Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le Blogue de la Résistance sur Internet
  • : Le WEB Résistant est le seul site francophone présentant toutes les références sur les sites de réinformation. Faites-le connaître autour de vous ! Ne restez pas seul, nous sommes nombreux.
  • Contact

Profil

  • Cyber-Résistant
  • CYBER--LIBERTARIEN
  • CYBER--LIBERTARIEN

En bref

ajouter-favoris.png

Abonnement

Inscription à la newsletter

  

The 910 Group

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

The Counterjihad Calendar 2009
The Counterjihad Calendar 2010

Counterjihad Brussels 2007

Counterjihad Vienna 2008

Counterjihad Copenhagen 2009

Counterjihad Zurich 2010

EU Eurabia Francais

Le Bulletin de Réinformation de Radio Courtoisie

 
FAIRE LE TEST POLITIQUE ?

http://img263.imageshack.us/img263/2081/diagrammenolan.jpg

 

Web Statistics

 
Locations of visitors to this page

Entête

http://www.wikio.fr

"Si vous entendez ce message, c'est que vous êtes la résistance."

International Civil Liberties

About

The International Civil Liberties Alliance is a project of the Center for Vigilant Freedom Inc.  We are an international network of groups and individuals from diverse backgrounds, nationalities and cultures who strive to defend civil liberties, freedom of expression and constitutional democracy.

We aim to promote the secular rule of law, which we believe to be the basis of harmony and mutual respect between individuals and groups in the increasingly globalised world, and to draw attention to efforts to subvert it.  We believe in equality before the law, equality between men and women, and the rights of the individual and are open to participation by all people who respect these principles.

We believe that freedom of speech is the essential prerequisite for free and just societies, secular law, and the rights of the individual.

We are committed to building and participating in coalitions in all parts of the world to effect significant progress in protecting rights of the individual which are sadly being eroded in many countries including those in the West.


Rejoindre le forum

 

The Center for Vigilant Freedom

4 avril 2011 1 04 /04 /avril /2011 17:33

AGORISME

Fichier:A3.JPG


Chapitre 1 – Notre condition actuelle: l’étatisme

Nous sommes opprimés par nos frères humains. Puisqu’ils ont la possibilité de cesser de nous opprimer, de leur propre volonté, cette condition de coercition n’est pas inévitable. [1] La coercition est immorale, inefficace et inutile pour vivre et s’épanouir. Ceux qui choisissent d’être la victime de voisins prédateurs sont libres de continuer ; ce manifeste s’adresse à ceux qui choisissent de ne plus les subir : se défendre.

Pour combattre la coercition, il faut d’abord la comprendre. Et plus précisément, il faut savoir la raison pour laquelle on combat, autant que la nature de ce que l’on combat. La réaction aveugle se disperse dans toutes les directions contraires à la source de l’oppression, et gâche les opportunités ; la poursuite d’un but commun concentre les antagonistes et permet la formation d’une stratégie et de tactiques cohérentes.

L’autodéfense locale et immédiate fonctionne mieux contre la coercition diffuse. Bien que le marché puisse développer de grandes structures d’entreprise pour la protection et la réparation des dommages, celles-ci ne protègent que contre les menaces de violence aléatoires dûes aux seules opportunités égoïstes de criminels plus ou moins isolés ; tandis que la véritable oppression, découlant de concepts fantaisistes et illusoires implantés profondément dans la tête d’innombrables victimes, ne peut être combattue qu’à l’aide d’une stratégie globale et autour d’un seul point cataclysmique de singularité historique : la Révolution.

Une telle institution de coercition, centralisant l’immoralité, ordonnant des vols et des meurtres, et coordonnant l’oppression à une échelle inconcevable comparée à la seule criminalité ordinaire, existe vraiment. C’est la Mafia au-dessus de toutes les Mafias, le Gang surpassant tous les Gangs, c’est la Conspiration dépassant toutes les conspirations. C’est ce qui a massacré plus de gens en quelques dizaines d’années que tous les morts de l’Histoire humaine jusque là ; c’est ce qui a volé plus de richesse en quelques décennies que toute la richesse produite jusque là ; c’est ce que a tordu et corrompu plus d’esprits – pour exister et survivre – en quelques décennies, que toute l’irrationalité de l’Histoire toute entière jusque là. C’est Notre Ennemi : l’Etat. [2]

Rien qu’au XXème siècle, les guerres et les démocides ont tués plus que la totalité de tous les morts des siècles précédents ; les impôts, les taxes, les tributs et les redevances ont pillé plus de richesse qu’il n’en avait jamais été produite dans les siècles précédents ; et les mensonges d’état, les philosophies justifiant son existence et son intervention, ses systèmes de propagande et « d’éducation » ont aliéné et brisé plus d’esprits que toutes les superstitions dans les siècles passés ; pourtant au milieu de toute cette masse de confusion voulue et d’obstruction délibérée de la pensée, le fil de la raison s’est déployé en fibres de résistance, destinées à tisser la corde qui exécutera l’Etat: le Libertarianisme.

Partout où l’Etat divise et assujétit ses opposants, le Libertarianisme unit et libère. Partout où l’Etat obscurcit, le Libertarianisme éclaire ; là où l’Etat dissimule, le Libertarianisme révèle ; là où l’Etat encourage, le Libertarianisme condamne.

Le Libertarianisme développe une philosophie complète à partir d’un seul axiome: l’initiation de violence ou de menace de violence (coercition) est mauvaise (immorale, maléfique, stupide, impraticable, etc.) et est interdite ; rien de plus. [3]

Le Libertarianisme, à ce jour, a découvert le problème et défini la solution: l’Etat face au Marché. Le Marché est la somme de toutes les actions humaines libres. [4] Celui qui agit sans coercition fait partie du Marché. C’est ainsi que l’économie fut intégrée dans le Libertarianisme.

Le Libertarianisme a inspecté la nature humaine pour expliquer ses droits fondamentaux dérivant de la non-coercition. Il en est sorti que tout homme (ou femme, ou enfant, ou Martien, etc…) a un droit absolu et exclusif sur sa vie et tout ce qu’il crée avec (sa propriété). Ainsi la philosophie objectiviste fut intégrée dans le Libertarianisme.

Le Libertarianisme a demandé pourquoi la société n’était pas libertarienne, et a découvert l’Etat, sa classe dominante, son camouflage, et les historiens héroïques combattant pour faire connaître la vérité. Ainsi l’Historicisme sceptique fut intégré au Libertarianisme.

La psychologie, en particulier celle de Thomas Szasz connue sous le nom de contre-psychologie, fut adoptée par les libertariens cherchant à se libérer de l’emprise étatique et de la servitude spontanée.

Recherchant une forme d’art pouvant exprimer l’horreur dont peut être capable l’Etat et extrapoler les futurs possibles de la liberté, le Libertarianisme a trouvé la Science-Fiction déjà bien implantée sur ce thème.

A travers les domaines de la politique, de l’économie, de la philosophie, de l’histoire et de l’art, les partisans de la liberté ont vu un tout, réunissant leur résistance avec celle de tous les autres, partout, et ils ont pris conscience de leur existence mutuelle. Ainsi, les libertariens devinrent un Mouvement. Le Mouvement Libertarien s’éveilla et prit conscience du défi: partout, Notre Ennemi l’Etat, du fond des océans jusqu’à la surface de la Lune et de Mars, dans tous les pays, chez tous les peuples, et dans chaque esprit individuel. Certains se sont alliés avec l’élite pour renverser les dirigeants actuels de l’Etat. [5] Certains ont attaqué directement les agents de l’Etat. [6] Certains se sont associés aux dirigeants de l’Etat qui proposaient moins d’oppression en échange de votes. [7] Et d’autres ont entrepris d’éclairer la population pour étendre et soutenir le Mouvement sur le long terme. [8] Partout, une Alliance Libertarienne d’activistes s’est levée. [9]

Les plus hautes sphères de l’Etat n’allaient pas abandonner les pillages, ni rendre le butin à leurs victimes dès le premier signe d’opposition. Leur première contre-attaque vint des anti-principes déjà implantés par leur caste intellectuelle corrompue: défaitisme, lâcheté, compromis, collaboration, gradualisme, monocentrisme et réformisme – sans compter les innombrables promesses « d’améliorer » l’Etat ! Tous ces anti-principes (des déviations, des récupérations, des hérésies, des positions contradictoires et incohérentes, etc.) seront examinées plus tard. La pire de toutes fut le Partiarchisme, l’anti-principe d’atteindre le but libertarien à travers des méthodes étatiques, par le vote et les partis politiques.

Le Parti « Libertarien » fut la seconde contre-attaque que l’Etat infligea au Mouvement, d’abord comme oxymore ridicule [10] puis comme armée d’invasion. [11]

La troisième contre-attaque fut la tentative par les dix plus grands capitalistes des Etats-Unis d’acheter les grandes institutions libertariennes – pas seulement le Parti – et de diriger le Mouvement de manière ploutocratique de la même manière que les autres ploutocrates dirigent chacun leurs partis politiques. [12]

Le succès partiel de ces contre-attaques étatiques a corrompu le Libertarianisme au point de scinder la « Gauche » du Mouvement et de paralyser le reste. Alors que la désillusion grandissait au sujet du « Libertarianisme » ainsi déformé, les libertariens désabusés cherchaient une solution à ce nouveau problème: conquérir l’Etat sans devenir l’Etat. Comment éviter d’être utilisés et retournés par l’Etat et son élite ? Autrement dit, comment éviter de sortir du chemin vers la liberté quand on sait qu’il y a plusieurs de ces chemins ? Le Marché a de nombreuses voies pour aller de la production à la consommation d’un produit, et aucun n’est parfaitement prévisible. Donc même si l’on peut aller d’ici (étatisme) à là (liberté), comment trouver le meilleur chemin ?

Il y a ceux qui affectionnent de recycler les vieilles stratégies de différents mouvements morts et enterrés depuis longtemps. De nouvelles voies sont offertes, oui, et elles ramènent toutes vers l’Etat. [13]

La Trahison, qu’elle soit consciente ou non, persiste. Il pourrait en aller autrement.

Même si personne ne peut prédire exactement quelles actions vont entraîner l’apparition d’une société réellement libre pour unir tous les individus émancipés, on peut éliminer d’un coup toutes celles qui ne feront pas avancer la cause de la Liberté, et l’application stricte des principes du Marché donnera la carte du terrain à traverser. Il n’y a certainement pas Un Seul Chemin, une ligne droite vers la Liberté. Mais il y a toute une famille de courbes, un Espace rempli de lignes, qui mèneront le libertarien vers son objectif de société libre ; cet Espace peut être décrit.

Une fois l’objectif connu et les chemins découverts, il ne reste plus que l’Action nécessaire pour aller d’ici à là. Avant tout, ce Manifeste appelle à l’Action.


Notes:

[1] Je dois à Robert LeFevre ce concept, bien que nous en tirions des conclusions différentes.

[2] Merci, Albert J. Nock, pour cette phrase.

[3] Le Libertarianisme moderne est le mieux expliqué par Murray Rothbard dans « Pour une Liberté Nouvelle », qui est malgré tout en retard de quelques années quelle que soit l’édition. Recommander un livre pour expliquer le libertarianisme c’est comme recommander une chanson pour expliquer la musique.

[4] Merci, Ludwig von Mises.

[5] Alliance Libertarienne Radicale, 1968-1971

[6] Mouvement Etudiant d’Action Libertarienne, 1968-1972, plus tard ressuscité brièvement comme prototype du MGL.

[7] Citoyens pour une République Restructurée, 1972, composée de membres désabusés de l’ALR.

[8] Société pour la Liberté Individuelle, 1969-. Il y avait aussi le Collège Rampart (disparu), la Fondation pour l’Education Economique, et l’Institut pour la Libre Entreprise, avant même l’explosion de popularité du libertarianisme.

[9] En particulier l’Alliance Libertarienne Californienne, 1969-1973. Le nom est maintenu pour sponsoriser des conférences, et pour le mouvement au Royaume-Uni.

[10] Le premier Parti « Libertarien » a été créé par Gabriel Aguilar et Ed Butler en Californie en 1970, pour servir de marchepied vers la popularité médiatique. (Gabriel était farouchement anti-politique.) Même le Parti « Libertarien » de Nolan a été critiqué et moqué par entre autres Murray Rothbard, dès sa première année d’existence.

[11] Le Parti « Libertarien » qui a émergé à l’échelle nationale et proposé John Hospers et Toni Nathan pour la présidentielle de 1972, a été créé par David et Susan Nolan en Décembre 1971 dans le Colorado. D. Nolan était un membre dissident du YAF en 1967 et a manqué leur pic de popularité en 1969. Il a toujours été minarchiste et conservateur, dès la première édition. Les Nolan étaient sincères, comme beaucoup de participants et de candidats, mais la polémique sur la « question d’un parti » est apparue immédiatement. Un débat sur le sujet entre Nolan et Konkin a été publié dans les New Libertarian Notes au printemps 1972 juste avant les élections.

[12] Charles G. Koch, milliardaire de Wichita grâce au pétrole, a acheté de 1976 à 1979 à travers ses proches, ses fondations, ses instituts et ses centres les formations suivantes: le Forum Libertarien de Murray Rothbard ; la Revue Libertarienne de Robert Kephart édité par Roy A. Childs ; les Etudiants pour la Société Libertarienne de Milton Mueller ; le Centre pour les Etudes Libertariennes de Joe Peden ; Enquête, édité par Williamson Evers ; l’Institut Cato ; plusieurs Fonds, Fondations et Instituts de Koch. Il a été surnommé « Kochtopus » dans le premier numéro de New Libertarian de Février 1978, et attaqué par écrit par Edith Efron dans le magazine libertaro-conservateur Reason, au milieu d’allégations de conspiration « anarchiste ». Le Mouvement de la Gauche Libertarienne s’est distancé d’Efron et de ses dérives anti-anarchistes, mais l’a soutenue immédiatement lorsqu’elle a révélé la dérive mono-centriste du Mouvement. En 1979 Kochtopus prenait le contrôle du Parti National Libertarien à sa congrès de Los Angeles. David Koch, frère de Charles, a acheté ouvertement la nomination de vice-président pour 500 000$.

[13] Murray Rothbard s’est séparé de Kochtopus peu après le congrès de 1979, et ses alliés, comme Williamson Evers, d’Enquête, furent expulsés. Le CEL ne fut plus financé par le Parti. Le Forum Libertarien a commencé à attaquer Koch. Rothbard et le jeune Justin Raimondo organisèrent un nouveau congrès pour les « radicaux » du PL (le premier du genre, en 1972-1974, a servi de tentative de l’ANL pour détruire le PL de l’intérieur). Bien que Rothbard en soit venu à se demander « est-ce que Konkin a raison ? » dans son discours de Juillet 1980 dans le Comté d’Orange, la stratégie des radicaux est de reformer le PL à partir de la Nouvelle Gauche avec des tactiques néo-marxistes.

[14] J’espère que les prochaines éditions ne porteront plus cette note, mais dans le contexte historique actuel il est essentiel de mentionner que le Libertarianisme n’est pas spécifiquement destiné aux « plus avancés » ou « plus éduqués » des résidents d’Amérique du Nord (stéréotypés sous l’apparence d’un consultant en informatique jeune, féministe et blond aux yeux bleus ayant 0,6 enfant). Seul le Marché libre peut amener le Second- et le Tiers-mondes hors de la pauvreté et de la superstition autodestructrice. Les tentatives forcées d’augmenter la production et de rationnaliser la culture n’ont causé que retours de flammes et régression: Iran et Afghanistan. Au bout du compte les interventions des USA ont surtout entraîné la répression de l’auto-amélioration. Les Marchés quasi-libres, comme Hong Kong, Singapour et Shangaï (avant l’unification) ont attiré des foules d’entrepreneurs motivés et mobiles. Le marché noir très développé de la Birmanie constitue l’essentiel de l’économie du pays et ne nécessiterait qu’une conscience libertarienne pour évincer Ne Win et l’Armée, pour accélerer les échanges et éliminer la pauvreté presque instantanément. Des observations similaires sont possibles sur des marchés noirs ou gris très développés dans le « Second Monde » de l’occupation soviétique, comme en Arménie, en Géorgie et dans la contre-économie Russe.

[15] Note pour la seconde édition. La note mentionnée au dessus est, malheureusement, toujours d’actualité.


Lisez le DOSSIER  sur LE LIBERTARIANISME 

 

 

Partager cet article
Repost0
31 mars 2011 4 31 /03 /mars /2011 23:50
http://2.bp.blogspot.com/-HEX06w2k2i0/TYw5ZMzL3OI/AAAAAAAAAIA/FHGWNTlI_WI/s1600/Salafists-Brothers-International.png
ÇA C'EST HALAL ! 

Ce blogue satirique vous est présenté par les Frères Salafistes International.
 
Nous avons remarqué que la plupart des français ont une méconnaissance du terme « halal et haram  » qui se résume, dans leur esprit, à une simple éthique alimentaire. Nous en avons donc conclu qu’il était indispensable de leur faire comprendre les faits et les actes musulmans. Or, il nous a semblé évident que seul le rire permet un impact suffisant pour intégrer ces informations, si spécifiques, dans un esprit occidental.
CANARD WC AKBAR
Nous avons de ce fait eu l’idée d’un nouveau label « Salafists Brothers International » ainsi qu'un concept novateur nommé « Ça c’est halal » comme signe d'identification. Ce logotype sera diffusé à l’aide d’un blogue spécifique divisé en deux parties : l’une traitant par l’image humoristique de chaque situation où l’on peut qualifier un acte de « halal ». L’autre se nommant « Vu Allah TV » détournant des images prises dans les médias de façon à amplifier le caractère ubuesque des commentaires journalistiques.




Afin de réaliser ce projet, nous avons besoin de compétences, c'est-à-dire d’infographistes, de monteurs vidéos, imprimeurs (pour la réalisation de tract), de rédacteurs ou de toute autres personnes utiles ect, capable de participé à la création de ces détournements parodiques. Leur participation n’a pas à être régulière mais  peu-être simplement ponctuelle. Ces  aptitudes sont indispensables à l’existence de cette  campagne d'affichage qui sera, sans conteste, un fort moteur de visite et permettra d’attirer l’attention de nombreuses personne. Cela aidera à un meilleur référencement de la réalité de l’Islam, au travers des concepts du « Haram » et du « Halal ».

Avis aux volontaires de prendre contact a cette adresse.

 cyberesistance@gmail.com

Partager cet article
Repost0
30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 06:46

POURQUOI JE NE SUIS PAS DÉMOCRATE

(je préfère un régime de liberté…)

 

 

Pendant la prochaine demi-heure, je vais expliquer pourquoi la démocratie est le pire des régimes à l’exception d’aucun autre. En prenant à contre-pied la fameuse formule de Churchill, j’assume un risque. Car le dogme démocratique aujourd’hui est intouchable. Vouloir le pourfendre, c’est se condamner à l’excommunication et à la mort sociale. L’hérétique n’est pas publiable, il n’a pas accès aux micros, et s’il est un État, sa place est au ban des nations.

 

La difficulté de tout examen de la démocratie tient d’abord à sa définition, qui recouvre des champs différents. L’un est purement procédural. La démocratie est un mode de gouvernement caractérisé par des élections ; en cela, elle se distingue d’autres systèmes politiques, la monarchie, la dictature, l’anarchie… Mais « démocratique » est aussi une exclamation par laquelle on salue tout ce qui nous fait plaisir en lisant les journaux. Nous appelons démocratiques les réformes scolaires à notre goût, les parents cool, les loyers bon marché, les syndicats qui nous défendent, et nous qualifions d’anti-démocratiques les profs sévères, le pape, les multinationales qui licencient… Une notion aussi floue permet d’esquiver toutes les critiques qui lui sont adressées.

 

La démocratie en plus occupe tout le champ de notre mental. On nous l’a enseignée à l’école, on nous la rabâche dans les medias. Sous sa forme de démocratie sociale, elle est notre « pensée unique ». Mais l’incantation n’est pas la réflexion. L’adhésion au dogme ne dispense pas de rigueur intellectuelle. Lorsque Rudolf Rummel et Francis Fukuyama nous rapportent qu’il n’y a jamais eu de guerre entre démocraties, lorsqu’Amartya Sen nous explique que la démocratie évite la famine, ils confondent corrélation et causation.[1]Ce n’est pas la démocratie qui a empêché la guerre après Fachoda. Franco et Pinochet, qui ne sont pas de ma paroisse, ont plus fait pour l’économie de leur pays que les parlements de l’Inde et de la Russie aujourd’hui. Car la prospérité ne tient pas au mode de gouvernement, mais au respect de l’initiative individuelle, de la propriété privée, et des contrats. Ce régime juridique n’est pas celui de la démocratie, mais du libéralisme. Et puisque j’ai vécu en Suisse, et que les organisateurs m’ont demandé d’en parler, j’ajouterai que la prospérité de ce petit pays n’est pas due à la fréquence des votations, mais à des lois qui, jusqu’à présent, protégeaient l’épargne et l’entreprise. Maintenant que les suisses ont décidé de changer ces lois, ils continueront de voter régulièrement, et ils s’appauvriront. On ne devient pas sous-développé par déficit de démocratie, mais de libéralisme.  [2]     

 

 

Démocratie et machinisme

La démocratie moderne apparaît en Europe occidentale en même temps que le machinisme. Machinisme et démocratie sont les rejetons de cette grande mutation du 17ème siècle, lorsque la science renonça à connaître l’essence des choses, pour ne plus considérer que leurs manifestations extérieures. Seul est connaissable ce qui est mesurable, disait le paradigme, et réciproquement, ceux qui prétendaient connaître quelque chose étaient sommés de prouver qu’ils l’avait quantifiée.

 

Une telle science aurait dû limiter son objet aux choses matérielles ; elle aurait dû exclure de son champ d’investigation, non seulement Dieu, la Beauté, le Bien et le Mal, mais aussi toutes ces manifestations humaines que personne n’aurait songé à quantifier auparavant : l’émotion, l’intelligence, la volonté… C’était sous-estimer l’ambition des scientifiques. Ils ne pouvaient renoncer à étudier ce qui avait été pour Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, à la fois le fondement et l’objet de toute connaissance. Pour prétendre au label « scientifique », psychologues, sociologues, économistes, s’ingénièrent à ramener les élans de l’âme et les créations de l’esprit à des modèles mathématiques. La science posait ainsi il y a deux siècles les fondements théoriques de la société matérialiste qui est encore la nôtre, industrielle, machiniste, fétichiste du nombre et de la quantité, et, également, démocratique.

 

Une société démocratique est celle dont le gouvernement est sanctionné par la volonté du peuple. Mais comment mesurer la volonté ? que signifie en avoir plus (ou moins), et par rapport à quoi ? Et si comme échelle de mesure, on se contente d’additionner les suffrages exprimés par chaque individu à l’occasion de votations, il faut, pour que l’opération ait un sens, que les opinions exprimées soient rapportées à des unités homogènes. Le vote est donc une production d’opinions rigoureusement normalisées, comme des pièces usinées : une liste ou un candidat pour une élection, un oui ou un non pour un référendum. Et ces suffrages seront comptés comme des m², sans se soucier que les uns représentent des triangles, les autres des cercles ou des rectangles. L’équation fondatrice de nos démocraties, un individu = une voix, crée la fiction d’un peuple d’électeurs sortis d’un même moule, chacun, à l’instant où il légitime tout pouvoir dans la société, étant réduit à une unité arbitraire et interchangeable. Il n’y a pas d’anthropologie de la démocratie. Le citoyen n’y a pas d’épaisseur, de densité, il est sans qualité. Or, à l’évidence, des opinions pèsent plus que d’autres, pas seulement parce qu’elles émanent d’êtres plus sages et mieux informés, mais parce que l’enjeu du suffrage les touche de plus près. Dans un référendum sur la réforme scolaire, pourquoi mon vote de père qui n’a plus d’enfant à l’école compterait-il autant que celui d’une mère de famille ? Pourquoi même devrais-je voter ?

 

Il existe bien sûr une myriade d’autres lieux où, pour aboutir à une décision, on compte les voix : le conclave des cardinaux catholiques, les comités d’association, les conseils d’administration, les assemblées de copropriétaires d’immeubles … Ces organisations cependant sont d’une essence différente. Elles ne sont pas politiques. D’abord, chaque membre, par le fait d’adhérer, a formellement accepté le principe de prise de décision majoritaire ; mais quels sont les citoyens qui ont signé la constitution de leur pays ? Ensuite, la démission, même si elle parfois coûteuse, reste toujours possible aux membres d’une association ; elle est interdite aux citoyens.[3]

 

Enfin les membres de ces organisations le plus souvent se connaissent, et, à la sanction du vote, ils préfèrent la discussion jusqu’au consensus. Au sein des enceintes les plus conservatrices, on pratique volontiers la « démocratie du face-à-face », chère aux anarchistes.[4]  Elle est d’autant plus efficace que ces organisations sont constituées autour d’un but précis, et le débat ne porte que sur le moyen de l’atteindre. L’exigence d’efficacité ne laisse guère de place aux élucubrations.

Le Souverain

La démocratie repose donc sur cette idée que le peuple est souverain. Au « bon plaisir » du monarque absolu, les disciples de Rousseau ont opposé, comme dans un miroir, une « volonté générale », dépositaire de toute autorité. En Suisse, patrie de Jean-Jacques et démocratie modèle, le vocabulaire politique de tous les jours porte l’empreinte de cette passation de pouvoir du monarque vers le peuple. Un référendum est-il prévu, les journaux annoncent : « le Souverain se prononcera » ; le soir d’une élection, ils titrent : « le Souverain a tranché ».

 

Dans ce miroir, la démocratie révèle son vrai visage. Elle n’a pas pour objet la limitation du pouvoir, mais la désignation de celui qui l’exerce. Dans les pays où la coutume tenait pour suspectes les prérogatives monarchiques, comme l’Angleterre et l’Amérique des Pères Fondateurs, les démocrates enfermèrent le pouvoir populaire dans un cadre juridique strict. En revanche, là où un contre-pouvoir ne s’était jamais affirmé face au monarque, les démocrates ne virent aucune raison d’en dresser un devant le peuple. C’est d’ailleurs pourquoi la République française rencontra un échec immédiat, dès 1792, suivi d’une succession de crises de régime, incapable qu’elle fut de se déterminer entre démocratie directe et dictature majoritaire.[5]

 

Ainsi, contrairement à notre libéralisme, la démocratie n’apporte pas une réponse originale à la question du vivre-ensemble. Elle ne marque pas une rupture avec la logique millénaire du pouvoir. Le corps social reste organisé en fonction de quelques objectifs censés traduire la « volonté générale », et comme aucun objectif à ce niveau ne saurait recueillir l’unanimité, la logique du système implique l’usage de la force contre les récalcitrants.

 

Peu importe d’ailleurs quels sont ces objectifs (projeter sa puissance vers l’étranger, augmenter le niveau de vie des citoyens, propager un modèle culturel….). L’idéologie démocratique, comme la science moderne, se veut wertfrei, c’est-à-dire affranchie de toute référence à des valeurs. Le peuple exprime sa volonté, et il n’y a point à en juger. Qui le ferait d’ailleurs, car si la volonté est générale, la critiquer ne serait-ce pas se contredire soi-même ?

 

La démocratie, en fait, est bien une proposition inepte. L’idée d’un peuple souverain qui se donnerait à lui même ses lois est intenable. Tout pouvoir puise sa légitimité ailleurs qu’en lui-même, il est conféré par Dieu, ou inscrit dans la Nature, et le socialisme lui-même procédait d’une sorte de droit naturel, puisqu’il se voulait « scientifique ». Le projet même de « contrat social » suppose l’existence d’une règle antérieure, pacta sunt servanda, les engage­ments doivent être tenus ; car si l’on n’était pas certain qu’autrui honore ses contrats, quel sens cela aurait-il de lui en proposer un ? Et cette règle antérieure doit elle-même reposer sur une plus fondamentale (pourquoi doit-on tenir ses engagements ?), et ainsi de suite dans une régression infinie. D’ailleurs nul ne nous démontre que la légitimité ne vient pas du peuple avec plus de conviction que nos intellectuels et artistes français. Ils n’hésitent pas à agir dans l’illégalité au nom de principes supérieurs, comme de petites Antigones excitées, lorsque le gouvernement démocratiquement élu ne suit pas leurs avis.[6]

 

C’est pourquoi la démocratie ne se présente jamais seule. Un adjectif accolé à son nom révèle quelle autre idéologie lui sert de régulateur des égarements et des emportements populaires.

Dans une démocratie islamique, le peuple souverain peut voter tout ce qu’il veut, à condition de ne pas remettre en cause les préceptes du Coran. Dans une démocratie populaire, la vulgate socialiste est son cadre de référence, de même que les droidloms dans les démocraties dites libérales. Or ces idéologies ne sortent pas des urnes. Véritables hérésies du dogme démocratique, elles se présentent explicitement comme des freins et des limites à la souveraineté populaire.

 

La passion d’intervenir dans la vie des autres, propre aux démocrates, a été contenue tant bien que mal par ces idéologies, et principalement par l’individualisme libéral. L’empreinte libérale, si faible qu’elle soit sur notre droit occidental, constitue notre meilleure défense contre une dictature de la majorité. Si le peuple devait s’affranchir de cette contrainte du Droit, nous aurions réalisé la démocratie authentique, et du même coup, c’en serait fait de nos libertés.

 

 

La soif du pouvoir 

 

Civiliser consiste à faire échec au pouvoir politique. Depuis qu’il y a de l’humanité, la tentation a toujours existé de s’emparer par la force de ce qui ne nous appartient pas, un champ, un pays, des esclaves… La fonction de la politique n’est pas d’éliminer cette violence. Les seuls qui proposent de mettre la violence hors-la-loi sont les libertariens, et c’est pourquoi le projet libertarien est aujourd’hui le plus avancé dans l’évolution de la civilisation.

 

La politique se contente de restreindre la guerre de tous contre tous en établissant deux classes dans la société, celle qui aura le droit d’exercer la violence, et celle qui en sera victime. L’innovation de la démocratie dans l’ordre politique est de permettre aux victimes une participation symbolique au pouvoir des dominants. La démocratie est un exutoire collectif de la libido dominandi. C’est la source de son succès universel. Que signifie en effet déposer un bulletin dans l’urne, sinon proclamer « Voici comment je veux que les autres vivent » ? Ce bulletin ne compterait-il que pour 1/100.000.000ème du résultat final, il est emblématique. Chaque enfant y découvre que lui aussi pourra participer à un grand mouvement d’asservissement de ses petits camarades, il aura la chance un jour de leur imposer son chef et ses lois.

 

Continuation de la guerre civile par d’autres moyens, la démocratie ne peut éviter le vocabulaire des armées : les candidats entrent en campagne électorale, ils poursuivent le combat jusqu’à la défaite de leur adversaire, et ils célèbrent la victoire dans leur quartier général. Personnellement je ne vote pas. Je ne peux m’empêcher de voir dans l’acte de voter une volonté de prise de pouvoir sur ses semblables, qui me déplaît profondément.

 

Les sources psychologiques de la démocratie sont celles d’êtres humains encore incapables d’imaginer une société sans pouvoir. Le citoyen démocratique n’a pas dépassé la mentalité d’esclave, et il n’a chassé son maître royal que pour faire du peuple un maître collectif. La société démocratique est celle d’esclaves qui cachent leur besoin de maître, la société libertarienne est celle de maîtres qui ne veulent pas d’esclaves. Pour nous, libertariens, le refus de tout pouvoir est la voie vers l’émancipation. La seule maîtrise que nous désirons est la maîtrise de soi.

 

Cette opposition illustre deux manifestation divergentes de la puissance : celle de la masse, et l’émancipation individuelle. Pour générer l’effet de masse propre aux troupeaux, aux foules et aux armées, la démocratie doit supprimer au moins nominalement les distinctions qualitatives. En tant que tel, le citoyen n’a pas de titre, de famille, de religion, d’appartenance quelconque. Chacun doit être indiscernable des autres pour se fondre dans une société impersonnelle et statistique, niveleuse du terrain où peut s’édifier une société de consommation matérialiste.

 

En réaction, nous voyons, d’une part, nos contemporains chercher désespérément à échapper à cette indifférenciation pour exister enfin, individuellement, avec la richesse de leurs multiples appartenances. L’âge de la mondialisation paradoxalement devient celui des revendications ethniques, sexuelles et régionalistes, chacun se réappropriant une identité niée par la citoyenneté démocratique : homo, métis, femme, ou basque… Mais, d’autre part, de toutes ces différenciations, celle qui compte le plus dans nos pays est la fortune, véritable obsession des démocrates, parce qu’elle correspond à leur vision toute superficielle et quantitative du monde.[7]  Même ceux qui vitupèrent la ploutocratie ne peuvent finalement rien proposer d’autre que différents modèles de répartition de richesses ; ils sont prisonniers du matérialisme de la pensée démocratique.

 

L’émancipation de l’individu est l’autre manifestation possible de la puissance. Non plus celle de la masse, mais celle de l’esprit. Elle est la puissance de la création. Fondement de la philosophie libertarienne, l’émancipation personnelle vise, en même temps que la prospérité, une société de responsabilité et de sagesse.

 

L’idéologie démocratique nationaliste et socialiste

La démocratie est sous-tendue par deux idéologies, le nationalisme et le socialisme. Le socialisme est inscrit dans l’ADN de la démocratie. Un économiste écossais, Alexander Fraser Tyler, émettait ce jugement déjà en 1776 : « Un régime démocratique ne peut pas perdurer. Il subsiste jusqu’au moment où les électeurs découvrent qu’ils peuvent se voter des largesses aux dépens du trésor public. Dès ce moment, la majorité élit toujours les candidats qui promettent le plus de cadeaux aux frais du trésor public, avec pour conséquence que la démocratie croule sous le poids d’une politique fiscale immodérée… ».[8]  C’est bien en pensant à l’État démocratique que notre grand Frédéric Bastiat écrivait qu’il est la «fiction à travers laquelle tout le monde espère vivre aux dépens de tout le monde ».[9]

Si l’on demande aux gens ce qu’ils considèrent important dans leur vie, ils répondront l’amour, une vie de famille comblée, une vocation réalisée, la santé… Rien de ce que la politique peut leur apporter. Les hommes de l’État ne peuvent pas faire notre bonheur. Ils ne peuvent même plus dans le monde d’aujourd’hui galvaniser nos énergies au travers d’une grande épopée civilisatrice. Ils n’ont d’autre fonction que la légalisation du vol. Tout l’appareil de propagande de l’État démocratique doit donc convaincre les électeurs que l’argent est la seule valeur désirable, puisque c’est la seule qu’il peut dispenser. On comprend l’envie et la haine dont ceux qui possèdent de l’argent sont l’objet de la part de ceux qui en sont dépourvus.

Tout, tout de suite

Comme le note Hans-Hermann Hoppe, un monarque et une aristocratie héréditaires ont une stratégie différente des dirigeants démocratiquement élus.[10]  Le monarque peut œuvrer dans la longue durée. N’étant pas sujet à élection, il n’est pas tenu comme le délégué du peuple de produire des résultats flatteurs en 3 ou 4 ans, quelles que soient les conséquences futures de cette précipitation. L’électeur aussi veut des résultats immédiats. Il ne peut pas faire confiance au long terme, puisque toute promesse politique pourrait être reniée par une nouvelle majorité. La démocratie place donc chacun dans une situation de locataire pressé de jouir du bien confié, et peu soucieux d’investir au bénéfice du locataire suivant. Cette préférence temporelle, normale chez les gérants de biens qui ne leur appartiennent pas, a coulé nombre de projets autogestionnaires et d’économie sociale. En revanche, le propriétaire dans un régime de liberté, tout comme le souverain héréditaire, s’ils peuvent se tromper autant que n’importe quel gestionnaire, ont au moins cette incitation de laisser à leurs héritiers un bien sans hypothèque.

