est une spécificité française», souligne-t-il. «En France, il est toujours extrêmement difficile de faire la preuve d’une violence policière.» Fabien Jobard est rattaché au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (www.cesdip.com). Il a écrit sur le site de Vacarme plusieurs articles sur les relations entre jeunes et policiers à Dammarie-lès-Lys.
Comment avez-vous analysé les émeutes de 2005?
Sur 2005, des analyses statistiques ont été conduites, notamment par Hugues Lagrange, qui permettent de dégager des corrélations entre les caractéristiques des villes qui ont été touchées par les émeutes et celles qui n’ont pas été touchées. Trois cents communes ayant été concernées par des violences collectives, l’étude statistique était possible. Parmi le cocktail des facteurs déterminants, bien évidemment les émeutes se déroulent dans les villes qui ont des zones urbaines sensibles, mais surtout dans les villes où l’écart de richesse entre les zones urbaines sensibles et le centre-ville est le plus fort, c’est-à-dire des villes qui ont un fort indice de ségrégation sociale. Ensuite, les villes qui ont connu des émeutes ont une forte population de jeunes – mais ce sont surtout les zones urbaines sensibles dans lesquelles la part des moins de 20 ans est supérieure à 30%. Ce sont des villes où l’on a une forte proportion de familles supérieure à six membres. On a retrouvé cette proportion dans les personnes déférées en comparution immédiate au tribunal de Bobigny. La taille des fratries est très élevée. Ce qui est un indicateur, approximatif, de l’immigration subsaharienne. Le trait saillant des émeutes de 2005, c’était qu’elles touchaient des villes qui accueillait une immigration récente. Les villes qui n’ont pas connu d’émeutes en 2005, ont généralement connu des émeutes dans les années 80 ou 90. Ce qui est une bonne nouvelle: les enfants de ceux qui ont pris part à des émeutes dans les années 80 ou 90 n’ont eux-mêmes pas pris part aux émeutes. Ce qui voudrait peut-être dire que les émeutes sont un mode d’entrée en politique, ou un mode d’expression politique qui correspond à des classes d’âge particulières, dans des quartiers particuliers, et qui vivent une histoire migratoire particulière. C’est un petit moment dans une vie. Et après, on ne recourt plus à ce mode d’expression.
Et en même temps, en 2005, le conflit s’est généralisé.
C’est la différence essentielle avec ce que l’on a connu, la semaine dernière. Il n’y a pas eu dissémination du conflit sur tout le territoire comme en 2005. Ce qui s’est produit à Villiers-le-Bel, c’est ce qui se produit de manière quasi systématique, lorsque des policiers sont impliqués dans un incident mortel, qu’ils en soient à l’origine ou pas.
Si l’on regarde la chronologie des événements en 2005, on se rend compte que passé deux ou trois jours, les événements allaient décroissants. C’est une combinaison entre le tir de la grenade lacrymogène dans la mosquée, et les déclarations du Premier ministre et du ministre de l’Intérieur – qui disaient, sans changer de position, que les jeunes avaient pris la fuite parce qu’ils s’étaient rendus coupables d’un cambriolage –, et les premières condamnations qui avaient été très dures. Ces facteurs ont incité à un déplacement des foyers d’émeutes, ce qui ne s’est pas produit en 2005. Cette fois, il y a eu une certaine prudence des déclarations politiques après la mort des deux enfants à Villiers-le-Bel, assortie d’un déploiement de force assez dissuasif sur les lieux.
Est-ce qu’en 2005, la jeunesse ne réagissait pas aussi parce qu’elle avait été un peu plus stigmatisée? Vous avez aussi étudié les propos du ministre de l’Intérieur…
J’avais juste fait remarquer que «racaille», c’était la traduction qu’on donnait au 19ème siècle au terme de « Lumpen » – terme qu’employait Marx pour décrire la fraction subalterne, anarchique, du prolétariat en juin 1848. Je trouvais l’analogie intéressante. Mais c’est vrai que la déclaration de Nicolas Sarkozy sur les racailles date du 25 octobre. Le 27 octobre, les deux jeunes décèdent dans le transformateur électrique. Du coup, il y a eu une perception de la part de tout un ensemble de jeunes, rassemblés sous le vocable de racailles, d’une unité symbolique. Cette seule parole du ministre de l’intérieur a agi comme un puissant facteur d’unité entre des villes et des cités qui ne se connaissent pas et ne vivent pas les mêmes problèmes.
