On entend souvent des propos de ce type : « Les croisés traversèrent l’Europe pour se rendre au Moyen-Orient. Une fois là-bas, ils pillèrent et assassinèrent les Musulmans et les Juifs, hommes, femmes et enfants sans distinction, et forcèrent les survivants à se convertir au christianisme. Ainsi ensanglantés, ils installèrent des proto-colonies européennes au Levant, qui devaient inspirer et établir un modèle pour des multitudes de colons à venir. Les croisades furent le théâtre des premières exterminations de masse, et constituent une souillure de l’histoire de l’Église catholique, de l’Europe et de la civilisation occidentale. L’horreur fut telle que le pape Jean-Paul II finit par demander pardon au monde musulman pour les croisades. » Y a-t-il du vrai là-dedans ?
Non. Pratiquement toutes les affirmations de ce paragraphe sont fausses, bien qu’étant régulièrement avancées par de nombreux « experts ».
Mythe PC: les croisés établirent des colonies européennes au Moyen-Orient
Faisant route vers l’Orient en réponse à l’appel du pape Urbain, les principaux chefs croisés rencontrèrent l’empereur byzantin Alexis Comnène. Celui-ci persuada chacun d’entre eux d’accepter, conformément aux souhaits d’Urbain II, de rendre à l’Empire byzantin tout territoire qu’ils conquerraient. Les croisés changèrent d’avis au sujet de cet arrangement après le siège d’Antioche en 1098. Alors que le siège s’était prolongé au-delà de l’hiver et que des armées musulmanes venues de Mossoul progressaient vers la ville, les croisés attendaient que l’empereur et ses troupes viennent leur prêter main forte. Mais l’empereur avait reçu des informations indiquant que la situation des croisés à Antioche était désespérée, et fit rebrousser chemin à son armée. Ce qui fut ressenti comme une trahison par les croisés et les rendit furieux. Après avoir pris Antioche et triomphé contre toute attente, ils renièrent leurs engagements envers Alexis et commencèrent à établir leurs propres gouvernements.
Il ne s’agissait cependant pas de structures coloniales. Les états latins du Levant n’auraient certainement pas été considérés comme des « colonies » par quiconque connaissant bien la Virginie, ou l’Australie, ou les Indes orientales néerlandaises des siècles suivants. D’une façon générale, une colonie est un territoire gouverné par une puissance lointaine. Mais les états croisés n’étaient pas gouvernés depuis l’Europe de l’ouest ; les gouvernements qui s’y formèrent n’avaient de comptes à rendre à aucune puissance occidentale. Et les dirigeants croisés ne détournèrent pas les richesses de leurs contrées pour les envoyer en Europe. Ils n’avaient d’arrangement économique avec aucun pays européen. Les croisés établirent leurs états dans le but d’assurer la protection permanente des Chrétiens en Terre Sainte.
En fait, de nombreux croisés cessèrent de se considérer comme Européens. Le chroniqueur Foucher de Chartres écrit:
Considérez, je vous prie, et méditez sur la manière dont Dieu, à notre époque, a transféré l’Occident en Orient. Car nous, qui étions occidentaux, sommes maintenant devenus orientaux. Celui qui était Romain ou Franc est devenu, sur cette terre, Galiléen ou Palestinien. Celui qui était de Reims ou de Chartres est désormais citoyen de Tyr ou d’Antioche. Nous avons déjà oublié nos lieux d’origine ; nombre d’entre nous les ignorent déjà, ou en tout cas n’en parlent plus. Certains possèdent ici des demeures et des serviteurs qu’ils ont reçus par héritage. Certains ont épousé une femme venant non pas de leur peuple, mais de celui des Syriens, ou des Arméniens, ou même de Sarrasins ayant reçu la grâce du baptême. Certains ont dans ces peuples des beaux-pères, ou des beaux-fils, ou des fils adoptifs, ou des pères adoptifs.Il y a ici, aussi, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants. L’un cultive la vigne, l’autre les champs. Les expressions et les tournures les plus éloquentes de différentes langues se mêlent dans leur conversation. Des mots pris à chacune sont devenus le patrimoine commun à tous, et ceux qui ignorent leurs origines se trouvent unis dans une même foi. Comme il est dit dans les Écritures, « le lion et le bœuf mangeront de la paille ensemble ». Celui qui est né ailleurs est maintenant presque indigène ; et celui qui était de passage est maintenant un compatriote. [1]
De plus, une autre caractéristique du colonialisme, à savoir l’immigration à grande échelle de population venant du pays d’origine, ne s’est pas réalisée : aucun flux de colons n’est venu d’Europe pour s’installer dans les états croisés.