 

On aurait pu éviter les débordements annoncés de la démocratie. Le bi-caméralisme, par exemple, aurait pu comprendre une assemblée élue au suffrage censitaire, chaque millier de francs d’impôts donnant droit à une voix.[11]  Cette chambre aurait voté seule le budget de l’État, puisque ses électeurs l’auraient financé. L’autre chambre aurait légiféré sur les questions de droit civil et pénal, le mariage, l’adoption, la sanction des peines et des délits, qui n’ont pas d’impact budgétaire direct, et elle aurait été élue au suffrage universel.[12]  Mais une telle démocratie n’aurait pas évité la question fondamentale : « Qu’est-ce qui me permet de voter pour imposer aux autres mes préférences ? ».

Nationalisme

Si le peuple est souverain, il faut définir qui est le peuple. La démocratie, fille du machinisme, ne fonctionne qu’avec un peuple unifié, uniformisé, et univoque.[13]  Lorsque tous les efforts de normalisation ont échoué, et qu’on se retrouve avec des citoyens de qualités différentes, il faut les grouper par séries homogènes dans de petites démocraties subsidiaires, ce qui est la forme politiquement correcte du nettoyage ethnique. En Suisse, qui est l’archétype de ce modèle constitutionnel, on appelle ces filiales de l’État des cantons.

 

Des hommes libres n’ont pas besoin d’être ainsi parqués dans des enclos politiques. Cette pratique tribale est une conséquence de la démocratie. Sous les autres régimes, soit le peuple ne contrôle pas les dirigeants, ce qui est le cas des monarchies et des régimes autoritaires, soit les dirigeants ne contrôlent pas le peuple, comme en régime libéral. Dans les deux cas, peu importe à quelle ethnie ou religion ils appartiennent. En revanche, lorsque les gouvernants ont une allégeance à une partie des électeurs, et que celle-ci se veut différente ethniquement ou culturellement, et que les institutions confèrent à ces dirigeants le droit d’intervenir dans la vie des gens et l’éducation de leurs enfants, le droit de leur imposer l’usage d’une langue ou d’interdire une pratique religieuse, alors il devient vital pour chaque citoyen que ces dirigeants soient de leur bord.

 

Car les gens changent souvent d’opinions politiques, mais plus rarement de religion, et presque jamais d’ethnie. Ceux qui sont ethniquement ou religieusement minoritaires ne renverseront pas démocratiquement la majorité ; ils ont peu de chances de se faire entendre (quel serait le sens de la démocratie si la minorité gouvernait ?). Leur avenir se profile donc entre la résignation propre aux citoyens de seconde zone, et la sécession. Le Liban, Israël, la Yougoslavie, le Caucase, illustrent l’incapacité de la démocratie à faire vivre ensemble des individus qui ne sont pas du même modèle, sans les « cantonner » au sens propre du terme.

 

Même lorsque les citoyens sont tous normalisés ethniquement, culturellement et religieusement, la parenté entre le socialisme et le nationalisme se repère encore. En effet, lorsqu’un système accorde à une partie de la population le droit de voler l’autre, il est important pour les voleurs de restreindre leur nombre, et de taxer le maximum de victimes. Une large majorité est donc inutile et improbable en démocratie sociale. Elle pèserait trop lourdement sur une minorité réduite. Et de fait, la légitimité de nos gouvernements aujourd’hui repose sur seulement 51, 52 ou 53% des votants, ce qui ne représente même pas la majorité des électeurs. Or ce chiffre des électeurs est lui-même trompeur, puisque des étrangers en nombre croissant s’installent dans nos pays et perçoivent les bénéfices de l’État providence, entamant la part qui revient aux nationaux. Il faut bien voir dans cet élargissement de la redistribution aux immigrés, sinon une cause du racisme, du moins une rationalisation de son expression. L’étranger « mange notre pain ». C’est indéniable. Lorsque la citoyenneté est une activité subventionnée, et le fameux « lien social » du parasitisme, plus il y a de parasites, moins chacun touche. La démocratie sociale ne peut éviter de creuser le fossé navrant et dangereux entre « eux » et « nous ».[14] 

Démocratie et évolution

Ces deux monstres idéologiques jumeaux, le nationalisme et le socialisme, sur lesquels repose la démocratie, sont dépassés dans l’évolution de l’humanité. Si le nationalisme est une conséquence inévitable du socialisme, leur cohabitation à terme est intenable. En Suisse, où les sentiments xénophobes donnent lieu à des référendums tous les dix ans visant à limiter l’immigration, l’argument pour les contrer est de dire que les étrangers paieront la retraite des autochtones. Mais qui paiera celle des étrangers, lorsqu’ils atteindront à leur tour l’âge de la retraite, à moins de faire venir de nouveaux immigrés ? Des mesures autoritaires, comme la retraite par répartition, causent des effets pervers, que d’autres mesures arbitraires doivent corriger, et ainsi de suite. Le seul système stable et juste est celui qui fait appel à la conscience de chacun, indépendamment de considérations artificielles, telles la citoyenneté…. Si autochtones et étrangers gagnaient leur vie en rendant service à autrui, et s’assuraient sans faire appel à la violence de l’État, la xénophobie perdrait toute rationalité, et dévoilerait son vilain visage.

 

La politique de « préférence nationale », prônée à gauche comme à droite, rend la démocratie totalement incompatible avec l’intégration technologique et économique de l’humanité. Trois pays seulement ont une authentique culture démocratique : l’Angleterre, littéralement isolée ; la Suisse, protégée au fond de ses vallées ; les États Unis, au-delà d’un océan. Dans ces pays, ce que décidait le citoyen arrivait. Les vicissitudes du monde ne déraillaient pas l’application des programmes électoraux. Plus maintenant. Il n’existe plus de sanctuaire. Les suisses n’élisent pas le président des États Unis, mais il a malheureusement plus d’influence sur leur avenir que leur propre Conseil fédéral. Et personne ne vote les percées technologiques, les préférences des consommateurs, les cours des bourses, la croissance économique, la révolution des mœurs… Elles sont bien voulues par des gens, mais en dehors de la politique. Comme le note Jean Guéhenno : « La relation des citoyens au corps politique est concurrencée par l’infinité des connexions qui s’établissent en dehors de lui, de sorte que la politique, loin d’être le principe organisateur de la vie des hommes en société, apparaît comme une activité secondaire, une construction artificielle historique, inadaptée à la solution des problèmes pratiques ».[15]

Démocratie participative

Les medias se félicitent parfois que tel ou tel pays soit « en marche vers la démocratie ». On s’en fiche complètement. Ce qui compte est que chacun des habitants acquière plus d’autonomie. Ce qui importe n’est pas la nature du gouvernement, mais les limites de son pouvoir. Un empereur de droit divin, qui respecte la sécurité des personnes et des biens et leurs initiatives, assure mieux la paix et la justice qu’une majorité élue, raciste et rapace.

 

Un avatar récent de l’idéologie démocratique, qu’on présente comme un progrès des libertés, est la « démocratie participative ». La ville de Porto Alegre, au Brésil, lui sert de vitrine. Selon cette nouvelle vulgate, chaque projet municipal est transmis à des comités de citoyens, qui débattent, suggèrent des amendements, et recommandent des choix. Un édile de Genève voudrait qu’on soumette à un test de démocratie participative l’aménagement des anciennes halles de la ville. On demanderait aux habitants leurs préférences pour la réaffectation des bâtiments. Les habitants, cependant, n’ignorent pas que le site est disponible. Une société horlogère a déjà souhaité y installer ses ateliers. Quelques associations ont suggéré des projets culturels non-lucratifs. Ces initiatives viennent de gens qui ont pris la peine d’analyser les besoins du public, et ils s’engagent personnellement dans la réalisation. Si l’on préfère convoquer des assemblées de quartier, les gentils citoyens lanceront des idées sympathiques, d’autant plus facilement qu’ils n’auront pas à les mettre en pratique. La municipalité en revanche, forte de ces suggestions à l’emporte-pièce, se dotera d’un budget financé par l’impôt, et se substituera à l’initiative des gens eux-mêmes, que ce soit, par exemple, celles de cette entreprise horlogère ou de ces associations.

 

Et c’est bien là le but des hommes de l’État. Car la puissance naît de l’action, pas du discours. La démocratie participative encourage les citoyens à palabrer, et ensuite à laisser agir les hommes de l’État. Quel contraste avec le libéralisme, dont l’affranchissante devise est :

« Laissez faire » !

 

L’objection classique à l’émancipation de l’individu est que certains ne seraient pas assez responsable pour se prendre en charge. Ils ne donneraient pas d’éducation à leurs enfants, ils n’assureraient pas leur retraite, consommeraient des produits dangereux pour leur santé… Mais venant des démocrates, cette objection n’est pas recevable. Si les gens sont assez réfléchis pour décider comment les autres doivent vivre, ne le seraient-ils pas suffisamment pour mener leur propre vie ?

La  « théâtrocratie »

On reconnaît couramment deux vertus à la démocratie. D’abord, elle rabattrait la superbe des gouvernants, requis de solliciter le suffrage des citoyens, y compris des indifférents, des séniles, et des illettrés ; tous ont une valeur égale pour être élu. Coriolan se refusait à cette humiliation. Qui voudrait faire reconnaître sa compétence par ceux qui en savent moins que lui ? Si les élèves devaient juger leur professeur, ce ne serait pas sur le critère des connaissances, qu’ils sont incapables d’évaluer, mais sur celui de la personnalité. Est-il chaleureux, captivant, indulgent… ? Enseignerait-il que la somme des angles d’un triangle n’est pas égal à deux droits que les élèves ne s’en apercevraient pas, ou seulement bien plus tard (mais « bien plus tard » en politique signifie qu’un tort est déjà causé à des millions de personnes).

 

On comprend alors que le métier de politicien cousine avec celui de comédien. Partout dans le monde, on passe de l’un à l’autre ; des vedettes du show-biz s’engagent en politique. Car si un problème est trop complexe pour être expliqué à une population, le seul moyen d’obtenir son soutien est de faire appel à ses sentiments ; or les comédiens ne sont-ils pas les professionnels de l’illusion et de la manipulation des émotions ? Platon déplorait déjà la « théâtrocratie ». Il avait bien vu que l’émotion et les passions faussaient le jugement, et que l’une des vulgaires et irrésistibles tentations des politiciens était de les utiliser pour paralyser la réflexion. Car penser, c’est déjà résister.[16]

L’obligation de rendre des comptes

La seconde vertu de la démocratie, soulignée par Hayek, serait son côté pédagogique. L’obligation de solliciter les suffrages entraîne pour le politicien celle de rendre compte de sa gestion et informer l’électeur de ses intentions. Mais un bilan politique, comme un programme électoral, incluent des actions dans de multiples domaines. Les propositions et promesses des politiciens ne concernent pas tout le monde. L’électeur se prononce à partir de deux ou trois d’entre elles, alors que son vote comptera pour les imposer toutes au pays, y compris celles que cet électeur ne soutenait pas particulièrement, qui lui étaient même indifférentes.

 

C’est pourquoi quelques pays usent du référendum pour consulter la population sur un seul sujet à la fois. Chaque citoyen suisse, par exemple, est invité à se prononcer sur une trentaine de sujets par an, dont la plupart bien sûr ne le regardent pas. L’abstention à juste titre est massive. Seuls se rendent aux urnes les tyranneaux frustrés et les râleurs, tous zélés démocrates, qui ne peuvent s’empêcher d’intervenir dans la vie de ceux qui ne leur demandent rien. 

 

Pour illustrer d’un seul cas l’illogisme de ces référendums, je rappellerai celui qui demandait aux électeurs genevois d’approuver le principe d’un tunnel routier sous la rade qui divise la ville. Il devait épargner d’interminables bouchons aux très nombreux banlieusards de France et du canton de Vaud. Mais ceux-ci ne votent pas à Genève. En revanche, une brigade d’électeurs barbus et en anorak, qui affirmaient ne circuler qu’à vélo, et habitaient pour la plupart trop loin du tunnel pour en être incommodés, réussirent après une campagne vigoureuse à faire interdire sa construction.

 

La solution libérale, c’est-à-dire conforme à la justice, eut été de demander aux usagers s’ils étaient d’accord de payer des infrastructures pour faciliter leurs mouvements automobiles et dédommager éventuellement les riverains importunés. Qui d’autre que les usagers et les riverains pouvaient légitimement dire oui ou non à ce projet ?

 

Et l’on pourrait reprendre ainsi les dizaines de référendums organisés chaque année, par exemple sur les horaires d’ouverture des magasins, sur l’autorisation à une nouvelle compagnie de taxis d’opérer en ville, ou à l’Église catholique d’établir un évêché, comme si ces questions ne devaient pas être réglées par les intéressés eux-mêmes, les patrons et employés des magasins, les propriétaires et chauffeurs de taxis, et le Vatican.

 

Au moins l’organisation d’une votation dans le monde tangible prend-elle un certain temps, que les citoyens peuvent mettre à profit pour s’informer.  Que penser en revanche de ces référendums « en ligne », où les électeurs se prononceraient sur tout, à tout moment, dans un processus de « démocratie continue » ? Après un crime affreux, on pourra compter sur le rétablissement de la peine de mort, et après la découverte d’une erreur judiciaire, sur son abolition, et ainsi de suite au gré des sautes d’humeur et des billevesées.

 

Hayek a raison. La démocratie est bien une pédagogie. Mais la leçon qu’elle enseigne est qu’on peut obtenir ce qu’on souhaite par la violence de l’État. La civilisation a-t-elle besoin de cette leçon-là ?

Le mensonge démocratique

St Augustin écrit quelque part que tout le monde aime la vérité, même les menteurs, puisqu’ils voudraient que leurs mensonges soient la vérité. La démocratie est un mensonge qu’on aime. Nous voudrions tous qu’il soit vrai que ceux qui votent exercent le pouvoir, que leurs délégués défendent l’intérêt général, que les lois qu’ils promulguent délimitent les sphères du permis et de l’interdit.

 

Mais même les sommités de l’État et de l’intelligentsia ne peuvent plus nous faire accroire ce qui est si évidemment contraire au jugement et à l’expérience. Deux siècles de révolutions autour de la planète nous confirment, sans aucune exception, que les délégués du peuple confisquent le pouvoir et ne le rendent pas. L’intérêt général se confond vite avec le leur. Leur législation ne trace pas la frontière entre le permis et l’interdit – cette distinction est déjà opérée par les prescriptions de la morale et du Droit - mais entre ceux qui à qui ce sera  permis et ceux à qui ce sera interdit. La loi des démocrates ne dit pas : « Tu ne tueras pas », elle désigne certaines personnes qui ont le droit de tuer, les militaires et les flics. La loi des démocrates n’ordonne pas : « Tu ne voleras pas », elle dit que certaines personnes seulement ont le droit de voler, les agents du fisc et des douanes… Modeste souverain assurément que ce peuple qui jouit de moins de droits que ses supposés serviteurs.

Démocratie et médiocrité

Certains êtres humains sont porteurs d’une mission. Ils sont inspirés par un grand dessein et ils appellent les peuples à les suivre. Alexandre, Saint Louis, De Gaulle… sont quelques noms qui viennent à l’esprit. L’aristocratie européenne, d’où les souverains étaient issus, était éduquée dans cette conviction que ses membres étaient des élus, non pas de ceux en dessous d’eux, mais d’une autorité supérieure. Même si beaucoup ne se montrèrent pas à la hauteur de cette vocation, ils formaient collectivement la dimension verticale des nations.

 

Tocqueville a bien montré que sans cet appel vers le haut, la démocratie n’est qu’une masse avachie, « un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ». Aucun pays du monde ne correspond mieux à ce célèbre tableau de Tocqueville que celui où la démocratie est la plus accomplie, la Suisse. Depuis un demi-siècle, elle est la patrie rêvée des gens sans rêve, toute propre, bien pensante, sans passion ni conflit, où la soumission est une vertu, la délation un devoir, le journalisme une propagande.[17]

 

Comme on ne saurait supposer que les helvètes soient génétiquement différents du reste des humains, et comme la population se répartit en quatre langues et cultures, il faut accepter ce qu’ils disent d’eux-mêmes, que la seule institution qui les unit est la démocratie. Si ces montagnards ont les idées plates, c’est donc à la démocratie qu’ils le doivent. Ce qui est logique après tout. Avec des référendums toutes les trois semaines pour permettre ou interdire aux gens de faire ce qu’ils souhaitent, comment prendre son essor ? comment être excentrique, inspiré, novateur ? Pour ne prendre qu’un exemple, beaucoup de visiteurs se demandent pourquoi Genève, une des villes les plus riches du monde, siège d’une pléiade de banques et d’institutions internationales, ne peut s’enorgueillir d’aucune grande réalisation architecturale. Mais lorsque pour construire sur son propre terrain avec ses propres fonds, il faut dix autorisations de gratte-papiers, et être approuvé par un référendum de béotiens, on a une architecture de gratte-papiers béotiens.

 

Le conflit entre la démocratie et la création ne se limite pas évidemment au seul domaine de l’art. Il s’étend à tout ce qui affecte notre vie : la science, le commerce, le droit… La démocratie s’est substituée à ces autres forces qui entravaient la créativité de nos ancêtres : le poids de la tradition, les tabous religieux, les interdictions d’entreprendre faites aux femmes et aux castes inférieures… Or l’intérêt pour chacun de vivre en société est que nous bénéficions de l’invention et des initiatives des autres, même si nous ne les comprenons pas, et si nous ne savons pas comment elles fonctionnent. Le respect du droit de propriété suffit à protéger des conséquences de ces entreprises ceux qui les jugent néfastes. En revanche, précisément parce que nous sommes incapables de saisir la portée de certaines innovations, qu’elles soient artistiques, économiques ou technologiques, laisser à la masse des citoyens le droit de les censurer revient à ramener la civilisation au plus petit commun dénominateur de l’entendement humain. Au moins, l’aristocratie formait-elle une élite lettrée, audacieuse, qui s’avéra capable de grandes réalisations, parce qu’elle n’était pas tenue de sacrifier au culte démocratique de la médiocrité.[18]

La fin de l’innocence

Tous les comploteurs le savent, ceux qui ont à connaître de l’opération doivent être « mouillés ». Leur implication est le gage qu’ils ne pourront pas dénoncer le forfait et s’en déclarer innocents. La démocratie ne supporte pas l’innocence. Si le gouvernement incarne la volonté du peuple, comment le peuple ne serait-il pas responsable des exactions du gouvernement ? Même ceux qui ont voté contre sont complices puisqu’en jouant le jeu, ils ont légitimé le système qui permet l’arbitraire juridique, les violences policières, le mobbing fiscal, l’agression militaire et douanière contre l’étranger… Les serfs, les colonisés, les femmes, les juifs, lorsqu’ils n’étaient pas directement victimes du pouvoir, pouvaient au moins se proclamer innocents de ses crimes. En devenant citoyens électeurs d’un État, ils s’en rendent complices. Il est impossible de garder son intégrité morale, et de participer en même temps à la légitimation du pouvoir politique.

 

Celui qui s’assied à une table de jeu ne doit pas se plaindre lorsque le sort lui est contraire. Si des partis nauséabonds de droite ou de gauche viennent à gagner des élections en Europe, ou des fondamentalistes religieux en Afrique, et des expériences récentes montrent que c’est possible, que peuvent dire les démocrates qui ont accepté d’avance le verdict des urnes[19] ?  Eux aussi auraient imposé leurs lois s’ils avaient gagné. Un fusil peut être utilisé défensivement ; un bulletin de vote est toujours une arme offensive. Au lieu de cette archaïque guerre démocratique, qui ne laisse que des vainqueurs provisoires et des vaincus revanchards, pourquoi chacun ne serait-il pas libre de vivre selon ses valeurs, islamistes, communistes, capitalistes…, au sein de communautés auxquelles il ou elle se sent appartenir ?

 

Et si le règlement d’une de ces communautés stipule que les décisions sont prises à la majorité des membres, cette règle acquiert une authentique légitimité, puisque ceux qui l’acceptent l’ont formellement approuvée et ont la faculté de faire cesser le pouvoir de la communauté sur eux en démissionnant. Arguer que la constitution s’impose à ceux qui n’en veulent pas est énoncer une contradiction interne de la démocratie, puisque c’est reconnaître que la légitimité du pouvoir ne dépend pas de l’assentiment de ceux sur lesquels il s’exerce. Si le pouvoir démocratique peut contraindre ceux qui le rejettent, la démocratie n’a plus d’argument contre les tyrans de toutes espèces.

L’incantation démocratique

En commençant cette intervention, je rappelais les liens vieux de 300 ans entre la science moderne quantitative et la démocratie. Mais la méthode scientifique, fondée sur la logique rationnelle cognitive, ne s’est pas substituée aussitôt à toutes les autres formes de connaissance. Par exemple, nous rencontrons encore quotidiennement autour de nous des pratiques magiques. Elles ne sont pas délirantes. La magie n’est pas la représentation hallucinée d’une réalité qui serait autrement évidente. Comme l’écrit Ken Wilber, la magie est plutôt la perception souvent approximative d’un niveau primitif de réalité, centré sur l’émotion et la sexualité.[20]  La politique, qui fait appel aux sentiments primitifs de prédation et de pouvoir sur autrui, a mis plus longtemps que nos autres conceptions du monde pour passer au stade rationnel. Nous adorons ses idoles. Car il est rassurant de croire que des éléments que nous contrôlons, comme des amulettes et des grigris, ont plus de pouvoirs qu’ils n’en déploient réellement.

 

L’institution de l’État est un exemple remarquable d’idolâtrie moderne. Par la célébration rituelle des élections présentées comme une grande messe sociale, elle nous permet de participer au culte qui influencera l’idole en notre faveur. Si nous lui faisons l’offrande du bon bulletin de vote, elle nous apportera la sécurité, l’emploi à vie, une retraite confortable, des soins médicaux gratuits, la protection de l’environnement, une bonne école pour nos enfants… Toutes ces grâces pleuvront par miracle. Nous n’aurons rien à faire nous-mêmes pour gagner ces bienfaits. Qu’y a-t-il de plus magique que cette croyance-là ?

 

Certaines illusions sont si douces qu’il faut du temps pour s’en déprendre. L’illusion démocratique nous leurre plus longtemps que d’autres, pas seulement en flattant notre névrose de pouvoir, mais aussi en présentant comme siennes les réussites des autres : celles du libéralisme, qui attache des droits à chaque personne humaine, celles du capitalisme, génératrices de prospérité. A travers cette construction symbolique fondatrice de l’ordre social, le clergé des hommes de l’État et ses protégés peuvent pérenniser leur exploitation. Le plus sûr moyen de se protéger de leur violence, et surtout de protéger son âme, est de refuser leur logique du pouvoir. Le déligitimer. Ne pas voter. Refuser d’être complice. Il émergera de ce refus de la compromission politique un appel aux consciences individuelles. La société juste ne se construira pas par le haut, par la magie d’un bon gouvernement, mais par le bas, par l’émancipation de chacun, conscience après conscience.

 

Vivre ensemble implique des normes. Pour nous, libertariens, la norme universelle est simple, elle est le respect de chaque être humain, de ses croyances, et des biens matériels auxquels il est attaché. Les libertariens ne vivent pas dans leur trou, oublieux des autres. La société que nous construisons, inédite dans l’Histoire, est une société sans pouvoir, à la fois très modeste, car elle renonce aux grandes épopées des princes et des États, et très ambitieuse, car elle demande l’engagement de chacun au quotidien. C’est une société qui abandonne la politique pour la politesse, la citoyenneté et le civisme pour la civilité.

 

 

 

D’après la transcription d’une conférence donnée en anglais

au Congrès mondial d’ISIL et de Libertarian International,

tenu à Dax, du 1er au 5 juillet 2001, en célébration du

bicentenaire de la naissance de Frédéric Bastiat.                                             

 

www.liberalia.com                                                                            cmichel@cmichel.com

 

 


 

[1]   Rudolph Rummel, Understanding Conflict & War, Sage Publications, 1975

Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man, London, Penguin Books, 1992
Amartya K. Sen, Poverty & Famine, An Essay On Entitlement And Deprivation, Oxford University Press, 1984

 

[2]   Un ouvrage récent et bien documenté illustrant cette thèse est celui d’Hernando de Soto, The Mystery of Capital, Why Capitalism Triumphs In The West And Fails Everywhere Else, Basic Books, 2000  

 

[3]    Paradoxalement, c’est dans les pays les moins démocratiques où la constitution est d’adoption récente qu’on peut dire qu’une partie au moins de la population l’a approuvée en la ratifiant par référendum. Dans les pays de démocratie plus ancienne, le citoyen n’a a adhéré à rien. Il est donc logique que,  juridiquement, il ne puisse démissionner d’une organisation à laquelle il n’appartient pas. Ainsi, le lien politique n’est rien d’autre que celui que les plus forts et les plus nombreux imposent aux minorités et aux faibles.

 

[4]   Voir en particulier Murray Bookchin, The Ecology of Freedom, Cheshire Books, 1982.

 

[5]   Cette conception de la souveraineté populaire faisant fi du Droit trouva une parfaite illustration à l’Assemblée nationale française il y a quelques années lorsque l’opposition reprocha au gouvernement de violer la loi. Elle s’attira la riposte cinglante : « Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaires ». Version démocratique de « L’État, c’est moi ! ».

 

[6]  Par exemple, dans des cas de censure, d’attribution de subventions, ou d’expulsion de sans-papiers.

 

[7]    Voir René Guénon, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, NRF-Gallimard, 1945.

 

ralia.com/htm/cm_pas_democrate.htm#_ednref8">[8]   “A democracy cannot exist as a permanent form of government. It can only exist until the voters discover that they can vote themselves largesses from the public treasury. From that moment on, the majority always votes for the candidates promising them the most benefits from the public treasury, with the result that a democracy always collapses over a loose fiscal policy, always followed by a dictatorship. The average age of the world's great civilizations has been 200 years. These nations have progressed through this sequence:
From bondage to spiritual faith; From spiritual faith to great courage;
From courage to liberty; From liberty to abundance;
From abundance to selfishness; From selfishness to complacency;
From complacency to apathy; From apathy to dependence;
From dependence back into bondage.”

Alexander Fraser Tyler,  cité par Doug Newman, sur le site www.geocities.com/fountoftruth

 

[9]      L’État, composition parue au Journal des Débats, numéro du 25 septembre 1848, disponible sur l’excellent site consacré au grand économiste français : www.bastiat.org

 

[10]   Voir Hans-Hermann Hoppe, The Political Economy Of Monarchy And Democracy And The Idea Of A Natural Order, ainsi que son Les élites naturelles, les intellectuels et l'État (trad. François Guillaumat), deux textes publiés sur le site de Liberalia ( www.liberalia.com )

 

[11]   La démocratie s’honorerait de ne lever qu’un impôt unique, celui sur les personnes physiques, et, soit de le rendre universel comme le suffrage (en France, la moitié des ménages ne paient pas d’impôt sur le revenu), soit de le rendre volontaire, la contrepartie de payer l’impôt étant d’en décider l’affectation. Dans les deux cas, le nombre de voix serait proportionnel aux contributions versées ;  ceux qui sous-estimeraient leur déclaration d’impôt perdraient des voix, ce qui est logique. Chaque citoyen assumerait ainsi la responsabilité financière de ses préférences politiques. Mais on comprend que le berger veuille cacher au mouton les ciseaux qui vont le tondre. Les droits de douane, la TVA, les taxes et droits divers, sont bien plus faciles à prélever, parce qu’ils semblent indolores. Ils ont aussi l’avantage de pénaliser plus lourdement les pauvres, qui sont moins vigilants, et qui exercent moins d’influence sur les hommes de l’État.

 

[12]   Dans une logique « citoyenne »,  les étrangers payant des impôts auraient été naturellement électeurs de la première de ces assemblées et éligibles ; pas nécessairement de la seconde.

 

[13]   Là encore, la comparaison avec le régime monarchique est éclairante. Le monarque régnait sur des peuples de mœurs et de coutumes différents, sans allégeance à aucun d’entre eux. L’armée était souvent composée de mercenaires, et personne ne trouvait incongru qu’un Cardinal italien fût premier ministre de la France, qu’un Maréchal de Saxe commandât ses armées, ou qu’un Duc de La Rochefoucauld fût gouverneur d’Odessa (c’est même ce gouverneur-là qui fit construire les fameux escaliers du port, immortalisés dans Le Cuirassé Potemkine).

 

[14]   L’idéologie citoyenne, en fait, ne comprend qu’une alternative : avec moi ou contre moi. La Patrie ou la mort. Si tu es contre elle, tu n’as pas le droit de vivre. Il n’y a que la citoyenneté qui compte. Peu me chaut que tu sois musicien, bon père de famille, jardinier ou banquier. Les jacobins donneront vite cette interprétation de la citoyenneté : « Sois mon frère, ou meurs ». La gentille communauté des citoyens, on la voit bien dans les manifestations obscènes de joie à l’annonce des résultats d’élections, surtout dans le pays qui a inscrit la fraternité dans sa devise. (Au football aussi, les gagnants font la fête, mais l’enjeu n’est pas le même, n’est-ce pas, l’équipe malheureuse ne va pas subir des années durant le pouvoir, les lois, les impôts, la censure des vainqueurs).

 

[15]   Jean Guéhenno, The End Of Nation-State, transl. Victoria Pesce Elliott, University of Minnesota Press, 1995.

 

[16]   Ma génération est la dernière qui a connu des héros en politique. Mes camarades de lycée épinglaient des posters de Mao, Trotsky ou Che Guevara sur leurs murs. Des canailles, certainement, mais des canailles magnifiques. Constatons en notre temps l’arrivée au pouvoir des bouffons, signe infaillible que nous sommes bien en démocratie.

 

[17]   La loi suisse  impose désormais aux banquiers de dénoncer à la police toute transaction financière inhabituelle de leurs clients. Il suffit de parcourir la presse et d’écouter quelques émissions de radio et de télévision pour apprécier l’empressement des journalistes suisses à soutenir toutes les propositions liberticides de leurs politiciens. Inversement, les créateurs sont superbement ignorés ou crucifiés.

 

[18]   On voudrait aussitôt opposer la belle profession d’indépendance d’esprit de Romain Rolland dans l’introduction de Clérambault : « Le développement universel des démocraties, mâtinées d’une survivance fossile : la monstrueuse raison d’État, a conduit les esprits d’Europe à cet article de foi, que l’homme n’a pas de plus haut idéal que de se faire le serviteur de la communauté. Et cette communauté, on la définit : État… De libres âmes, de fermes caractères, c’est ce dont le monde manque le plus aujourd’hui. Par tous les chemins divers : soumission cadavérique des Églises, intolérance étouffante des patries, unitarisme abêtissant des socialismes, nous retournons à la vie grégaire… Allons, ressaisissez-vous, vous qui ne croyez pas que le cycle de l’homme soit révolu ! Osez-vous détacher du troupeau qui vous entraîne ! Tout homme qui est un vrai homme doit apprendre à rester seul au milieu de tous, à penser seul pour tous, et au besoin contre tous. » (cité par Charles Baudouin, dans La Force en nous,Delachaux&Niestlé, 1950). 

 

[19]   Wendy McElroy a raison en déclarant qu’elle n’aurait pas voté aux élections allemandes de 1932 et 1933, qui ont porté les nationaux-socialistes au pouvoir, même si son vote avait compté pour leur barrer la route de la Chancellerie. Car son vote servait précisément à légitimer le système qui donnait le droit à de telles brutes de s’installer au pouvoir.  Wendy McElroy, Why I Would Not Vote Against Hitler, article paru dans Liberty, Mai 1996, republié par The Voluntaryist, N° 85, Avril 1997, disponible sur  http://user.aol.com/vlntryst

Christian Michel

Lisez le DOSSIER  sur LE LIBERTARIANISME

 

 300px-Essai-final-1-wl.png

Partager cet article
Repost0
27 mars 2011 7 27 /03 /mars /2011 11:37

   Hans-Hermann HOPPE

 

Imaginez un gouvernement mondial, démocratiquement élu à l'échelle mondiale en suivant le principe un homme-une-voix. Que serait le résultat probable d'une telle élection ? Le plus vraisemblable est que nous aurions un gouvernement de coalition sino-indien. Et qu'est-ce que ce gouvernement serait le plus enclin à faire pour complaire à ses électeurs et se faire réélire ? Il découvrirait probablement que l'Occident a beaucoup trop de richesses et que le reste du monde, particulièrement l'Inde et la Chine, bien trop peu, et par conséquent mettrait en œuvre une redistribution systématique du revenu du riche Occident vers le pauvre Orient. Ou alors, imaginez qu'aux Etats-Unis on étende le droit de vote aux enfants de sept ans. Le gouvernement ne serait peut-être pas composé d'enfants, mais ses politiques, selon toute probabilité, refléteraient le "souci légitime" des enfants de disposer d'un accès "suffisant" voire "égal" à des hamburgers, des limonades et des vidéocassettes "gratuits".

Je présente ces "expériences mentales" pour illustrer les conséquences du processus de démocratisation qui a commencé aux Etats-Unis et en Europe au milieu du XIXème siècle, et qui porte ses fruits depuis la fin de la première guerre mondiale. L'extension progressive du droit de vote et finalement l'établissement du suffrage universel des adultes a fait à chaque pays ce que la démocratie mondiale ferait pour l'ensemble du globe : mettre en branle une tendance apparemment permanente à la redistribution du revenu et des biens.

Un-homme-une-voix, plus la "liberté d'entrer" dans l'appareil d'Etat, c'est-à-dire la démocratie, implique que toute personne et sa propriété personnelle est mise à la portée de toutes les autres, et ouverte à leur pillage. En ouvrant en apparence les couloirs du pouvoir politique à tout le monde, la démocratie fait du pouvoir politique une "res nullius", où personne ne souhaite plus qu'il soit restreint parce qu'il espère que lui-même, ou ceux qui lui sont favorables, auront un jour une chance de l'exercer. Par contraste, dans les monarchies "absolues" d'Occident, quiconque ne faisait pas partie de la classe dirigeante avait peu de chances, voire aucune, d'y accéder, de sorte qu'ils s'opposaient avec véhémence à toute extension du pouvoir du Monarque.

Dans les démocraties, en revanche, on peut s'attendre à ce que les majorités (ceux qui "n'ont pas") tentent sans relâche de se remplir les poches aux dépens des minorités (ceux qui "ont"). Cela ne signifie pas qu'il n'y aura qu'une seule classe de gens à "besoins" et une seule catégorie de "nantis", et que la redistribution se fera uniquement des riches vers les pauvres. Bien au contraire, alors que la redistribution des riches vers les pauvres jouera toujours et partout un rôle prépondérant, ce serait une erreur sociologique que de supposer que ce sera là la seule forme ni même la forme prédominante de la redistribution. Après tout, les riches "permanents" et les pauvres "permanents" le sont généralement pour une bonne raison.

Les riches sont en règle générale intelligents et industrieux, alors que les pauvres sont typiquement stupides ou paresseux, ou les deux à la fois. Il n'y a pas beaucoup de chances que les imbéciles, même s'ils forment la majorité, soient systématiquement plus malins que la minorité des individus brillants et énergiques et parviennent à s'enrichir à leurs dépens. Bien plutôt, la plus grande partie de la redistribution se fera à l'intérieur du groupe des "non-pauvres", et il arrivera souvent que ce soient les plus riches qui arrivent à se faire subventionner par les plus pauvres. Pensez seulement à la pratique quasi-universelle des études universitaires quasiment "gratuites", grâce auxquelles la classe ouvrière, dont les enfants fréquentent rarement l'enseignement supérieur, est amenée à subventionner la formation des enfants de la bourgeoisie. (1)

En outre, on peut s'attendre à ce qu'il y ait un grand nombre de groupes et de coalitions pour essayer de s'enrichir aux dépens des autres. Les critères seront divers et changeants pour définir ce qui fait qu'une personne est un "possédant" (méritant d'être pillé) et qu'une autre est un "déshérité" (méritant une part du butin). Simultanément, les gens appartiendront à une multitude de groupes de profiteurs et de victimes, perdant au titre de l'une de leurs caractéristiques et gagnant grâce à une autre, certains se retrouvant être des gagnants nets et d'autres des perdants nets de la redistribution politique. (2)

La reconnaissance de la démocratie comme machine populaire de redistribution des revenus et des biens, associée à l'un des principes les plus fondamentaux de l'économie  —à savoir qu'on finit toujours par se retrouver avec davantage de ce qui est subventionné— fournit la clé pour comprendre l'époque actuelle.