Quand on regarde le fossé entre les jeunes des quartiers et la police, c’est souvent un sentiment d’injustice qui domine, et le fait que le policiers sont souvent disculpés…
Effectivement, la police est l’administration la plus sanctionnée, et notamment les Compagnies Républicaines de Sécurité. Mais en même temps, il est toujours extrêmement difficile de faire la preuve d’une violence policière. Les policiers sont souvent sanctionnés pour des fautes administratives – négligence dans le port d’armes…– mais dès que l’on aborde des problèmes de conflit avec la population clientèle de la police, il est très difficile de faire la preuve de quoi que ce soit, parce que bien souvent l’autorité administrative (IGPN ou IGS) ou l’autorité judiciaire dévalorisent les témoignages qui peuvent être apportés. A partir du moment où un témoin, ou une victime, est je cite «connu des services de police», la charge de la preuve devient absolument démesurée pour elle. Et cela ne passe pas seulement par le fait de s’immuniser contre une accusation de violence illégitime de la part du policier, en balançant un outrage ou une rebellion qui est la technique par laquelle on peut faire barrage à ce type d’accusation. La simple personnalité pénale de la victime ou du témoin y contribue. Dans un rapport commandé par Pierre Joxe, à la fin des années 80, le directeur de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) lui-même explique que les chances de succès d’une plainte sont bien moindres lorsque la personne a fait l’objet d’une procédure d’outrage. Il ajoute qu’il est toujours facile pour un fonctionnaire de police de «s’abriter derrière un rapport d’outrage». Sachant que «l’outrage et rebellion» est un contentieux qui a doublé depuis 1995 – bien évidemment on n’a pas une violence illégitime derrière chaque outrage – on a l’indicateur d’une croissance de la tension et d’une pérénité de cette impuissance de faire face par des voies judiciaires à la police. Néanmoins, les choses ont évolué. Il y a de plus en plus de plaintes pour violences illégitimes mais aussi de plus en plus de faits dits avérés, c’est-à-dire de faits que les services d’inspection (IGS, IGPN) considèrent comme tels. Le volume croît, même si l’on reste sur quelques centaines. L’équité face à la preuve en matière de violence ou d’abus policiers est loin d’être évidente.
A votre avis, ce sont des réactions de corps, ou quelque chose de plus profond qui renvoie, comme le soutiennent certaines associations, à l’histoire coloniale et à des habitudes du corps policier très anciennes ?
Quand on regarde le fait émeutier en France, il y a dix quinze émeutes locales qui se déroulent chaque année. Elles peuvent être spectaculaires comme à Villiers, ou bien ne jamais faire les titres de la presse nationale. Si l’on prend les émeutes d’un côté, et les grands indicateurs sociaux (indices de ségrégation, de pauvreté, indices d’exclusion, chômage des jeunes) on n’arrive pas bien à rendre compte du lien entre les deux. Ce que je veux dire c’est qu’au fond, la spécificité de la France, ce ne sont pas ses indicateurs sociaux, bien que le chômage des jeunes distingue particulièrement la France. C’est surtout le fait que la police soit systématiquement prise à partie dans les conflits qui concernent la jeunesse dans les villes les plus pauvres. Des villes pauvres, vous en avez partout – en Allemagne, en Angleterre… Vous avez eu des émeutes, des violences collectives en Angleterre et en Allemagne, mais jamais elles ne prennent à ce point la forme ritualisée de l’affrontement avec la police. Cela me paraît très compliqué d’y voir un héritage post-colonial. Qui parmi la police a connu ne serait-ce que des policiers qui auraient connu la période post-guerre d’Algérie ? Les policiers partent à la retraite très tôt.