Mythe PC: la prise de Jérusalem, évènement singulier dans l’histoire médiévale, causa la défiance des Musulmans envers l’Occident
Après un siège de cinq semaines, les croisés entrèrent dans Jérusalem le 15 juillet 1099. Le compte-rendu contemporain d’un Chrétien anonyme a gravé la scène dans la mémoire du monde :
À ce moment, l’un de nos chevaliers, du nom de Liétaud, escalada le mur de la ville. Bientôt, dès qu’il fut monté, tous les défenseurs de la ville s’enfuirent des murs à travers la cité et les nôtres les suivirent et les pourchassèrent en les tuant et les sabrant jusqu’au temple de Salomon, où il y eut un tel carnage que les nôtres marchaient dans leur sang jusqu’aux chevilles. […]L’émir qui commandait la Tour de David se rendit au comte [de Toulouse, Raymond de Saint-Gilles] et lui ouvrit la porte à laquelle les pèlerins avaient coutume de payer tribut. Entrés dans la ville, nos pèlerins poursuivaient et massacraient les Sarrasins jusqu’au temple de Salomon, où ils s’étaient rassemblés et où ils livrèrent aux nôtres le plus furieux combat pendant toute la journée, au point que le temple tout entier ruisselait de leur sang. Enfin, après avoir enfoncé les païens, les nôtres saisirent dans le temple un grand nombre d’hommes et de femmes, et ils tuèrent ou laissèrent vivant qui bon leur semblait. Au-dessus du temple de Salomon s’était réfugié un groupe nombreux de païens des deux sexes, auxquels Tancrède et Gaston de Béarn avaient donné leurs bannières [pour les protéger]. Les croisés coururent bientôt par toute la ville, raflant l’or, l’argent, les chevaux, les mulets et pillant les maisons, qui regorgeaient de richesses. Puis, tout heureux et pleurant de joie, les nôtres allèrent adorer le Sépulcre de notre Sauveur Jésus et s’acquittèrent de leur dette envers lui.[2]
Lire un compte rendu enthousiaste d’un massacre si gratuit heurte nos sensibilités modernes ; telle est la différence existant entre les attitudes et les principes d’antan et d’aujourd’hui. De façon similaire, trois des principaux chefs de la croisade, Daimbert, archevêque de Pise, Godefroi, duc de Bouillon, et Raymond, comte de Toulouse, se vantent des exploits accomplis par les croisés à Jérusalem dans une lettre adressée au pape Pascal II en septembre 1099 : « Si vous désirez savoir quel sort fut réservé aux Infidèles qui s’y trouvaient, sachez que, dans le portique et le temple de Salomon, les cavaliers s’avançaient dans le sang des Sarrasins qui s’élevait jusqu’aux genoux de leurs chevaux. » [3] Fait significatif : Godefroi lui-même, l’un des chefs de croisade les plus respectés, ne prit pas part à cette boucherie ; peut-être était-il plus conscient que les simples soldats de ce que ce comportement trahissait les principes des croisés.
Baudri, évêque de Dol et auteur d’une Histoire de Jérusalem au début du XIIème siècle, rapporte que les croisés tuèrent entre vingt et trente mille personnes dans la ville. [4] C’est probablement une exagération, mais les sources musulmanes citent des chiffres encore plus élevés. Bien que les plus anciennes d’entre elles ne donnent pas de décompte, Ibn al-Jawzi, écrivant une centaine d’années après les faits, dit que les croisés « tuèrent plus de septante mille Musulmans » dans la mosquée d’al-Aqsa. Ibn al-Athîr, un contemporain de Saladin, le chef musulman qui remporta d’impressionnantes victoires contre les croisés à la fin du XIIème siècle, donne les mêmes chiffres. [5] Mais l’historien du XVème siècle Ibn Taghribirdi consigne cent mille victimes. L’ampleur de ce massacre a crû au cours des siècles, au point que l’ancien président des États-Unis Bill Clinton raconta en novembre 2001 à Georgetown, dans une université catholique de premier plan, que les croisés ne se contentèrent pas de tuer tout soldat ou tout homme musulman, mais aussi « toutes les femmes et tous les enfants de religion musulmane trouvés sur le mont du Temple » jusqu’à ce que le sang ruisselle non pas jusqu’à leurs chevilles, comme rapporté par l’anonyme chroniqueur chrétien, mais « jusqu’aux genoux », reprenant les mots de Daimbert, Godefroi et Raymond. [6]