Toute redistribution, quel que soit le critère sur lequel elle se fonde, implique de prendre aux possesseurs et producteurs originels (ceux qui "ont" quelque chose) pour donner aux non-possesseurs et non-producteurs (ceux qui "n'ont pas" la chose en question). Les raisons que l'on pourrait avoir de devenir le propriétaire initial de la chose considérée sont alors moindres, alors que sont accrues celles de devenir un non-possédant et un non-producteur.

Tout naturellement, du fait que l'on subventionne les gens parce qu'ils sont pauvres, il y aura davantage de pauvreté. Quand on subventionne les gens parce qu'ils sont au chômage, on se retrouve avec davantage de chômeurs. Soutenir les mères célibataires avec l'argent des impôts conduira à un accroissement de leur nombre, de celui des naissances "illégitimes" et des divorces.

Dans certains cas, ces politiques peuvent se contredire dans leurs effets. En interdisant le travail des enfants, on prend de l'argent aux familles avec enfants pour le donner à ceux qui n'en ont pas (la restriction réglementaire de l'offre de travail fera monter les salaires). En conséquence, le taux de natalité baissera. En revanche, en subventionnant l'enseignement donné aux enfants, on prend du revenu à ceux qui n'en ont pas ou peu, pour le donner à ceux qui en ont beaucoup. Cependant, à cause du système de prétendue "sécurité sociale", la valeur des enfants va de nouveau baisser, et de même le taux de natalité ; car en subventionnant les retraités avec des impôts pris à ceux qui gagnent leur vie, l'institution de la famille —le lien intergénérationnel entre les parents, les grands-parents, et les enfants— est systématiquement affaiblie. Les vieux n'ont plus besoin de dépendre de l'assistance de leurs enfants s'ils n'ont fait aucune provision pour leurs vieux jours, et les jeunes (qui ont très généralement accumulé moins de richesses) doivent soutenir les vieux (qui ont en général plus de richesse matérielle) et non le contraire, comme il est normal dans les familles. Le désir des parents d'avoir des enfants, et celui des enfants d'avoir leurs parents, vont décliner, les familles disloquées et malades se multiplier, et l'action prévoyante, l'épargne et la formation de capital, va chuter tandis que la consommation s'accroîtra.

En subventionnant les tire-au-flanc, les névrosés, les négligents, les alcooliques, les drogués, les sidateux, et les "handicapés" physiques et mentaux par la réglementation de l'assurance et par l'assurance-maladie obligatoire, on aura davantage de maladie, de paresse, de névroses, d'imprévoyance, d'alcoolisme, de dépendance à la drogue, d'infections par le Sida, de même que de tares physiques et mentales.

En forçant les non-délinquants, y compris les victimes de la criminalité, à payer l'emprisonnement des coupables (au lieu de les forcer à indemniser leurs victimes et à payer tout ce que coûte leur appréhension et leur incarcération), on aura davantage de crimes et de délits.

En forçant les chefs d'entreprise, par des lois contre le "racisme" et la "discrimination", à embaucher davantage de femmes, d'homosexuels, de noirs ou autres "minorités" qu'ils ne le souhaiteraient, on obtiendra plus de "minorités" employées, moins d'employeurs et moins d'emplois pour les blancs hétérosexuels.

En forçant les propriétaires privés, par la réglementation de l'environnement, à protéger, c.-à-d. à subventionner les "espèces menacées" qui résident sur leurs terres, on aura davantage d'animaux, mieux portants, et moins d'êtres humains, qui se porteront moins bien.

Plus important, en obligeant les propriétaires privés et ceux qui gagnent leur vie honnêtement, c'est-à-dire les producteurs, à subventionner les politiciens, les partis politiques et les fonctionnaires (les politiciens et les employés de l'Etat ne peuvent pas payer d'impôts ; c'est pour les subventionner, eux, que les autres les paient), il y aura moins de création de richesses, moins de producteurs et moins de productivité, et davantage de gaspillage, de "parasites" et de parasitisme.

Les chefs d'entreprise et leurs employés ne peuvent pas gagner un sou s'ils ne produisent pas des biens et des services qui sont vendus sur le marché. En achetant volontairement un bien ou un service, les acheteurs démontrent qu'ils préfèrent ce bien ou ce service à la somme d'argent qu'ils doivent remettre pour l'acquérir. A l'inverse, les politiciens, les partis et les fonctionnaires ne produisent rien qui soit librement vendu sur des marchés. Personne n'achète les "biens" et les "services" des hommes de l'Etat. Ils sont fournis, et on subit des charges (3) pour qu'ils les soient, mais personne ne les achète et personne ne les vend. Cela implique qu'il est impossible de déterminer leur valeur et donc d'établir si oui ou non cette valeur justifie les charges encourues. Comme personne ne les achète, il n'y a personne qui démontre effectivement qu'il considère que les produits et les services des hommes de l'Etat justifient les charges correspondantes ni même si oui ou non qui que ce soit leur attribue une valeur quelconque. (4)

Du point de vue de la théorie économique, par conséquent, il est entièrement illégitime de supposer, comme on le fait toujours en comptabilité nationale, que les produits et services des hommes de l'Etat vaudraient "autant qu'il en a coûté de les produire", pour ensuite additionner benoîtement cette "valeur" à celle des biens et services normaux, produits (achetés et vendus) à titre privé pour arriver à un "Produit National Brut". On pourrait aussi bien supposer que les produits et les services des hommes de l'Etat ne valent rien du tout, ou même que ce ne sont absolument pas des "biens" mais des "maux" (5) et que, par conséquent, la charge des politiciens et de toute la fonction publique doit être soustraite de la valeur totale des biens et des services produits à titre privé. En fait, raisonner ainsi serait de loin plus justifié.

Pour ce qui est de ses implications pratiques, subventionner les politiciens et les fonctionnaires revient à une subvention pour "produire" presque sans égard aucun pour la satisfaction de ses prétendus "consommateurs", et avec un souci quasi-exclusif du bien-être des prétendus "producteurs", c'est-à-dire des politiciens et des fonctionnaires. Leur salaire demeure le même, que leur produit satisfasse ou non le consommateur. En conséquence, le résultat d'une expansion du secteur public sera toujours plus de paresse, de négligence, d'incompétence, de mauvais service, de mauvais traitements, de gaspillage, voire de destruction —et en même temps davantage d'arrogance, de démagogie, et de mensonges ; par exemple : "le service public est au service du public."

Après moins d'un siècle de démocratie et de redistribution politique, les résultats prévisibles sont là. Le "fonds de réserve" de richesse et de capital, hérité des siècles précédents d'activité productive dans un marché relativement libre, est presque épuisé. Depuis plusieurs décennies, depuis la fin des années 1960 ou le début des années 1970, les niveaux de vie réels stagnent ou même baissent en Occident. La dette publique et le coût des systèmes existants de sécurité sociale ont amené la perspective d'un effondrement économique imminent. En même temps, presque toutes les formes de conduite indésirable —chômage, dépendance, négligence, imprévoyance, incivilité, psychopathie, hédonisme et délinquance— se sont développées à des niveaux dangereux. Si les tendances actuelles se poursuivent, on ne risque rien à dire que l'Etat-providence occidental, c'est-à-dire la démocratie sociale, s'effondrera tout comme le socialisme oriental, à la soviétique, s'est effondré à la fin des années 1980.

Malheureusement, la catastrophe économique ne conduit pas automatiquement à l'amélioration. Les choses peuvent aller plus mal au lieu de s'améliorer. Ce qui est nécessaire une fois qu'arrive une crise, ce sont des idées —et des hommes capables de les comprendre et de les mettre en œuvre lorsque l'occasion s'en présente. En dernière analyse, le cours de l'histoire est déterminé par des idées, qu'elles soient justes ou fausses, et par les hommes dont elles inspirent les actes.

La débâcle actuelle est elle aussi le produit des idées. Elle est le résultat d'une acceptation massive, par l'opinion publique, de l'idée de la démocratie. Aussi longtemps que cette adhésion est dominante, la catastrophe est inévitable ; et il n'y aura pas d'espoir d'amélioration même après qu'elle sera arrivée. En revanche, si on reconnaît que l'idée démocratique est fausse et perverse —et les idées, en principe, on peut en changer instantanément—, la catastrophe peut être évitée.

La tâche essentielle qui attend ceux qui veulent renverser la vapeur et empêcher la destruction complète de la civilisation est de dé-légitimer l'idée de la démocratie, c'est-à-dire de démontrer que la démocratie est la cause fondamentale de la situation actuelle de dé-civilisation rampante. Dans ce but, il faut d'abord faire remarquer qu'il est difficile de trouver beaucoup de partisans de la démocratie dans l'histoire de la théorie politique. Presque tous les grands penseurs n'avaient que mépris pour la démocratie. Même les Pères fondateurs de la Constitution américaine, que l'on considère aujourd'hui —à tort— comme des défenseurs de la démocratie, y étaient strictement opposés. Sans aucune exception, ils étaient d'accord avec Aristote pour reconnaître que la démocratie n'est rien d'autre que le règne de la canaille. Ils entretenaient plutôt, comme Jefferson, l'idée d'une "aristocratie naturelle" dont ils pensaient faire partie, et prônaient en conséquence une république aristocratique.

Même parmi le petit nombre de défenseurs théoriques de la démocratie dans l'histoire de la pensée politique, comme Rousseau, il est presque impossible de trouver qui que ce soit pour prôner la démocratie ailleurs que dans de toutes petites communautés. En fait, dans les villages et dans les villes où tout le monde connaît personnellement tous les autres, pratiquement personne ne peut manquer d'admettre que la position des "possédants" a forcément quelque chose à voir avec des capacités supérieures, de même que la situation des "déshérités" est liée à une infériorité, à des déficiences personnelles. Dans ces conditions-là, il est beaucoup plus difficile de faire passer l'idée de piller les autres et leur propriété à des fins personnelles. A l'inverse marqué, dans de vastes territoires comprenant des millions voire des centaines de millions de personnes, où les candidats au pillage ne connaissent pas leurs victimes et vice-versa, le désir humain de s'enrichir aux dépens des autres n'est plus soumis à aucune gêne.

Plus important encore, il faut souligner que la démocratie est immorale en plus d'être anti-économique. Pour ce qui est du statut moral de la règle majoritaire, il faut faire remarquer qu'elle permet que Dupond et Durand s'acoquinent pour voler Duschmolle ; de même, que Duschmolle et Dupond s'entendent pour voler Durand, et encore que Durand et Duschmolle complotent contre Dupond. Ce n'est pas de la "justice", mais une infamie, et bien loin de traiter avec respect les démocrates et la démocratie, il faudrait les juger avec mépris et les bafouer pour leur escroquerie intellectuelle et morale.

En ce qui concerne les propriétés économiques de la démocratie, il faut rappeler sans relâche que ce n'est pas la démocratie mais la propriété privée, la production et l'échange volontaire qui sont les véritables sources de la civilisation et de la prospérité humaines. En particulier, et contrairement à un mythe répandu, il faut souligner que le défaut de démocratie n'était absolument pour rien dans la faillite du socialisme soviétique. Ce n'était pas le mode de sélection des politiciens qui constituait le problème du socialisme réel. C'était la politique et la politisation des décisions en tant que telles.

Au lieu que chaque producteur privé décide indépendamment quoi faire de ressources particulières, comme dans un régime de propriété privée et de contractualisme, avec des facteurs de production complètement ou partiellement socialisés chacune de ces décisions nécessite l'autorisation de quelqu'un d'autre. Peu importe au producteur comment sont choisis ceux qui donnent cette permission. Ce qui compte, pour lui, c'est qu'il ait à demander la permission. Aussi longtemps que c'est le cas, l'incitation des producteurs à produire est réduite et l'appauvrissement doit en résulter. La propriété privée est aussi incompatible avec la démocratie qu'elle l'est avec toute autre forme de domination politique. A la place de la démocratie, ce qu'exigent la justice aussi bien que l'efficacité économique, c'est une société de propriété privée stricte et non entravée —une "anarchie de production"— dans laquelle personne ne vole personne, et où toutes les relations entre producteurs sont volontaires, et par conséquent mutuellement avantageuses.

Enfin, pour ce qui est des considérations stratégiques, pour approcher le but d'un ordre social non-exploiteur, c'est-à-dire une anarchie de propriété privée, l'idée majoritaire doit être retournée contre la domination démocratique elle-même.

Sous toutes les formes de domination étatique, y compris la démocratie, la classe dirigeante des politiciens et des fonctionnaires ne représente qu'une faible fraction de la population. Alors qu'il est possible qu'une centaine de parasites vivent une vie confortable sur le produit d'un millier d'hôtes, un millier de parasites ne peut pas vivre sur le dos d'une centaine d'hôtes. A partir de la reconnaissance de ce fait, il apparaîtrait possible de persuader une majorité des électeurs que c'est ajouter une honte au préjudice subi que de permettre à ceux qui vivent des impôts des autres de déterminer quel sera leur montant ; on pourrait alors, par un vote majoritaire, retirer le droit de vote à tous les fonctionnaires et à tous ceux qui vivent de l'argent de l'Etat, qu'ils soient parasites des systèmes sociaux ou fournisseurs des administrations.

En liaison avec cette stratégie, il est nécessaire de reconnaître l'importance primordiale de la sécession et des mouvements sécessionnistes. Si les décisions majoritaires sont "justes", alors la plus vaste de toutes les majorités possibles, une majorité mondiale et un gouvernement démocratique mondial, doivent représenter la "justice" suprême, avec les conséquences prédites au début. A l'inverse, la sécession implique la rupture de petites populations d'avec des populations plus grandes. Elle constitue par conséquent un vote contre le principe de la démocratie et du majoritarisme. Plus loin le processus de sécession se poursuivra —au niveau des petites régions, des villes, des quartiers, des bourgs, des villages, et finalement des associations volontaires de familles et d'entreprises— et plus il sera difficile de maintenir le niveau actuel des politiques redistributives. (6)

En même temps, plus petites seront les unités territoriales et plus il y aura de chances qu'un petit nombre de gens, à partir de la reconnaissance par le peuple de leur indépendance économique, de leur exceptionnelle réussite dans leur métier, de leur vie personnelle moralement impeccable, de la supériorité de leur jugement, de leur courage et de leur goût, s'élèvent au rang d'élites naturelles, volontairement reconnues. Ils prêteront leur légitimité à l'idée d'un ordre naturel de pacificateurs, de juges en concurrence, c'est-à-dire non monopolistiques, et par conséquent volontairement financés, de juridictions parallèles, tel qu'il existe aujourd'hui même dans le domaine du commerce et des déplacements internationaux —une société de droit purement privé— comme réponse à la démocratie et à toute autre forme de domination politique, imposée par la violence.

 

Traduction de François Guillaumat

 

NOTES DU TRADUCTEUR : 

(1) On pourrait multiplier les exemples de ce genre :

- Les subventions aux "arts" et à la "culture" profitent essentiellement à une clientèle aisée (musées, théâtres, opéras,, bibliothèques).

- La retraite par répartition subventionne les bourgeois et les fonctionnaires, qui vivent plus longtemps et commencent plus tard à travailler, aux dépens des ouvriers, qui travaillent plus tôt et meurent vite.

- Le versement transports, qui ampute les salaires pour subventionner les transports en commun, se retrouve dans la poche des propriétaires immobiliers voisins des lignes, ayant pour effet essentiel d'accroître la valeur de leurs logements.

- L'impôt sur le revenu empêche les petits entrepreneurs industrieux de s'enrichir, et de concurrencer les gros capitalistes déjà installés.

- Le logement social est peuplé par des gens en moyenne plus riches que la population dans son ensemble.

- Le salaire minimum interdit de travailler aux plus pauvres, pour que les autres salariés, plus riches, touchent davantage en étant protégés de leur concurrence.

- Le protectionnisme agricole appauvrit les acheteurs de produits alimentaires (les plus pauvres étant ceux qui, proportionnellement, y dépensent le plus) au profit exclusif des propriétaires fonciers agricoles, et d'autant plus qu'ils sont plus riches. Etc.

Pour d'autres exemples, cf. David Friedman : "Robin des Bois est un vendu" dans Vers une société sans Etat, Paris, les Belles Lettres, 1992.

La règle absolue, axiomatique, est que la redistribution politique est administrée par les puissants aux dépens des faibles. La règle générale est qu'elle se fait au profit de ces mêmes puissants. La vraisemblance veut que si les riches ne sont pas puissants, ni les puissants riches, ça ne dure généralement pas très longtemps.

(2) Il faut ajouter que le pillage affecte nécessairement l'ensemble des parties aux contrats qui ordonnent la coopération sociale, de sorte que rien ne garantit que les plus grands bénéficiaires, et les plus grandes victimes, de la redistribution politique, soient ceux désignés par les hommes de l'Etat.

(3) L'auteur parle de "costs", qui se traduit normalement par "coût". Mais lui-même serait le premier à rappeler que le "coût" est une valeur ressentie par l'auteur d'une action au moment où il agit : la valeur pour lui de son deuxième meilleur choix, auquel il choisit de renoncer. Or, justement, le décideur "public" est celui qui ne subit pas les conséquences de ses actions. Par définition, il est institutionnellement irresponsable. Que ferait-il si, comme un monarque absolu, il était en principe propriétaire du royaume et subissait effectivement, en principe, les conséquences de son choix ? La seule manière de le savoir est de rétablir sa responsabilité, c'est-à-dire d'abolir le caractère "public" des décisions d'intérêt commun.

Même irresponsabilité chez les gens normaux, financiers forcés de cette décision. On trouvera certainement des contribuables (ou des acheteurs lésés par quelque monopole), dûment intimidés par la propagande du pouvoir, pour dire qu'ils l'"approuvent". Mais cette opinion-là ne peut pas être informée à la hauteur des enjeux. En effet, quel est leur seul véritable choix ? "Accepter" la situation ou en éprouver un sentiment de révolte impuissante : ils sont dans la situation du cocu qui, ne pouvant rien y faire, a pour meilleure solution de refuser de savoir qu'il l'est. Combien d'entre eux feraient la dépense, "achèteraient" le service s'ils en avaient effectivement le choix ? S'ils pouvaient refuser leur argent, ou refuser que les autres paient à leur place ? La seule manière de le savoir est que ce choix, justement, leur soit laissé. Que la décision cesse d'être "publique", pour redevenir privée.

Conclusion : le "coût" matériel de la décision de "produire" à titre "public" n'est pas le vrai coût effectivement subi par le décideur, et n'est pas un coût pour celui qui paie. En fait, il n'a rien à voir avec ce qu'on doit dépenser comme ressources pour "produire" : il faut donc bien employer un autre mot pour désigner les dommages que cette "production" nous cause. En outre, le mot de "pertes" (comme celui de "profit") est strictement associé à l'inattendu, à l'imprévu, à l'incertitude ; or, la décision publique peut être prévue, et on peut même surestimer sa nocivité, ce qui peut conduire par la suite à constater un profit si elle est moins nuisible qu'on ne le pensait. J'ai donc choisi de parler de "charges".

(4)   ça prouve au moins que les hommes de l'Etat lui attribuent de la valeur. C'est pourquoi Murray Rothbard inscrivait la dépense étatique au titre de la consommation personnelle (d'argent volé aux autres) des hommes de l'Etat.

(5) Pas trop difficile d'imaginer des exemples....

(6) L'inverse étant évidemment vrai : les gens qui, soit pour s'en féliciter soit pour le dénoncer, s'imaginent que la "construction européenne" ou les institutions mondiales favoriseraient la liberté des échanges se fourrent tout autant le doigt dans l'oeil que ceux qui croient qu'une politique d'immigration sans entraves serait une politique "libérale".  Cf. Hans-Herman Hoppe : "Contre le centralisme ; Coopération économique oui, intégration politique non", , traduction par votre serviteur d'un texte publié sous le titre : "Wirtschaftliche Kooperation statt politische Zentralisation" dans la Schweitzer Monatshefte de mai 1993, pp. 365-371, et sous le titre "Against Centralization" dans The Salisbury Review de juin 1993, aux pp. 26-28 ; cf. aussi, idem, "Liberté d'immigrer ou intégration forcée ?" Traduction de : "Free Immigration or Forced Integration?" paru dans Chronicles, Vol. 19, N° 7, juillet 1995, Rockford Institute, 934 North Main Street, Rockford, IL 61103-7061.


Entre Marc Grunert et Frédéric Quieti

(membres du Cercle Hayek de Strasbourg)

Fred à Marc

 

L'article qui t'a impressionné était-ce "A bas la démocratie?" En fait, l'auteur part d'une conception classique de la démocratie (suffrage universel). Il a tort en ignorant de voir à quel point cette conception n'est plus de mise dans la plupart des constitutions des pays démocratiques. Par contre, bien entendu, il a tout à fait raison (et c'est ce que dit Salin et les libéraux) le pouvoir ne doit pas être mis largement dans les mains de représentants, fussent-ils élus, mais il doit être concentré au maximum chez l'individu. Aujourd'hui en France et c'est là tout le problème, la conception de la vie sociale est que tout pouvoir réside non pas dans l'individu mais dans la sphère politique d'où les lamentations des gauchistes, mais pas seulement hélas, sur le recul de cette sphère politique, sans vouloir comprendre que le développement de la sphère privée c'est à dire de la société civile c'est à dire de l'individualité ne peut qu'entraîner la défaite du social. Les hommes politiques ne peuvent pas tout faire mais ils ne le doivent surtout pas! Se pose alors de manière aiguë un autre problème fondamental : celui de l'intérêt général. Évidemment pour les libéraux il n'existe pas d'intérêt général qui dépasserait en nature les intérêts particuliers. C'est une naïveté entraînée par les idées hégéliennes et marxistes de la notion de la réalisation d'un esprit collectif qui a remplacé au XXème siècle la notion d'accomplissement personnel.     

 

Marc à Fred

 

Merci pour ta réponse. Je voudrais juste rebondir sur tes commentaires du texte de Hoppe sur la démocratie pour te dire que, justement, ce qui m'avait impressionné c'était la logique impeccable avec laquelle il anéantissait la conception poppérienne ou churchillienne de la démocratie, en plus de la conception classique. Ainsi écrit-il à propos de la faillite du régime soviétique : « Ce n'était PAS le mode de sélection des politiciens qui constituait le problème du socialisme réel. C'était la politique et la politisation des décisions en tant que telles." (c'est moi qui souligne). Or Popper critiquait la conception classique de la démocratie en disant que la démocratie est une méthode de sélection des dirigeants qui correspond à un moindre mal. Hoppe considère à juste titre que la démocratie, qui politise inévitablement les décisions et socialise la propriété selon les humeurs du peuple, n'a pas de fondement positivement moral (on pourrait dire négativement oui selon l'optique poppérienne: le bien est l'absence de mal. Les libéraux classiques tendance Popper sont assez schopenhaueriens,  négativistes). Mais y a-t-il absence de mal ? La démocratie est un bien relatif mais dans l'absolu c'est un mal ! Et ceci quelle que soit la conception de la démocratie adoptée. C'est ainsi que j'ai compris Hoppe. 

 

Fred à Marc

 

Toujours au sujet de la conception de la démocratie : si l'on considère d'une part que la démocratie c'est d'abord une politisation des décisions et que d'autre part la particularité du socialisme réel c'est justement la politisation des décisions en tant que telles alors n'est-on pas amené dans cette logique à ne voir que de minces différences entre ces deux types de régime alors qu'il existe des différences essentielles? (comme d'ailleurs pour Marx : la question des régimes constitutionnels était de peu d'importance puisque l'important c'était l'essence de l'état c'est à dire la dictature de classe et non l'existence de état). Un État totalitaire d'un côté où toutes les activités de l'individu sont contrôlées  ne peut être peu ou prou assimilé à la démocratie ou à la conception poppérienne de la démocratie qui désigne ce système simplement comme un mécanisme permettant aux hommes de se protéger et de se prémunir contre l'État et contre ses semblables. Autrement dit dans le premier cas on a un régime qui au nom de l'histoire et d'une société sans heurt élimine la conflictualité en éliminant les individus alors que dans le deuxième cas la démocratie rend acte de cette conflictualité et au lieu de chercher à la dissimuler garantit aux individus un certain nombre de droits inaliénables et mis hors de portée des hommes politiques et du suffrage universel.

J'ai l'impression que pour l'auteur de l'article le problème démocratie/dictature est de peu d'importance au profit d'un autre dilemme sur le type de société par exemple. Il aurait raison si et seulement si on se référait à la conception classique de la démocratie. Par contre si l'on considère que la démocratie c'est aussi et surtout la mise en place et la défense des droits individuels (dont la sphère exacte fait l'objet de controverse, permise justement par la démocratie + définir à quel niveau on veut se placer) alors il me semble que l'on sort de la logique propre à cet auteur. Je pense alors que la démocratie aurait donc un fondement moral en reconnaissant les droits imprescriptibles de la personne humaine bien qu'aujourd'hui cette notion même de droits imprescriptibles peut être et doit être encore élargi. Voilà où se situe notre combat pour le libéralisme.

Je ne comprends pas en quoi la démocratie est un mal quelle que soit la conception proposée de la démocratie! Le problème est surtout de développer justement les droits individuels qui doivent rester hors d'atteinte de la loi de la majorité. Et en ce sens on peut alors dire qu'il s'agirait d'étendre, d'approfondir notre démocratie en parlant de démocratie libérale!

Pour Hoppe la démocratie c'est surtout "un-homme-une-voix, plus la liberté d'entrer dans l'appareil d'État" mais ce qu'il occulte c'est tout simplement le fait que la démocratie c'est aussi le respect de la propriété privée même si il existe des nuances. Sa logique parait imparable mais les prémisses sont discutables car il insiste justement sur les points faibles de la démocratie (loi de la majorité). Bref pour le dire en un mot son article ne m'a guère impressionné, étant déjà persuadé que la loi de la majorité n'est pas moralement tenable et pour moi la démocratie ne réside pas en premier lieu dans une machine de redistribution des richesses comme le pense Hoppe et je n'ai rien trouvé dans cet article qui affaiblit la conception moderne (qui dépasse et de loin le problème de la sélection des dirigeants!) de la démocratie à moins de considérer (ce qui est peut être implicite) qu'il n'existe aucune légitimité à l'existence d'autorités publiques. Mais c'est là un autre problème.

 

 

Marc à Fred

 

Je crois que le premier paragraphe du texte de Hoppe est très réaliste quant à la nature de la démocratie réelle. Tu termines ton texte en disant que Hoppe suggère "qu'il n'existe aucune légitimité à l'existence d'autorités publiques." Je pense effectivement que ce n'est pas un autre problème comme tu l'écris, c'est le problème. Il se trouve que la démocratie n'est pas légitime car chacun est propriétaire de sa propre personne alors que la démocratie, telle que nous la connaissons ( la démocratie réelle), tend à socialiser, à collectiviser cette propriété : l'individu ne s'appartient plus car dans l'État démocratique chacun a tendance à vivre aux dépens des autres. Bien entendu on pourrait dire, comme les communistes lorsqu’ils tentent vainement de se démarquer du communisme totalitaire, que ce n'est pas l'essence de la démocratie. Mais c'est un fait : Lorsque la majorité décide pour tous alors le droit de propriété naturelle de chacun sur sa propre personne et sur ses biens est bafoué. Je crois que le 1er paragraphe de Hoppe dessine parfaitement la situation. Quant au principe "un homme-une voix" il s'agit là d'un principe démocratique sans cesse évoqué, un principe inhérent à la démocratie telle qu'elle se réalise aujourd'hui. Il faut bien comprendre que la démocratie n'est que ce que les démocrates en font. Et c'est cela qu'ils en font. Hayek a essayé de proposer une constitution qui limite la démocratie car celle-ci est perçue par Hayek à la fois comme une garantie contre l'abus de pouvoir (l'élection) mais aussi comme l' instrument dangereux du pouvoir illimité de la majorité ou de groupes sociaux. Si le système hayékien était possible nous aurions un État minimum. Mais ce minimum est-il nécessaire ? Est-il juste ? Théoriquement je ne le pense pas. Le pouvoir politique n'a, théoriquement, aucune légitimité. C'est pourquoi la démocratie n'en a pas. Du moins pas d'autre que négative : c'est vraiment le pire des régimes à l'exclusion de tous les autres. il faut tirer les conséquences logiques de cet aphorisme.

 

 

Fred à Marc

    

Je ne trouve pas réaliste le premier paragraphe de Hoppe, il ne s'agit que d'"expériences mentales" et même si elles sont concevables ce ne sont que des vues de l'esprit et tout dépend, je le répète, du niveau des droits individuels que l'on place hors de quelconques décisions de la majorité. Je crois que le problème posé par l'article c'est bien celui du suffrage universel utilisé par Hoppe pour discréditer la démocratie, or la démocratie ce n'est surtout pas ce que les démocrates en font car il faut enserrer la pratique politique dans un ensemble institutionnel qui réduise largement leurs dispositions à légiférer dans des domaines importants de la vie de l'individu. "La démocratie ne fut jamais le pouvoir du peuple, elle ne peut et ne doit pas l'être" Popper. Il ne faut pas s'en tenir à l'étymologie du mot mais au concept actuel qui dépasse et de loin le problème de la souveraineté du peuple! J'ai bien conscience qu'en France les droits économiques sont bafoués mais je ne placerai pas ce combat dans la problématique de la délégitimation de la démocratie.

Il me semble que l'objectif de cet article est de montrer les défauts du suffrage universel (un-hommme-une-voix) et par là même soit de délégitimer toute autorité publique soit aussi de promouvoir implicitement un suffrage censitaire. Prenons d'abord ce deuxième point : pour Hoppe il y a d'un côté une minorité les riches (industrieux et intelligents) et de l'autre la grande masse les pauvres ("typiquement stupides ou paresseux ou les deux à la fois") et il est immoral que la majorité ponctionne la minorité, même si certains (et en France ils sont nombreux) militent pour une démocratie sociale. La France est considérée comme une démocratie, de même que la Suède et les États-Unis, or les conceptions de la vie sociale diffèrent profondément entre ces trois nations. Pour ma part le dilemme démocratie/dictature est encore plus important que le dilemme capitalisme/socialisme car la démocratie doit être centrée sur l'affirmation des droits de l'homme et doit imposer à l'Etat des normes juridiques que celui-ci est contraint de respecter + l'organisation de débats publics (société sure d'elle-même car elle prend le risque d'institutionnaliser ses controverses et accepte de mettre en lumière ses défauts).

Allons plus loin : il y a donc deux choses en conclusion évidente de cet article qui discrédite la démocratie ou plutôt à mon avis, la conception classique :

  Si le suffrage universel est immoral il faut le supprimer et donner une importance plus grande à la richesse (comme dans les copropriétés, l'importance du suffrage est lié à la taille de l'appartement). Je ne peux accepter cette solution car une société n'est pas uniquement et loin de là fondée sur les riches/intelligents et les pauvres/paresseux et alcooliques. Il y a des gens modestes qui travaillent durement. Un gouvernement oligarchique ne mène qu'au déclin. Le droit de vote égal assure à chacun une dignité qui est que chaque vie humaine est une fin en soi et qu'elles se valent toutes quels que soient les niveaux de fortune.

  On pourrait dire que le point n°1 n'a aucune importance puisqu'il s'agit de promouvoir une société humaine dans laquelle la sphère politique disparaîtra. Là encore je n'y crois pas. Je ne peux concevoir une société dans laquelle les hommes libérés de toute contrainte étatique et paraétatique retrouveraient ou trouveraient (pour la première fois) leur nature profonde.

Ils vivraient donc en harmonie, indépendants, leurs relations seraient pacifiques car fondées sur l'échange libre et profitable à tous. Il va sans dire que cette vision irénique des hommes est naïve et fait fi de la cupidité ou d'autres problèmes. Il faudrait donc organiser une sécurité commune (au minimum) et prendre des décisions par la délibération et là se repose encore une fois le problème du 1°. Pourquoi alors ne pas dire que le but de l'État est de protéger les hommes des autres hommes et de permettre à la liberté de pouvoir s'exprimer et laisser les individus prendre les décisions qui les concernent. Nous n'en sommes pas là mais nous pouvons nous y diriger en étant guidé par un idéal de société mais un idéal s'il guide nos actions ne peut en aucun cas se réaliser, c'est pas pour nous, pas sur cette terre en tout cas et vouloir détruire la démocratie en vue de la réalisation d'un idéal (quel qu'il soit) on sait ce que cela a donné : des catastrophes.

Je pense donc qu'il y a des cas où il faut des institutions publiques, un minimum d'Etat et qu' une société sans institutions publiques, sans instances (autre que l'individu) qu'elles soient étatiques, municipales ou autres n'est qu'une chimère fondée sur une vision angélique des êtres humains. Par conséquent je crois plus au système hayékien qu'à une utopie (libertaire ?) qui ne peut se réaliser. D'ailleurs le mot utopie me fait peur même quand il est employé par Salin (qu'est-ce donc qu'une "utopie réaliste"?).

 

Marc à Fred

 

1.

            Une expérience de pensée peut parfaitement être réaliste. Il faut bien voir que le principe un-homme-une-voix est réaliste non seulement parce qu'il est conforme à la nature de la démocratie réelle mais aussi parce qu'il est utile au politicien pour se faire élire. Le politicien cherche à obtenir le pouvoir ou à le conserver. Pour cela il est prêt à donner des gages à ses électeurs potentiels qui sont tous égaux pour lui dans la mesure où ils rapportent chacun une voix et une seule. La logique de la démocratie sociale est donc d'accroître les pouvoirs de l'État, pas de les diminuer. Entre les États-Unis, la France et la Suède la différence n'est que de degré pas de nature. Cela dit, j'aimerais bien que la démocratie puisse se séparer du socialisme mais il me semble que les deux sont liés par un même intérêt : que chacun exerce un pouvoir politique sur tous. La démocratie n'est pas un régime politique qui puisse garantir les droits de l'homme. C'est le régime du moindre mal ; c'est le régime qui permet d'éviter la tyrannie de type dictatorial. Mais la démocratie sociale (seule forme de démocratie connue aujourd'hui) ne se confond en aucun cas avec le règne des droits individuels. C'est le règne des droits sociaux, des droits des groupes  des « droits » de l'État et marginalement celui des droits individuels.

 

            Hoppe vise donc la démocratie sociale mais il faut comprendre que celle-ci est une tendance irrésistible. Limiter le pouvoir politique, limiter l'État c'est forcément limiter les pouvoirs du gouvernement - démocratique ou pas - et du Parlement. D'où l'idée de Constitution de la liberté de Hayek. N'es-tu pas d'accord que l'étendue de la démocratie est proportionnelle à l'étendue du pouvoir politique des élus et du gouvernement ? Une société totalement contractuelle et dépolitisée ne serait pas du tout démocratique. Lorsque nous passons un contrat nous sortons du champ démocratique c'est-à-dire du champ du débat public assorti du principe de décision majoritaire. Que le contrat soit régulé par un droit étatisé ou non importe peu ici. En somme il n'y a de démocratie que s'il y a des choix publics et un pouvoir de chacun sur tous en vue d'objectifs concrets et collectifs.

 

            Autre précision : la démocratie n'a pas de base morale positive c’est-à-dire déductible des droits naturels individuels. Elle n'a qu’une base morale négative parfaitement identifiée par Popper : éviter la dictature et le bain de sang. Pour des raisons historiques je suis démocrate. Pour des raisons de principe ou théoriques je crois que l'on doit tenter de dépasser la démocratie.

 

2.

            Je crois qu'il y a plus d'ambivalence dans le droit de vote universel et égal. Tu écris que ce droit "assure à chacun une dignité qui est que chaque vie humaine est une fin en soi". Je ne suis pas d'accord. En théorie c'est peut-être soutenable et vrai du pt de vue symbolique. En pratique le droit de vote égal garantit aussi à chacun un contrôle sur la vie des autres, parfois totalement arbitraire, et réduit souvent les autres à de simples moyens au service des fins de certains groupes. "Chacun s'emploie à vivre aux dépens de tous". Ce n'est pas là une conception viable de la dignité.