Est-ce que ce n’est pas un corps social plus raciste que les autres?
On butte sur le problème des instruments de mesure. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des problèmes de socialisation au sein la police en France. C’est attesté par des études de cohorte. On interroge les policiers quand ils se présentent à l’école, après un an de formation et après quinze mois de service au sein de leurs unités. Tous les indicateurs se dégradent à mesure que les jeunes entrants fréquentent leurs collègues. Et notamment ceux liés au couple «délinquance/immigration». Ceux qui ont vraiment des attitudes autoritaires, racistes, forment une petite minorité au sein de la police. Mais il est certain qu’il y a une culture fermée, craintive vis-à-vis de l’extérieur. Il est surprenant de constater qu’un jeune qui vient de réussir le concours d’entrée a une perception plus restrictive de l’usage qu’il peut faire de son arme de service qu’après quinze mois de service. Quand on interroge des policiers comme j’ai pu le faire, l’idée qu’on n’est pas raciste dans la police mais qu’on le devient est très répandue, mais trouve son fond de vérité, sur le fait que finalement, la police reste dans certains quartiers le service social sur lequel les autres institutions publiques se reposent. Et donc les policiers sont face à des populations qu’ils ne connaissent pas, et qu’on leur demande de maîtriser par tous les moyens possibles et surtout sans bavure. Ils sont pris dans un ensemble d’injonctions contradictoires, qui font que cela devient impossible pour eux et qu’ils rejettent les populations auxquelles ils sont confrontés. D’où la diffusion d’opinions racistes.
Et les objectifs qui leur sont donnés ont aussi varié. On a été dans des stratégies de proximité, mais depuis 2005, les CRS sont plus vite déployés dans les quartiers…
Un des problèmes de l’institution, c’est que le policier ordinaire, celui qui est en bleu dans son car de Police secours, le policier non spécialisé, devient la cinquième roue du carrosse de l’institution. Dans les quartiers difficiles, des services policiers – les compagnies de CRS ou les Brigades anti-criminalité – s’en sortent très bien. Ils ont un sucroît d’effectif et tout se passe bien pour eux. Et puis à la fin, quand il n’y a ni CRS, ni Brigades anti-criminalité, les effectifs résiduels s’y déploient: les policiers de sécurité publique qui sont abandonnés par tout le reste de l’institution, qui sont et se sentent fragilisés et sont effectivement incapables de faire face aux situations, parce qu’on ne leur donne pas ces moyens. On a essayé de le faire avec la police de proximité, mais tout un ensemble de blocages au sein de l’institution et notamment du côté de la hiérarchie ont fait qu’on n’a pas eu les moyens nécessaires, sauf à Paris où il y a une vraie police de proximité. A Paris, on a la densité policière la plus élevée d’Europe. Le gros paradoxe, c’est que là où elle serait la plus nécessaire, c’est là où les moyens sont les moins abondants. Donc on va employer les CRS pour faire de la sécurisation. Les Brigades anti-criminalité pour faire du saute-dessus. Et puis au final, les effectifs de police secours sont complètement désemparés. On ne s’étonne pas de voir les opinions racistes se diffuser au sein des services.
On radicalise la posture policière…
Soit on décide qu’il n’y a plus de police mais que ces services spécialisés – les stups, les moeurs, le maintien de l’ordre, le rétablissement de l’ordre… –, et il n’y a plus de police ordinaire pour les situations quotidiennes. Mais il faut le dire clairement. Soit on décide de laisser à la police ses prérogatives de sécurité et d’ordre public au quotidien, et à ce moment-là on inverse les priorités. Au lieu de diriger les crédits et les effectifs vers les services spécialisés, on essaye de les redéployer vers la police de quotidien.