Cette atrocité, cet outrage, fut – on nous l’a dit et répété – le « point de départ d’une hostilité millénaire entre l’Islam et l’Occident ». [7] Il serait peut-être plus exact de dire que ce fut le point de départ d’un millénaire de diffusion de revendications anti-occidentales et de propagande. Le sac de Jérusalem par les croisés fut un crime odieux – particulièrement si on l’examine à la lumière des principes moraux et religieux qu’ils proclamaient soutenir. Cependant, selon les usages militaires de l’époque, il ne fut pas extraordinaire. En ces temps-là, c’était un principe de guerre couramment accepté que si une ville assiégée résistait à la capture, elle pouvait être mise à sac, et que si elle se rendait, on pouvait user de pitié. Quelques récits relatent que les croisés promirent aux habitants de Jérusalem qu’ils seraient épargnés, puis qu’ils revinrent sur leur promesse. D’autres nous disent qu’ils permirent à nombre de Juifs et de Musulmans de quitter la ville en sécurité. Le comte Raymond de Toulouse donna personnellement son sauf-conduit au gouverneur fatimide de Jérusalem, Iftikhar ad-Dawla. [8] Dans l’esprit d’un croisé, quand de telles garanties ont été données [à ceux qui se sont rendus], ceux qui restent dans la ville sont d’autant plus susceptibles d’être identifiés avec la résistance – et de le payer de leur vie. [9]
Et qu’en est-il de ces flots de sang arrivant aux chevilles ou au genoux ? Ce sont des effets de rhétorique. Et c’est ce que tout le monde aura compris à l’époque où les chroniqueurs chrétiens et les chefs de la croisade louaient l’exploit. En fait, de tels flots ne sont même pas physiquement possibles. La population de Jérusalem tout entière n’aurait pu saigner autant, même en admettant qu’elle ait été remplie de réfugiés des régions environnantes. Le fait que le pillage de Jérusalem ne sorte pas vraiment de l’ordinaire explique probablement le laconisme des premiers récits musulmans concernant cet épisode. Vers 1160, deux chroniqueurs syriens, al-‘Azimi et Ibn al-Qalanissi, décrivirent l’évènement chacun de leur côté. Aucun n’offre d’estimation du nombre de victimes. Al-‘Azimi dit seulement que les croisés « se tournèrent vers Jérusalem et l’enlevèrent des mains des Égyptiens. Godefroi la prit. Ils brûlèrent l’église des Juifs. » Ibn al-Qalanissi ajoute quelques détails : « Les Francs donnèrent l’assaut à la ville et en prirent possession. Un certain nombre des citadins se réfugièrent dans le sanctuaire et bien des gens furent tués. Les Juifs se rassemblèrent dans leur synagogue, et les Francs les y brûlèrent vifs. Le sanctuaire, assuré de se voir en sécurité, se rendit à eux le 22 chaaban [14 juillet], et ils détruisirent les lieux saints et le tombeau d’Abraham ». [10] Ce n’est que plus tard que les écrivains musulmans réalisèrent la valeur de propagande que pouvait revêtir le fait de souligner (et de gonfler) le nombre des morts.
Quoi qu’il en soit, il est bien attesté que les armées musulmanes se sont souvent comportées exactement de la même façon en pénétrant dans une ville conquise. Ce n’est pas pour excuser la conduite des croisés en montrant des incidents similaires et en suggérant que « tout le monde le faisait », comme les apologistes islamiques le font fréquemment lorsqu’ils sont confrontés aux réalités du terrorisme jihadiste moderne. Une atrocité n’en excuse aucune autre. Mais cela montre que le comportement des croisés à Jérusalem fut comparable à celui d’autres armées de la même époque – puisque tous souscrivaient aux mêmes règles de siège et de résistance.