 

            Dans ton deuxième point tu affirmes que l'État est un mal nécessaire qui existera toujours. J’ai tendance à le croire aussi mais cela ne donne aucune légitimité à l'État. En fait c'est presque en faire une loi de l'histoire et de la condition sociale (lire le texte de de Jasay : L’expérience prouve… mais aussi voir la réfutation par Popper de l’historicisme). Hayek considère également qu'un État minimum est nécessaire pour faire appliquer le Droit. J'en suis de moins en moins sûr. De toute façon il est clair que cela est une question académique. Et d'un point de vue académique je pense que l'on peut juger réaliste l'idée d'un monde social sans État et sans choix public. L'histoire n'est pas le Tribunal de l'avenir. L'histoire peut nous renseigner sur la nature humaine et sa permanence, pas sur la condition sociale la plus conforme à la nature humaine d'après laquelle chacun est propriétaire de sa propre personne.

            Je répète que mon objectif n'est pas de détruire la démocratie car je préfère celle-ci à la dictature mais je voudrais que l'on puisse réfléchir à sa légitimité positive. En tout état de cause je ne prônerai jamais une position hostile à la démocratie sans penser que ce qui pourrait lui succéder serait le capitalisme intégral. Je crois qu'il faut plaider pour un capitalisme étendu sans attaquer directement la démocratie. A elle de saisir alors sa chance et de prendre la forme que tu souhaites. Jamais je ne lèverai le poing en criant "à bas la démocratie !". Mais je le lèverai pour dire "moins d'impôts, moins de dépenses publiques, moins de pouvoir politique, plus de pouvoir contractuel !" Etc.

            je voudrais terminer en disant que tu fais fausse route en parlant de "vision angélique de l'être humain" pour ce qui concerne l'idée d'une société sans État. C'est justement par abandon de la vision angélique de l'État que l'on en arrive à cette idée. De plus celle-ci ne suppose en aucun cas l'absence de conflits. Elle consiste à refuser que l'appareil étatique prenne prétexte des conflits pour se mêler des affaires humaines. Des problèmes et des conflits il y en aura toujours. La résolution des conflits se fera tout aussi bien sans l'État dans la mesure où les hommes y auront intérêt, ce qui, je crois, est une hypothèse raisonnable. J'aimerais dire à propos du capitalisme intégral par rapport à l'État minimum ce que Popper disait au sujet de l'économie de marché par rapport à l'économie planifiée :

 

            "Même si les choses étaient ainsi faites que l'économie étatisée, planifiée par un centre, eût l'avantage sur la libre économie de marché, je serais opposé à l'économie planifiée ; pour la raison qu'elle amplifie le pouvoir de l'État jusqu'à en faire une tyrannie."

 

            De la même manière la démocratie minimale conduit à la démocratie sociale puis à la tyrannie démocratique.

A propos de "utopie", Hayek :

 

            "Ce qui nous manque, c'est une utopie libérale, un programme qui ne semble être ni une simple défense des choses existantes, ni une forme diluée de socialisme, mais un véritable radicalisme libéral qui n'épargne pas les susceptibilités des puissants (y compris les syndicats), qui ne soit pas strictement pratique, et qui ne se confine pas à ce qui semble aujourd'hui politiquement possible." (Les intellectuels et le socialisme).

 

Fred à Marc

 

               Merci pour ta réponse sérieuse et bien argumentée. Bien entendu il y a des points avec lesquels je suis en accord ("moins d'impôts, moins de dépenses publiques, moins de pouvoir politique, plus de pouvoir contractuel" par exemple).

              En fait, l'article de Hoppe me rebute et ce à plusieurs niveaux :

   - ses attaques contre la démocratie n'ajoutent rien de plus aux critiques exercées envers la conception classique de la démocratie depuis Platon ! Il affirme et tu es d'accord avec lui que la démocratie conduit forcément à la démocratie sociale puis à la tyrannie démocratique et comme tu l'écris une fois établie la démocratie "la logique de la démocratie sociale est donc d'accroître les pouvoirs de l'État". Comment comprendre alors que de grandes démocraties dans les années 80 aient, en convaincant donc une majorité d'électeurs, non seulement fait reculer l'État de manière significative mais aussi et surtout par le débat public changé les mentalités des hommes pour justement leur faire admettre (et il s'agissait non seulement des riches !) l'intérêt de la diminution du pouvoir politique ("Notre gouvernement n'a pas de pouvoir autre que celui  qui lui est octroyé par le peuple. Il est temps de contenir et de renverser la croissance du gouvernement, qui présente des signes d'expansion au-delà de ce que les gouvernés étaient prêts à consentir. C'est mon intention de réduire la taille et l'influence du gouvernement fédéral et d'exiger qu'on reconnaisse la distinction entre les pouvoirs octroyés au gouvernement fédéral et ceux qui sont réservés aux États et au peuple" Reagan, 1981).

   Pourquoi ce qui a été fait aux USA, GB, Australie et Nouvelle-Zélande, ne le serait-il pas en France ? L'Etat doit être notre serviteur pas notre maître voilà l'héritage anglo-saxon. Certes la différence entre les USA et la France n'est que de degré pas de nature mais quel degré, pour moi c'est très important !

   - Je pense que la démocratie peut tout à fait être un régime qui puisse garantir les droits de l'homme et aussi les droits individuels du moins les plus importants. La démocratie sociale n'est pas une tendance irrésistible, loin de là sauf si on considère avec Hoppe que la majorité est et sera toujours constituée de pauvres paresseux, ignorants et mus uniquement par le désir de vivre aux dépens des plus riches de même il n'existe aucune fatalité de la redistribution parmi les non-pauvres. Et quand bien même cette fatalité serait avérée il faudrait encore discuter du niveau de distribution (ce n'est pas la même chose de se faire prendre les 2/3 de ses revenus que 20% par exemple). Bien évidemment pour moi cette prémisse à sa démonstration est fausse et au contraire un espace public c'est aussi une possibilité de promouvoir le monde 3 de susciter la controverse, de faire preuve de conviction et de s'enrichir au contact d'idées multiples sans faire preuve de dogmatisme.

  -  Son exemple pour montrer la nocivité de la démocratie me paraît complètement loufoque : je suis persuadé que nous vivons mieux que nos parents lorsqu'ils étaient jeunes et la théorie du déclin est un thème qui ne cesse d'obséder les penseurs-alarmistes. Philippe Manière montre très bien les progrès de niveau de vie des Occidentaux durant la deuxième moitié du XXème siècle et depuis les années soixante et soixante-dix. Ce qui risque de se produire c'est un recul de l'Etat-providence qu'il faut profondément réformé. Dire que la "démocratie est la cause fondamentale de la situation actuelle de dé-civilisation rampante" voilà un thème qui fut largement abordé en Allemagne weimarienne, avec le résultat que l'on connaît (la seule fois où Hoppe cite les monarchies absolues c'est dans une optique positive !).

      Je suis d'accord lorsque tu dis que passer un contrat c'est sortir du champ démocratique et il faut donc élargir au maximum les possibilités offertes à l'individu de nouer des contrats en toute liberté sans que l'État ne s'en mêle. Je considère bien sûr le retrait de l'État comme une forme éminente du bien politique et j'irais même jusqu'à penser que la liberté est capable de commander de manière satisfaisante et souple à l'ensemble des rapports sociaux.

       Mais on peut aussi dire la conviction qu'un bon régime politique doit affirmer la place de la liberté de l'individu et surtout ne surestimons-nous pas un peu trop la compétence du marché dans la constitution d'une société qui équivaudrait à une série de décisions locales sans heurts ? Tu admets qu'il y aura toujours des problèmes et des conflits que l'individu, seul, ne pourra régler. Dès lors il faudra bien s'en remettre à une institution et une instance qui dispose de moyens conséquents et il faudra bien délibérer pour essayer des solutions, solutions qui seront décidées par qui ? comment ? Et on retombe sur le problème de la désignation/élection/tirage au sort/élites autoproclamées/gens moralement supérieurs etc. Tu dis que "la r

ésolution des conflits se fera tout aussi bien sans l'État dans la mesure où les hommes y auront intérêt" D'accord pour dire "sans l'État" mais il faudra bien une instance ! (que l'on appelle État peu importe). Et j'entrevois déjà les problèmes complexes que posera toute organisation humaine quelle qu'elle soit ! Pourquoi ne pas admettre que l'État, nocif en puissance, doit être une instance qui permette aux libertés de s'épanouir et rien n'empêche les hommes de placer dans les constitutions de leur État les droits économiques ou autres hors de la portée des politiques comme cela est déjà le cas pour d'autres libertés fondamentales. Le principe de subsidiarité invoqué par Nicolas Grand dans le BCH n° 6 repose sur les principes suivants : "ce n'est pas aux autorités supérieures de décider ce qui est bon pour les échelons inférieurs, mais au contraire à ceux-ci de faire appel à ceux-là à chaque fois qu'ils ne peuvent véritablement régler par eux-mêmes leurs propres problèmes"

 

    Autre point : pourquoi vouloir trouver un fondement légitime à la démocratie ou à l'État ? franchement je ne trouve pas que ce soit là le problème le plus fructueux : que l'État soit indispensable ou pas, que la démocratie n'ait aucune base morale positive m'importe peu dès lors qu'il y a une dynamique positive d'accroissement des droits individuels et de la liberté contractuelle ce qui est possible dans le cadre démocratique et compatible avec l'existence d'un État. Peut-être que le développement des droits individuels aboutira, un jour, à l'extinction de ce que nous appelons l'État mais je n'en fais pas un préalable au développement des droits individuels.

    Sur l'utopie. Je comprends tout à fait la phrase d'Hayek que tu as judicieusement cité mais ce concept est chargé tellement d'aspects négatifs que je ne peux m'empêcher de frémir lorsque je l'entends. J'admets qu'il s'agit d'une réaction épidermique (monde 2, hélas) mais je persiste.

    Dernier point : ce débat  sur la démocratie est très important certes mais nous sommes en France et avant que de parler d'extinction de l'État et de la nocivité de toute forme démocratique il faut d'abord convaincre l'opinion publique de réduire la sphère politique. Pour le reste, on verra plus tard. D'ailleurs tu le dis "il faut plaider pour un capitalisme étendu sans attaquer directement la démocratie".

 

Marc à Fred

Je suis d'accord avec cet argument que tu développes fort à propos et selon lequel la démocratie est ouverte à des réformes libérales en raison du débat public et de la prise de conscience des erreurs de politiques économiques. C'est le cas Thatcher et Reagan. J'avoue qu'il s'agit là de contre-exemples pertinents et je ne manquerai pas de les faire valoir auprès de Christian Michel, propriétaire du site Liberalia. Toutefois, si tu lis le texte de Hoppe "Hayek social-démocrate" tu verras que, pour lui, Thatcher et Reagan ne sont pas sortis du cadre de la sociale-démocratie. Ses arguments sont très convaincants. Lis ce texte, tu auras des arguments nouveaux qui éclairciront le texte dont nous discutons.

 

Fred à Marc

"La démocratie est la doctrine politique d'après laquelle la souveraineté doit appartenir aux citoyens". Ce n'est plus le cas aujourd'hui! Cette vision de ce concept date de Platon et aujourd'hui il a évolué! En effet, la conception moderne de la démocratie entérinée par la constitution des États démocratiques est la suivante : les démocraties ne sont pas des souverainetés populaires, elles sont avant tout des institutions dotées de moyens de se défendre contre la dictature" (Karl Popper). Par conséquent, je ne suis pas d'accord pour dire que la démocratie est compatible avec toutes les restrictions de liberté que la majorité des citoyens aura votées. Cela est non seulement historiquement faux aujourd'hui mais de plus c'est faire fi de toutes les réflexions sur la démocratie faites au XXème siècle. Je rajoute d'ailleurs que même pour Périclès (ou Thucydide) la démocratie ce n'était pas le pouvoir du peuple mais simplement le suffrage universel était le moins mauvais des moyens pour trancher les décisions au lieu d'utiliser la force et la violence (voir son célèbre discours dans La guerre du Péloponnèse). Le peuple n'a pas le pouvoir de faire, il a seulement la tâche d'évaluer de manière critique, tout en faisant que les droits individuels fondamentaux soient laissés hors de la portée de la majorité. Il ne s'agit pas de "confusion" de ma part mais d'enrichissement du concept!

      - On pourrait me dire : mais alors ce n'est plus de la démocratie! Et bien pour moi si dès lors que l'on considère tout simplement que cette conception moderne de la démocratie reconnue par une grande partie des démocrates est éloignée de la conception traditionnelle de la souveraineté populaire. "Sous cet angle il faut être conscient que plus que des démocraties pures, nos régimes politiques sont ce qu'Aristote appelait des "régimes mixtes" Roland Quilliot. Et je rappelle cette phrase célèbre de Popper "La démocratie ne fut jamais le pouvoir du peuple, elle ne peut et ne doit pas l'être". Et c'est pour cela que nous qualifions aujourd'hui nos régimes politiques de démocraties libérales! 

     - Nous ne sommes pas obligés de choisir entre la démocratie et le libéralisme! (on peut très bien se dire démocrate et libéral, je n'y vois là aucun dilemme!). Au contraire les deux sont parfaitement compatibles à moins de considérer que le libéralisme ne peut être qu'intégral, sans aucune instance publique et donc de déconsidérer les libéraux qui militent pour l'extension des droits individuels tout en admettant la possibilité d'un état minimum, en les appelant "ces socialistes qui se disent démocrates"! Il me semble que ta position (une société sans Etat), pour légitime qu'elle soit intellectuellement et même au point de vue éthique, présente au point de vue stratégique le grave défaut de vouloir détruire un système -qui doit être amélioré mais qui n'en présente pas moins des avantages certains en Occident- afin de vouloir une autre société dont ni toi ni moi ne pouvons connaître par simple reconstruction intellectuelle ses effets pervers. Autrement dit à la stratégie du tout ou rien, je préfère une stratégie minimaliste de dynamique positive d'accroissement des droits individuels dans un cadre démocratique avec une vision poppérienne de la démocratie.

     - Enfin la démocratie actuelle présente un autre avantage : celle d'institutionnaliser le débat, d'échanger des idées, d'argumenter, et de convaincre. Aujourd'hui en France nous vivons non pas une crise de la démocratie mais une crise démocratique faute d'un débat argumenté sur les meilleurs moyens de faire face aux problèmes qui se posent aux hommes.

     - Et je terminerai sur cette superbe phrase de Jean Baudoin :

      "Qu'est-ce, au fond, que le "paradigme de l'État de droit" sinon un lent et persévérant effort en vue d'affranchir les régimes démocratiques des contraintes de la vox populi? et qu'est-ce que la démocratie, sinon un exemple peu commun de lucidité collective au terme duquel des hommes et des femmes qui se savent faillibles et versatiles se donnent des règles moins mauvaises que d'autres afin de se protéger d'eux-mêmes et de protéger dans le même temps leurs semblables"

(C'est moi qui souligne).

 

Marc à Fred

 

Ton plaidoyer pour la démocratie est impressionnant. Je suis presque convaincu. Il n'en reste pas moins que je persiste à dire que la gestion démocratique de l'espace public a conduit et conduit encore à une politisation croissante de l'espace privé des individus et à une socialisation de la propriété privée. Cet aspect de la critique hoppienne demeure valable et c'est pour moi cet aspect qui commande tous les autres.

 

Partager cet article
Repost0
25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 00:00

par Jacques de Guenin

(Exposé fait à Bayonne, Bordeaux, Dax devant divers auditoires)


Je précise tout de suite que je ne vais pas parler de politique : ma brève incursion dans le monde politique m'a appris qu'il n'y a pas de parti complètement libéral, et que la plupart des hommes politiques sont plus prompts à nous forcer à entrer dans le système qu'ils préconisent, à coup de lois et de règlements, plutôt que nous laisser vivre comme nous l'entendons. Entre parenthèses, cela reflète de leur part un mépris certain pour l'individu, puisqu'ils ne le croient pas capable de se conduire honnêtement et solidairement s'il ne rentre pas dans leur système. Or c'est évidemment le contraire qui se produit. L'individu ne recherche plus la vertu lorsqu'il lui suffit d'appliquer les règlements pour se donner bonne conscience, et il ne ressent plus le besoin d'être solidaire lorsque l'État l'est à sa place.

 

Dans notre pays, la pensée libérale est ancienne et profonde. Elle été illustrée par une pléiade d'écrivains prestigieux, parmi lesquels on peut citer : La Boétie, Montaigne, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Turgot, Condorcet, Benjamin Constant, Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat, Victor Hugo, Alexis de Tocqueville, Gustave de Molinari, Jacques Rueff, Bertrand de Jouvenel, Raymond Aron, Jean-François Revel.

 

Vous remarquerez au passage que quatre de ces grands penseurs sont originaires d'Aquitaine. Il y a lieu d'en être fier.

 

A vrai dire, la pensée libérale est si prestigieuse qu'elle fait de l'ombre aux hommes de pouvoir. Aussi la dénigrent-ils sous des vocables variés, et se gardent-ils bien de l'enseigner dans leur système d'éducation. Si bien que les idées les plus fausses courent à son sujet. Mon ambition est de rétablir la vérité en définissant avec précision ce qu'est le libéralisme, et en montrant l'implacable logique qui lie ses différents concepts.

 

Mais si vous avez des convictions libérales, et si vous voulez défendre efficacement vos idées, la logique ne suffit pas. La plupart des gens ne sont pas disposés à se battre pour des raisonnements, si même ils veulent bien les écouter. En revanche ils sont prêts à se battre, voire à mourir si nécessaire, pour des principes moraux. Je vais donc m'efforcer de montrer que le libéralisme est non seulement le système le plus efficace sur le plan économique, mais encore le seul système social moralement cohérent.

 

Le libéralisme c'est d'abord une morale individuelle, ensuite une philosophie de la vie en société dérivée de cette morale, enfin seulement, une doctrine économique qui se déduit logiquement de cette morale et de cette philosophie.

 

Cette morale repose sur deux concepts-clés :

 

La responsabilité individuelle : être responsable, cela veut dire assumer soi-même les conséquences de ses propres actes. C'est un principe d'apprentissage par tâtonnement et d'autoperfectionnement.


La liberté individuelle : la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Article 4)


Ces deux concepts ne sont pas indépendants l'un de l'autre. Aucun des deux ne peut exister sans l'autre. En effet, on ne peut être responsable de ses actes que si on est libre de les commettre ou non. Réciproquement, si l'on veut respecter la liberté des autres, il faut assumer soi-même les conséquences de ses actes.

 

Ces deux concepts ne sont pas non plus arbitraires. Ils se déduisent d'un principe universel qui est celui du maintien de la vie et de la recherche du bonheur.

Toutes les fonctions de tous les être vivants, du plus simple au plus complexe, n'ont qu'un objectif : maintenir leur vie. On peut donc dire que tout ce qui la maintien est bon, et que tout ce qui la menace est mauvais. Voilà, pour les libéraux, le fondement de la morale.

 

Un être vivant doit se procurer l'énergie ou la nourriture dont il a besoin pour vivre et se propager, et se protéger des menaces extérieures. Il doit réagir aux conditions extérieures - comme le chaud et le froid -, ou aux agressions, par des actions. Chez les plantes et les animaux inférieurs, ces actions sont entièrement automatiques et inconscientes. Chez l'homme, les choses sont un peu plus compliquées :


L'homme a un cerveau développé qui lui permet :

  • de concevoir des objectifs
  • de lancer des actions dont les résultats vont augmenter ou diminuer sa satisfaction. Ces actions s'obtiennent au prix d'un EFFORT
  • de mémoriser le résultat de ces actions

     

  • d'analyser ces résultats et de tirer des conclusions sur la façon de les améliorer

Cette faculté décisive s'appelle LA RAISON.

On voit tout de suite que grâce à ses efforts, et à l'utilisation de sa raison, l'homme ne peut progresser indéfiniment vers la recherche du bonheur qu'à deux conditions :

  • Qu'il soit libre de ses actions.
  • Qu'il en assume les conséquences.

S'il jouit de la liberté, l'homme peut créer, inventer de nouvelles voies.

S'il en assume les conséquences, il peut tirer parti de ses erreurs pour progresser.

Nous retrouvons ainsi les deux principes-clefs de la pensée libérale : la Liberté et la Responsabilité.


Voyons maintenant quelles conséquences on peut tirer de ces deux principes :

1. Pour assurer sa vie, l'homme doit produire des biens qu'il pourra consommer, stocker, ou échanger, et des services qu'il pourra échanger contre d'autres biens ou services. Celui qui n'a pas droit au produit de ses efforts n'a pas la certitude de pouvoir entretenir sa vie de la façon qu'il le désire. L'homme qui produit alors que d'autres disposent de ce qu'il produit est un esclave. La propriété acquise par l'effort et la raison est donc une condition impérative de l'exercice de la liberté.

 

Celui qui produit et échange gagne ce qu'il a. Il ne donne ni ne prend ce qui n'est pas mérité. Il ne s'attend pas à être payé sur sa bonne mine, ou sur ses plaintes, ou sur l'expression passive de ses besoins, mais sur ses réalisations, sur ce qu'il a accompli.

Réciproquement, la propriété acquise par la force, le vol, ou la tromperie, est en contradiction formelle avec la morale libérale. La règle peut être la plus forte du libéralisme, est qu'on ne doit rien obtenir des autres par la coercition, mais seulement avec leur consentement.

 

2. L'homme produit au prix d'un effort, en utilisant sa raison. Il obtiendra des résultats d'autant meilleurs qu'il fera plus d'efforts et utilisera mieux sa raison. C'est la seule source d'inégalité cohérente avec la morale libérale.

Le corollaire est que la morale libérale ne tolère pas l'inégalité devant la loi, quelles qu'en soient ses formes : l'esclavage, les castes, les titres nobiliaires, les privilèges.

Nous allons voir maintenant que l'existence de la société améliore considérablement l'efficacité de l'individu dans sa recherche du bonheur par l'effort et la raison, et que réciproquement, la recherche individuelle du bonheur par l'effort et la raison engendre des conséquences extrêmement positives pour la société.

D'abord, la comparaison de ses résultats avec ceux des autres permet de progresser - à condition que le jugement ne soit pas altéré par l'envie. Ainsi la recherche de l'efficacité fait progresser la morale.

Ensuite, s'il jouit de la liberté, l'homme peut créer, inventer de nouvelles voies. Ce faisant, il enrichira aussi les autres. L'homme qui fournit seulement un travail physique consomme à peu de choses près l'équivalent de la valeur qu'il produit. L'homme qui produit une idée, une invention, ne reçoit qu'une infime partie de la valeur qu'il a ajoutée au patrimoine de l'humanité, et dont un nombre illimité de personnes bénéficiera.

Enfin, l'individu peut obtenir les biens ou les services qu'il ne peut ou ne veut produire lui-même, grâce à l'échange, sanctionné par un contrat si l'échange s'accomplit dans la durée. Lorsque l'échange est libre, les deux parties y trouvent leur satisfaction et aucun tiers n'est lésé.

Ainsi, si aucune autorité n'intervient pour lui dicter ses choix, l'homme peut choisir le travail qu'il préfère, se spécialiser dans ce travail, et aller aussi loin dans la voie du succès que sa volonté et son talent le permettent. Mais ce succès dépend de la valeur objective de ce travail pour les autres. Lorsque les hommes sont libres de leurs échanges, c'est le meilleur produit et le meilleur jugement qui l'emportent dans tous les domaines de l'action humaine, qui élèvent les niveaux de vie et de pensée de tous ceux qui participent à cette action.

Les échanges favorisent les rapports pacifiques entre les hommes et contribuent à la moralisation de ces rapports. Pour que les échanges soient efficaces, ils doivent exclure le mensonge. Les échanges au sein de sociétés un peu complexes exigent donc la confiance.

 

Contrairement aux anciens rois et seigneurs féodaux, aux modernes dictateurs, et même aux représentants de nos gouvernements, le chef d'entreprise n'obtient rien par la force : il sert autrui. Il doit satisfaire ses clients, et il perd tout pouvoir dès qu'il n'est plus en mesure d'assurer de meilleurs services que ses concurrents. La plus grosse entreprise perd sa puissance et son influence dès qu'elle perd ses clients. Le profit va seulement à celui qui a compris ce que veulent les autres. Il n'en est pas de même pour les activités de l'État, qui ne connaissent aucune sanction.

 

Ceci a été parfaitement exprimé par la grande philosophe et romancière américaine Ayn Rand, dans un roman fameux, mais malheureusement pas traduit en français qui s'appelle "Atlas Shrugged". Dans ce roman, un système totalitaire s'insinue peu à peu dans l'État Américain. Le Héros, Hank Rearden, un self made man, subit un procès parce qu'il ne se plie pas volontairement aux demandes du pouvoir. Comme dans tous les procès totalitaires à leurs débuts, le pouvoir espère que Hank Rearden s'accusera publiquement en échange de sa liberté. Mais Hank Rearden est d'une autre trempe. Voici ce qu'il dit à ses juges :


«...Je ne travaille pour rien d'autre que mon profit - que j'obtiens en vendant un produit dont ils ont besoin à des gens qui ont envie de l'acheter et qui en ont les moyens. Je ne le produit pas pour leur bénéfice au détriment du mien, et ils ne l'achètent pas pour mon bénéfice au détriment du leur ; je ne leur sacrifie pas mes intérêts et ils ne me sacrifient pas les leurs ; nous traitons en égaux, par consentement mutuel, à notre avantage mutuel - et je suis fier de chaque centime que j'ai gagné de cette façon. Je suis riche, et je suis fier de chaque centime que je possède. J'ai gagné mon argent par mon propre effort, par le libre échange et le consentement volontaire de tous ceux avec qui j'ai eu à faire - le consentement volontaire de ceux qui m'ont employé quand je débutais, le consentement volontaire de ceux qui travaillent pour moi aujourd'hui, et le consentement volontaire de ceux qui achètent mon produit.

Je répondrai à toutes les questions que vous avez peur de me poser ouvertement. Est-ce que je souhaite payer mes ouvriers plus que leurs services ne valent pour moi ? Non, je ne le souhaite pas. Est-ce que je souhaite vendre mon produit moins cher que mes clients sont près à le payer ? Non, je ne le souhaite pas. Est-ce que je souhaite le vendre à perte ou le donner ? Non, je ne le souhaite pas. Si cela est mal, faites ce que vous voulez de moi, selon vos propres standards. Voici les miens : je gagne ma propre vie, comme tout honnête homme doit le faire. Je refuse de me sentir coupable de mon existence et du fait que je dois travailler pour la soutenir. Je refuse de me sentir coupable de pouvoir le faire et de le faire bien. Je refuse de me sentir coupable du fait que je le fais mieux que la plupart des gens - du fait que mon travail a plus de valeur que celui de mes voisins et que plus de gens ont envie de me payer. Je refuse de m'excuser pour mes capacités - je refuse de m'excuser pour mes succès - je refuse de m'excuser pour mon argent.»


Est-ce à dire que le libéral n'agit que par intérêt personnel ? Nullement, mais pour lui, la sollicitude vis à vis de ses semblables, la solidarité, sont des vertus individuelles qui s'exercent directement ou au moyen de libres associations. Il ne considère pas comme solidarité le fait de faire redistribuer par l'État l'argent pris à d'autres.

 

Pour satisfaire des objectifs qui dépassent ses seules capacités, l'individu s'associe librement à d'autres individus pour constituer des associations ou des sociétés. Ces groupements peuvent à leur tour s'associer pour accomplir des objectifs encore plus ambitieux. Mais les groupes d'ordre supérieur ne doivent pas retirer aux groupes d'ordre inférieur (dont le plus petit est l'individu), ce que ces derniers peuvent accomplir eux-mêmes : c'est le fameux principe de subsidiarité.

 

Pour le libéral, l'État lui-même devrait être une association d'ordre supérieur à laquelle les associations d'ordre inférieur délégueraient certains pouvoirs et certains moyens, selon le principe de subsidiarité. Mais nous vivons depuis toujours dans un schéma strictement inverse où l'État dispose de tous les pouvoirs et ne consent à déléguer quelques petits espaces de liberté aux citoyens que lorsque ceux-ci le lui arrachent.

 

L'État est le plus grand danger potentiel pour l'individu, car il détient le monopole de l'usage de la force contre des victimes isolées et désarmées, et ce pouvoir attire comme des mouches les hommes ambitieux. Année après année, les rapports d'Amnesty International sont remplis des horreurs perpétrées par les États : les guerres, les massacres, les déplacements de population, les camps de concentration, les destructions, les enlèvements, les détentions arbitraires, les tortures, les famines, les persécutions, les confiscations.

 

À défaut de pouvoir reconstruire les institutions selon le principe de subsidiarité, les libéraux s'efforcent de limiter le pouvoir des États. C'est eux qui ont inventé le principe de séparation des pouvoirs, si difficile à mettre en œuvre, même dans notre vieille démocratie. C'est eux qui ont inventé la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 pour protéger les individus contre l'État.

 

Mais le libéral est conscient que si l'homme peut acquérir des biens par l'effort et la raison, il peut aussi les acquérir aux dépens des autres. Il accepte donc comme un moindre mal une autorité dont la seule vocation serait précisément de faire respecter les droits individuels. En pratique cela veut dire un État limité aux seules fonctions dites "régaliennes" : la Justice, la Police, et la Défense Nationale, ce qui implique une Diplomatie. Toutes les autres fonctions sont mieux accomplies par la libre association d'individus selon le principe de subsidiarité.

 

Il est bon de rappeler que cette vision d'un État minimum était celle des fondateurs de la démocratie américaine :


« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont dotés par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté, et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis par les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructrice de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir et d'établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur. »


En résumé, le libéralisme est un système dans lequel s'épanouit celui qui utilise sa raison, qui fournit des efforts, qui échange ou s'associe librement avec les autres, notamment pour désigner un gouvernement à qui ils délèguent le pouvoir de faire respecter les droits individuels. Dans ce système, le transfert de biens d'un individu à un autre ne se fait pas par décret, redistribution, expropriation, vol, pillage ou faveur du prince, mais par l'échange volontaire.

 

Dans tous les autres systèmes, un pouvoir central domine peu ou prou l'individu, et exerce sur lui diverses spoliations.

 

Le libéralisme, contrairement à tous les autres régimes, n'admet pas la seule inégalité qui soit vraiment injuste : l'inégalité devant la loi : ce sont des libéraux qui ont éliminé l'esclavage, les castes, les titres nobiliaires, les privilèges. En revanche il ne considère pas comme immorales les inégalités de résultat. Mais n'est-il pas profondément injuste de récompenser de la même façon le paresseux et celui qui se donne du mal ? Celui qui fait n'importe quoi et celui qui réfléchit ? C'est parce qu'il existe cette récompense à la raison et à l'effort que les sociétés qui appliquent la morale libérale ont toujours été, dans tous les temps et sous tous les cieux, les sociétés les plus prospères, comme elles ont été les plus tolérantes, les plus ouvertes et les plus humaines.

Saint-Loubouer, 2000

Partager cet article
Repost0
24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 00:25


Par Mithra


1- Personnalité

Une personne est un être qui revendique sa propre volonté ou conscience.

2- Universalité des droits

L'ensemble des droits doit être consistant.

3- Droits

Tous les droits sont des droits de propriété d'une personne sur une ressource aliénable.

3-1- Chaque personne détient les droits de propriété sur ce qui est sous le contrôle direct et exclusif de sa conscience.
3-2- Tout autre droit de propriété naît du premier usage conscient de ressources aliénables sur lesquelles aucun droit de propriété n'existe.

4- Liberté

La liberté est la souveraineté sur la propriété dont on possède les droits, ce qui implique le droit de s'en séparer et le droit de la défendre.

5- Morale

La morale est la tentative de réaliser ses propres valeurs dans le cadre de ses droits de propriété.

Notes :

2- c'est-à-dire qu'aucun droit ne doit entrer en contradiction avec un autre.
La violation d'un droit détruit partiellement la consistance des droits et ne peut donc être réparée dans le respect des droits de l'agresseur.

3- Ceci découle du point (2-)
3-1 Ce qui inclut la plupart du temps son propre corps.
La volonté étant inaliénable, tout contrat d'esclavage consenti est impossible. Le corps étant en revanche une propriété aliénable, cela implique le droit de la personne d'exploiter son corps comme bon lui semble.

3-2 Les concepts sont inaliénables (on ne peut pas les détruire et ils sont universellement consommables). Notamment, les droits de "propriété intellectuelle" n'existent pas.

4- Toute autre définition de la liberté viole le principe (2-) ou (3-).

4- la souveraineté sur sa propriété implique le droit de la transmettre si celle-ci est aliénable. Il suffit pour cela de l'abandonner à quelqu'un qui en vertu de (3-2-) en devient à son tour propriétaire. Celui-ci peut faire de même en faveur du premier, ce qui constitue alors un échange.
La souveraineté exclut toute utilisation par des tiers non autorisés par le propriétaire.

5- Sans liberté, aucune personne ne peut, par définition, chercher à réaliser ses valeurs morales. La liberté est donc la condition nécessaire et suffisante à l'existence de la morale.


 

Publié le 14/02/2011

Diagramme de Nolan

Par Arthur Gautier, Institut Coppet

Dans la plupart des pays occidentaux, le clivage gauche-droite continue de structurer la vie politique, mais aussi le débat intellectuel, le monde médiatique et les conversations de bistro. La quasi-totalité des sondages est élaborée de telle sorte que les réponses des personnes interrogées peuvent être catégorisées « à gauche » ou « à droite », selon un axe linéaire qui va de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant naturellement par le centre. 

 

Cette grille de lecture n’est pas dénuée d’intérêt, mais elle ne suffit pas pour comprendre l’ensemble des opinions politiques. Elle paraît d’autant plus datée qu’elle remonte à 1789 pour le cas français, et non loin pour l’Angleterre et l’Amérique. Le problème principal de l’axe gauche-droite est qu’il ne laisse aucune place à la pensée libérale, celle-ci ne pouvant être rangée ni avec l’égalitarisme de la gauche, ni avec le nationalisme de la droite. En son temps, l’économiste et député libéral Frédéric Bastiat votait tantôt avec la gauche, tantôt avec la droite, selon le projet de loi discuté.

 

Une nouvelle grille de lecture : le diagramme de Nolan

 

On a tendance aujourd’hui à séparer de manière arbitraire la pensée libérale en deux versants : le libéralisme « économique », qui aurait plutôt la faveur de la droite, et le libéralisme « politique », qui a meilleure presse à gauche. Cette théorie des deux libéralismes[1], dont on sent assez vite le parti pris idéologique[2], est assez faible théoriquement mais elle se nourrit de l’inconséquence de la classe politique contemporaine. Un politicien peut être à la fois pour l’économie de marché et le protectionnisme (surtout à droite), pour le mariage gay et pour la Loi Gayssot (surtout à gauche) ! Ceci nous rappelle qu’il ne faut pas confondre le domaine des idées et celui de l’action humaine. Le libéralisme est une philosophie politique cohérente, mais les libéraux cohérents sont quasiment introuvables, du moins en France.

 

Aux Etats-Unis, la situation est légèrement différente[3], mais le libéralisme classique a beaucoup de mal à trouver sa place dans la « guerre culturelle » qui oppose depuis plusieurs décennies les progressistes aux conservateurs. C’est ce qu’a bien compris David Nolan, fondateur du Libertarian Party en 1971 et auteur du désormais célèbre Nolan Chart, qui ajoute à l’axe gauche-droite un deuxième axe liberté-contrainte, de telle sorte que la pensée libérale trouve enfin sa place sur l’échiquier politique. Malgré l’intérêt de cette nouvelle grille de lecture, le débat contemporain reste marqué par l’opposition systématique entre liberals [4] et conservatives. Les libertarians, qui sont parfois décrits comme étant « fiscally conservative, socially liberal », font encore office d’anomalies pour de nombreux observateurs.