Propos recueillis par Karl Lask
Voir aussi:
Ce sont d’abord des enfants d’ouvriers, d’employés précaires et de chômeurs. Pour la première fois, la part prise par les jeunes issus de l’immigration africaine subsaharienne semble importante. Aujourd’hui, les dernières vagues migratoires sont celles qui posent le plus de problèmes de socialisation.
En Seine-Saint-Denis, les communes les plus touchées par les incendies sont celles où les taux de chômage des 15-24 ans diplômés sont très élevés (Clichy, Montfermeil, Aulnay, Villepinte, Le Tremblay).
C’est précisément avec l’élévation des niveaux scolaires - les progrès ont été notables dans les zones urbaines sensibles (ZUS) entre 1990 et 1999 - que les enjeux se sont déplacés vers les discriminations à l’embauche.
Les appels à une mobilisation civique des élus locaux ont révélé le défaut des médiations associatives et politiques.
Isolée, l’action des jeunes des cités est pourtant apparue légitime à une large fraction de la population de ces quartiers. Ceux ou celles qui auraient pu le faire légitimement n’ont pas lancé d’appel au calme. Les mamans n’ont rien dit, elles ont laissé faire. Dans les cités, ce sont souvent des « mères courage » qui tentent d’assumer des situations qui les dépassent : combien d’entre elles ont ressenti une fierté secrète, peu avouable devant ces incendiaires si proches ? Les pères de famille se sont aussi montrés plutôt solidaires des jeunes émeutiers, tout en restant à distance.
il faut éviter deux écueils : une politique exclusivement axée sur les personnes, qui conduirait au départ des quartiers de ceux qui s’en sortent le mieux et annulerait l’effet d’entraînement qu’ils pourraient susciter ; une politique visant exclusivement le traitement social des territoires, qui durcit leur séparation au lieu de rendre leurs frontières poreuses. Il faut diversifier l’offre scolaire dans les quartiers pauvres, prolonger la symbolique de l’accès aux meilleures écoles des meilleurs élèves des zones d’éducation prioritaires (ZEP), l’effet positif des contrats aidés qui favorisent l’accès à des emplois dans le secteur marchand.
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La relation entre les Français et les langues étrangères est ambiguë. Alors qu’ils se trouvent dans la moyenne en ce qui concerne la mobilité géographique vers un autre pays de l’Union européenne, les Français sont remarquablement peu motivés par la mobilité vers un pays étranger dont la langue n’est pas la leur. Autrement dit, ils disent oui à la mobilité européenne, mais non à l’apprentissage des langues étrangères. Ce constat est d’autant plus inquiétant que leur langue recule face à l’anglais et à l’allemand avec l’élargissement de l’Union européenne: parmi les populations des dix nouveaux États-membres, seuls 3% le maîtrisent, contre 12% dans l’ancienne Union européenne à quinze. Si l’apprentissage des langues ne fait pas l’objet d’un débat sérieux, les Français verront leur marché du travail rétrécir dans les années à venir. Anna Stellinger — On ne peut pas changer de profession en France; si vous y aviez réellement vécu vingt ans, vous le sauriez.
Je fronçai les sourcils.
— Et pourquoi pas? Si je fais ce qu’il faut pour obtenir les diplômes nécessaires?
— Parce que, dit-il en croisant les mains derrière sa nuque, personne ne vous embauchera.
Je voyais bien qu’il disait la vérité. Je reçus courageusement la bonne nouvelle.
— À cause de mon âge?
— Oui, bien sûr.
Bernard tapota mon CV.