Ainsi, en 1148, le commandant musulman Nur ed-Din n’hésita pas à donner l’ordre de tuer tout Chrétien à Alep. En 1268, lorsque les forces jihadistes du sultan mamelouk Baybars prirent Antioche aux croisés, Baybars fut ennuyé de découvrir que le dirigeant latin, le comte Bohémond IV, avait déjà quitté la cité. Il lui écrivit pour s’assurer qu’il ait connaissance de ce que ses troupes avaient commis à Antioche :
Que n’as-tu vu tes chevaliers prosternés sous les sabots des chevaux, tes demeures subir l’assaut des pillards et saccagées par eux, tes richesses pesées au quintal, tes dames vendues par quatre et achetées pour un dinar de ton propre argent ! Tu aurais vu les croix de vos églises brisées, les pages des faux Testaments éparpillées, les tombeaux des patriarches retournés. Tu aurais vu ton ennemi musulman piétiner l’endroit où vous célébrez la messe, couper la gorge des moines, des prêtres et des diacres sur les autels, amener une mort brutale aux patriarches et l’esclavage aux princes royaux. Tu aurais vu le feu parcourir tes palais, tes morts brûler en ce monde avant de tomber dans les feux du suivant, ton palais rendu méconnaissable, l’église Saint-Paul et la cathédrale Saint-Pierre démolies et détruites ; alors tu aurais dit, « Que ne suis-je poussière, et qu’aucune lettre ne m’ait jamais amené de telles nouvelles! » [11]
La plus célèbre de toutes est peut-être la prise de Constantinople par les jihadistes le 29 mai 1453, lorsque – tout comme les croisés en 1099 à Jérusalem – les attaquants vinrent à bout de la résistance au terme d’un siège prolongé. Ici coulent à nouveau des rivières de sang, comme le note l’historien Steven Runciman. Les soldats musulmans « tuèrent toute personne qu’ils trouvèrent dans les rues, hommes, femmes, enfants, sans discrimination. Le sang ruisselait depuis les rues escarpées des hauteurs de Petra jusqu’à la Corne d’Or. Mais bientôt le désir de massacre fut assouvi. Les soldats réalisèrent que des captifs et des objets précieux leur apporteraient un plus grand bénéfice ». [12]
Comme les croisés, qui violèrent les sanctuaires à la fois de la synagogue et de la mosquée, les Musulmans saccagèrent couvents et monastères, les vidant de leurs habitants, et pillèrent les résidences des particuliers. Ils pénétrèrent dans Sainte-Sophie, qui pendant près de mille ans avait été la plus majestueuse des églises de la Chrétienté. Les fidèles s’étaient rassemblés dans ses murs bénis pour prier durant les ultimes souffrances de la ville. Les Musulmans interrompirent la célébration de l’orthros (matînes), et les prêtres, selon la légende, emportèrent la vaisselle sacrée et disparurent dans la muraille orientale de la cathédrale, par laquelle ils reviendront un jour achever le service divin. Les plus âgés et les plus faibles furent mis à mort, les autres réduits en esclavage.
Lorsque le massacre et le pillage furent terminés, le sultan ottoman Mehmet II ordonna à un clerc islamique de monter en chaire à Sainte-Sophie et d’y proclamer le credo musulman (« il n’y a de dieu qu’Allah, et Mahomet est son prophète »). La magnifique vieille église devint mosquée ; des centaines d’autres, à Constantinople et ailleurs, subirent le même sort. Des millions de Chrétiens rejoignirent les misérables rangs des dhimmis ; d’autres furent asservis, et un grand nombre martyrisés.
Mythe PC: Le chef musulman Saladin était plus clément et magnanime que les croisés
L’une des plus célèbres figures des croisades est le guerrier musulman Saladin, qui rassembla une grande partie du monde islamique derrière lui et infligea de lourds revers aux croisés. À notre époque, Saladin est devenu le prototype du guerrier musulman tolérant et magnanime, la « preuve » historique de la noblesse de l’Islam et même de sa supériorité sur le mauvais Christianisme, occidental et colonialiste. Dans « Les Croisades vues par les Arabes », Amin Maalouf présente les croisés comme à peine plus que des sauvages, qui se gorgent même de la chair de leurs victimes. Mais Saladin ! « Il était toujours affable avec ses visiteurs, insistant pour les retenir à manger, les traitant avec tous les honneurs, même s’ils étaient des infidèles, et satisfaisant à toutes leurs demandes. Il ne pouvait accepter que quelqu’un vienne à lui et reparte déçu, et certains n’hésitaient pas à en profiter. Un jour, au cours d’une trêve avec les Franj [les Francs], le ‹ brins ›, seigneur d’Antioche, arriva à l’improviste devant la tente de Salaheddin et lui demanda de lui rendre une région que le sultan lui avait prise quatre ans plus tôt. Il la lui donna ! » [13] L’adorable nigaud ! Si on la lui avait demandée gentiment, il aurait peut-être donné la Terre Sainte toute entière !