 

Plongée dans la psychologie libertarienne

 

C’est également le cas dans la recherche en sciences humaines et sociales, notamment en psychologie, où une littérature abondante tente de comprendre les caractéristiques des progressistes et des conservateurs, et notamment les principes moraux qui les guident dans leurs choix politiques. Sur les libertarians ? Quasiment rien ! Contrastant cette absence de travaux et la montée en puissance du Tea Party[5] aux Etats-Unis, le professeur Jonathan Haidt, de l’Université de Virginie, a entamé récemment un programme de recherche visant à sonder la « psyché libertarienne » et ce qu’elle a d’unique en ses soubassements moraux. Les premiers résultats prennent la forme d’un article passionnant réalisé par Haidt et ses collègues et qui sera bientôt publié dans le Journal of Personality and Social Psychology.

 

L’étude est non seulement remarquable par la pertinence de son objet, mais aussi par sa base empirique colossale. Les données sont issues d’une quinzaine de questionnaires différents publiés sur le site www.yourmorals.org, et administrés à un échantillon de 152 239 internautes volontaires entre juin 2007 et décembre 2009. Parmi eux, 10 566 se sont déclarés libertariens lors d’une question préalable ; cette « auto-identification » étant la variable indépendante de l’étude. Haidt et ses collègues ont construit leurs questionnaires en s’inspirant de la littérature existante en psychologie morale. L’idée est de tester ces outils théoriques sur un échantillon de très grande taille et de comparer les réponses des libertariens à celles des participants s’étant déclarés progressistes ou conservateurs.

 

La liberté comme pilier moral

 

Les résultats de l’étude sont aussi captivants que convergents. La sensibilité libertarienne se distingue assez nettement en ce qu’elle érige la liberté individuelle en valeur morale suprême, loin devant les autres valeurs communément citées. A titre d’exemple, le Moral Foundations Questionnaire (MFQ) est un outil développé précédemment par Jonathan Haidt qui mesure la présence chez un individu de 5 valeurs morales de base : Care (le fait de prendre soin d’autrui), Fairness (la justice égalitaire), Ingroup (la loyauté envers le groupe), Authority (le respect de l’autorité) et Purity (la pureté). Les deux premières valeurs sont caractéristiques des progressistes, tandis que les conservateurs valorisent fortement les trois autres.

 

Le MFQ a été testé par Haidt et ses collègues sur plus de 98 000 participants, et les résultats sont édifiants. Les 8 815 libertariens interrogés obtiennent les scores les plus bas sur l’ensemble des 5 valeurs. Comme les conservateurs, ils accordent moins d’importance que les progressistes aux idées de Care et de Fairness. Comme les progressistes, ils obtiennent un score inférieur aux conservateurs pour Ingroup, Authority et Purity. Autrement dit, un libertarien serait à la fois peu sensible à la souffrance d’autrui et aux inégalités dénoncées par la gauche, et sceptique vis-à-vis des valeurs morales traditionnelles de la droite.

 

Conscient des limites de ses travaux intérieurs, Haidt pense, à la lumière des résultats d’autres questionnaires, qu’une sixième valeur morale semble faire défaut au MFQ. Et si cette valeur était la liberté ? Ce sont en effet les libertariens qui, sur d’autres questions, obtiennent les scores les plus élevés dans tous les aspects de la liberté, qu’il s’agisse d’économie (où ils surclassent les progressistes et font jeu égal avec les conservateurs) ou de choix personnels (ils arrivent en tête devant les deux autres groupes).

 

 

La raison avant les émotions

 

Les libéraux ne sont donc pas amoraux, mais leur moralité est différente en ce qu’elle place la liberté individuelle au-dessus des autres valeurs morales. Là où l’étude de Haidt et al. devient passionnante, c’est lorsqu’elle s’intéresse aux traits cognitifs et émotionnels qui peuvent expliquer la place prépondérante de la liberté dans la morale libertarienne. Faisant écho à l’un des arguments célèbres d’Ayn Rand, l’étude révèle que les libertariens ont un style intellectuel qui fait davantage appel à la raison qu’aux émotions, ce qui les distingue des progressistes et des conservateurs déclarés.

 

Les résultats d’un questionnaire inspiré du Empathizer-Systemizer Scale sont particulièrement intéressants. Les libertariens présentent un déficit d’empathie, soit une faible capacité à s’identifier aux émotions et aux pensées des autres, mais ils ont une capacité élevée à « penser en système », autrement dit à comprendre et à analyser les règles qui gouvernent leur environnement. Confrontés à des « dilemmes moraux »[6], ils pèsent le pour et le contre de chaque scénario plus facilement que les progressistes et les conservateurs, et font davantage preuve de sang-froid, notamment en situation extrême. Ils sont ainsi capables de sauver des vies en utilisant leurs capacités de calcul, et ce de manière plus efficace – sur le papier en tout cas – que la moyenne.

 

Citant les travaux du psychologue Simon Baron-Cohen, Haidt et ses collègues rappellent qu’une faible empathie et une forte systématisation sont caractéristiques du cerveau masculin, et que l’autisme est un cas extrême de cette polarisation. Le libéralisme serait-il une pensée masculine ? D’une part, les auteurs remarquent que les hommes sont surreprésentés parmi les libertariens déclarés. D’autre part, en regardant de manière transversale les questions les plus « clivantes » entre les deux genres, on constate que les réponses des sous-groupes « hommes » et « libertariens » se recoupent largement : goût pour la compétition et les défis intellectuels, justification de la violence en cas de légitime défense, refus de la prédestination, etc.

 

Néanmoins, les femmes qui s’identifient comme libertariennes ont des scores bien plus proches de leurs homologues masculins que les femmes conservatrices ou progressistes. C’est donc avec prudence que les auteurs émettent l’hypothèse – qui ne va pas plaire à tout le monde – que le cerveau libertarien est plutôt masculin, le progressiste plutôt féminin, et le conservateur quelque part entre les deux.

 

L’indépendance vis-à-vis du groupe

 

Après avoir exposé les bases morales puis le style cognitif et émotionnel des libertariens, la troisième et dernière partie de l’étude explore le type de relations sociales que ceux-ci nouent avec leurs semblables. L’hypothèse testée par Haidt et al. est la suivante : les libertariens seraient plus individualistes et de tempérament plus indépendants que les progressistes et les conservateurs. Elle se trouve là aussi vérifiée à la lumière des résultats de plusieurs questionnaires administrés sur www.yourmorals.org.

 

Peut-être le plus intéressant d’entre eux, le Identification with All of Humanity Scale permet de mesurer, à partir de 27 items, le degré de proximité d’une personne avec sa communauté proche, son pays et le monde entier. Les libertariens ont la particularité d’avoir un score faible dans les trois cas, ce qui tranche avec le patriotisme de droite et l’universalisme de gauche. Un autre test, le Satisfaction with Life Scale, montre que les libertariens tirent davantage de satisfaction de leur indépendance dans la vie que de leurs relations avec leurs proches : « To say ‘I love you’ one must first be able to say the ‘I’. »[7]

 

Que retenir de l’étude à grande échelle proposée par Jonathan Haidt ? D’abord, l’idée que le profil psychologique d’un individu joue un rôle important dans la formation de ses idées politiques. Là où certains commentateurs politiques diabolisent les partisans du Tea Party en affreux égoïstes ou en xénophobes éhontés, les auteurs de la présente étude[8] constatent simplement que certaines personnes érigent la liberté en valeur morale suprême, non pas seulement comme un moyen[9] mais également comme une fin en soi, et que ce goût de la liberté est chez eux plus fort que toutes les formes de coercition qu’entraînent la solidarité obligatoire envers les plus démunis ou le protectionnisme économique.

 

Le second enseignement majeur de l’étude nous ramène à notre questionnement initial. D’un point de vue psychologique, il existe bien en matière d’idéologie politique un troisième profil, irréductible à la dichotomie gauche-droite, insensible aux sirènes de la compassion universelle ou de la tradition religieuse, plus cérébrale et rationnelle que les autres, largement masculine et de nature indépendante. Aux Etats-Unis, ce groupe est incarné par les libertarians, qui ont su marier la philosophie libérale classique d’origine européenne avec le goût particulier pour la liberté qui caractérise l’épopée américaine. En conflit permanent avec les conservateurs – dont ils sont pourtant plus proches, au moins par la force des choses – et les progressistes, ils ont gagné en visibilité depuis une quarantaine d’années. On sait maintenant un peu mieux la manière dont ils pensent. Puissent ces enseignements nous éclairer sur la situation française et européenne !

 

Les curieux iront visiter l’étude et le blog en question :

http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1665934

http://www.yourmorals.org/blog/

 

 


[1] A ne pas confondre avec la distinction, opérée par Isaiah Berlin et elle, très juste, entre les concepts de « liberté positive » et de « liberté négative ».

[2] Que l’on peut résumer ainsi : le « bon » libéralisme politique, défendu par les progressistes et les apôtres des droits de l’homme et du citoyen, et le « mauvais » libéralisme économique, défendu par les patrons cyniques fumant le cigare et Augusto Pinochet.

[3] Depuis le New Deal au moins, les libéraux classiques se recrutent surtout dans les rangs républicains, par opposition à la politique interventionniste des démocrates.

[4] C’est un contresens malheureusement très répandu de traduire « liberals » par « libéraux », la traduction la plus juste étant « sociaux-démocrates ». Sur la mutation du terme « liberalism » dans le monde anglo-saxon et du rôle souhaitable de l’Etat, on se référera par exemple aux travaux tardifs James Burnham.

[5] Qui, contrairement à ce que la presse française ânonne en chœur, n’est pas un « rassemblement de l’ultra droite » mais un mouvement de protestation massif contre la politique économique du gouvernement, en particulier contre le sauvetage des banques (bailouts) avec l’argent des contribuables. Les Tea Partiers sont en revanche plus partagés dès lors qu’on abandonne le terrain économique. Les études en la matière sont assez contradictoires, mais il semble que les partisans du Tea Party sont pour moitié des libertariens, et pour moitié des conservateurs.

[6] Un exemple classique : sauver la vie de 5 personnes d’un accident de train en en sacrifiant une autre, ou bien ne rien faire et laisser les 5 personnes périr.

[7] « Pour dire ‘Je t’aime’, il faut d’abord savoir dire ‘Je’ », citation de The Fountainhead d’Ayn Rand (1943).

[8] Qui, précision importante, ne sont pas libertariens. Ravi Iyer, qui tient notamment le blog de yourmorals.org, se déclare liberal (progressiste).

[9] Il est assez piquant d’entendre certains progressistes s’indigner contre la « pensée utilitariste » de leurs adversaires politiques alors qu’eux-mêmes ont bien souvent une vision très utilitariste de la liberté, qui ne vaut rien en elle-même si elle ne sert pas leurs objectifs de « justice sociale », par exemple…


http://www.contrepoints.org/wp-content/themes/WpAdvNewspaper133/headPics/ccontrepoints.png

Partager cet article
Repost0
22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 09:41

Ludwig von Mises et l’islam

samedi 17 octobre 2009 - Daniel Vignola

Ludwig von Mises n’a pas écrit de longs exposés consacrés exclusivement à l’islam. Par contre, il référa fréquemment à la religion dans ses ouvrages. Dans une partie de ce texte, j’ai regroupé les événements marquants de l’islam qu’il mentionna et dans une autre je suis revenu sur les nombreux parallèles qu’il établit entre l’islam et le socialisme. J’ai fait précéder le tout d’un bref survol de ce que cinq ténors du libéralisme classique antérieurs à Mises avaient écrit sur l’islam.

arton592-5b47d.jpg

NOTE : Les citations du texte sont immédiatement suivies du nom de leur auteur. Dans la majorité des cas, ce nom en majuscules sert d’hyperlien vers une version électronique du texte cité. Lorsque j’ai référé à plus d’un ouvrage du même auteur, son nom est suivi d’un chiffre qui permet de distinguer les différents ouvrages de cet auteur dans la bibliographie. Quand j’ai pu consulter la version papier d’un ouvrage cité, l’autre chiffre à droite du tiret indique le numéro de la page (ex : MISES 1–234).

LES TÉNORS DU LIBÉRALISME CLASSIQUE ET L’ISLAM

Dans un chapitre consacré à la littérature du libéralisme, Ludwig von Mises a écrit que « quiconque désire se familiariser avec l’esprit libéral doit retourner (aux classiques) de David Hume, Adam Smith et tout particulièrement à ceux de Jeremy Bentham ». (MISES 5) Il encouragea également la lecture des Œuvres complètes de Frédéric Bastiat qu’il décrivit comme un « brillant styliste (dont) la critique du protectionnisme n’a pas été dépassée à ce jour ». (MISES 5) Ailleurs, il salua Tocqueville pour avoir exposé que « la pire et la plus dangereuse forme d’absolutisme demeurait celle d’une majorité intolérante ». (MISES 8–67)

Un bref retour sur ce que ces grandes figures du libéralisme écrivirent de l’islam permet de situer le contexte dans lequel Mises énonça ses propres remarques. Des cinq auteurs, Adam Smith est le seul dont j’ai pu retrouver quelques bons mots sur cette religion.

- Adam Smith (1723 – 1790)

« (Après la chute de l’empire romain), l’empire des califes semble avoir été le premier état sous lequel le monde bénéficia du niveau de tranquillité requis pour le développement des sciences. C’est sous la protection de ces grands princes généreux que l’ancienne philosophie et l’astronomie des Grecs furent ramenées et promues en Orient. La tranquillité que leur gouvernement religieux doux et juste répandit dans son vaste empire stimula la curiosité des hommes et les incita à investiguer les lois de la nature ». (SMITH 1–67)

À la mention d’un gouvernement musulman « doux » par Adam Smith, son éditeur crut opportun d’ajouter dans une note de bas de page que Smith avait été « plutôt optimiste dans sa description de la tolérance musulmane ». (SMITH 1–67)

Cependant, quand ailleurs Adam Smith discuta de principes spécifiques de l’islam, son niveau d’optimisme décrût passablement.

Ainsi, lorsqu’il commenta les relations sexuelles légitimées par l’islam entre des hommes d’âge mûr et de très jeunes filles, il écrivit qu’elles équivalaient « à des viols d’enfants ». (SMITH 2–156) La position de l’islam en cette matière est évidemment basée sur la sunna, sur les actions du prophète Muhammad.

Hadith Sahih Boukhari 7.62.88 « Le Prophète conclut (un contrat de mariage) avec Aïcha quand elle était âgée de six ans et consomma son mariage avec elle quand elle en avait neuf. »

Dans une vidéo récente, un responsable saoudien réitéra qu’en matière matrimoniale comme dans le reste, le comportement du prophète demeure la norme à suivre pour les musulmans.

Adam Smith s’attarda également à exposer les effets négatifs du pillage à grande échelle pratiqué par les Tatares et les Arabes de son époque.

« Chez les Tatares et les Arabes, des bandes de barbares errent constamment d’un endroit à l’autre en quête de butin. Ils pillent tout sur leur passage. Des régions entières sont ainsi ravagées. (…) Rien ne saurait constituer un pire obstacle à l’accroissement de la richesse. » (SMITH 3–224)

« Quand les gens sont ainsi menacés à chaque instant de se faire voler tout ce qu’ils possèdent, ils n’ont plus aucune raison d’être industrieux. » (SMITH 3–223)

Le pillage des infidèles ne fut évidemment pas une innovation des Tatares et des Arabes contemporains d’Adam Smith. Il fut encouragé dès les premières années de l’islam par Muhammad lui-même lors de la bataille de Badr (624). La sourate 8 du Coran précisément intitulée Le butin rapporte la bataille et fournit toutes les justifications morales et religieuses pour le pillage des infidèles. Depuis les débuts de l’islam, l’attaque de Badr est invoquée par les exégètes comme une preuve de la validité du concept de jihad offensif. J’ai eu l’occasion d’élaborer sur l’importance historique de cette bataille dans un article précédent.

Dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Adam Smith reprit l’affirmation de Montesquieu à l’effet que la prohibition de l’usure nuit au développement économique des pays musulmans. (SMITH 4–208)

L’un et l’autre expliquent que loin d’éliminer l’intérêt sur les prêts, la prohibition de l’usure par l’islam entraîne, dans les faits, une augmentation du taux d’intérêt chargé aux emprunteurs puisque là où l’usure est interdite, le prêteur doit non seulement se prémunir contre le risque de ne pas être remboursé, il doit également charger un montant pour les risques qu’il prend d’être condamné pour une activité illégale. Plusieurs prêteurs potentiels refusant de prendre un tel risque, une raréfaction des capitaux disponibles s’ensuit, ce qui entraîne une autre d’augmentation du taux d’intérêt chargé.

2:275 « Ceux qui mangent [pratiquent] de l’intérêt usuraire ne se tiennent (au jour du Jugement dernier) que comme se tient celui que le toucher de Satan a bouleversé. Cela, parce qu’ils disent : Le commerce est tout à fait comme l’intérêt. Alors qu’Allah a rendu licite le commerce et illicite l’intérêt. »

Dans le monde chrétien, le bannissement de l’usure fut longtemps justifié par des passages de la Bible tels Lévitique 25 37 et Luc 6 35. En 1787, Jeremy Bentham signa une série de lettres dans lesquelles il démontra combien cette interdiction nuisait à la prospérité générale. Les lettres ont été regroupées dans un document connu depuis comme la Défense de l’usure. Du combat de Bentham, Mises écrivit qu’il fut mené « non pas pour le bénéfice des prêteurs mais pour le bénéfice de tous ».

« Le libéralisme repose sur la thèse d’une compatibilité des intérêts bien compris des individus, des classes et des peuples. Il rejette l’idée que ce qui est à l’avantage de l’un est au désavantage de l’autre. Si ce principe est fondé quand il s’agit de la guerre et du pillage, il ne l’est plus quand il s’agit d’économie et de commerce. » (MISES 6)

Puisqu’il y a une relation directe entre la disponibilité du capital et la prospérité d’une région, la prohibition de l‘intérêt contribue donc directement à l’appauvrissement des régions où elle est en vigueur.

- David Hume (1711 – 1776)

« Les partisans et les admirateurs du Coran font sonner bien haut l’excellence de la morale répandue par cette barbare production. (…) Voulez-vous savoir si les principes du prétendu Prophète ont été justes et conformes à la saine morale ? Suivez-le dans sa narration. Vous le verrez décorer des plus grands éloges des traits d’inhumanité, de trahison, de cruauté, de vengeance et de bigoterie qui ne sauraient être tolérés dans aucune société, pour peu qu’elle soit policée. Point de règle fixe de Droit. Une action est louée ou blâmée (selon) qu’elle est favorable ou contraire aux intérêts des vrais croyants. » (HUME–97)

- Jeremy Bentham (1748 – 1832)

Bentham était avocat. Il écrivit la remarque suivante dans un de ses textes de droit pénal.

« C’est par un document écrit que la preuve devient permanente et authentique. Les transactions verbales, sauf les plus simples, sont sujettes à d’interminables disputes. Litera scripta manet (Les écrits demeurent – et les paroles s’envolent). Muhammad lui-même a recommandé de respecter cette précaution. C’est presque le seul passage du Coran (2:282) qui contienne un grain de bon sens. » (BENTHAM – 551)

Ailleurs dans ses écrits, Bentham écrivit de l’islam qu’il s’agissait d’une « religion barbare ». (BENTHAM–175)

- Frédéric Bastiat (1801 – 1850)

« Nous avons vu toutes les Harmonies sociales contenues en germe dans ces deux principes : Propriété, Liberté. Nous verrons que toutes les dissonances sociales ne sont que le développement de ces deux autres principes antagoniques aux premiers : Spoliation, Oppression. » (BASTIAT–112)

« La Spoliation, sous sa forme la plus brutale, armée de la torche et de l’épée, remplit les annales du genre humain. Quels sont les noms qui résument l’histoire ? Cyrus, Sésostris, Alexandre, Scipion, César, Attila, Tamerlan, Mahomet, Pizarre, Guillaume le Conquérant. » (BASTIAT–113)

- Alexis de Tocqueville (1805 – 1859)

« La doctrine que la foi sauve, que le premier de tous les devoirs religieux est d’obéir aveuglément au prophète ; que la guerre sainte est la première de toutes les bonnes œuvres et ... toutes ces doctrines dont le résultat pratique est évident se retrouvent à chaque page et presque à chaque mot du Coran. Les tendances violentes et sensuelles du Coran frappent tellement les yeux que je ne conçois pas qu’elles échappent à un homme de bon sens. » (TOCQUEVILLE–554 )

Les nombreux commentaires de Tocqueville sur l’islam et les autres religions ont été regroupés par Jean-Louis Benoît dans un ouvrage intitulé Notes sur le Coran et autres textes sur les religions (Paris : Les Éditions Bayard, 2007). L’Université du Québec à Chicoutimi en offre des versions Word et PDF.

LES RÉFÉRENCES À L’HISTOIRE DE L’ISLAM DANS L’ŒUVRE DE MISES

Voici les événements marquants de l’histoire de l’islam auxquels Ludwig von Mises référa dans son œuvre.

- Les conquêtes musulmanes de l’Afrique et de l’Espagne

« Celui qui proclame la divinité de l’État et l’infaillibilité de ses prêtres, les bureaucrates, est considéré comme un analyste impartial des sciences sociales. Tous ceux qui soulèvent des objections sont étiquetés comme étant partiaux et étroits d’esprit. Les supporteurs de cette nouvelle religion qui vénère l’État ne sont pas moins fanatiques et intolérants que le furent les conquérants musulmans de l’Afrique et de l’Espagne. » (MISES 2–482)

- La destruction de la bibliothèque d’Alexandrie (642)

Ludwig von Mises établit un parallèle entre la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie attribuée au calife Omar, deuxième successeur de Muhammad, et les autodafés de livres promus par le socialiste français Étienne Cabet (1788 – 1856) dans son Icarie utopiste. (MISES 2–166) La légende veut qu’Omar ait justifié la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie en déclarant : « Si les livres contredisent le Coran, ils sont hérétiques et s’ils s’y conforment, ils sont superflus ».

Mises rapporte que dans l’Icarie de Cabet, « seuls les livres qui plaisent à la République pourront être imprimés et (que) tous les écrits de la période présocialiste devront être examinés par la République. Ceux jugés partiellement utiles devront être révisés et ceux jugés dangereux ou inutiles, brûlés. » Cabet refusait d’admettre un rapprochement entre les mesures qu’il proposait et celles pratiquées par les fanatiques religieux : « Nous faisons en faveur de l’humanité ce que les oppresseurs faisaient contre elle ». « Nous avons fait du feu pour brûler les méchants livres, tandis que des brigands ou des fanatiques allumaient les bûchers pour brûler d’innocents hérétiques. » Mises rejetait cet argument :

« Si l’on excepte les purs opportunistes, chacun est convaincu de la justesse de ses opinions. Si une telle conviction est suffisante pour justifier l’intolérance, il en découle que chacun aura le droit de contraindre et de persécuter ceux qui ne partagent pas ses opinions. » (MISES 2–166)

Bien qu’il soit admis que la bibliothèque d’Alexandrie ait été détruite dans le passé, il est peu vraisemblable que la destruction de 642 à laquelle réfère Mises ait effectivement eu lieu.

Discutant de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie dans la New York Review of Books du 27 septembre 1990, l’orientaliste Bernard Lewis rappela que ni la littérature musulmane, ni les littératures copte et juive d’Égypte ne la mentionnèrent durant les six siècles qui suivirent le moment où l’événement est censé être survenu. L’histoire fit seulement surface dans la littérature musulmane du XIIIe siècle. Il serait invraisemblable, soutient Lewis, qu’un événement d’une telle envergure ait été passé sous silence aussi longtemps et par autant de parties aux intérêts divergents s’il était vraiment survenu. Les historiens contemporains partagent généralement ce point de vue et Lewis identifie ceux d’entre eux qui débusquèrent le mythe. Quel était donc l’intérêt des musulmans de lancer une telle histoire six siècles après qu’elle soit censée être survenue ?

Les mythes ne naissent jamais de façon fortuite explique Bernard Lewis. Ils doivent servir leur auteur. Dans le cas présent, l’émergence du mythe coïncide avec l’arrivée au Caire du leader musulman Saladin (1138 – 1193) venu écraser le califat des Fatimides jugé hérétique. Les historiens reconnaissent qu’après avoir rétabli l’autorité sunnite au Caire, Saladin se débarrassa d’une grande quantité de livres. Bernard Lewis suggère que la destruction d’une si riche source de savoir généra du mécontentement dans une partie de la population. En inventant le mythe de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie par le calife Omar, Saladin aurait tenté de légitimer sa propre opération de destruction en la présentant comme une réplique de celle d’Omar, un leader populaire chez les musulmans de l’époque.

Au fil des siècles, d’autres autorités reconnues de l’islam ont promu les autodafés de livres. C’est le cas de l’exégète Abou Hamid Al-Ghazali (1058 – 1111). Il consacra la destruction des livres infidèles comme une partie intégrante du jihad.

« Chacun doit participer au jihad au moins une fois par année. Il est permis d’utiliser la catapulte contre eux (les non-musulmans) quand ils sont dans une forteresse, et ce, même s’il y a des femmes et des enfants parmi eux. Il est permis de les brûler ou de les noyer. Si une personne appartenant aux gens du Livre (les chrétiens et les juifs) est faite esclave, son mariage est annulé. Il est possible de couper leurs arbres. Il est requis de détruire leurs livres inutiles. Les combattants peuvent prendre comme butin tout ce qu’ils désirent. Ils peuvent saisir toute la nourriture dont ils ont besoin. » (AL-GHAZALI–199)

Dans la troisième partie de ses Prolégomènes, l’historien musulman Ibn Khaldoun (1332 – 1406) discute de la destruction d’une autre bibliothèque par les conquérants musulmans, en Perse (Iran) cette fois-ci. Les détails sont identiques à ceux que la légende fait valoir au sujet de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie.

« Les musulmans, lors de la conquête de la Perse, trouvèrent dans ce pays, une quantité innombrable de livres et de recueils scientifiques et (leur général) Saad ibn Abi Oueccas demanda par écrit au khalife Omar ibn al-Khattab s’il lui serait permis de les distribuer aux vrais croyants avec le reste du butin. Omar lui répondit en ces termes : Jette-les à l’eau ; s’ils renferment ce qui peut guider vers la vérité, nous tenons de Dieu ce qui nous y guide encore mieux (le Coran) ; s’ils renferment des tromperies, nous en serons débarrassés, grâce à Dieu ! En conséquence de cet ordre, on jeta les livres à l’eau et dans le feu, et dès lors les sciences des Perses disparurent. » (KHALDOUN–125 )

- La conversion forcée des chrétiens du Moyen-Orient

« Durant plusieurs siècles les questions religieuses furent tranchées par des batailles et des guerres. Ce sont des campagnes militaires qui déterminèrent la religion qu’allait adopter chacune des nations. Les chrétiens du Moyen-Orient furent contraints d’accepter la croyance de Muhammad et les païens d’Europe et d’Amérique la foi chrétienne. » (MISES 8–43)

- L’arrêt de l’invasion musulmane par Charles Martel et Léon l’Isaurien (732-740)

« C’est une légende que les victoires des conquérants arabes obtenues durant les premiers siècles de l’islam résultèrent des enseignements fatalistes de Muhammad. Les leaders des armées musulmanes qui conquirent une grande partie de la région méditerranéenne en une période de temps extrêmement courte ne mirent pas leur confiance fataliste en Allah. Ils croyaient plutôt que leur Dieu c’était ces imposants bataillons bien équipés et dirigés avec expertise. D’autres raisons que la confiance aveugle dans la destinée explique le courage des guerriers sarrasins (musulmans). Quand les chrétiens dirigés par Charles Martel (688 – 741) et Léon l’Isaurien (675 – 741) stoppèrent leur avance, ils n’étaient pas moins courageux que les musulmans et pourtant le fatalisme n’avait pas de prise sur eux. La léthargie qui s’est répandue chez les peuples musulmans ne s’explique pas par le fatalisme de leur religion non plus. C’est le despotisme qui paralysa l’initiative de ses sujets. Les tyrans féroces qui opprimaient les masses n’étaient certainement pas léthargiques et apathiques. Ils étaient infatigables dans leur quête de pouvoir, de richesses et de plaisirs. » (MISES 8–79)

- L’expulsion des musulmans de la Sicile (1072)

« Les Normands sont les descendants des Vikings qui se sont emparés de la Normandie et s’y sont établis au neuvième et au dixième siècle. (…) Ils ont adopté le christianisme et la langue française avant d’entreprendre la conquête de l’Angleterre, de la Sicile et de territoires italiens et français. Une fois victorieux, les Normands établirent la loi et l’ordre tout en adoptant plusieurs des habitudes des pays qu’ils avaient conquis. En Sicile et dans le sud de l’Italie, ils supportèrent les chrétiens opprimés dans leur lutte contre leurs maîtres sarrasins (musulmans). » (MISES 4)

- Le déclin de la civilisation musulmane causé par le conformisme religieux (XIIIe siècle)

« Quand les Arabes se familiarisèrent avec la littérature grecque au contact des peuples qu’ils avaient conquis, la culture islamique connut un essor remarquable en Perse, en Mésopotamie et en Espagne. Jusqu’au XIIIe siècle, le niveau du savoir arabe n’était pas inférieur à ce qu’il était en Occident. Puis l’orthodoxie religieuse imposa un conformisme rigide. Elle mit fin à l’activité intellectuelle et à la réflexion individuelle dans les pays musulmans. » (MISES 8–375)

« (Dans ces pays), l’effort s’est arrêté, leurs cultures sont devenues engourdies et léthargiques. Ils ont perdu l’habileté de régler leurs problèmes économiques. Leur génie intellectuel et artistique s’est dissipé. Leurs artistes et leurs auteurs répètent les vieux procédés. Leurs théologiens, leurs philosophes et leurs avocats se complaisent invariablement dans l’exégèse d’anciens documents. Les monuments érigés par leurs ancêtres se sont affaissés. » (MISES 1–102)

« L’islam n’a pas changé depuis le jour des conquêtes arabes. Leur littérature, leurs philosophies continuent de répéter les vieilles idées ; elles se limitent aux questions théologiques. On cherche en vain chez eux des hommes et des mouvements comparables à ce que la chrétienté occidentale a produits à chaque siècle. (Les musulmans) maintiennent leur identité seulement en rejetant par traditionalisme et conservatisme tout ce qui est étranger et différent. Seulement leur haine de ce qui est différent les incite à entreprendre de grandes actions de temps en temps. Toutes les nouvelles sectes qui surgissent de leur sein, et même les nouvelles doctrines qui apparaissent ne sont rien de plus que des échos de ce combat contre l’étranger, le nouveau et l’infidèle. » (MISES 2–370)

- Quatre siècles de menace islamique sur l’Europe (1299 – 1683)

Durant la Seconde Guerre mondiale, Mises compara les invasions nazies à celles menées par l’empire ottoman en Europe à compter du treizième siècle. (MISES 7–237)

Ailleurs, Mises référa aux « braves Serbes et Croates qui défendirent l’empire des Habsbourg, donc l’Europe, contre les Turcs. » (MISES 7–287)

Un documentaire historique disponible sur internet reconstitue le siège de Vienne par les Turcs en 1529, l’un des épisodes de la confrontation évoquée par Mises.

- La traite d’esclaves arabo-musulmane

« (Pour justifier le maintien du système colonial européen, certains font valoir) qu’il serait du devoir des Européens (…) de prévenir l’anarchie présumée qui éclatera lors de l’évacuation des colonies. (Il faudrait) donc maintenir l’empire dans l’intérêt et pour le bénéfice des nations (colonisées) elles-mêmes. Pour se faire convaincants, les supporteurs de cet argument dressent un portrait sinistre des conditions qui existaient en Afrique centrale et dans plusieurs parties de l’Asie avant que les puissances européennes ne s’y installent. Certains rappellent les razzias menées par les Arabes en Afrique centrale pour capturer des esclaves. (…) Il y a évidemment beaucoup d’hypocrisie dans ce genre d’argumentation puisque, ne l’oublions pas, la traite des esclaves a pu prospérer en Afrique seulement parce que des descendants d’Européens établis dans les colonies américaines étaient acheteurs. » (MISES 5)

Contrairement à l’affirmation de Mises, les Arabes n’ont pas attendu une requête des Amériques pour capturer des esclaves puisqu’ils approvisionnaient déjà un vaste marché à l’intérieur même de leur empire quand s’amorça la traite transatlantique. La traite destinée aux Amériques dura trois siècles et demi alors que celle des arabo-musulmans perdura durant plus de treize siècles. Les Arabes commencèrent à pratiquer l’esclavage avant que ne débute la traite transatlantique et continuèrent après qu’elle eût cessé.

Le génocide voilé de Tidiane N’Diaye et Race and Slavery in the Middle East : An Historical Enquiry de Bernard Lewis, comptent parmi les ouvrages qui approfondissent cet aspect généralement négligé de l’esclavage. Deux vidéos disponibles sur internet permettent également de se familiariser avec la question :

Vidéo 1 – Tidiane N’Diaye discute de son livre Le génocide voilé

Vidéo 2 – Les esclaves oubliés de l’histoire

Selon les chiffres fournis par Tidiane N’Diaye, entre 9.6 et 11 millions d’esclaves furent dénombrés à leur arrivée dans les Amériques. Du côté arabe, il y eut 9 millions d’individus capturés pour la traite qui se déroula dans la région du Sahara et 8 millions dans la région de la mer Rouge et de l’océan Indien, soit un total de 17 millions. Ces chiffres n’incluent pas les victimes collatérales qui mouraient quand les chasseurs d’esclaves attaquaient des populations et incendiaient des villages pour capturer leur butin. En raison de la politique de castration systématique pratiquée par les Arabes, on ne trouve à peu près plus de trace des populations noires qui furent déplacées vers la Turquie, l’Iran, le Yémen, l’Arabie saoudite et l’Afrique du Nord tandis que dans les Amériques, on dénombre 70 millions de descendants ou métis d’Africains.

- La piraterie arabo-musulmane en Méditerranée (1000 – 1860)

Dans un passage où il évoque la piraterie toujours pratiquée à son époque par les « nations barbares » du Maghreb, Adam Smith rappelle que le sort qui attendait les otages capturés par les pirates arabes, c’était « d’être tué ou réduit en esclavage ». (SMITH 2–172)

Mises référa brièvement aux menaces que ces pirates faisaient peser sur la marine marchande en Méditerranée lorsqu’il évoqua les ambitions expansionnistes de l’Allemagne du XXe siècle.

« Le prétexte invoqué par l’Allemagne pour dissimuler ses véritables intentions fut d’affirmer qu’elle avait besoin d’une flotte puissante pour protéger son commerce maritime en expansion. Les Britanniques comprirent rapidement de quoi il en retournait. Quand il y avait encore des pirates, les bateaux marchands nécessitaient la protection d’escortes sur les mers dangereuses. Depuis que la sécurité prévaut sur les mers (environ depuis 1860), ces mesures ne sont plus requises. Il était impossible d’expliquer la construction d’une flotte de bateaux de guerre (par l’Allemagne) par un désir de protéger le commerce maritime. » (MISES 6)

Le recours à la piraterie par les provinces ottomanes du Maghreb et le Maroc était justifié par des considérations religieuses. L’ambassadeur de Tripoli Sidi Haji Abdrahaman en fit part aux ambassadeurs américains Thomas Jefferson et John Adams quand il les rencontra à Londres en 1786 pour leur expliquer les raisons derrière les attaques répétées de pirates arabes contre la marine marchande américaine en Méditerranée.

« L’ambassadeur nous répondit que (leur droit) était fondé sur les lois du Prophète, qu’il était écrit dans leur Coran que toutes les nations qui n’avaient pas accepté leur autorité étaient pécheresses, que c’était leur droit et leur devoir de leur faire la guerre où qu’elles se trouvent et de réduire en esclavage autant de prisonniers qu’ils pourraient capturer. Il a ajouté que chaque musulman tué dans la bataille était assuré d’aller au Paradis. » (USA–342)

9:111 « Certes, Allah a acheté des croyants, leurs personnes et leurs biens en échange du Paradis. Ils combattent dans le sentier d’Allah : ils tuent, et ils se font tuer. (…) Réjouissez-vous donc de l’échange que vous avez fait : Et c’est là le très grand succès. »

- La popularité de l’égalitarisme musulman chez les philosophes du XVIIIe siècle

Ludwig von Mises rappela qu’au XVIIIe siècle, l’égalitarisme musulman était considéré d’un bon œil par plusieurs philosophes occidentaux. « Ce qu’ils trouvaient louable », écrit Mises, « c’était l’absence d’une aristocratie héréditaire et de grands propriétaires terriens. Ils s’imaginaient donc que ces nations avaient mieux réussi à instaurer l’égalité que les leurs. »

C’est cet égalitarisme qui empêcha l’accumulation de grandes fortunes.