—Et aussi parce qu’en France les gens ne croient pas à la reconversion, poursuivit-il. Un chef de projet ne peut pas plus devenir avocat qu’un mille-pattes se transformer en aigle. L’un exclut l’autre. (Extrait de Sorbonne confidential, Lauren Zuckerman, 2007) C’est la dissertation avec ses exigences incroyablement archaïques qui fait le plus pour écarter de l’enseignement de l’anglais dans les lycées français ceux qui ne disposent pas du capital culturel nécessaire – et en particulier les locuteurs natifs intelligents et expérimentés de l’anglais (…) En théorie, cette épreuve simple et objective permet d’éliminer les critères subjectifs et l’élément humain si souvent accusés d’exclure les étrangers. En réalité, les critères eux-mêmes sont totalement imprégnés de discrimination et sont bien plus efficaces pour éliminer les candidats non-Français de souche que le plus zélé des partisans de la “France aux Français”. Terence Beck (University of Puget Sound, Tacoma) Suite à la parution l’été dernier de la féroce satire d’une Française d’origine américaine diplômée de Harvard et HEC qui avait tenté en vain l’agrégation d’anglais (“Sorbonne confidential”, Lauren Zuckerman) …
Retour, via une des dernières enquêtes internationales de l’OCDE (2002), sur le “système ubuesque qui produit les plus mauvais élèves en anglais de toute l’Europe”.
Mais aussi les professeurs souvent les moins adaptés à leurs futures tâches quand, par un effet souvent inaperçu du protectionnisme culturel français et une perverse utilisation de l’apparemment parfaite objectivité d’un examen comme l’agrégation, il ne finit pas par en exclure les candidats souvent les plus capables, à savoir les locuteurs natifs.
Ainsi, la comparaison de l’enseignement de l’anglais dans sept pays européens (+ l’Allemagne) y confirme le retard (croissant!) des élèves français non seulement sur les pays nordiques (Suède, Norvège, Danemark, Finlande et Pays-Bas) mais aussi (légèrement) sur l’Espagne.
Et ce, même si le lycée ne peut ni se substituer à Berlitz ni se limiter à des finalités purement pragmatiques (quid de la formation intellectuelle?), du fait d’un enseignement largement livresque, d’où la grande faiblesse en compréhension orale et en production écrite, mais aussi, à un degré moindre, en compréhension écrite et en compétence linguistique.
Parmi les raisons aussi évoquées sont particulièrement pointés, du côté des élèves pourtant généralement bien disposés par rapport à la langue et mis à part les chansons, la très faible exposition à l’anglais en dehors de l’école (radio, films ou livres en VO) – à quand, comme il est courant dans les pays nordiques, les films anglo-saxons en VO à la télé ?
Comme également, du côté de l’enseignement, la faible diversification du matériel pédagogique centré principalement sur le manuel et les cassettes audio du cours, laissant peu de place aux supports ou types d’activités non directement pédagogiques (vidéos, journaux, magazines, livres, logiciels, labo, jeux, correspondance, voyages, échanges, etc.).
D’où aussi la faible prise en compte des intérêts mais aussi de l’auto-évaluation ainsi que des niveaux de compétence (instructions officielles obligent) des élèves.
Et surtout la survalorisation de la correction grammaticale par les enseignants, limitant très fortement la communication en anglais dans la classe.
Mais le plus intéressant est certainement la conclusion générale de l’enquête évoquant discrètement (diplomatie oblige) la question plus profonde du statut des langues étrangères, et tout particulièrement de l’anglais, dans la société française.
Notamment du fait d’une certaine et longue tradition d’arrogance culturelle et d’anti-américanisme de toute la société française dont on ne voit effectivement pas pourquoi l’enseignement (y compris de l’anglais !) serait exclu …
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Les chiffres parlent d’eux-mêmes: un bon Roland-Garros est suivi d’un bon pourcentage de réussite au baccalauréat. Scientists of America Xavier Darcos préconise aujourd’hui une remise à plat sans tabou du métier. Permettra-t-elle enfin de sortir de ce “toujours plus” de moyens qui a servi à acheter - mal et au prix fort - la paix syndicale, menant le système scolaire à un immobilisme qui n’a en fait abouti qu’à creuser la fracture scolaire et qu’à accentuer la ségrégation sociale? Jacques Marseille
A l’heure où les étudiants et les lycéens sont en train de saborder une énième tentative de réforme du moins performant des systèmes éducatifs européens (la plus forte dépense par élève pour les pires résultats) …
Et suite à notre dernier billet sur les aberrations de l’agrégation de langues et notamment d’anglais …
Retour, avec un dossier du Point de juin dernier dirigé par l’économiste Jacques Marseille, sur la “tragédie nationale” de notre système éducatif.