En un sens, c’est vrai : Saladin se mit en campagne contre Jérusalem en 1187 parce que des croisés commandés par Renaud de Châtillon, ayant peut-être médité sur l’exemple du prophète Mahomet, s’étaient eux aussi mis à piller des caravanes, mais des caravanes musulmanes dans le cas présent. Les dirigeants chrétiens de Jérusalem ordonnèrent à Renaud de cesser, parce qu’ils savaient que ses agissements mettaient en danger la survie même du royaume. Mais il continua ; à la fin, Saladin, qui cherchait un prétexte pour entrer en guerre avec les Chrétiens, trouva motif à agir dans les incursions de Renaud. [14]
On fait grand cas de ce que Saladin traita les Chrétiens de Jérusalem avec magnanimité lorsqu’il reprit la ville en Octobre 1187 – en net contraste avec le comportement des croisés en 1099. Cependant, le vrai Saladin ne fut pas le proto-multiculturaliste, sorte de Nelson Mandela avant la lettre, qu’on fait de lui aujourd’hui. Lorsque ses troupes défirent les croisés de manière décisive à Hattin le 4 juillet 1187, il décréta l’exécution en masse de ses adversaires chrétiens. Selon son secrétaire, Imad ed-Din, Saladin « ordonna qu’ils soient décapités [conformément au verset coranique 47:4, «Lorsque vous rencontrez les incrédules, frappez-les à la nuque (…) »], choisissant de les voir morts plutôt qu’emprisonnés. Un cortège d’érudits islamiques et de soufis et un certain nombre d’hommes dévots et ascétiques l’accompagnaient ; chacun d’entre eux sollicitait d’être autorisé à participer à l’exécution, et tirait son sabre, et remontait ses manches. Saladin, le visage gai, siégeait sur son estrade ; les infidèles affichaient un noir désespoir ». [15]
En outre, quand Saladin et ses hommes entrèrent dans Jérusalem peu de temps après, leur magnanimité n’était guère que du pragmatisme. Il avait initialement prévu de mettre à mort tous les Chrétiens de la cité. Toutefois, il céda devant les avertissements du commandant chrétien de Jérusalem, Balian d’Ibelin, qui menaçait de détruire la ville et d’y tuer tous les Musulmans avant que Saladin n’y pénètre. Une fois dans la place, il réduisit néanmoins en esclavage nombre de Chrétiens qui n’avaient pas les moyens d’acheter leur sortie. [16]
Mythe PC : les Croisades furent lancées non seulement contre les Musulmans, mais aussi contre les Juifs
Il est malheureusement vrai que les croisés prirent les Juifs pour cible en plusieurs occasions. Certains groupes de croisés se sont crus autorisés à se détourner de la mission qui leur avait été assignée par le pape Urbain. Lors de la première croisade, excités par des prédicateurs antisémites, un contingent d’hommes qui faisaient route vers l’Orient se mirent à terroriser et à massacrer les Juifs d’Europe. Le comte Emich de Leiningen et ses troupes parcoururent la Rhénanie, tuant et pillant les communautés juives de cinq villes : Spire, Worms, Mayence, Trèves et Cologne. Certains évêques locaux tentèrent d’éviter ces massacres, et le comte Emich et sa suite trouvèrent finalement la mort en tentant d’étendre leur pogrom en Hongrie. Toutefois, le mal était fait ; les échos de ces « exploits » parvinrent au Moyen-Orient et décidèrent nombre de Juifs à s’allier avec les Musulmans et à combattre les croisés. Cinquante ans après, d’autres hommes, liés à la seconde croisade, reprirent le massacre de Juifs en Rhénanie.
Tout ceci est inexcusable, et constitue de plus une énorme erreur de jugement.
Il aurait été beaucoup plus sage de la part des croisés de voir dans les Juifs, confrères dhimmis, des alliés naturels dans la résistance au jihad islamique. Les Musulmans traitaient Juifs et Chrétiens à peu près de la même manière : mal. Il est dommage qu’aucun des deux groupes ne vit jamais en l’autre un compagnon d’infortune de la dhimmitude et un associé potentiel dans la lutte contre l’oppression. Cependant, même de nos jours, huit cents ans après la dernière croisade, ce genre de raisonnement reste rare, et il est donc peut-être injuste de l’attendre de la part des croisés.
De toute façon, peut-on dire que le mauvais traitement des Juifs a constitué un trait caractéristique des croisades en général ? Pas selon les sources historiques. L’appel à la première croisade d’Urbain II lors du concile de Clermont ne dit pas un mot des Juifs, et le clergé fut le principal adversaire d’Emich de Leiningen. En fait, le pape Urbain lui-même condamna les attaques du comte. Bernard de Clairvaux, l’un des principaux planificateurs de la deuxième croisade, se rendit en Rhénanie et mit fin lui-même aux persécutions dont étaient victimes les Juifs, déclarant : « Les Juifs ne doivent point être persécutés, ni mis à mort, ni même bannis. Interrogez ceux qui connaissent la divine Écriture. Que lit-on de prophétisé dans le Psaume, au sujet des Juifs ? Dieu, dit l’Église, m’a donné une leçon au sujet de mes ennemis : ‹ ne les tuez pas, de crainte que mes peuples ne m’oublient.› » [17] Les papes et les évêques appelèrent à maintes reprises à ce que l’on cesse de maltraiter les Juifs.