« Les dirigeants percevaient leurs riches sujets comme des menaces à leur suprématie. Du leader au dernier de ses sujets, chacun était convaincu que celui qui accumulerait de grandes richesses le ferait en privant autrui de ce qui lui revenait de droit. On croyait que la richesse d’une poignée causait la pauvreté de la multitude. »

« Or, c’est cette hostilité envers l’accumulation de richesses qui stoppa les progrès de la civilisation en Orient. Elle entraîna des populations entières au bord de la famine. L’accumulation de capital étant restreinte, une avancée technologique était impossible. Le capitalisme fut importé en Orient comme une idéologie étrangère. Il fut imposé par des armées et des flottes de guerre. (…) Ces procédés violents n’étaient certainement pas la bonne façon de changer les méthodes traditionnalistes des Orientaux. Une fois cette réalité historique reconnue, il demeure cependant que c’est cette répugnance envers l’accumulation du capital qui a réduit plusieurs centaines de millions d’Asiatiques à la pauvreté et à la famine. »

« C’est précisément parce qu’on reconnait que dans le passé la culture de plusieurs peuples orientaux fut grandement en avance sur celle de leurs contemporains occidentaux qu’on en est à se demander ce qui a produit cette stagnation en Orient. »

« (La philosophie libérale) peut triompher seulement dans un environnement où l’égalité des revenus est un idéal peu populaire. Si les Anglais du XVIIIe siècle avaient été préoccupés par cette chimère de l’égalité des revenus, la philosophie du laissez-faire n’aurait eu aucun attrait pour eux, tout comme elle n’a aucun attrait pour les Chinois ou les musulmans d’aujourd’hui. » (MISES 4–842)

Rappelons que ces remarques sur la Chine ont été écrites en 1949.

LE NAZISME ET L’ISLAM

Dans son Omnipotent Government publié durant la Seconde Guerre mondiale, Ludwig von Mises établit un parallèle entre les invasions menées par l’empire ottoman au treizième siècle et celles menées par l’Allemagne nazie.

« La réalité du nazisme laisse tous ceux qu’il confronte face à une alternative. Ils doivent l’écraser ou renoncer à (…) leur liberté et à leur existence même comme êtres humains. S’ils cèdent, ils seront les esclaves d’un monde dominé par les nazis. (…) Aucune troisième voie n’est disponible. (…) Les nazis n’abandonneront pas leurs plans pour l’hégémonie mondiale. (…) C’est une erreur mortelle que de considérer cette guerre simplement comme une des guerres que les pays occidentaux se sont livrés au cours des derniers siècles. Celle-ci est une guerre totale. Ce n’est pas seulement le sort d’une dynastie, d’une province ou d’un pays qui est en jeu mais bien le sort de toutes les nations et de toutes les civilisations. L’Europe n’a pas rencontré un tel danger depuis les invasions tatares du treizième siècle. » (MISES 7–237)

Mises mentionna également les liens que l’Allemagne nazie et les Arabes entretinrent durant la Seconde Guerre mondiale.

« Les Nazis ont déclaré qu’ils participaient à une guerre décisive entre la race nordique supérieure et les races inférieures. Or, dans ce combat, ils se sont alliés aux Italiens que leurs doctrines raciales décrivent comme des métissés ainsi qu’aux Japonais aux yeux bridés et aux cheveux foncés. D’un autre côté, ils méprisent les Scandinaves nordiques hostiles à leurs plans de domination mondiale. Les nazis se qualifient d’antisémites mais supportent les tribus arabes dans leur combat contre les Britanniques qu’ils considèrent nordiques. Les Arabes parlent un dialecte sémite et les experts nazis les considèrent sémites. » (MISES 7–172)

Pour éviter de froisser leurs alliés, les nazis mirent effectivement une sourdine sur certains des aspects de leurs théories raciales qui ne concernaient pas directement leur ennemi principal. Ils prirent ainsi la peine d’informer leurs alliés arabes des distinctions qu’ils établissaient entre eux et les Juifs, tel qu’en fait foi cette déclaration de 1942 d’un porte-parole du Ministère allemand des Affaires étrangères :

« La différence d’attitude de l’Allemagne face aux Juifs et aux Arabes a été clairement exposée dans un échange de lettres entre l’ancien premier ministre d’Iraq, Rachid Ali, et l’Institut allemand sur les questions raciales. Jamais, nous n’avons dit que les Arabes constituaient une race inférieure. Au contraire, nous avons toujours reconnu le passé glorieux du peuple arabe. » (New York Times, 5 novembre 1942, p. 2)

Du côté arabe, le mufti de Jérusalem Amin al-Husseini (1895-1974) fut sans doute celui qui contribua le plus à approfondir la relation entre l’islam et le nazisme. En plus de relayer à partir de Berlin la propagande allemande dans des émissions de radio destinées au monde arabe, le mufti se fit confier par Hitler la tâche de recruter des jeunes musulmans Bosniaques pour former plusieurs divisions de Waffen SS. La plus importante d’entre elles fut la 13e division de montagne Handschar.

Une courte vidéo tirée des archives de Vichy rapporte la rencontre du 21 novembre 1941 entre le mufti et Hitler.

Les nazis et les islamistes se vouaient une admiration mutuelle. Hitler vanta plusieurs fois l’islam et ses leaders historiques. Alors qu’il ridiculisait les « prétentions ridicules » de Mussolini pour s’être fait décerner le titre de Glaive de l’islam par des notables arabes après avoir pris le contrôle de la Libye, Hitler affirma dans son Testament politique que, ce faisant, le duce avait porté ombrage aux grands conquérants qu’avaient été Muhammad et Omar. (HITLER–71)

Dans ses mémoires, Albert Speer (1905 – 1981), le ministre des Armements du Reich et l’ami personnel du führer, revint sur l’attrait que l’islam présentait pour Hitler :

« Hitler fut fort impressionné par les bribes d’histoire qu’il apprit d’une délégation d’Arabes distingués. Quand les musulmans tentèrent d’atteindre l’Europe centrale en passant par la France au VIIIe siècle, ils furent repoussés lors de la bataille de Tours. Si les Arabes avaient gagné cette bataille, le monde serait musulman aujourd’hui parce que leur religion croit à la propagation de la foi par l’épée et à la subjugation de toutes les nations à cette foi. Une telle religion était parfaitement adaptée au tempérament allemand. Hitler déclara qu’éventuellement les conquérants arabes se seraient montrés incapables d’affronter le climat et les conditions plus rigoureuses de ce pays. Ils auraient été incapables de garder sous leur contrôle les Allemands de souche qui sont plus résistants. Éventuellement, les Allemands convertis à l’islam et non pas les Arabes auraient été à la tête de l’empire islamique. Hitler termina sa spéculation historique en faisant remarquer que ce fut notre malchance d’avoir la mauvaise religion. Pourquoi n’avions-nous pas la religion des Japonais qui accorde la plus grande valeur au sacrifice pour la mère-patrie ? L’islam aurait également été beaucoup plus compatible avec ce que nous sommes que le christianisme. Pourquoi fallait-il que ce soit le christianisme avec toute sa douceur et sa mollesse ? » (SPEER–96)

Outre leur esprit de conquête, l’islam et le nazisme se rejoignent également dans leur hostilité face aux Juifs. En 1942, les propagandistes du Reich publièrent un document qui reprenait les passages hostiles aux Juifs qu’on retrouve dans le Coran, les hadiths et la vie du prophète de l’islam. Intitulé Judentum und Islam als Gegensatze (Le judaïsme et l’islam face à face), ce texte fut récemment traduit en anglais et inclus par Andrew Bostom dans son ouvrage The Legacy of Islamic Antisemitism.

Un des hadiths retenu par la propagande allemande résume à la fois la teneur de la compilation et la position de l’islam face aux Juifs :

Hadith Sahih Boukhari 4.52.177 « Le Messager d’Allah déclara : L’heure du Jugement dernier ne viendra pas (…) tant qu’une pierre derrière laquelle un Juif s’est caché (ne vous appelle et) ne vous dise : Ô Musulman ! Il y a un Juif qui se cache derrière moi ; alors tue-le. »

Après la guerre, Johann von Leers, le protégé de Goebbels qui avait réalisé la compilation de ces textes islamiques, passa par l’Italie et l’Argentine avant de se réfugier dans l’Égypte de Nasser. Là, il travailla au Ministère de l’Information et se convertit à l’islam en 1956.

Après que le régime nazi ait étudié et diffusé les textes de l’islam, voici qu’à leur tour les islamistes contemporains s’inspirent de la politique nazie. Plusieurs sermons islamistes récents vantent les politiques nazies d’extermination des Juifs. En voici deux échantillons :

Vidéo 1 – Sur les ondes d’Al-Jazeera, Youssef al-Qaradaoui explique « qu’à travers l’histoire, Allah a imposé aux Juifs des individus qui devaient les punir pour leur corruption et qu’Hitler fut le dernier (choisi par Allah) pour appliquer un tel châtiment ». Al-Qaradaoui dirige le Conseil européen de la fatwa et fut pressenti il y a quelques années pour diriger la section égyptienne des Frères musulmans.

Vidéo 2 – Amin Al-Ansari, un leader religieux égyptien justifie l’extermination nazie et évoque son espoir d’un autre holocauste mené par les musulmans cette fois-là. Un peu après la sixième minute de la vidéo, Al-Ansari présente des scènes tirées d’archives allemandes dans lesquelles des Juifs sont enterrés vivants et d’autres, morts, sont poussés par des tracteurs vers des fosses communes. Al-Ansari loue alors Allah pour avoir rendu possible ce carnage et récite le verset 3:112 promettant l’avilissement et le malheur à ceux qui refusent l’islam.

Dans un chapitre consacré à l’antisémitisme, Ludwig von Mises dénonça « la bestialité sadique (que les nazis) manifestèrent lors du meurtre et de la torture des Juifs ». (MISES 7–184)

Nul doute qu’il aurait condamné avec la même vigueur les islamistes contemporains qui se font les apologistes des crimes qu’il dénonçait en 1944.

LES AFFINITÉS ENTRE LE SOCIALISME ET L’ISLAM

Quand Ludwig von Mises voulut illustrer par une analogie l’esprit de destruction qui accompagna la progression rapide du socialisme au XXe siècle, il se tourna vers l’islam.

« Le socialisme n’est pas du tout ce qu’il prétend être. Il n’est pas le précurseur d’un monde meilleur et plus raffiné mais le destructeur de ce que des milliers d’années de civilisation ont créé. Il ne construit pas, il démolit. La destruction est dans son essence même. Il ne produit rien, il ne fait que consommer ce que l’ordre social fondé sur la propriété privée des moyens de production a créé. » (MISES 2–414)

« L’expansion rapide du socialisme a souvent été comparée à celle du christianisme. Il serait peut-être plus approprié de la comparer à celle de l’islam qui inspira les fils du désert à ravager des civilisations anciennes, qui cacha leur furie destructrice derrière une idéologie de la vertu et qui renforça leur courage avec un fatalisme rigide. » (MISES 2–417)

« Le marxisme arrive aisément à s’allier avec le fanatisme islamiste. C’est gonflé de fierté que le marxiste Otto Bauer s’exclamait (vers 1923) : Au Turkestan et en Azerbaïdjan, les monuments dédiés à Marx font face aux mosquées et les mullahs de Perse (Iran) mélangent les citations de Marx aux versets du Coran quand ils incitent le peuple à mener la guerre sainte contre l’impérialisme européen. » (MISES 2–417)

Marx proclama que le déroulement de l’Histoire menait vers l’avènement de la société communiste.

Muhammad proclama qu’inch’Allah l’islam dominerait la terre entière.

9:33 « C’est Lui (Allah) qui a envoyé Son messager avec la bonne direction et la religion de la vérité, afin qu’elle triomphe sur toute autre religion, quelque répulsion qu’en aient les associateurs. »

Cette notion commune aux deux doctrines d’un futur inéluctable n’échappa pas à Ludwig von Mises.

« L’erreur des prophètes qui s’aventurent à prédire le cours de l’histoire c’est qu’ils s’imaginent que les hommes ne pourront jamais adopter d’autres idées que celles qu’eux-mêmes connaissent. (…) Chacun d’entre eux était pleinement convaincu d’être l’homme que les pouvoirs mystérieux dirigeant providentiellement les affaires humaines avaient choisi pour sceller l’évolution de l’histoire. Rien de substantiel ne pourrait survenir après eux. Désormais, les gens n’avaient plus besoin de penser. Il ne restait plus aux générations futures qu’à tout mettre en place pour se conformer aux préceptes concoctés par le messager de la Providence. À cet égard, rien ne sépare Marx de Muhammad. » (MISES 8–379)

Mises distingua le libéralisme fondé sur l’association volontaire d’individus « capables de voir les avantages qu’ils tirent de leur consentement aux règles de vie qu’implique la coopération sociale » des doctrines totalitaires comme celles de Marx et Muhammad qui soutiennent « (qu’)un être supérieur enjoint les hommes rétifs à se soumettre à la loi et aux autorités sociales ».

« Il importe peu que cet être suprême soit appelé Dieu, le Weltgeist (l’Esprit du Monde), la Destinée, l’Histoire, Wotan (une divinité germanique préchrétienne qui inspira les nazis) ou les Forces productives matérielles. Peu importe également le titre que l’on confère à ses apôtres, les dictateurs. » (MISES 4–147)

Mises maintint son analogie en désignant le Capital de Marx comme « le Coran des marxistes ». (MISES 3)

En parallèle à Marx et Engels qui firent de l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme leur slogan de combat dans le Manifeste du parti communiste, Sayyid Qutb (1906 – 1966), l’intellectuel islamiste du dernier siècle qui a sans doute le plus contribué à actualiser le concept de jihad, écrivit de l’islam qu’il vise à abolir la servitude des hommes aux idées d’autres hommes afin qu’ils vénèrent Allah seul. (QUTB–103)

Les islamistes font donc passer le recours à la raison pour un acte de servitude alors que la libération de cette servitude est elle-même une soumission puisqu’en langue arabe, le terme islam signifie soumission (à Allah). La liberté c’est l’esclavage : une autre application de la formule du 1984 de George Orwell.

Du paradis terrestre utopique promis par les communistes, Mises écrivit que tout l’apparentait au « paradis de Muhammad » promis aux musulmans. (MISES 6)

Pour favoriser l’avènement de ce paradis, Marx et ses successeurs enjoignirent leurs supporteurs à éliminer ceux qui s’opposaient au projet communiste en instaurant la dictature du prolétariat, une période dite temporaire et de transition devant mener à la société sans classe.

Muhammad promit également le paradis à ses fidèles qui combattraient les opposants à ses principes et recourraient aux mêmes méthodes que celles prônées par les marxistes :

9:111 « Certes, Allah a acheté des croyants, leurs personnes et leurs biens en échange du Paradis. Ils combattent dans le sentier d’Allah : ils tuent, et ils se font tuer. (…) Réjouissez-vous donc de l’échange que vous avez fait : Et c’est là le très grand succès. »

8:12 « Frappez donc au-dessus des cous et frappez-les sur tous les bouts des doigts. »

Le recours à la violence est requis non seulement pour faire triompher les principes de l’islam face aux non-musulmans, il l’est également pour résoudre les divergences entre musulmans. Les crimes d’honneur et les actes de violence sectaire qui surviennent régulièrement entre musulmans sont des conséquences directes du postulat selon lequel le Coran et les hadiths ne peuvent offrir qu’une seule réponse acceptable aux diverses questions qui confrontent les hommes. C’est la même logique qui conduisit aux purges perpétrées par les communistes au sein de leurs propres rangs. Tout ce qui déroge à ce qu’une faction ou une autre considère être l’orthodoxie n’est nécessairement que mécréance ou révisionnisme et doit être traité comme tel.

« Le principal problème avec toutes ces doctrines universalistes, collectivistes et globales est le suivant : par quel signe puis-je reconnaître la vraie règle, la parole de l’authentique apôtre de Dieu et l’autorité légitime ? Plusieurs proclament avoir été envoyés par la Providence et chacun de ces prophètes prêche un évangile différent. Pour le croyant fidèle il ne peut y avoir aucun doute ; il est complètement certain qu’il a épousé la seule véritable doctrine. C’est précisément l’inflexibilité de telles croyances qui rend les antagonismes irréconciliables. Chaque camp est prêt à faire prévaloir ses propres principes. Comme l’argumentation logique ne peut permettre de résoudre les contradictions entre ces diverses croyances mutuellement exclusives, seul l’affrontement armé permet de régler les disputes. Les doctrines non-rationalistes, non-utilitaristes et non-libérales doivent engendrer des guerres et des guerres civiles jusqu’à ce qu’un des adversaires ait été éliminé ou subjugué. L’histoire des grandes religions du monde en est une de batailles et de guerres tout comme l’est celle de ces religions déguisées que sont le socialisme, l’étatisme et le nationalisme. » (MISES 4–147)

En 1940, Mises critiqua le recours au mot « démocratique » pour décrire autant les réalités musulmane que communiste.

« Avec la confusion sémantique grandissante, on a transformé les termes politiques en leurs exacts opposés. L’épithète démocratique est utilisée à toutes les sauces. C’est ainsi que les peuples musulmans qui n’ont jamais connu d’autres formes de gouvernement qu’un absolutisme sans borne sont maintenant qualifiés de démocratiques. » (MISES 4–842)

« Les défenseurs du totalitarisme (soviétique) renversent le sens des mots, (…) ils appellent démocratie les méthodes russes de gouvernement dictatorial (et) démocratie industrielle le recours à la violence et à la coercition pratiqué par les syndicats. » (MISES 4–284)

Mises écrivit dans un passage consacré au culte aveugle que les communistes vouaient à l’URSS d’après-guerre « qu’à l’instar des musulmans pieux qui désirent ardemment se rendre en pèlerinage à La Mecque, l’intellectuel communiste considère qu’un pèlerinage vers les lieux saints de Moscou constituera le moment marquant de sa vie. » (MISES 2–505)

Plusieurs membres de l’élite littéraire des deux derniers siècles naguère critiqués par Mises pour leur promotion du socialisme et leur esprit de destruction (MISES 2–422) sont aujourd’hui promus par les islamistes pour avoir, par ailleurs, exprimé des sympathies envers l’islam. Différents documents islamistes saluent ces écrivains non-musulmans qui se sont « tenus exaltés devant la vie et la conduite de notre Prophète ». Les noms de quatre écrivains critiqués par Mises reviennent fréquemment dans la littérature islamiste : Thomas Carlyle (1795 – 1881), H.G. Wells (1866 – 1946), Léon Tolstoï (1828 – 1910) et George Bernard Shaw (1856 – 1950).

Des quatre, Thomas Carlyle est sans doute celui que Mises dénonça le plus durement. Il écrivit de lui qu’il avait « glorifié la guerre, la révolution, les bains de sang et les conquêtes » et qu’il fut « le précurseur des idées que Lénine et Staline, Hitler et Mussolini avaient appliquées ». (MISES 4–649)

Dans un autre passage, Mises écrivit qu’avec John Ruskin, Bernard Shaw, les Webb (Beatrice et Sidney) et quelques autres, Thomas Carlyle passera à l’histoire « comme l’un des fossoyeurs de la liberté britannique, de la civilisation et de la prospérité ». (MISES 1–76)

Ce jugement de Mises s’applique bien au commentaire que Thomas Carlyle consacra au prophète Muhammad dans son livre On Heroes and Hero Worship and the Heroic in History.

« Beaucoup a été dit sur le fait que Muhammad propagea sa religion par l’épée. C’est beaucoup plus noble que ce dont nous pouvons nous vanter concernant la religion chrétienne puisqu’elle fut propagée pacifiquement en prêchant et en convainquant. C’est une erreur fondamentale que de considérer le recours à la violence comme un argument prouvant la véracité ou la fausseté d’une religion. (…) Chaque nouvelle opinion est toujours celle d’une minorité à ses débuts. Elle se trouve dans la tête d’un seul homme. Une seule personne au monde y croit. Voici un homme contre tous les hommes. Qu’il prenne une épée dans ces circonstances et tente de propager son idée lui sera fort peu utile. (…) Une idée se propagera comme elle le peut. Nous ne pouvons d’ailleurs pas dire du christianisme qu’il a toujours dédaigné l’épée lorsqu’il en eut à sa disposition. Ce n’est pas en prêchant que Charlemagne a converti les Saxons. L’usage de l’épée m’est égal. Je permettrai à une idée de faire son chemin en ce monde en recourant à l’épée, à la parole, à quelque instrument qu’elle ait à sa disposition ou qu’elle puisse se procurer. Nous la laisserons prêcher, polémiquer, combattre, se remuer tant qu’elle peut et se débattre bec et ongles, convaincus qu’en fin de compte elle ne conquerra rien qui ne méritait pas d’être conquis. Une nouvelle idée ne peut seulement vaincre que ce qui est moins bon qu’elle. Dans ce grand duel, la nature elle-même sert d’arbitre et ne peut se tromper. C’est l’idée enrac

inée le plus profondément dans la nature, c’est cette idée que nous désignons comme la plus vraie qui survivra. » (CARLYLE–48

Ainsi, selon Carlyle, la véracité d’une thèse est établie par la capacité de son défenseur à survivre physiquement à une confrontation avec les supporteurs de thèses opposées. Là où une telle conception arrive à s’imposer, ses tenants ne travaillent plus à évaluer les idées et les doctrines à leur mérite trop occupés qu’ils sont à se positionner par rapport au potentat qui remporta le dernier round. Plus cette conception prévaut dans une société et plus la vie des innovateurs est menacée par ceux qui bénéficient du statu quo. L’innovation rejetée, le conformisme s’installe et la pauvreté suit.

« La civilisation est un produit de l’esprit bourgeois et non pas de l’esprit de conquête. » (MISES 4–650)

C’est en invoquant ces conséquences du despotisme et de l’esprit de conquête invariablement associé à l’islamisation d’une région que Jeremy Bentham expliqua le dépérissement de l’agriculture et du commerce en Asie mineure, en Grèce, en Égypte et sur les côtes de l’Afrique après l’absorption de ces régions par l’Empire ottoman. (BENTHAM – 310) Son explication était identique à celle fournie par Mises pour expliquer « la léthargie qui s’est répandue chez les peuples musulmans ». (MISES 8–80)

LA PAIX DES CIMETIÈRES

Un autre parallèle entre le socialisme et l’islam s’impose. C’est la propension de leurs leaders à présenter leur doctrine respective comme des doctrines de paix à ceux qui sont dans leur mire. Contrairement à tant de ses contemporains, Ludwig von Mises ne se fit pas berner par les déclarations de paix des marxistes et de l’URSS :

« La paix (dont parlent les marxistes) n’est pas la paix du progrès que le libéralisme s’efforce d’atteindre mais la paix des cimetières. Ce n’est pas la paix des pacifistes mais celle des pacificateurs, des hommes de violence qui cherchent la paix par la subjugation. Chaque potentat établit ce genre de paix en imposant sa domination absolue. Elle dure tant qu’il réussit à maintenir sa domination. » (MISES 2–73)

Après avoir pris le pouvoir en URSS, les leaders communistes réalisèrent rapidement qu’ils suscitaient la crainte et la suspicion en étalant au grand jour leurs projets révolutionnaires. Ils résolurent donc d’offrir un nouveau discours empreint de paix, de colombes et de coexistence pacifique sans changer d’un iota leur programme original. Dorénavant, ils réserveraient aux initiés les détails du travail de sape planifié dans le monde non-communiste ainsi que les justifications des campagnes de terreur menées dans le camp du socialisme. Leur discours pacifiste servirait à émousser la vigilance de l’adversaire.

La nouvelle tactique fut appliquée pour la première fois en 1922 lors de la Conférence de Gênes à laquelle participèrent les délégations de trente-quatre pays. Peu avant la conférence qui devait être consacrée aux problèmes monétaires confrontant les pays participants, Lénine contacta le chef de la délégation soviétique Guéorgui Tchitchérine et lui demanda de profiter de l’occasion pour présenter une proposition de désarmement général aux autres participants. Surpris, Tchitchérine contacta Lénine pour demander des éclaircissements. Il ne comprenait pas qu’il doive défendre une position contraire à tout ce que les communistes avaient soutenu jusque là. La réponse de Lénine est édifiante :

« Camarade Tchitchérine, vous et moi avons combattu le pacifisme en tant que programme du Parti prolétarien révolutionnaire. Cela est clair. Mais où, quand et qui a répudié l’utilisation des pacifistes par (notre) parti pour désagréger l’ennemi ? » (LÉNINE–479)

La paix de l’islam tient de la même logique. Après les émeutes qui se déroulèrent au Danemark et dans d’autres pays du monde à l’occasion de la publication des caricatures de Muhammad, l’Organisation de la conférence islamique (OCI) invita cent trente-huit leaders musulmans du monde à endosser une lettre ouverte au pape Benoît XVI et à d’autres leaders chrétiens dans laquelle ils déclaraient vouloir vivre dans un climat « de paix sincère, d’harmonie et de bonne volonté mutuelle ». L’OCI regroupe les cinquante-sept pays musulmans du monde et la lettre ouverte fut rendue publique le 13 octobre 2007.

L’OCI conclut sa déclaration en citant le verset 5:48 du Coran.

5:48 « Et sur toi (Muhammad) Nous avons fait descendre le Livre avec la vérité (le Coran), pour confirmer le Livre qui était là avant lui (L’Ancien et le Nouveau Testament) et pour prévaloir sur lui. Juge donc parmi eux d’après ce qu’Allah a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, loin de la vérité qui t’est venue. »

D’autres versets suivent immédiatement 5:48 et élaborent sur les châtiments prévus à l’intention de ceux qui s’aviseraient de ne pas reconnaître cette prévalence du Coran. L’OCI a évidemment omis de citer ces versets. C’est que « la guerre se mène par la déception et la tromperie », pour reprendre la formule de Muhammad rapportée dans les hadiths de Boukhari (4.52.269).

5:49-51 « Juge alors parmi eux d’après ce qu’Allah a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, et prends garde qu’ils ne tentent de t’éloigner d’une partie de ce qu’Allah t’a révélé. Et puis, s’ils refusent (le jugement révélé) sache qu’Allah veut les affliger [ici-bas] pour une partie de leurs péchés. Beaucoup de gens, certes, sont des pervers. (…) Ô les croyants ! Ne prenez pas pour alliés les Juifs et les Chrétiens ; ils sont alliés les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour alliés, devient un des leurs. Allah ne guide certes pas les gens injustes. »

Les exégètes ont abondamment commenté la signification de ce passage. Voici le commentaire coranique d’Ibn Kathir facilement accessible sur internet :

Ibn Kathir sur 5:48-51 : « Tout ce qui dans les Livres précédents concorde avec le Coran est vrai et tout ce qui diverge du Coran est faux. (…) Quiconque préfère suivre son opinion et ses désirs plutôt que la Loi d’Allah et la Sunna (voie) de son Messager est un mécréant qui mérite d’être combattu jusqu’à ce qu’il ait accepté les décisions d’Allah et de Son Messager. »

Plusieurs des signataires choisis par l’OCI pour endosser son prétendu message de paix ont réaffirmé la conclusion d’Ibn Kathir dans les années récentes. Ils ont confirmé que la paix de l’islam n’est jamais plus qu’une trêve dans un jihad sans fin mené pour imposer les principes de Muhammad. C’est notamment le cas du signataire Muhammad Usmani, un des experts en droit islamique de l’OCI :

« Tant que les musulmans ne possèdent pas les ressources requises pour détruire le prestige de la mécréance, il est permis de conclure des accords de paix avec d’autres pays tout en continuant à accumuler les ressources nécessaires (au jihad). (…) Si les musulmans ne possèdent pas la capacité de mener le jihad armé, des ententes (de paix) peuvent être conclues jusqu’à ce que cette capacité soit atteinte. » (USMANI–136)

Mises discuta précisément de cette caractéristique des doctrines de subjugation qui consiste à prôner la guerre perpétuelle :

« (Dans les doctrines qui visent à subjuguer les hommes), les lois de Dieu et de la Destinée proclament leur validité universelle et considèrent tous les hommes redevables aux autorités qu’elles déclarent légitimes. Tant que le prestige de ce genre de code asservissant de moralité s’est maintenu (…), il n’a pas pu être question de tolérance ou de paix durable. Quand les combats cessaient, cela servait seulement à renouveler les forces en vue de la prochaine bataille. L’idée de tolérer les vues divergentes d’autres personnes put prendre racine seulement quand les doctrines libérales vinrent à bout de cet universalisme. » (MISES 4–148)

« Les supporteurs de cette moralité asservissante et de ces doctrines collectivistes ne peuvent espérer démontrer la validité de leurs principes éthiques et la supériorité de leur idéal par un raisonnement logique. Ils sont donc obligés de demander aux gens d’accepter crédulement leur système de pensée et de capituler devant l’autorité. Ils sont déterminés à faire taire les dissidents ou à les battre jusqu’à ce qu’ils aient été subjugués. » (MISES 4–148)

C’est le grand mérite des analyses de Ludwig von Mises de nous aider à décoder le message des doctrines de subjugation. Ses analyses nous permettent de comprendre que parfois paix veut dire guerre et liberté, esclavage.

 

BIBLIOGRAPHIE

AL-GHAZALI – Kitab al-Wagiz fi fiqh madhab al-imam al-Safi’i. L’extrait est reproduit par Andrew Bostom, The Legacy of Jihad, Amherst : Prometheus Books, 2005.

BASTIAT – Frédéric Bastiat, Harmonies et perturbations sociales, Paris : Librairie de Guillaumin, 1852.

BENTHAM, The Works of Jeremy Bentham, Volume 1, Edinburgh : William Tait, 1843.

BOSTOM – Andrew Bostom, The Legacy of Islamic Antisemitism, Amherst : Prometheus Books, 2008.

CARLYLE – Thomas Carlyle, Heroes, Hero-Worship and the Heroic in History, New York : John B. Alden, 1888.

HITLER – The Testament of Adolf Hitler, London : Cassell, 1961.

HUME – David Hume, Dissertations sur les passions, sur la tragédie, sur la règle du goût, Amsterdam : J.H. Schneider. 1759.

KHALDOUN – Ibn Khaldoun, Les prolégomènes, Partie III, Paris : Imprimerie impériale, 1863.

LÉNINE – V.I. Lénine, Œuvres, Tome 45, Moscou : Éditions du Progrès, 1977.

MISES 1 – Ludwig von Mises, The Anti-Capitalistic Mentality, South Holland : Libertarian Press. 1981.

MISES 2 – Ludwig von Mises, Socialism : An Economic and Sociological Analysis, Indianapolis : Liberty Fund, 1981.

MISES 3 – Ludwig von Mises, Economic Freedom and Interventionism, Indianapolis : Liberty Fund, 2007.

MISES 4 – Ludwig von Mises, Human Action : A Treatise on Economics, Chicago : Contemporary Books Inc., 1963.

MISES 5 – Ludwig von Mises, Liberalism : The Classical Tradition, Indianapolis : Liberty Fund, 2005.

MISES 6 – Ludwig von Mises, Nation, State, and Economy : Contributions to the Politics and History of Our Time, Indianapolis : Liberty Fund, 2006.

MISES 7 – Ludwig von Mises, Omnipotent Government, New Haven : Yale University Press, 1944.

MISES 8 – Ludwig von Mises, Theory and History : An Interpretation of Social and Economic Evolution, Auburn : Lugwig von Mises Institute, 2007.

QUTB – Sayyid Qutb, Milestones, Damascus : The Holy Koran Publishing House, 1978.

SMITH 1 – Adam Smith, Essays on Philosophical Subjects, New York : Oxford University Press, 2003.

SMITH 2 – Adam Smith, Lectures on Jurisprudence, New York : Oxford University Press, 2004.

SMITH 3 – Adam Smith, Lectures on Justice, Police, Revenue and Arms, Chestnut Hill : Elibron Classics, 2006.

SMITH 4 – Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Tome 1, Paris : Librairie de Guillaumin, 1859.

SPEER – Albert Speer, Inside the Third Reich : Memoirs, Toronto : Macmillan, 1970.

TOCQUEVILLE – Alexis de Tocqueville, Œuvres complètes, Tome V, Paris : Michel Lévy Frères, 1866.

USA – Secretary of State, The Diplomatic Correspondence of the United States of America, (September 10, 1783 – March 4, 1789), Washington : 1837.

USMANI – Muhammad Taqi Usmani, Islam and Modernity, New Delhi : Adam Publishers & Distributors, 2002.



RECONQUÉRIR LA LIBERTÉ D'EXPRESSION

 

par Marc Grunert

 

          La liberté d’expression est une des pierres angulaires du libéralisme. Elle est, du moins dans son principe, une des valeurs les plus profondes de la culture politique occidentale. Menacer de mort une personne qui en a usé constitue une menace pour le principe lui-même et donc pour la civilisation qui se fonde sur lui. C’est ce qui vient de se produire avec Robert Redeker, un professeur de philosophie menacé de mort par les islamistes pour avoir écrit un article corrosif sur l’islam.

 

Mais avant cette menace extérieure, la liberté d’expression faisait déjà l’objet d’une lente destruction venant de l’intérieur. De la démocratie elle-même. Ou plutôt d’une conception totalitaire de la démocratie, malheureusement la plus courante. Selon cette conception, la démocratie est la valeur absolue. Tout ce qui émane d’un processus démocratique est par définition le Bien à l’instant même où il en émane. Cela conduit bien sûr au relativisme destructeur. Ce qui était juste, bien et vrai peut devenir injuste, mal et faux après le processus de la magie démocratique. Ce qu’on avait le droit de dire un jour peut devenir interdit d’expression le lendemain. Le Parlement, par exemple, vient d'adopter un projet de loi sanctionnant la négation du génocide arménien. N’y a-t-il pas aussi des écologistes qui veulent rendre illégale la négation du « réchauffement planétaire »?

          Le totalitarisme a besoin d’une vérité officielle car il doit par nature tout contrôler pour atteindre ses objectifs et maintenir son pouvoir. Et la démocratie ne se distingue pas du totalitarisme lorsqu’elle interdit la négation de ce que la majorité croit. Ce qu’a écrit Orwell dans 1984 est toujours d’actualité, même dans nos régimes dits démocratiques. Car la démocratie ne se distingue pas du fascisme élitiste lorsqu’elle interdit de nier ce que d’autres jugent immoral de nier. Le pluralisme des idées, la possibilité de mesurer la validité d’une idée à l’aune d’une autre, la concurrence des idées, tout cela préserve à la fois la liberté et les chances d’éliminer les idées fausses. De quelle divine infaillibilité peuvent se prévaloir les hommes de l’État ou la majorité pour définir ce qui est vrai et indiscutable?

Ostracisme et droits de propriété

          La liberté d’expression n’a pas d’autre limite que celle qui protège les droits de propriété individuels. Ainsi vous ne pouvez pas dire ce que vous voulez chez moi précisément parce que vous êtes chez moi. De même, vous ne pouvez pas dire ce que vous vous êtes engagés à ne pas dire, d’où l’existence d’un devoir éventuel de réserve. Publier une opinion avec ses propres moyens ou avec ceux d’une autre personne consentante ne peut violer aucun droit légitime.

          Dans une société libre, on a le droit de tout dire dans la limite des engagements contractuels que l’on a pris et dans la limite des moyens mis en oeuvre: ne pas utiliser la propriété des autres par la force. Mais alors, dira-t-on, les gens passeront leur temps à s’insulter, à nier les chambres à gaz, etc. Il faudrait donc qu’une autorité rétablisse l’ordre. Curieux raisonnement qui conduirait à affirmer que les individus voudraient un ordre moral alors que leurs actions révèleraient le contraire.