Extraits :
sur 93 % des élèves entrant en terminale obtiennent le bac en un, deux ou trois ans
un élève sur sept quitte le CM2 sans maîtriser les bases de la lecture et du calcul
Lors d’un test de lecture organisé en 2001 par le Boston College, les petits Français de CM2 se sont classés au dix-huitième rang, derrière la Bulgarie, la Lituanie et la République tchèque.
les trois quarts des élèves du secondaire ne maîtrisent pas les programmes enseignés et 17 % sont « en grande difficulté »
en 2005 étaient proposés aux candidats en série technologique des extraits du « Mariage de Figaro », des « Misérables » ainsi que la chanson « Lily », de Pierre Perret, assortie de cette précision : « Pour cette chanson, Pierre Perret a reçu le prix de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme. » Le sujet proposé à leur « invention » ? « Lily, un an après son installation à Paris, écrit à sa famille restée en Somalie. Elle dénonce l’intolérance et le racisme dont elle est victime. Vous rédigerez cette lettre en tenant compte des situations évoquées dans le texte de Pierre Perret et en développant l’argumentation de Lily. »
Marie-Christine Bellosta, maître de conférences à l’Ecole normale supérieure, s’insurge : « La meilleure note ira au candidat qui aura le mieux dénigré son pays » et s’interroge : « La discipline ” français ” existe-t-elle encore ? Ou n’est-elle que l’occasion de vérifier des connaissances d’autres disciplines (ici, l’instruction civique) ou des convictions politiques et sociales qu’on veut ériger en consensus ? »
Que François Fillon, lâché par Jacques Chirac, ait dû renoncer en 2005 à introduire une part de contrôle continu au bac, à l’exemple de ce qui se fait dans tous les autres pays, en dit long sur l’état du système. Les enseignants n’ont-ils pas alors expliqué que, dans les établissements difficiles, instaurer un contrôle continu serait une atteinte à leur sécurité ? A chaque contrôle, ils auraient risqué, selon eux, d’être agressés par des élèves ou leurs parents, mécontents de la note obtenue ! Autant, dans ces conditions, maintenir en l’état ce « monument » délabré qui coûte au total (rémunérations des jurys, frais de déplacement et d’organisation, mobilisation des salles de cours, fermeture des établissements en moyenne deux semaines pour cause d’examen) environ 200 millions d’euros, soit environ 5 000 euros par élève recalé, soit un peu moins que la dépense annuelle consacrée par la France à un étudiant à l’université (6 700 euros) !
Si la France se classe au-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE pour ses performances éducatives, elle se classe en revanche aux tout premiers rangs pour les dépenses qu’elle lui consacre. C’est dire qu’il n’y a guère de corrélation entre les « moyens » consacrés à l’éducation et les performances qui en découlent.
La rémunération au mérite n’existe pas et la progression des salaires est beaucoup plus lente en France que dans la plupart des pays développés.
Xavier Darcos préconise aujourd’hui une remise à plat sans tabou du métier. Permettra-t-elle enfin de sortir de ce « toujours plus » de moyens qui a servi à acheter - mal et au prix fort - la paix syndicale, menant le système scolaire à un immobilisme qui n’a en fait abouti qu’à creuser la fracture scolaire et qu’à accentuer la ségrégation sociale ?