Même après le carnage et le massacre des Juifs lors de la prise de Jérusalem, durant la période d’existence des états latins d’Outre-mer, les Juifs préférèrent en général vivre dans les zones contrôlées par les Francs, et ce en dépit de l’indéniable hostilité que les Chrétiens d’Europe manifestaient à leur égard. [18] Ils savaient que le sort qui les attendait dans les territoires musulmans était pire encore.
Mythe PC : Les croisades furent plus sanglantes que les campagnes de jihads islamiques.
Les croisés commirent un massacre à Jérusalem; Saladin et ses troupes non. C’est devenu emblématique de ce que la culture populaire sait des croisades: oui, les Musulmans conquéraient, mais les habitants des pays vaincus leur faisaient bon accueil. Ils étaient justes et magnanimes envers les minorités religieuses de leurs territoires. Par contre, les croisés étaient sanguinaires, rapaces, et impitoyables.
Nous avons montré que ce que la culture populaire dit sur ce sujet était complètement erroné. Saladin ne s’abstint de massacrer les habitants de Jérusalem que par pragmatisme, et les conquérants musulmans ont aisément égalé et surpassé la cruauté des croisés à Jérusalem en plusieurs occasions. Les conquérants musulmans n’étaient pas les bienvenus, mais se voyaient opposer une résistance tenace, et y répondaient avec une extrême brutalité. Une fois au pouvoir, ils instauraient de dures mesures répressives contre les minorités religieuses.
Le pape a-t-il demandé pardon pour les croisades?
« Très bien », pourriez-vous dire, « mais en dépit de tout que vous racontez, les croisades restent une tache sur la réputation de la civilisation occidentale. Après tout, même le pape Jean Paul II a présenté des excuses à leur sujet. Pourquoi aurait-il fait cela si elles n’étaient pas considérées aujourd’hui comme des actions réprimandables ? »
L’idée que le pape Jean Paul II ait demandé pardon pour les croisades est en effet très répandue. À sa mort, le Washington Post rappela à ses lecteurs que « durant son long pontificat, Jean Paul II présenta ses excuses aux Musulmans pour les croisades, aux Juifs pour l’antisémitisme, aux Orthodoxes pour le sac de Constantinople, aux Italiens pour les liens du Vatican avec la Mafia et à la communauté scientifique pour la persécution de Galilée. » [19]
Vaste liste, mais Jean Paul II ne demanda jamais pardon pour les croisades. La chose qui s’en rapproche le plus que l’on puisse trouver est cet extrait de son homélie du 12 mars 2000, « journée du Pardon » : « nous ne pouvons manquer de reconnaître les infidélités à l’Évangile qu’ont commises certains de nos frères, en particulier au cours du second millénaire. Demandons pardon pour les divisions qui sont intervenues parmi les chrétiens, pour la violence à laquelle certains d’entre d’eux ont eu recours dans le service à la vérité, et pour les attitudes de méfiance et d’hostilité adoptées parfois à l’égard des fidèles des autres religions. » [20] On ne peut pas dire que cela constitue des excuses explicites pour les croisades. Quoiqu’il en soit, au vu de la véritable histoire des croisades, de telles excuses ne se justifient pas.
Les croisés ne méritent pas la condamnation du monde, mais plutôt – comme nous allons le voir – sa gratitude.
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[1] Foucher de Chartres, « Historia Hierosolymitana », Livre III chapitre 37, dans « Recueil des historiens des croisades, historiens occidentaux », p. 468.
[2] « Histoire anonyme de la première croisade », éditée et traduite par Louis Bréhier, Paris, Éditions “Les Belles Lettres”, 1964 (1924), pp. 195-207.
[3] « Inventaire des lettres historiques des croisades », Archives de l’Orient Latin, New York, AMS Press, 1978 (1881), pp. 201-204. Traduction prise dans J.F.A. Peyré, « Histoire de la Première Croisade », Paris, Aug. Durand, 1859, vol. 2, pp. 494-498.
[4] Moshe Gil, « A History of Palestine 634-1099 », Cambridge University Press, 1992, p. 827.
[5] Francesco Gabrieli, « Chroniques arabes des Croisades», Actes Sud, 197x, p.xx. Aussi chez Amin Maalouf, «Les Croisades vues par les Arabes», 1983, chap. 3 (p. 69 dans l’édition de poche chez J’ai Lu)
[6] Discours tenu par B. Clinton à l’Université de Harvard le 19 novembre 2001
[7] Amin Maalouf, «Les Croisades vues par les Arabes», 1983, prologue à l’ouvrage (p. 10 dans l’édition de poche chez J’ai Lu)
[8] Jacques Heers, « La première croisade – Libérer Jérusalem 1095-1107 », éditions Perrin, collection Tempus, 1995, p. 225.