« Ce qui était juste, bien et vrai peut devenir injuste, mal et faux après le processus de la magie démocratique. Ce qu’on avait le droit de dire un jour peut devenir interdit d’expression le lendemain. »

exerql.gif


          Les comportements et les idées fausses, même les insultes, s’éliminent par l’ostracisme et le boycott. Ne plus entrer en relation avec quelqu’un qui nie les chambres à gaz peut lui faire payer cher ses divagations et dissuader d’autres de recommencer. C’est aussi suffisant pour ne plus avoir à souffrir ce que l’on ne veut pas entendre. Une société de liberté n’a pas besoin d’interdiction pour bâillonner les négationnistes, les racistes et les menteurs. Le refus de coopérer avec eux est efficace dans la proportion du degré de tolérance des autres pour leurs idées ou comportements.


Le cas de l’islam

          L’islam n’est pas compatible avec les valeurs occidentales. Le principe de liberté d’expression est en contradiction avec l’islam. La raison tient au fait que cette religion définit le musulman comme un individu qui n’a pas besoin du principe de liberté d’expression puisqu’il l’a abdiquée par sa foi même, et au fait simultané que l’islam est une religion totalitaire, qu’elle contient donc une idéologie politique. De fait, la liberté d’expression n’a jamais existé dans un État islamique.

          Alain Madelin a beau dire qu’il faut distinguer l’islamisme radical et les musulmans modérés, les contradictions évidentes entre l’islam et les principes de liberté chèrement acquis en Occident ne peuvent que tourner à l’avantage de cette idéologie totalitaire si ces principes ne sont pas défendus avec vigueur.

          La liberté d’expression ne se conçoit pas sans des droits de propriété individuels absolus, et c’est bien pour cela qu’elle est un principe inhérent au libéralisme. Ainsi se battre contre le libéralisme, c’est aussi se battre contre les principes qui en découlent, y compris la liberté d’expression. C’est ce que font les communistes et les socialistes de tous horizons en utilisant la loi pour protéger une vérité officielle.

          L’opposition frontale entre l’islam et la liberté d’expression devrait nous donner l’occasion de réfléchir de nouveau à ce qu’est la liberté d’expression, pour comprendre son lien logique avec une définition strictement individuelle des droits de propriété, avec une philosophie politique qui définit l’agression, le vol, le crime, et le délit par la violation des droits de propriété individuels et des engagements contractuels libres.

titreJohnH.gif
Partager cet article
Repost0
21 mars 2011 1 21 /03 /mars /2011 15:48

Quatorze siècles d’exégèse coranique pour nous aider à comprendre le jihad

vendredi 10 juillet 2009 - Daniel Vignola

arton583-34a3c.jpg


- « Le jihad, le saint combat, pour la cause d’Allah avec des effectifs complets et de l’armement jouit d’un statut de la plus haute importance dans l’islam ; il en constitue l’un des piliers. C’est par le jihad que l’islam est établi, que la parole d’Allah est amenée à dominer (…) et que sa religion est propagée. »

- Explication ajoutée à une édition arabe-anglaise du Coran publiée sous la supervision du ministère des Affaires islamiques d’Arabie saoudite. The Noble Qur’an, Madinah, King Fahd Complex For The Printing Of The Holy Qur’an, 1417 A.H. (1996), p. 39.

Dans l’article L’islam et le recours à la coercition, j’ai discuté des versets du Coran qu’invoquent les islamistes contemporains pour justifier le jihad qu’ils mènent aux quatre coins du monde. Un participant au forum de l’article a réagi en faisant valoir que mes conclusions sur la nature conquérante de l’islam étaient injustifiées. Il soutient que les versets du jihad n’auraient été proclamés que pour encourager les musulmans à repousser les attaques dont ils auraient été victimes durant les premières années de l’islam. Le correspondant établit donc une adéquation implicite entre le jihad et l’autodéfense. Avant de discuter des conclusions des exégètes de l’islam sur plusieurs batailles historiques livrées par Muhammad et ses successeurs qui sont aux antipodes de celles de ce correspondant, j’ai choisi de vous présenter des extraits de l’exégèse coranique de toutes les époques qui invalident cette idée que jihad soit synonyme d’autodéfense.

Le jihad selon six des maîtres à penser du Minaret Freedom Institute

Un autre participant au forum de Contrepoints suggéra aux lecteurs de consulter le site du Minaret Freedom Institute (MFI), une organisation américaine qu’il décrivit comme musulmane et libérale. J’ignorais l’existence de cette organisation. C’était bien la moindre des choses que de prendre connaissance de leurs positions. Comme tant d’autres, le président du MFI Imad A. Ahmad reprend la thèse que « le jihad ne vise pas à convertir par la force mais à défendre ceux qui sont persécutés à cause de leur religion ». À son tour, il cite le verset 2:256 pour appuyer son propos. Vous pouvez consulter sa lettre soumise au magazine Newsweek à cet effet.

Le verset 2:256 est celui qui proclame qu’il n’y a pas de contrainte en religion. Évidemment, ceux qui citent 2:256 pour démontrer la tolérance de l’islam ne mentionnent jamais que le verset suivant (2:257) promet le Feu de l’enfer aux non-musulmans. Ils ne mentionnent également jamais la peine de mort prévue par l’islam pour ceux qui abandonnent la religion. J’ai eu l’occasion d’énumérer dans mon article précédent toute une série de supplices que d’autres versets réservent aux mécréants.

Comme en témoignent plusieurs articles disponibles sur le site du MFI, quand son président Imad A. Ahmad discute d’économie, de science ou d’autres sujets, il n’hésite pas à invoquer les positions des autorités de l’islam du passé pour supporter les siennes. Cependant, dans les documents du site où il discute de sa version d’un jihad exclusivement défensif, pas la moindre citation d’exégète musulman reconnu. Quatorze siècles se sont pourtant écoulés depuis la proclamation du Coran (610-632), quatorze siècles durant lesquels les exégètes musulmans nombreux et prolifiques ont discuté de toutes les facettes de la religion. Si le jihad équivaut à l’autodéfense, pourquoi ne pas nous présenter les textes qui accréditent cette facette de la jurisprudence islamique ?

Devant le peu d’empressement manifesté par le MFI, je résolus d’identifier les autorités de l’islam que le MFI avait cautionnées en abordant d’autres sujets que le jihad dans ses activités passées. Dans un second temps, j’entrepris de rechercher des documents sur le jihad écrits par chacune d’entre elles. Après tout, si le point de vue de ces autorités est digne de mention quand il s’agit d’économie ou de science, pourquoi en serait-il autrement quand il s’agit du jihad ? J’ai ainsi pu retrouver des commentaires sur le jihad produits par six des autorités de l’islam cautionnées par le MFI. Loin d’accréditer la thèse d’un jihad de nature défensive, chacun de ces commentaires endosse l’idée que l’agression des non-musulmans est légitime pour assurer la prévalence de la religion. Dans ce qui suit, vous retrouverez une brève description du contexte dans lequel le MFI cautionna chacune des six autorités citées suivie d’un commentaire de chacune d’entre elles sur le jihad :

Habib Al-Mawardi (972 – 1058)

Lors d’une conférence qu’il prononça en Malaisie et qu’il intitula Une perspective islamique sur la richesse des nations, le président du MFI chercha à démontrer que la méthode retenue pour distribuer les terres conquises aux dépens des non-musulmans durant le califat d’Omar (634 – 644) avait été conforme aux règles de la charia. Pour prouver son point, Imad. A. Ahmad invoqua l’expertise du juriste musulman Al-Mawardi. Les conquêtes d’Omar qualifiées d’"éblouissantes" par Imad A. Ahmad comprenaient la Mésopotamie, une partie de la Perse, l’Égypte, la Palestine, l’Afrique du Nord et l’Arménie. Wikipédia présente une carte géographique illustrant les conquêtes militaires "défensives" et "éblouissantes" survenues durant les onze, les quarante et les cent vingt-neuf premières années de l’islam.

- Habib Al-Mawardi sur le jihad : « Les mushrikun (mécréants) du Dar al-Harb (camp de la guerre) sont divisés en deux catégories : premièrement, il y a ceux que l’appel de l’islam a rejoints mais qui l’ont refusé et qui ont pris les armes. Le chef de l’armée peut choisir comment les combattre selon ce qu’il juge être dans le meilleur intérêt des musulmans et le plus douloureux pour les mushrikun. (…) Deuxièmement, il y a ceux que l’invitation à l’islam n’a pas encore rejoints. De telles personnes sont rares de nos jours puisqu’Allah a propagé l’appel de son Messager. (…) Il est défendu de lancer une attaque contre eux avant de les inviter à l’islam, de les informer des miracles du Prophète et de leur en exposer les preuves afin de les inciter à accepter l’invitation. S’ils refusent d’accepter malgré cela, la guerre est déclenchée contre eux et ils sont traités comme ceux qui ont été rejoints par l’appel de l’islam. »

- Référence : Al-Mawardi, The Laws of Islamic Governance. L’extrait est reproduit par Andrew Bostom, The Legacy of Jihad, Amherst, Prometheus Books, 2005, pp. 27-28.

Abou Hamid Al-Ghazali (1058 – 1111)

Dans la préface de la seconde édition de son livre Signs in the Heaven publié en 2006 et subventionné par la Fondation Templeton, Imad A. Ahmad discute de la relation entre la religion et la science dans une perspective islamique. Il crédite Abou Hamid Al-Ghazali pour avoir « réconcilié l’islam orthodoxe et le soufisme et avoir, le premier, réussit à élaborer une théorie vraiment moderne de la connaissance dans laquelle prévaut un juste équilibre entre la raison, l’expérience et l’autorité ».

- Abou Hamid Al-Ghazali sur le jihad : « Chacun doit participer au jihad au moins une fois par année. Il est permis d’utiliser la catapulte contre eux (les non-musulmans) quand ils sont dans une forteresse, et ce, même s’il y a des femmes et des enfants parmi eux. Il est permis de les brûler ou de les noyer. Si une personne appartenant aux gens du Livre (les chrétiens et les juifs) est faite esclave, son mariage est annulé. Il est possible de couper leurs arbres. Il est requis de détruire leurs livres inutiles. Les combattants peuvent prendre comme butin tout ce qu’ils désirent. Ils peuvent saisir toute la nourriture dont ils ont besoin. »

- Référence : Al-Ghazali, Kitab al-Wagiz fi fiqh madhab al-imam al-Safi’i. L’extrait est reproduit par Andrew Bostom, The Legacy of Jihad, Amherst, Prometheus Books, 2005, p. 199.

Ibn Khaldoun (1332 – 1406)

En 1995, le président du MFI prononça une conférence qui portait sur L’islam et les précurseurs médiévaux de l’École autrichienne d’économie. À cette occasion, il présenta l’historien, le philosophe et l’homme politique musulman et arabe Ibn Khaldoun comme « le premier intellectuel qui adopta une attitude véritablement scientifique dans l’étude de l’histoire et de l’économie ». Imad A. Ahmad salua tout particulièrement Les prolégomènes (Al-Muqaddima) d’Ibn Khaldoun, une œuvre de nature encyclopédique sur l’histoire universelle.

- Ibn Khaldoun sur le jihad : « Dans l’islamisme, la guerre contre les infidèles est d’obligation divine, parce que cette religion s’adresse à tous les hommes et qu’ils doivent l’embrasser de bon gré ou de force. On a donc établi chez les musulmans la souveraineté spirituelle et la souveraineté temporelle, afin que ces deux pouvoirs s’emploient simultanément dans ce double but. Les autres religions ne s’adressent pas à la totalité des hommes ; aussi n’imposent-elles pas le devoir de faire la guerre aux infidèles ; elles permettent seulement de combattre pour (leur) propre défense. Pour cette raison, les chefs de ces religions ne s’occupent en rien de l’administration politique. »

- Référence : Ibn Khaldoun, Les prolégomènes, Partie I, Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. 469. Tout au long du texte, les numéros de pages cliquables renvoient à la reproduction sur internet des publications citées. En plus de l’édition offerte par Google Books, l’Université du Québec à Chicoutimi offre des versions Word et PDF d’une autre édition de ce livre.

Ibn Taymiyya (1263 – 1328)

Durant sa conférence de 1995 consacrée aux précurseurs musulmans de l’École autrichienne, Imad A. Ahmad présenta Ibn Taymiyya comme « le plus illustre prédécesseur d’Ibn Khaldoun ». Ahmad distingua l’approche économique d’Ibn Khaldoun de celle d’Ibn Taymiyya qu’il décrivit comme juridique et moraliste.

- Ibn Taymiyya sur le jihad : « Il y a deux types de châtiments prévus pour ceux qui désobéissent à Allah et à son Messager : (premièrement) celui qui relève du droit criminel et qui s’adresse à ceux qui sont sous l’influence de l’imam. Deuxièmement celui qui vise les groupes récalcitrants qui ne peuvent être ramenés sous l’influence de l’imam que par un affrontement décisif. Voilà ce qu’est le jihad contre les kafirs (mécréants), les ennemis d’Allah et de son Messager. Quiconque a reçu l’appel du Messager d’Allah, Que la paix d’Allah soit sur lui, et n’y a pas répondu doit être combattu "jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’association et que la religion soit entièrement à Allah" (Coran 2:193 et 8:39). »

- Référence : Ibn Taymiyya, The Religious and Moral Doctrine of Jihad. Le texte de onze pages est reproduit avec d’autres classiques de l’exégèse coranique sur le jihad dans l’ouvrage de Rudolph Peters, Jihad in Classical and Modern Islam, Princeton, Marcus Wiener, 1995, p. 44.

Rouhollah Khomeini (1902 – 1989)

En janvier 2008, dans ses réponses à un représentant de l’agence de presse iranienne Farspress, le président du MFI endossa complètement le rôle de l’ayatollah Khomeini durant la révolution islamique iranienne de 1979. Il affirma que « la révolution iranienne a servi d’inspiration aux musulmans du monde entier ». Il ajouta que « le charisme personnel (de l’ayatollah), sa puissante élocution, ses références à l’islam, son intelligence, son lien avec les masses et son flair politique » avaient tous été des facteurs clés dans le déclenchement de la révolution iranienne.

- Rouhollah Khomeini sur le jihad : « Ceux qui étudient le jihad comprendront pourquoi l’islam désire conquérir le monde entier. Tous les pays conquis par l’islam ou qui seront conquis dans le futur bénéficient d’un salut éternel. Parce qu’ils vivront sous (la loi de Dieu). (…) Ceux qui ne connaissent rien de l’islam prétendent que l’islam s’oppose à la guerre. Ceux qui font une telle affirmation sont des sots. L’islam déclare : Tuez tous les mécréants comme ils vous tueraient. Est-ce que cela signifie que les musulmans devraient relaxer en attendant d’être dévorés par les mécréants ? L’islam déclare : Tuez les mécréants, attaquez les par l’épée et dispersez (leurs armées). Est-ce que cela signifie de s’allonger jusqu’à ce que les mécréants nous aient dominés ? L’islam déclare : Tuez au nom d’Allah ceux qui pourraient vouloir vous tuer. Est-ce que cela signifie qu’on devrait capituler face à l’ennemi ? L’islam déclare : Tout ce qu’il y a de bon existe par l’épée et à l’ombre de l’épée ! Il n’y a que l’épée pour amener les gens à obéir. L’épée est la clé du paradis qui ne peut être ouvert que pour les combattants d’Allah ! Il y a des centaines de versets et de hadiths commandant aux musulmans de valoriser la guerre et de se battre. Est-ce que tout cela signifie que l’islam est une religion qui empêche les hommes de mener la guerre ? Je crache sur ces âmes idiotes qui font une telle affirmation. »

- Référence : Rouhollah Khomeini, L’islam n’est pas une religion de pacifistes. L’extrait est reproduit par Andrew Bostom, The Legacy of Jihad, Amherst, Prometheus Books, 2005, p. 226.

Les Frères musulmans (fondés en 1928)

Lorsqu’il répondit à des questions portant sur la situation de la femme, le président du MFI indiqua que Zaynab al-Ghazali (1917 – 2005) représentait le mieux les positions de l’islam contemporain sur le sujet. Imad A. Ahmad l’identifia comme une dirigeante de la section féminine de l’organisation des Frères musulmans fondée par Hassan El-Banna (1906 – 1949). Lors de son souper annuel de mai 2008, le MFI cautionna à nouveau l’organisation islamiste en invitant Esam Omeish à présenter leurs positions aux participants. Dans une lettre soumise au Washington Post en 2004, ce dernier avait confirmé son appui à « l’école de pensée modérée » des Frères musulmans.

Dans son texte Le jihad notre voie, le fondateur des Frères Hassan El-Banna passe en revue les versets du Coran, les hadiths et les commentaires de nombreux exégètes musulmans sur le jihad. Le titre du texte provient de la devise de l’organisation : « Allah est notre but, le Coran notre constitution, le Prophète notre chef, le Jihad notre voie et le martyre au nom d’Allah le plus cher de nos vœux ».

Selon la biographie de Zaynab al-Ghazali disponible sur le site islamiste jannah.org, cette dernière accorda une importance particulière à approfondir Ma’alim fi al-Tariq, du théoricien des Frères musulmans Sayyid Qutb (1906 – 1966). Publié en 1964, l’ouvrage est disponible en anglais sous le titre Milestones et son chapitre 4 intitulé Le jihad au nom d’Allah constitue un long plaidoyer en faveur du jihad offensif.

- Sayyid Qutb sur le jihad : « Quant à ceux qui tentent de défendre le concept du jihad islamique en l’interprétant de façon restrictive comme une guerre défensive et qui font des recherches pour prouver que les batailles menées au nom du jihad islamique furent toutes pour la défense de la patrie de l’islam contre l’agression de puissances voisines, ils comprennent mal la nature de l’islam et de son but premier. Une telle conception du jihad n’est rien sinon que le produit d’un esprit défait par les présentes conditions difficiles et par les attaques des orientalistes perfides contre le jihad islamique. (…) Il serait naïf d’imaginer qu’un appel visant à libérer l’humanité de la terre entière soit limité à des sermons et à des discours. »

- Référence : Sayyid Qutb, Milestones, Damascus, The Holy Koran Publishing House, 1978, pp. 112-113.

Le terme « orientaliste » utilisé par Qutb réfère aux intellectuels occidentaux qui, particulièrement à partir du dix-neuvième siècle, se sont spécialisés dans l’étude des civilisations moyen-orientales.

Vingt ans après cette prise de position de Sayyid Qutb, le multiculturalisme et la rectitude politique s’étaient imposés dans les sciences humaines en Occident et bon nombre d’orientalistes et d’islamologues avaient adapté leurs analyses au goût du jour en décrivant l’islam comme une religion de paix et le jihad comme étant défensif par nature.

Dans l’introduction à l’ouvrage qu’il consacra à reproduire et à commenter le manifeste des islamistes qui assassinèrent Anouar Sadate en 1981 (The Neglected Duty, London, Collier Macmillan Publishers, 1986), Johannes J.G. Jansen écrivit des orientalistes et des islamologues occidentaux qu’ils se comportent fréquemment comme des avocats de la défense à l’égard de l’islam en passant sous silence ce qui risque d’être considéré rébarbatif par leur auditoire occidental. En soutenant que l’objectif du jihad n’est plus la subjugation des non-musulmans mais l’autodéfense, plusieurs de ces experts accrédités ont éliminé un « irritant » et rendu leur sujet d’étude plus attrayant pour le grand public. Essentiellement, ils disent à ce public ce qu’il souhaite entendre. À quoi bon se faire accuser de jouer les Cassandre grecques quand les recherches subventionnées et les voyages d’étude à l’étranger récompensent ceux qui ont choisi de regarder dans l’autre direction ? Toute cette complaisance n’est pas sans rappeler celle encore récente manifestée par des journalistes et des soviétologues occidentaux par rapport à leur propre sujet d’étude.

Depuis que Jansen a écrit sa remarque, un autre phénomène s’est développé. Déterminés à émousser la vigilance des occidentaux, des pays musulmans avec l’Arabie saoudite en tête inondent de pétrodollars des chercheurs universitaires spécialisés dans l’étude de l’islam afin qu’ils en présentent une image rassurante. C’est dans ce contexte que plusieurs islamologues accréditent aujourd’hui la fiction du jihad exclusivement défensif.

Voici comment Ibn Warraq, le célèbre dissident de l’islam commente la situation :

- « En acceptant de se plier à la rectitude politique et en se faisant corrompre par des fonds provenant d’Arabie Saoudite et d’autres pays arabes, l’Occident a cessé de faire honneur aux idéaux qui motivèrent la création des universités. Récemment, l’Arabie Saoudite et d’autres pays islamiques (ex : Brunei) ont institué des chaires consacrées aux études islamiques dans des universités occidentales prestigieuses qui, en retour, sont encouragées à présenter une image favorable de l’islam. Il semble qu’on ait abandonné l’objectif de découvrir la vérité grâce à la recherche scientifique. L’examen critique des sources (de l’islam) et du Coran est découragé. (…). En décembre 2005, les universités Georgetown et Harvard ont accepté 20 millions $US chacune du prince saoudien Al-Walid ben Talal pour des programmes d’études islamiques. Le Carter Center, fondé par l’ancien président Jimmy Carter, est subventionné en partie par ben Talal. (…) Désormais, nous aurons seulement la « vérité islamique » acceptable à la famille royale saoudienne, une famille qui a financé le terrorisme, la propagande antioccidentale et l’antisémitisme depuis trente ans. »

- Référence : Ibn Warraq, Defending the West, Amherst, Prometheus Books, 2007.

Le jihad défensif et le jihad offensif

Dans ses Prolégomènes, Ibn Khaldoun n’aura eu besoin que de deux petites lignes pour invalider la thèse du jihad exclusivement défensif. Voyez comment il définissait le programme islamique de ceux qui seraient appelés à succéder à Muhammad :

- (I–p. 432) « On avait besoin d’un chef pour défendre l’empire, combattre les infidèles, empêcher les apostasies et conquérir des royaumes. »

Défendre l’empire —> Jihad défensif.

Conquérir des royaumes —> Jihad offensif.

Dans son essai Le jihad notre voie, Hassan El-Banna cita les exégètes suivants pour expliquer ce qui distingue le jihad défensif du jihad offensif :

Imam Malik ibn Anas (711 ? – 795)

Imam Ahmad ibn Hanbal (780 – 855)

Ibn Hazm (994 – 1064)

Ibn Qudamah (1147– 1223)

Imam Nawawi (1234 – 1278)

Muhammad al-Shawkani (1759 –1834)

Les conclusions qu’El-Banna tire de la jurisprudence islamique sont les suivantes : quand le jihad est mené à des fins défensives, il s’agit d’une obligation individuelle (fard ’ayn) comme la prière et le jeûne qui incombe à chaque membre de la communauté attaquée ainsi qu’aux habitants des alentours si c’est nécessaire. Le jihad défensif est obligatoire pour les femmes même si elles n’ont pas obtenu la permission de leur mari. Quand le jihad est mené dans des territoires non-musulmans, à des fins offensives et expansionnistes, il s’agit d’un devoir imposé à la communauté dans son ensemble. Ce devoir collectif est rempli lorsqu’un nombre suffisant de membres de la communauté se portent volontaires et passent à l’attaque. Les parents ont le droit d’empêcher leur enfant de participer au jihad seulement s’il est "fard kifayah" (jihad offensif).

- Référence : Hasan Al-Banna, Five Tracts, Berkeley, University of California Press, 1978, pp. 133-161.

L’existence même d’une doctrine millénaire distinguant les obligations qui incombent aux musulmans en cas d’attaque et de défense invalide à elle seule l’adéquation entre jihad et autodéfense.

Le jihad jusqu’à la fin des temps

Il y a une trentaine d’années, un dénommé Syed Badrus Salam d’Arabie saoudite contacta un expert en fiqh (jurisprudence islamique) du Pakistan afin d’obtenir des éclaircissements sur la théorie du jihad. Dans sa missive, Syed résuma ce que ses lectures antérieures l’avaient amené à comprendre du jihad et de l’applicabilité du concept à notre époque. Il exprimait en outre l’espoir que son interlocuteur expert réagisse à la synthèse qu’il lui proposait. L’expert contacté se dénomme Muhammad Taqi Usmani et il accepta de répondre à l’analyse de son correspondant.

L’échange de lettres sur le jihad est reproduit au chapitre 11 d’un livre intitulé L’islam et la modernité qui fut écrit par Usmani lui-même et publié en anglais en 2002. Le chapitre 11 s’intitule Le jihad agressif et le jihad défensif. Le texte est écrit par un musulman, pour un musulman. Il va droit au but. On nous a épargné l’angélisme et les demi-vérités.

- Référence : Muhammad Taqi Usmani, Islam and Modernity, New Delhi, Adam Publishers & Distributors, 2002, pp. 123-139. Une reproduction PDF de la préface du livre et du chapitre consacré au jihad est disponible sur le site de SANE, une organisation anti-islamiste américaine.

Ce qui donne un poids particulier à la réponse de Muhammad Usmani, c’est que depuis plusieurs années ce dernier œuvre à l’Académie islamique du fiqh qui relève directement de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). L’OCI regroupe les 57 pays musulmans du monde. Elle fit récemment parler d’elle en faisant adopter par les Nations Unies la résolution 62/154 qui interdit la critique de la religion. Depuis plusieurs années, l’OCI cherche à amener les pays membres de l’ONU à proclamer des lois qui imposeraient des peines à ceux de leurs citoyens qui s’objectent à un aspect ou à l’autre de l’islam. Voici qu’au nom des droits de l’homme, on ne cherche plus à protéger les hommes mais des idées.

Le 5 août 1990 l’OCI adoptait au Caire une Déclaration des droits de l’homme en islam fondée sur la charia. Plusieurs clauses de la Déclaration sont incompatibles avec la liberté de conscience. L’article 10, notamment, stipule qu’on ne peut exploiter l’ignorance d’une personne pour la forcer à renoncer à sa religion. Qui aura à décider si l’apostat abandonna l’islam en pleine connaissance de cause, de son plein gré ou non ? Le tribunal islamique évidemment. Existe-t-il une seule décision rendue par un tribunal islamique appliquant la charia qui reconnaisse qu’un musulman puisse abandonner sa religion alors que le Coran et les hadiths prévoient la peine de mort pour l’apostasie ? Poser la question c’est y répondre. L’article 22 stipule quant à lui que « Tout homme a le droit d’exprimer librement son opinion pourvu qu’elle ne soit pas en contradiction avec les principes de la Charria (sic) ». On n’a qu’à se rappeler la fatwa ordonnant l’assassinat de Salman Rushdie, les attentats subséquents contre ses traducteurs et ses éditeurs ainsi que les émeutes récentes qui entourèrent la publication des caricatures de Muhammad pour réaliser les limitations de cette formule.

Avant d’occuper ses présentes fonctions à l’OCI, Muhammad Usmani fut juge à la Cour fédérale de la charia du Pakistan (1980-1982) et puis juge expert en droit islamique à la Cour Suprême de ce pays (1982-2002). Les antécédents académiques et professionnels d’Usmani, l’importance de ses présentes fonctions et les nombreux honneurs qu’il a reçus de la part de plusieurs chefs d’états témoignent de son statut dans le monde musulman contemporain. Ses positions jouissent d’une autorité et d’un prestige certains. Quand il s’exprime sur le jihad et sur le sort que l’islam réserve aux mécréants, ceux-ci auraient intérêt à porter attention.

Dans sa réponse, Usmani commence par résumer la thèse de son correspondant de la façon suivante :

- « Si un pays non-musulman autorise le travail missionnaire musulman sur son territoire, le jihad contre ce pays cesse d’être permis. »

Pour évaluer la conformité de cette proposition avec les préceptes de l’islam, Usmani cite le verset 9:29. Ce sera son critère de référence :

- 9:29 « Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre (les chrétiens et les juifs), jusqu’à ce qu’ils versent la capitation (jizya) par leurs propres mains, après s’être humiliés. »

Après avoir comparé les deux énoncés, Usmani rend son verdict :

- (p. 131) « (Le verset 9:29 spécifie que) l’exécution des mécréants doit se poursuivre jusqu’à ce qu’ils paient la jizya après avoir été humiliés et dominés. Si le but de ces exécutions avait seulement été d’obtenir la permission et la liberté de prêcher l’islam, le verset aurait déclaré "jusqu’à ce qu’ils permettent de prêcher l’islam". Mais l’obligation d’imposer la jizya jumelée à la mention de l’humiliation (des mécréants) constitue une preuve claire qu’il s’agit de démolir leur prestige de façon à ce que leur domination puisse être levée et que les gens puissent obtenir une chance de réfléchir librement aux avantages de l’islam. »

- (p. 135) « Si la nécessité du jihad cesse de s’imposer seulement parce que la permission du Tabligh (travail missionnaire) a été obtenue, cela signifie que les musulmans n’auront jamais à lever l’épée puisqu’ils ont déjà obtenu cette permission dans la plupart des pays non-musulmans du monde. Le résultat sera que les mécréants pourront continuer à établir et à brandir les symboles de leur grandeur à travers le monde et que leur prestige et leur suprématie se maintiendront. Les grandes décisions seront les leurs, les directives seront les leurs, les idéologies seront les leurs, les points de vue seront les leurs et malgré cela les musulmans devraient se contenter de la permission accordée à leurs missionnaires d’œuvrer dans ces pays. La question se pose : combien de gens seront disposés à écouter les musulmans ou à réfléchir sérieusement à ce qu’ils disent et écrivent si le prestige et la force de la mécréance dominent l’atmosphère ambiante ? »

Pour en finir avec la thèse de son correspondant, Usmani cita son propre père, Mufti Muhammad Shafi qui était également un expert reconnu en jurisprudence islamique :

- (p. 133) « Le jihad contre les ennemis de l’islam est obligatoire pour les musulmans jusqu’à ce que le risque de leur malfaisance et de leur méchanceté ait disparu et que la domination de l’islam ait été établie sur toutes les autres religions. Puisque cela surviendra seulement vers la fin des temps, l’ordre de mener le jihad reste en vigueur jusqu’au dernier jour. »

Après avoir conversé avec Muhammad Usmani qu’il décrivit comme poli et versé dans les questions de politique internationale, le journaliste Andrew Norfolk du Times de Londres tira les conclusions suivantes de son entretien :

- (8 septembre 2007 – p. 37) « Le juge Muhammad Taqi Usmani soutient que les musulmans doivent vivre pacifiquement dans des pays comme la Grande-Bretagne où ils ont la liberté de pratiquer leur religion seulement jusqu’au moment où ils auront les ressources suffisantes pour s’engager dans le jihad. (…) Ces vues ne sont pas celles d’un extrémiste radical. Elles proviennent d’un des experts les plus érudits (de l’islam). (...) Voilà qui démolit complètement le mythe selon lequel la conception du jihad offensif et expansionniste serait une distorsion de la pensée islamique traditionnelle. »

Pour que la thèse sur la nature exclusivement défensive du jihad soit plausible, il faudrait que le Coran, les hadiths et l’exégèse présentent le jihad comme une activité ponctuelle devant cesser lorsqu’une condition particulière liée à la sécurité des musulmans est remplie. Or, le jihad est sans échéance. Aucun niveau de sécurité ne pourra jamais convaincre les islamistes de l’abandonner. Seul un manque de ressources humaines et matérielles pour mener le jihad peut justifier de l’interrompre temporairement, soutient l’expert de l’OCI  :

- (p. 136) « Tant que les musulmans ne possèdent pas les ressources requises pour détruire le prestige de la mécréance, il est permis de conclure des accords de paix avec d’autres pays tout en continuant à accumuler les ressources nécessaires (au jihad). (…) Si les musulmans ne possèdent pas la capacité de mener le jihad armé ("jehad with power" dans la version anglaise), des ententes (de paix) peuvent être conclues jusqu’à ce que cette capacité soit atteinte. »

Cette position est conforme en tous points au verset 47:35 qui interdit aux musulmans de conclure des accords de paix quand ils sont en position de force. Dans une telle situation, il faut achever les mécréants :

- 47:35 « Ne faiblissez donc pas et n’appelez pas à la paix alors que vous êtes les plus hauts (les plus forts), qu’Allah est avec vous. »

Le 13 octobre 2007, cent trente-huit leaders musulmans du monde dont Muhammad Usmani et plusieurs autres supporteurs avérés du jihad offensif adressaient une lettre ouverte au pape Benoît XVI et à d’autres leaders chrétiens pour exprimer leur désir de vivre dans un climat « de paix sincère, d’harmonie et de bonne volonté mutuelle ». Toute cette mascarade n’était évidemment rien d’autre qu’une application de la formule du prophète de l’islam consignée par Boukhari (4.52.269) selon laquelle on mène la guerre par la déception et la tromperie.

Les différentes étapes menant à la subjugation des non-musulmans

Pour réfuter mes propos sur le jihad offensif fondés sur les versets coercitifs 9:5 et le 9:29, un participant au forum de Contrepoints tenta de prouver que le jihad était de nature exclusivement défensive en citant le 22:39, un verset défensif chronologiquement antérieur aux deux autres. Ce faisant, il ignora le principe de l’abrogation en vertu duquel les versets les plus récents du Coran ont préséance sur les plus anciens et il confondit les différentes étapes suivies par Muhammad dans le traitement qu’il accorda aux non-musulmans.

- 22:39 « Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) - parce que vraiment ils sont lésés ; et Allah est certes Capable de les secourir. »

L’exégèse coranique identifie quatre étapes distinctes suivies par Muhammad dans son traitement des non-musulmans. Le juriste et théologien Ibn Qayyim (1292 – 1350) les énuméra dans un texte intitulé « Le traitement des mécréants et des hypocrites par le Prophète depuis le début de ses activités de Messager jusqu’à sa mort ».

- 1. « Durant ses treize premières années comme Messager, Muhammad appela le peuple à se tourner vers Dieu en prêchant, sans se battre et sans exiger la jizya. Il lui fut prescrit de se restreindre et de pratiquer la patience et la longanimité. »

- 2. « Puis, il lui fut ordonné d’émigrer et plus tard la permission lui fut accordée de se battre. »

- 3. « Puis, il lui fut ordonné de combattre ceux qui l’avaient attaqué et d’épargner ceux qui ne lui avaient pas fait la guerre. »

- 4. « Plus tard, il lui fut ordonné de combattre les polythéistes jusqu’à ce que la religion de Dieu soit complètement dominante. »

- Référence : Ibn Qayyim, Zad al-Mitad. Reproduit par Sayyid Qutb, Milestones, Damascus, The Holy Koran Publishing House, 1978, pp. 94-95.

On peut donc résumer ainsi les quatre niveaux de traitement des non-musulmans pratiqués par Muhammad :

1. Patience

2. Permission de se défendre

3. Obligation de se défendre – Interdiction d’attaquer

4. Obligation d’attaquer

Les versets considérés tolérants des premières étapes annoncent souvent le jihad offensif à venir. Dans son célèbre Tafsir (commentaire coranique), Ibn Kathir (1301 – 1373) mentionne entre autres que les versets 43:86-89 considérés tolérants n’en contenaient pas moins des menaces à l’égard des non-musulmans qui furent mises à exécution une fois que Muhammad eût assemblé les ressources nécessaires pour ce faire.