Comment, en effet, se féliciter que 62 % des effectifs d’une génération obtiennent le baccalauréat et que la France compte désormais 2,2 millions d’étudiants quand, dans le même temps, sur 750 000 jeunes quittant chaque année le système éducatif, près de 160 000 partent sans aucun diplôme ? Quand 40 % d’entre eux, trois ans après leur sortie - on devrait dire leur exclusion -, sont encore au chômage et quand, selon le CERC, « la moitié des jeunes sortis de l’école à 17 ans sans diplôme vit dans le cinquième des ménages les plus pauvres »…
En principe, le classement d’un établissement en ZEP s’accompagne de moyens supplémentaires utilisés notamment pour augmenter le nombre d’heures d’enseignement et pour financer une indemnité au profit des agents qui travaillent dans ces établissements. En fait, cette prime est trop faible pour faire venir les meilleurs enseignants. Comme toujours dans notre modèle social, l’éparpillement des subventions vers un trop grand nombre d’établissements, sans évaluer réellement les besoins de chacun d’eux, a été préjudiciable. L’investissement global du ministère représente 110 millions d’euros (à comparer avec le coût du bac), soit 1 % du budget de l’Education nationale, et les classes en ZEP comptent en moyenne vingt-cinq élèves au lieu de vingt-sept hors ZEP… En revanche, cette politique a largement contribué à la ghettoïsation des établissements. Une étude récente sur l’ « apartheid scolaire » dans l’académie de Bordeaux démontre ainsi que 17 établissements scolarisent 40 % des élèves étrangers ou issus de l’immigration, qui sont en outre de milieux défavorisés et en retard, alors que 81 établissements en scolarisent moins de 1 % !
On compte quatre universités françaises parmi les 100 premières mondiales : maigre bilan. La France est en quinzième position parmi les pays de l’OCDE pour le nombre de publications scientifiques par million d’habitants : triste palmarès pour un pays qui a fait de la filière scientifique le bouclier de sa ségrégation sociale. De plus en plus, le système est à double vitesse : bonnes « zones d’éducation privilégiée » dans les bons lycées des grandes villes, classes préparatoires et grandes écoles aux locaux vastes et aux bibliothèques bien garnies pour la fine fleur de ceux qui ont compris que sans sélection pas de passeport social. Vraies ZEP et inscriptions sans sélection dans n’importe quelle filière universitaire pour la majorité des autres avec, en fin de compte, 41 % des étudiants qui auront quitté la fac sans diplôme, contre 6 % au Japon et 17 % au Royaume-Uni. Des universités où les droits d’inscription sont ridiculement faibles mais les conditions de travail indignes. De 30 000 à 50 000 euros totalement pris en charge par le contribuable pour un élève de l’Ecole normale supérieure. Quinze fois moins pour un étudiant à la Sorbonne, qui dispose en moyenne de 2,6 mètres carrés, alors que la réglementation impose qu’un poulet de Bresse jouisse de 10 mètres carrés pour bénéficier de l’appellation d’origine contrôlée, comme l’écrit avec dérision Jean-Robert Pitte (1), président de l’université Paris-IV Sorbonne.
les mesures à prendre sont empreintes de simple bon sens. Suppression de la carte scolaire, qui est devenue le symbole de l’hypocrisie, réduction du nombre d’enseignants pour mieux les rémunérer au mérite (pourquoi ne pas doubler le salaire de ceux qui se déclarent volontaires pour aller enseigner dans les zones sensibles ?), réduction forte des options au lycée, investissement massif dans les zones sensibles avec concentration des aides sur les enfants des milieux socialement défavorisés, augmentation massive des droits d’inscription à l’université et véritables bourses pour ceux qui en ont vraiment besoin, autonomie des établissements et émulation pour inciter chacun d’eux à améliorer ses performances, orientation véritable mieux connectée avec le monde du travail : autant de réformes susceptibles de marier liberté pour les parents et les établissements, efficacité et performance. De 30 000 à 40 000 enseignants devraient partir à la retraite tous les ans jusqu’en 2013. N’en remplacer qu’un sur deux serait sans doute le meilleur moyen d’accroître l’efficacité du système éducatif tout en améliorant sensiblement la condition de ceux qui doivent en redevenir les hussards.