[9] Les croisés reniant leur promesse, voir Moshe Gil, « A History of Palestine 634-1099 », Cambridge University Press, 1992, p. 827. Les croisés laissant s’enfuir certains, voir Thomas F. Madden, « The New Concise History of the Crusades », Rowman & Littlefield, 2005, p. 34.
[10] Cité par C. Hillenbrand, « The Crusades: Islamic Perspectives », Oxford: Routledge, 2000, p. 64-65. Aussi en version écourtée chez Amin Maalouf, «Les Croisades vues par les Arabes», 1983, chap. 3 (p. 69 dans l’édition de poche chez J’ai Lu)
[11] Francesco Gabrieli, « Chroniques arabes des Croisades », Actes Sud, 197x, p. 3xx. Aussi en version écourtée chez Amin Maalouf, «Les Croisades vues par les Arabes», 1983, chap. 14 (p. 285 dans l’édition de poche chez J’ai Lu)
[12] Steven Runciman, « The Fall of Constantinople 1453 », Cambridge University Press, 1965, p. 145. Voir aussi Jacques Heers, « Chute et mort de Constantinople 1204-1453 », éditions Perrin, 2005, p. 254.
[13] Amin Maalouf, «Les Croisades vues par les Arabes», 1983, chap. 10 (p. 208 dans l’édition de poche chez J’ai Lu)
[14] Thomas F. Madden, « The New Concise History of the Crusades », Rowman & Littlefield, 2005, p. 74.
[15] Thomas F. Madden, « The New Concise History of the Crusades », Rowman & Littlefield, 2005, p. 76.
[16] Thomas F. Madden, « The New Concise History of the Crusades », Rowman & Littlefield, 2005, p. 78.
[17] St Bernard de Clairvaux, « lettre 363 adressée au clergé d’Occident»,
[18] Jonathan Riley-Smith, « The Oxford Illustrated History of the Crusades », Oxford University Press, 1997, 116.
[19] Alan Cooperman, « For Victims, Strong Words Were Not Enough», Washington Post, 3 avril 2005.
[20] Pape Jean Paul II, « Messe pour la journée du Pardon de l’année sainte 2000 », 12 mars 2000
Benoît XVI : la folie serait de s'excuser
Tiens le Figaro se réveille...pour combien de temps ?
«Il est impératif de rappeler que le concept de guerre sainte est absent des écritures chrétiennes» lit-on....
"Alors qu'en 1096 s'ébranle la première croisade au cri de «Dieu le veut !» emmenée par le Brabançon Godefroid de Bouillon, ceux que l'on n'appelait pas encore les croisés répondent à un appel lancé par le pape Urbain II : il faut délivrer les lieux saints de la chrétienté tombés sous le joug musulman."
Trois générations d'historiens marxistes ne doivent pas faire oublier ce qui fut la motivation profonde (et revendiquée) des croisés chrétiens : la foi. Les musulmans avaient pris Jérusalem dès le VIIe siècle, au début de leur expansion foudroyante dans le bassin méditerranéen ; l'occupation s'était durcie sous les Fatimides (destruction du Saint-Sépulcre) et aggravée encore avec l'arrivée des Turcs (interdiction des pèlerinages chrétiens).
D'abord couronnées de succès, les croisades s'achevèrent avec le départ des chrétiens, après deux cents années de guerres, de massacres ignobles et de mémorables faits d'armes. Dans un contexte où la croisade est l'anathème que l'on jette à la figure de tout chrétien qui interroge le caractère pacifique de l'islam, il est important de rappeler que le concept de guerre sainte est absent des écritures chrétiennes et qu'il ne fut développé, mille ans après la mort du Christ, qu'en réponse au formidable djihad musulman. Mille années encore ont passé et voici qu'un autre pape, Benoît XVI, souligne le caractère crucial dans la pensée islamique du concept de djihad (guerre sainte), et déplore la violence dont il est porteur.
Eh quoi ? Quelqu'un pourra-t-il donner tort au Saint Père ? Le djihad n'est-il pas un aspect cardinal de l'islam, institué en pilier de la foi par les chiites ?
«Attention, répond-on généralement à ceux qui interrogent la notion, il convient de distinguer le petit djihad du grand djihad» : le djihad guerrier du djihad mené par l'homme en son for intérieur contre ses propres passions. Le djihad est un concept ambivalent, certes, mais aucun docteur de la foi islamique jamais, dans aucune des écoles du Fiqh (droit islamique), n'a contesté l'impératif de la guerre sainte ; et si les références au djihad contre les passions existent dans les textes de l'islam, elles sont littéralement noyées dans les références à la nécessité du djihad comme guerre sainte. Ce n'est un hasard que pour les idéologues et ceux qui ne veulent pas voir que les musulmans, tout au long de l'histoire, aient constamment porté la guerre dans les territoires infidèles au nom de leur foi.