en ce qui concerne les établissements qui perdraient leurs élèves, je me suis engagé à ce que leurs moyens restent constants, ce qui les aidera à remonter la pente. Xavier Darcos
plus que tout autre pays comparable, la France offre une très grande diversité de filières, d’options, de langues. Une diversité qui explique largement pourquoi le coût d’un lycéen est plus élevé que celui d’un étudiant. Il faudra sans doute modifier ce système, mieux répartir l’offre d’options sur le territoire. Reste qu’il faut examiner ce problème avec prudence. Je sais bien que, comme le montrent les évaluations internationales, il n’y a pas de corrélation entre le nombre d’heures de cours que reçoivent les élèves et leur réussite. Pas plus qu’avec le redoublement, d’ailleurs ! Mais chaque professeur défend sa discipline bec et ongles.
Nous avons fait des investissements lourds pour enseigner l’anglais dans le primaire. Or les évaluations montrent que les élèves qui ont bénéficié de cet enseignement ne sont pas plus avancés que ceux qui ne l’ont pas reçu. Pour l’instant, nous arrosons le désert !
ces professeurs qui n’enseignent pas et que la Cour des comptes estime à 32 000 ?
Soit à peu près l’équivalent d’une académie tout entière !
« Avoir l’agrégation d’anglais suppose d’être brillant, mais pas en anglais ! » résume-t-elle. Passe encore que plus de la moitié des points concerne des épreuves en français. Mais surtout l’anglais de l’agrégation n’est en vigueur que sous les somptueux et vétustes lambris de la Sorbonne : « On apprend une langue qui n’existe pas. » Pour Laurel, « il est évident que cette formation absurde explique le piètre résultat des élèves français en anglais. Mais lorsque j’ai interrogé des enseignants, des membres du jury ou des inspecteurs, pas un seul n’a évoqué ce problème. Les étudiants français que j’ai croisés à la Sorbonne savent que rien de ce qu’ils apprennent ne leur sera utile dans leur pratique, mais pas un ne se révolte : ils n’ont pas le temps, puisqu’ils préparent l’agrégation ! Je suis sûre qu’inconsciemment ceux qui ont été sélectionnés si durement reproduisent en classe ce qu’ils ont subi » Laurel Zuckerman
En France, 38 % des élèves de 15 ans ont redoublé au moins une fois, alors que la Finlande, dont les élèves affichent de très loin les meilleures performances, enregistre un taux de redoublement de 2,8 %. En Finlande plus qu’ailleurs, quand les élèves échouent, on estime plutôt que les enseignants n’ont pas été assez performants, non que les élèves étaient mauvais ! Là, surtout, on a compris que l’estime de soi était la pierre angulaire de la réussite, alors que l’étude Pisa montre une forte corrélation entre les mauvais résultats des élèves français en maths et leur trop forte anxiété. En effet, dès qu’un exercice suppose une réflexion et une expression écrite personnelles, les jeunes Français sont pénalisés et, lorsqu’ils évaluent eux-mêmes leurs performances, ils sont plus pessimistes que les élèves d’autres nationalités. Ils sont aussi les plus nombreux à préférer s’abstenir de répondre pour ne pas risquer de donner un résultat faux.
Mais le faible taux de redoublement s’explique aussi par la grande autonomie dont jouissent les établissements. Le nombre d’heures d’enseignement dispensées aux élèves de 7 à 14 ans est en Finlande de 5 523 heures, contre 7 544 en France, mais les professeurs sont libres d’enseigner ce qu’ils veulent et comme ils veulent, pour peu qu’ils respectent des objectifs fixés au niveau national. Cette plus grande souplesse permet d’adapter les cursus en fonction des difficultés des élèves. En France, c’est tout l’inverse : la liberté pédagogique des enseignants, inscrite pourtant dans la loi Fillon, se réduit en réalité comme peau de chagrin du fait de programmes scolaires de plus en plus précis et tatillons. Résultat : un moule unique où l’on s’acharne à faire entrer tous les élèves. Epouvantable gâchis budgétaire et humain.
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