Quand même Benoît XVI se serait-il fourvoyé sur le fond, mais qui s'embarrasse encore de ces scrupules ? Quod non, ce qui est en cause est l'une des valeurs qui fondent la civilisation occidentale, depuis les brumes de l'Antiquité grecque (isegoria) jusqu'à nos constitutions modernes : la liberté d'expression, le droit de critiquer, la liberté d'analyser des textes et d'exprimer une opinion à leur sujet. S'excuser d'une dissertation érudite abaisserait non seulement l'Église catholique romaine, mais ne ferait que reculer une confrontation désormais inévitable et qui ne pourrait qu'empirer.
Il est temps de quitter la vision onirique de ces intellectuels, parfois bien intentionnés, qui marient l'islam, en l'état, avec la modernité et de rappeler, fermement, que certaines valeurs sont indérogeables. En abdiquant la liberté dont elle a donné le concept au monde, l'Europe ne ferait qu'ajouter le déshonneur à une défaite dont plus rien, alors, ne pourrait la garder.
Par le directeur de l'institut Hayek
Autre extrait, celui de l'article d'Alain-Gérard Slama :
Le discours du Pape est une synthèse puissante du débat sur les rapports entre foi et raison qui opposait alors les modernistes catholiques aux conservateurs, tenants de l'autorité de la tradition. Une polémique byzantine de 1391, confrontant l'empereur érudit Manuel II Paléologue à un Persan lettré sur le christianisme et l'islam a servi de tremplin à Benoît XVI pour compléter dans un sens moderniste la thèse de Jean-Paul II, selon laquelle la raison des Lumières sans la foi conduit au nihilisme et est, par nature, totalitaire. Sans citer son prédécesseur, le Pape s'est efforcé de montrer que, réciproquement, la foi sans la raison, autrement dit sans le Verbe de la Bible, sans le Logos grec des Évangiles, conduit à la violence.
Ce raisonnement vise tous les traditionalismes, tous les fanatismes de l'autorité qui, en particulier au sein du monde chrétien, ont favorisé les croisades et l'Inquisition. Mais comme le contradicteur de Manuel II est musulman, comme celui-ci défend la thèse du principe d'autorité pur et absolu d'un Dieu exigeant une soumission totale à son arbitraire et ce choix, de la part de Benoît XVI, ne saurait être innocent ! – il n'en a pas fallu davantage pour que l'islam tout entier se trouve agressé par la mise en évidence d'une objection que ses théologiens n'ont jamais ignorée et que, à la différence des chrétiens, leur incapacité de s'unifier en une Église leur interdit de surmonter.
Page 141 du P.I.G.
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Bill Clinton suggéra dans un de ses discours que l’on peut voir le sac de Jérusalem en 1099 comme étant la cause ultime des attaques du 11 septembre. Pourtant, le sac de Constantinople par les musulmans en 1453 n’enflamme aucune mémoire. Aucun président ne l’a désigné comme étant la cause de quelque acte terroriste moderne que ce soit. Et en définitive, il est plus méconnu de nos jours qu’une autre mise à sac de Constantinople : celle commise par de bien mal guidés Croisés en 1204. (1)
C’est un exemple de l’étrange et machinal “deux poids, deux mesures”‘ qu’emploient les tenants du politiquement correct lorsqu’ils analysent le comportement d’Occidentaux et de non-Occidentaux : tout massacre, toute atrocité peut être pardonnée à des peuplades non-occidentales, non-blanches, non-chrétiennes, mais les méfaits commis par des Occidentaux chrétiens (ou même post-chrétiens) demeurent piqués tels des échardes dans la mémoire collective mondiale. En 2004 et 2005, les scandales de la prison d’Abou Ghraib ont fait l’objet d’une attention horrifiée de par le monde, souvent de la part de ceux-là même qui minimisent ou ignorent les maux bien pires provenant des agissements de Saddam Hussein, d’Oussama ben Laden, ou du Hamas. Ce qui revient à admettre tacitement un fait que l’establishment P.C. nierait vigoureusement en toute autre circonstance : les normes morales du Christianisme sont plus élevées que celles de l’Islam, et on attend plus non seulement des Chrétiens pratiquants, mais aussi de ceux qui ont été imbibés par ces valeurs en vivant dans les sociétés que le Christianisme a modelées.
(1) Discours tenu par B. Clinton à l’Université de Harvard le 19 novembre 2001: http://www.news.harvard.edu/specials/2001/clinton/clintonspeech.html