- Ibn Kathir sur 43:86-89 : « Car ils sauront bientôt. C’est là un avertissement d’Allah pour eux. Son châtiment imparable les frappa, et sa religion et sa parole furent suprêmes. Par la suite, le jihad et la lutte furent rendus obligatoires jusqu’à que le peuple entre en masse dans la religion d’Allah et que l’islam s’étende d’est en ouest. »

- Ibn Kathir sur 22:39 : « Allah a commandé le jihad à un moment opportun parce que, quand ils étaient à La Mecque, les mécréants dépassaient (les musulmans) en nombre dans un rapport supérieur à dix pour un. S’ils s’étaient engagés dans la bataille à ce moment-là, les résultats auraient été désastreux. (…) Après que les Compagnons du Prophète se soient établis à Médine, que le Messager d’Allah les y eût rejoints, qu’ils se soient regroupés autour de lui, qu’ils lui aient donné leur support, qu’ils aient eu une base où l’islam prévalait et vers laquelle ils pouvaient retraiter, alors Allah leur ordonna de mener le jihad contre l’ennemi. Ce fut le premier verset du jihad à être révélé. »

- Ibn Kathir sur 9:5 : « (Le verset 9:5) a permis de combattre les infidèles à moins que et jusqu’à ce qu’ils aient embrassé l’islam et mis en œuvre ses règles et ses obligations. (…) Cet honorable verset appelé le Verset de l’épée (…) abrogea tous les accords de paix entre le prophète et les mécréants, tous les traités et toutes les dispositions. (…) Aucun mécréant n’a plus eu aucun traité ou promesse de sécurité depuis la révélation de la sourate Baraah (la sourate 9). »

Les remarques d’Ibn Kathir font ressortir trois points importants :

1. L’islam des premières années fut tolérant uniquement parce qu’il n’avait pas les ressources humaines et matérielles pour passer immédiatement à l’attaque ;

2. Puisque la lettre même des versets considérés tolérants annonce les mesures coercitives à venir, il s’agit bien là d’une preuve que les versets dits tolérants étaient temporaires ;

3. Les versets appartenant à la dernière catégorie, notamment le 9:5 (verset de l’épée) et le 9:29 ont abrogé tout appel à la tolérance qu’auraient pu contenir les versets appartenant aux trois premières catégories.

Voilà autant d’éléments qui invalident encore un peu plus l’adéquation entre jihad et autodéfense.

Jihad offensif : suivre l’exemple du prophète

Contrairement au correspondant du forum de Contrepoints, les exégètes de l’islam n’ont jamais prétendu que toutes les batailles livrées au nom de l’islam avaient été défensives. Bien au contraire. Au cours des siècles, ils ont fréquemment référé à des batailles passées pour les présenter comme des modèles de jihad offensif dont les musulmans devraient s’inspirer. De nos jours, les islamistes continuent de citer les offensives menées par Muhammad lui-même quand ils désirent démontrer la conformité du jihad offensif avec les principes de l’islam.

Le 21 mai 2008, le Pakistan Daily publia un long article intitulé « Clarifier le sens du jihad ». Après avoir été retiré du site internet du journal, l’article demeure disponible sur le site de Jihadwatch.org. Une section de l’article s’attarde précisément aux offensives menées par Muhammad :

- « Les paroles et les actions de Muhammad (Salalahu Alaihi Wasallam) démontrent que le jihad consiste bel et bien à lancer l’offensive contre les kafirs (mécréants) afin d’imposer la Parole d’Allah et de propager le da’wa (l’appel de l’islam). »

« (…) Quand il se rendit à Badr pour saisir la caravane appartenant aux Quraych, il y alla pour se battre. C’est offensif puisque Muhammad (Salalahu Alaihi Wasallam) initia l’action contre les Quraych. »

« Quand Muhammad (Salalahu Alaihi Wasallam) envahit Hawazin durant la bataille de Hunayn, quand il (Salalahu Alaihi Wasallam) assiégea Ta’if, quand il mena la bataille de Mutah pour y affronter les Romains et la bataille de Tabuk – voilà autant de preuves que le jihad consiste à lancer l’offensive contre les kafirs. Ceci devrait clarifier cette idée erronée qu’à l’origine le jihad était défensif. »

La bataille de Badr (624)

Sayyid Qutb des Frères musulmans invoqua également Badr pour justifier le jihad offensif :

- « Durant le Ramadan (de 624) eut lieu la bataille de Badr. Elle est décrite à la sourate Anfal (sourate 8 – Le butin). Si on examine honnêtement cette période du développement de l’islam, il est impossible d’affirmer que le but poursuivi par le mouvement islamique était "défensif" dans le sens étroit qu’on lui donne aujourd’hui. »

- Référence : Sayyid Qutb, Milestones, Damascus, The Holy Koran Publishing House, 1978, p. 124.

Ibn Ishaq (704 – 767), le premier biographe de Muhammad, relate les événements : ayant appris qu’une caravane transportant une importante quantité de marchandises et d’argent arrivait en provenance de Syrie, Muhammad convoqua ses supporteurs pour les inciter à l’attaquer : « C’est la caravane des Quraych contenant leurs propriétés. Allez et attaquez-la et peut-être Allah nous la donnera-t-il en proie. » L’affrontement eut lieu et les musulmans en ressortirent vainqueurs.

- Référence : Ibn Ishaq, The Life of Muhammad, Karachi, Oxford University Press, 1955, p. 289.

L’attaque de Khaybar (629)

Après que les musulmans eurent pris le contrôle de Médine, plusieurs juifs se réfugièrent autour de l’oasis de Khaybar situé à 150 kilomètres de leur ancienne ville. Il était tellement clair aux yeux des musulmans eux-mêmes qu’ils n’étaient pas sous attaque que les hadiths racontent qu’avant de mener la charge contre Khaybar, Ali, le gendre de Muhammad cru nécessaire de s’enquérir auprès de ce dernier des motifs pour lesquels il s’apprêtait à attaquer ses habitants.

- Hadith Sahih Muslim 31.5917 « Le jour de Khaybar, (…) le Messager d’Allah convoqua Ali (et lui dit) : "Allez et combattez jusqu’à ce qu’Allah vous accorde la victoire". Sur ce, Ali fit quelques pas puis s’arrêta et demanda sans hésiter d’une voix forte : "Messager d’Allah, pour quelles raisons devrais-je combattre ces gens ?" Alors il (le Prophète) déclara : "Combats-les jusqu’à ce qu’ils témoignent du fait qu’il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah et que Muhammad est son Messager." »

Ibn Ishaq (p. 511) fait le récit suivant des événements :

- « Quand l’Apôtre (Muhammad) attaquait un peuple, il attendait la levée du jour. S’il entendait l’appel à la prière, il attendait ; sinon, il attaquait. Nous arrivâmes à Khaybar de nuit. (…) Le matin venu, puisqu’il n’avait pas entendu l’appel à la prière, il (Muhammad) passa à l’attaque et nous l’accompagnâmes. (…) Nous rencontrâmes des ouvriers de Khaybar qui s’apprêtaient à aller travailler avec leurs bêches et leurs paniers. Quand ils virent l’apôtre et son armée, ils s’écrièrent "Muhammad et son armée (sont ici)" et ils s’enfuirent. L’A

pôtre s’écria "Allah akbar ! Khaybar est détruite." (…) L’Apôtre saisit les propriétés une à une. (...) Les femmes de Khaybar furent distribuées parmi les musulmans. »

Dans son discours de Malaisie auquel j’ai déjà référé et qui était en partie consacré aux méthodes de taxation acceptables dans l’islam, Imad A. Ahmad du Minaret Freedom Institute révéla qu’après avoir été dépouillés de leurs terres, les juifs de Khaybar qui survécurent durent également remettre la moitié de leurs récoltes pour être autorisés à rester sur place.

Au bout de quelques années, le prophète de l’islam statua que les non-musulmans de Khaybar et du reste de la péninsule arabique seraient expulsés :

- Hadith Sahih Muslim 19.4366 « Le Messager d’Allah déclara : "Je vais expulser tous les juifs et les chrétiens de la péninsule arabique pour n’y laisser que les musulmans". »

Et ce qui fut dit fut fait.

L’expédition à Tabuk (630)

Le juriste Ibn Taymiyya (1263 – 1328) donna en exemple le raid de Tabuk quand il voulut préciser ce qu’était un jihad offensif :

- « (Le jihad offensif) est un combat qui fait appel à des volontaires. Il est mené pour propager la religion, pour la faire triompher et pour intimider l’ennemi comme ce fut le cas lors de la campagne militaire de Tabuk et lors d’autres expéditions semblables. »

- Référence : Ibn Taymiyya, The Religious and Moral Doctrine of Jihad. Reproduit par Rudolph Peters, Jihad in Classical and Modern Islam, Princeton, Marcus Wiener, 1995, p. 54.

À l’arrivée des troupes musulmanes à Tabuk, aucune force militaire hostile n’était présente. Ibn Ishaq (p. 607) mentionne que Muhammad prit rapidement le contrôle de la région, imposa la jizya à ses habitants et notamment au gouverneur et repartit vers Médine dix jours plus tard.

Dans son commentaire coranique, Ibn Kathir rappelle que c’est lors de la bataille de Tabuk que les versets 9:38 et 9:49 furent proclamés à l’intention des "hypocrites" qui préfèrent vivre leur vie plutôt que de mener le jihad.

- 9:38 « Ô vous qui croyez ! Qu’avez-vous ? Lorsque l’on vous a dit : " Élancez-vous dans le sentier d’Allah" ; vous vous êtes appesantis sur la terre. La vie présente vous agrée-t-elle plus que l’au-delà ? Or, la jouissance de la vie présente ne sera que peu de chose, comparée à l’au-delà ! »

Les ultimatums de Muhammad

Dans Le devoir négligé, les assassins d’Anouar Sadate consacrèrent une section de leur manifeste à réfuter ceux qui prétendent que le jihad islamique est exclusivement défensif. Pour soutenir leur position, ils rappelèrent que Muhammad fit parvenir des ultimatums à plusieurs dirigeants politiques et religieux sans avoir été attaqué par eux. Les termes de ces invitations étaient clairs : les destinataires devaient joindre l’islam à défaut de quoi ce serait la jizya ou la guerre. Parmi les dirigeants ciblés par ces menaces, on compte l’empereur byzantin Héraclius, l’empereur perse Khosrau, des rois de régions situées dans l’Arabie saoudite actuelle, le roi d’Oman, un dirigeant de Bahrein, l’évêque de Najran sur la péninsule arabique, etc. L’extrait suivant est tiré d’une lettre adressée à l’évêque de Najran :

- « Au nom du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. De la part de Muhammad, le prophète et l’apôtre de Dieu à l’évêque et au peuple de Najran. Que la paix soit sur vous. Je loue le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Je demande que vous serviez Dieu et non les hommes. Je demande que vous acceptiez d’être dirigés par Dieu et non par les hommes. Si vous refusez, ce sera la jizya. Si vous refusez (cela également), soyez prévenus que ce sera la guerre. Je vous envoie mes vœux de paix. »

- Référence : Johannes J. G. Jansen, The Neglected Duty, London, Collier Macmillan Publishers, 1986, p. 194.

Dans son recueil d’hadiths, Boukhari (4.52.191) reproduit l’ultimatum envoyé à Héraclius.

Dans sa biographie de Muhammad, Ibn Ishaq (p. 645) rapporte les menaces auxquelles la tribu Banu al-Harith finit par céder :

- « L’Apôtre envoya Khalid ben Walid (…) chez les Banu al-Harith en lui commandant de les inviter à l’islam trois jours avant de les attaquer. S’ils devaient accepter son invitation, il ne prendrait pas d’autres mesures à leur endroit mais s’ils devaient refuser, il les attaquerait. Khalid alla donc à leur rencontre et envoya des cavaliers dans toutes les directions pour inviter les gens à l’islam en leur disant : « Si vous acceptez l’islam, vous serez en sécurité ». Les hommes acceptèrent l’islam comme ils y avaient été invités. »

Les preuves abondent. Le prophète de l’islam recourut fréquemment à la coercition pour imposer l’hégémonie de sa religion. Il montra la voie. Les exégètes ne tentent nullement de dissimuler cet aspect de leur religion. Au fil des siècles, nombreux furent ses émules.

- 33:21 « Vous avez dans le Messager d’Allah un excellent modèle [à suivre], pour quiconque espère en Allah et au Jour dernier. »

Après que le président du Minaret Freedom Institute eût attiré mon attention sur les Prolégomènes d’Ibn Khaldoun, j’ai consulté l’ouvrage et y ai retrouvé plusieurs exemples de jihad offensif. Je vous les soumets. Chacun d’entre eux constitue un argument supplémentaire pour invalider la théorie du jihad exclusivement défensif à laquelle les apologistes de l’islam n’ont cesse de recourir quand ils s’adressent à des non-musulmans.

Les califats d’Abou Bakr et d’Omar : la guerre aux apostats et la subjugation des peuples

Ibn Khaldoun résuma ainsi le califat des deux premiers successeurs de Muhammad :

- (I–p. 414) « Le Prophète, étant sur son lit de mort, et voulant confier à Abou Bekr (sic) les fonctions les plus importantes de la religion, lui ordonna de présider à la prière publique en qualité de son vicaire (khalife). Tout le monde apprit avec plaisir la nomination d’Abou Bekr (sic) au vicariat (ou khalifat), charge qui consiste à diriger toute la communauté vers l’observation de la loi. (…) Abou Bekr (sic) remplit ses devoirs sans s’écarter des usages de son maître ; il combattit les tribus qui avaient apostasié et finit par rallier tous les Arabes à l’islamisme. Omar, à qui il transmit le khalifat, se conduisit comme lui ; il fit la guerre aux autres peuples, les subjugua et autorisa les Arabes à dépouiller les vaincus et à leur enlever l’empire. »

La bataille d’al-Qadisiyya (636)

La bataille d’al-Qadisiyya menée par les troupes du calife Omar fut déterminante dans la conquête de la Perse (Iran). Quand il voulut contredire son correspondant qui soutenait qu’il était illégitime de mener le jihad contre des pays autorisant les musulmans à prêcher leur religion en toute liberté, Muhammad Usmani de l’OCI référa à cette bataille vieille de quatorze siècles pour lui prouver le contraire :

- (p. 132) « Y a-t-il eu des tentatives d’éviter le jihad contre l’Iran (la Perse), est-ce que (les musulmans) ont tenté d’obtenir la permission de faire du travail missionnaire pour éviter la confrontation ? (…) La réponse est non. (…) À ma connaissance, il n’y a pas un seul exemple dans toute l’histoire de l’islam où les musulmans aient accepté d’arrêter le jihad seulement parce qu’ils avaient obtenu la liberté de prêcher l’islam. (…) En fait, c’est tout le contraire. Le but des musulmans tel qu’ils le déclarèrent eux-mêmes lors de la bataille d’al-Qadisiyya (Perse) était de "sortir le peuple de sa servitude à l’égard des hommes pour le mettre au service d’Allah". »

Le but poursuivi par les musulmans auquel fait allusion Usmani avait été exposé par des émissaires du calife Omar après que le général perse Rostam se fut enquis auprès d’eux du motif de leur agression.

Dans son texte Le jihad au nom d’Allah, Sayyid Qutb référa à la même bataille et la même déclaration des émissaires musulmans comme preuve de la validité du concept de jihad offensif. Il ajouta à la déclaration des émissaires que la volonté des hommes de combler leurs propres désirs constitue également une forme de servitude humaine à laquelle l’islam doit s’attaquer.

- Référence : Sayyid Qutb, Milestones, Damascus, The Holy Koran Publishing House, 1978, pp. 103 et 128.

Le califat d’Uthman (644 – 656)

Ibn Khaldoun consacra une section de ses Prolégomènes à dresser une imposante liste de biens saisis durant les guerres de conquêtes d’Uthman, le gendre de Muhammad et le troisième calife de l’islam. Il conclut par le commentaire suivant :

- (I–p. 417) « On voit par là combien les musulmans avaient ramassé d’argent. Du reste, cela ne leur était pas défendu par la religion, vu que ces richesses étaient légitimement acquises, provenant du butin pris sur l’ennemi. »

- 8:68-69 « N’eût-été une prescription préalable d’Allah, un énorme châtiment vous aurait touché pour (le butin) que vous avez pris. Mangez donc de ce qui vous est échu en butin, tant qu’il est licite et pur. »

La Sicile envahie (827)

La Sicile fut envahie à de nombreuses reprises par les musulmans du nord de l’Afrique avant de devenir un état islamique en bonne et due forme de 965 à 1072. Dans l’extrait suivant, Ibn Khaldoun raconte les préparatifs d’une de ces invasions menée durant le règne de l’émir d’Ifrîkiya, Zîadet Allah Ier (817 – 838). L’Ifrîkiya comprenait l’essentiel de la Tunisie actuelle, le nord-est de l’Algérie et une partie de la Libye.

- (II–pp. 39-40) « Les arabes, ayant acquis une vaste puissance par la fondation de leur empire, avaient réduit sous leur domination et asservi une foule de peuples étrangers. Voyant alors que chacun des vaincus qui savait un art cherchait à s’en faire un mérite auprès d’eux, ils prirent à leur service un grand nombre de matelots pour les besoins de la marine. Ayant, alors affronté la mer à plusieurs reprises, et s’étant habitués à lutter contre elle, ils changèrent d’opinion à l’égard de cet élément. Souhaitant avec ardeur le bonheur d’y porter la guerre sainte (jihad), ils construisirent des navires et des galères, équipèrent des vaisseaux, les armèrent et les remplirent de troupes dans le but de combattre les peuples infidèles d’outremer. (Pour établir leurs chantiers), ils choisirent les provinces les plus voisines de la mer et les places fortes qui étaient situées sur ses bords. Ces provinces étaient la Syrie, l’Ifrîkiya, le Maghreb et l’Espagne. Le khalife Abd el Melek (Ibn Merouan), animé d’un zèle ardent pour le maintien de la guerre sainte (jihad), envoya à Hassan Ibn en Noman, gouverneur de l’Ifrîkiya, l’ordre de fonder à Tunis un arsenal maritime. Ce fut de là que, sous le gouvernement de Zîadet Allah Ier, fils d’Ibrahîm l’Aghlebide, une flotte, commandée par Aced Ibn Forat, grand mufti de l’Ifrîkiya, partit pour conquérir la Sicile. »

Le sac de Rome (846)

Quelques années plus tard, remontant la côte italienne jusqu’à l’embouchure du fleuve Tibre, des équipages musulmans se dirigèrent vers la ville de Rome et la saccagèrent. Avant de quitter, ils pillèrent tout l’or et l’argent qui ornait l’intérieur de la Basilique Saint-Pierre. Muhammad Usmani de l’OCI évoqua cet exemple pour prouver que le jihad offensif est totalement conforme à la doctrine islamique.

- (p. 132) « Est-ce que (le Prophète et ses compagnons) ont mené le jihad seulement lorsqu’ils se sont vus refuser la permission de propager l’islam par du travail missionnaire ? Y a-t-il eu une mission envoyée à Rome avant de les attaquer ? (…) La réponse est non. »

Le jihad estival en Grèce

Les stratèges militaires musulmans étaient conscients du danger de disséminer leurs troupes sur des territoires trop vastes. Pour maintenir un flot constant de butin en provenance des territoires infidèles, il était fréquent que les musulmans fassent des incursions rapides sur des territoires non pour y imposer leur contrôle mais uniquement pour les piller. Ce fut l’objet de l’offensive sur Rome. Ce sera également ce qui motiva les musulmans à organiser des razzias répétées en Grèce avant qu’ils y imposent finalement leur autorité durant quatre siècles (1453 – 1830). Ibn Khaldoun rappela ces agressions estivales :

- (I– p. 452) « Il arrivait aussi (aux califes) de placer les cadis (juges musulmans) à la tête des troupes qui, chaque été, envahissaient le territoire des Grecs pour accomplir le devoir de la guerre sainte (jihad). »

Les invasions ottomanes en Grèce commencèrent vers 1325.

Un jihad offensif en Asie centrale

Dans ses descriptions des us et coutumes des peuples du monde, Ibn Khaldoun mentionne un autre exemple de jihad offensif. Bien que les événements soient non datés, le contexte laisse croire qu’ils se déroulèrent lorsque l’auteur travaillait à ses Prolégomènes (1377) :

- (I–p. 137) « On trouve des musulmans qui habitent aux environs du Djeïhoun. Ils font la guerre aux peuples de la même race qui s’adonnent à l’idolâtrie, et enlèvent chez eux des prisonniers, qu’ils vendent aux nations du voisinage. Ils sortent quelquefois de leur pays pour se rendre dans le Khoraçan (région du nord-est de l’Iran actuel), l’Inde et l’Irac (sic). »

Le Djeïhoun est un fleuve qui se jette dans la mer d’Aral bordée par le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Il est généralement identifié en français comme l’Amou-Daria.

Les guerres barbaresques (1801 – 1805) et (1815)

Depuis le XIe siècle, des pirates supportés par les autorités d’Afrique du Nord attaquaient les bateaux qui traversaient le détroit de Gibraltar pour les piller et réduire leur personnel en esclavage. Des milliers de bateaux furent ainsi capturés et des dizaines de milliers d’Européens furent vendus à des marchands d’esclaves. Après l’indépendance des États-Unis, les bateaux américains ne bénéficiant plus de la protection de la Royal Navy y furent également attaqués. Déterminés à faire cesser ces entraves au commerce maritime, Thomas Jefferson et John Adams alors ambassadeurs des États-Unis à Paris et à Londres rencontrèrent en 1786 l’ambassadeur de Tripoli pour s’enquérir des raisons qui motivaient ces actes de piraterie. Jefferson rapporta ainsi la réponse de l’ambassadeur Sidi Haji Abdrahaman au Secrétaire d’État John Jay :

- « L’ambassadeur nous répondit que (leur droit) était fondé sur les lois du Prophète, qu’il était écrit dans leur Coran que toutes les nations qui n’avaient pas accepté leur autorité étaient pécheresses, que c’était leur droit et leur devoir de leur faire la guerre où qu’elles se trouvent et de réduire en esclavage autant de prisonniers qu’ils pourraient capturer. Il a ajouté que chaque musulman tué dans la bataille était assuré d’aller au Paradis. »

- 9:111 « Certes, Allah a acheté des croyants, leurs personnes et leurs biens en échange du Paradis. Ils combattent dans le sentier d’Allah : ils tuent, et ils se font tuer. (…) Réjouissez-vous donc de l’échange que vous avez fait : Et c’est là le très grand succès. »

- Référence : The diplomatic correspondence of the United States of America, (September 10, 1783 – March 4, 1789), Secretary of State, Washington, 1837, p. 342.

Durant les quinze années qui suivirent ces échanges diplomatiques, les États-Unis payèrent un tribut annuel aux provinces ottomanes qui encourageaient la piraterie afin d’assurer la sécurité de leur flotte maritime commerciale. Durant toute cette période, Jefferson maintint son opposition aux paiements. Lorsqu’il entra en fonction comme président des États-Unis en 1801, Jefferson refusa de continuer les paiements et le pacha de Tripoli Yusuf Karamanli déclara la guerre aux États-Unis. Après deux guerres menées durant les présidences de Jefferson et James Madison, le jihad maritime fut essentiellement neutralisé dans la région.

L‘imposition de la jizya dans le nord-ouest du Pakistan (2009)

Le 2 mai 2009, le Times of India révéla qu’après avoir pris le contrôle de la région du Swat dans le nord-ouest du Pakistan, les talibans avaient rapidement imposé la jizya aux sikhs qui y vivaient conformément au verset 9:29. N’ayant pas obtenu les sommes d’argent qu’ils convoitaient, les talibans détruisirent plusieurs maisons et pillèrent de grandes quantités de biens.

Conclusion

Les offensives menées par le fondateur de l’islam et reconnues comme telles par les exégètes musulmans sont là pour prouver que depuis ses débuts l’islam justifie et encourage le recours au jihad offensif pour établir sa primauté.

En plus d’être contredite par la sunna (les actions du prophète), la théorie du jihad exclusivement défensif l’est également par plusieurs arguments tirés de l’exégèse coranique :

1. L’existence d’une doctrine millénaire explicitant les devoirs des musulmans en cas d’attaque et de défense contredit la thèse des apologistes de l’islam selon laquelle la religion est uniquement préoccupée par la défense ;

2. Le fait que le jihad doive être mené "jusqu’à ce que la religion soit entièrement à Allah" (2:193 et 8:39) démontre que le jihad vise autre chose que la sécurité des musulmans ;

3. Les versets décrits comme tolérants et défensifs ont été abrogés par les versets encourageant le jihad offensif comme le 9:5 et le 9:29.

- Muhammad Taqi Usmani (2002) : « La question qui se pose est de savoir si le jihad agressif est une activité honorable ou non. Si c’en est une, pourquoi les musulmans devraient-ils cesser de la pratiquer simplement parce que l’expansion territoriale est regardée d’un mauvais œil de nos jours ? Et si le jihad agressif n’est pas louable mais déplorable, pourquoi l’islam n’a pas cessé de le pratiquer dans le passé ? »

- Référence : Muhammad Taqi Usmani, Islam and Modernity, New Delhi, Adam Publishers & Distributors, 2002, p. 137.

- Sayyid Qutb (1964) : « Après avoir entendu les commandements d’Allah et les hadiths, après avoir lu au sujet du Jihad islamique, quelle sorte de personne peut continuer de penser que le Jihad n’est qu’une injonction temporaire requise pour une situation particulière et qu’il vise uniquement à la défense des frontières ? Dans le verset où Il donne la permission aux croyants de se battre, Allah les informe que la vie en ce monde est telle que le contrôle d’un groupe de gens par un autre groupe est la loi d’Allah, ceci afin que la terre soit débarrassée de la corruption. (…) Ce combat (contre la mécréance) n’est donc pas un phénomène temporaire mais une situation qui durera pour l’éternité. »

- Référence : Sayyid Qutb, Milestones, Damsacus, The Holy Koran Publishing House, 1978, p. 116.



- Illustration : le capitaine William Bainbridge payant un tribut au Dey d’Alger (vers 1800)

- Référence : http://en.wikipedia.org/wiki/File:BainbridgeTribute.jpg


Combattre l’Islam?

Parmi les discussions récentes sur l’Islam, une problématique qui fait rage est de savoir si l’Islam est un ennemi, ou si c’est l’Islamisme, ou encore les musulmans, ou les islamistes. Hervé tenait à différencier l’Islam de l’Islamisme. Turion rappelait que le Coran contient un germe criminel. Sur la suggestion de plusieurs confrères, voici, remanié, un texte que j’avais écrit sur l’islam il y a quelques mois.

  L’Islam est notre ennemi. Les musulmans ne sont pas des ennemis.

En d’autres termes, la véritable guerre qui a lieu est une guerre d’idées, et non pas une guerre de personnes. Elle se place sur le plan mémétique, et non pas sur le plan génétique.

Les musulmans les plus purs, les plus abrutis par le Coran, sont ipso facto menés à soutenir voire participer à des actes criminels. Mais il y a une très large majorité de « musulmans » qui ne le sont que par une tradition culturelle en voie d’atténuation, et qui, s’ils se déclarent formellement musulmans, n’entreprendront d’eux mêmes aucune activité criminelle au nom de l’Islam.

De même, le socialisme est une idéologie criminelle, mais la plupart des socialistes n’iront pas eux-mêmes entreprendre de nouvelles actions criminelles. — Tout au mieux sont-ils prêts à suivre des meneurs, qui eux sont de véritables criminels en puissance et trop souvent en fait.

J’ai écrit dans un article du QL ce que je pensais de l’Islam et du libéralisme: L’Islam est-il soluble dans le libéralisme?

La question cruciale est de savoir s’il est possible de faire admettre aux uns et aux autres les principes libéraux d’un Droit séparé de la Morale. Qu’ensuite, dans le respect du Droit, d’aucuns tentent de promouvoir telles ou telles valeurs – c’est leur affaire, et le principe de responsabilité, inscrit dans le Droit, fera que les conséquences de leurs actes retomberont sur eux, jusqu’à ce qu’ils apprennent et s’améliorent.

Je suis persuadé que les principes libéraux du Droit peuvent être enseignés à la plupart des musulmans, comme à la plupart des socialistes, etc., qui ne sont donc pas nos ennemis ipso facto — et ce même si l’Islam et le Socialisme sont deux religions porteuses d’un germe d’intolérance totalitaire visant à imposer au monde par la force un système de vie. Pourra-t-on encore appeler « Islam » ou « Socialisme » ces versions atténuées privées de leur principe virulent? C’est là un débat de linguiste, qui ne me concerne guère. Mon propos est que de telles versions atténuées sont possibles et souhaitables pour enrayer le Mal.

Ce texte ayant causé quelques remous, je précisais ensuite :

L’erreur de catégorie est bien celle consistant à croire que des personnes (et qui plus est de larges groupes de personnes) sont des ennemis. C’est une erreur très largement propagée par les collectivistes, dont le schéma mental consiste précisément à voir le monde comme un affrontement en camps bien définis, une guerre, une lutte, un jeu à somme nulle. C’est le paradigme du conflit.

Or, le monde n’est pas un gigantesque affrontement cosmique, et les individus ne sont pas classables dans des catégories a priori et immuables d’amis ou d’ennemi. Le comportement d’un individu peu être amical ou inimical, utile ou nuisible — et les règles de comportement social acceptées par ledit individu et ceux avec qui il interagit vont largement déterminer si cet individu aura tendance à coopérer avec un autre, à l’ignorer, ou à l’affronter. La philosophie libérale étudie ces règles d’interaction sociale, et propose un ensemble de règles qui permet d’éviter et de résoudre les conflits, cependant qu’elle dénonce certaines autres règles comme porteuses de graves conflits.

Or, un individu donné peut la plupart du temps s’adapter à de nouvelles règles d’interaction. Aussi, un individu donné, même s’il suit une règle nuisible, n’est pas en soi l’ennemi — car il peut s’améliorer, ou autrement être contraint de réparer, et de se réintégrer dans la société. Tant qu’il n’est pas en guerre ouverte contre les principes de la civilisation, tant qu’il est en situation participer davantage aux processus de coopération pacifique qu’il n’erre par la destruction de la propriété d’autrui, alors l’individu n’est pas un ennemi — tout au plus un délinquant qu’il faut surveiller.

Par contre, la règle de comportement criminel qu’a adopté tel individu, elle, peut être en contradiction avec les principes de la civilisation. À ce moment, aucun compromis n’est possible entre une telle règle et l’établissement d’une société pacifique. Cette règle est, du point de vue mémétique, un ennemi. Elle est à éradiquer, sinon dans les esprits, du moins en pratique. Cette éradication n’implique pas la moindre chasse aux sorcières, et pas plus une autorité bienpensante de préservation de l’ordre moral. — Mais effectivement, dans le monde des idées, il y a une guerre, une guerre sans prisonniers, une guerre entre les principes de création et les principes de destruction, et toute une palette principes plus ou moins vrais ou faux, plus ou moins utiles ou nuisibles, entre les deux. Dans cette bataille des idées, la liberté et la contrainte sont des principes inconciliables.

Cela ne veut malheureusement pas dire que l’on puisse se passer de jamais avoir à tuer des individus dangereux qui auraient trop lié leur existence personnelle à de tels mèmes criminels. Cependant, il faut savoir bien faire identifier la source du mal; une personne qui croit en une idéologie criminelle n’est pas ipso facto et encore moins ad vitam aeternam l’ennemi de la justice; cette personne peut ne pas mettre ses idées en application, et elle peut changer d’idées. Du reste, il n’y a pas de délit d’opinion, et une telle personne, même suspecte, est innocente jusqu’à avoir été convaincue d’avoir effectivement entrepris quelque action criminelle.

Cela veut-il dire que « l’idée » est responsable, et pas l’individu? Certes pas. Là encore, c’est une erreur de catégorie. Un individu sera responsable; il sera innocent ou coupable. Mais il ne sera ni ami, ni ennemi. Le véritable ennemi, c’est une idée.

 

François-René Rideau

Partager cet article
Repost0
21 mars 2011 1 21 /03 /mars /2011 15:39

Le Coran et le recours à la coercition

mardi 26 février 2008 - Daniel Vignola

Dans son texte Islam et libéralisme, Pierre Lison soutient que le Coran favorise la liberté de conscience. Je le cite :

Au niveau de la liberté d’opinion et de religion, le Coran interdit toute imposition forcée de l’Islam à des non musulmans. Le Coran croît (sic) au libre-arbitre, conçu comme la liberté reconnue à chacun de choisir de croire ou de ne pas croire.

Lorsque certains musulmans, ou des régimes qui se disent Islamistes, violent ces injonctions favorables à la tolérance et au pluralisme religieux, ils ne font rien (de) moins que transgresser les dogmes les plus fondamentaux de l’Islam lui-même.

Pour supporter sa thèse d’un Coran tolérant, Pierre Lison en extrait trois passages :

2.256 Nulle contrainte en religion !

10.108 Ô gens ! Certes la vérité vous est venue de votre Seigneur. Donc, quiconque est dans le bon chemin ne l’est que pour lui-même ; et quiconque s’égare, ne s’égare qu’à son propre détriment.

18.29 Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veut qu’il mécroie.

Commençons par replacer la dernière phrase dans son verset d’origine :

18.29 Et dis : "La vérité émane de votre Seigneur". Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veut qu’il mécroie. Nous avons préparé pour les injustes un Feu dont les flammes les cernent. Et s’ils implorent à boire, on les abreuvera d’une eau comme du métal fondu brûlant les visages. Quelle mauvaise boisson et quelle détestable demeure !

Plusieurs versets dont le 2.193 et le 6.33 confirment que les injustes visés par 18.29 sont bel et bien ceux qui refusent l’islam. Le verset 2.257 qui succède à 2.256 cité plus haut contient les mêmes menaces que 18.29. On ne vous force donc pas à adopter l’islam mais on vous promet les pires supplices si vous ne le faites pas. À l’heure du châtiment, on fera valoir que vous méritez pleinement votre sort puisque vous avez fait le mauvais choix en toute connaissance de cause. Loin de reconnaître la liberté de choisir, ces versets en constituent des négations complètes. Si le verset 18.29 réfère aux châtiments imposés aux mécréants dans un enfer hypothétique, ça ne signifie pas pour autant qu’Allah exerce un monopole en matière de persécution. Toute une série de versets du Coran enjoignent les croyants à ostraciser et à persécuter les non-musulmans ici-bas. Ce sont précisément ces versets que les islamistes lisent et relisent pour se conforter dans leur conviction que le jihad est une activité noble et essentielle. De ces versets, Pierre Lison ne dit mot. En voici quatre parmi tant d’autres :

8.12 Affermissez donc les croyants. Je vais jeter l’effroi dans les cœurs des mécréants. Frappez donc au-dessus des cous et frappez-les sur tous les bouts des doigts.

9.123 Ô vous qui croyez ! Combattez ceux des mécréants qui sont près de vous ; et qu’ils trouvent de la dureté en vous. Et sachez qu’Allah est avec les pieux.

48.29 Mohamed est le Messager d’Allah. Et ceux qui sont avec lui sont durs envers les mécréants, miséricordieux entre eux.

60.4 Nous vous désavouons, vous et ce que vous adorez en dehors d’Allah. Nous vous renions. Entre vous et nous, l’inimitié et la haine sont à jamais déclarées jusqu’à ce que vous croyiez en Allah, seul.

Le principe d’abrogation

Dans plusieurs de ses versets, le Coran se décrit comme un livre parfait, sans contradiction :

4.82 Ne méditent-ils donc pas sur le Coran ? S’il provenait d’un autre qu’Allah, ils y trouveraient certes maintes contradictions !

6.38-39 Nous n’avons rien omis d’écrire dans le Livre. (...) Et ceux qui traitent de mensonges Nos versets sont sourds et muets, dans les ténèbres.

Quelle est la logique interne du Coran qui lui permette de se proclamer sans contradiction alors que tout semble indiquer le contraire ? Comment expliquer l’apparente coexistence de versets prônant la persécution des non-musulmans avec d’autres qui semblent favorables à la tolérance religieuse ?

Pour résoudre le dilemme, on doit d’abord savoir que la production des versets du Coran a été échelonnée sur une période de presque vingt-trois ans (610-632). Les exégètes parlent d’une révélation graduelle :

17.106 (Nous avons fait descendre) un Coran que Nous avons fragmenté, pour que tu le lises lentement aux gens. Et Nous l’avons fait descendre graduellement.

Les premiers versets proclamés par Mohamed à La Mecque sont généralement plus tolérants que ceux qu’il présenta peu de temps avant sa mort à Médine. Durant les premières années de l’islam, la vie de Mohamed en fut essentiellement une de recueillement, de prière et de prêche. Puisque les effectifs du prophète étaient fort limités à cette époque, on considéra donc inutile de proclamer des règles strictes au sujet de la mécréance, de la consommation d’alcool et de l’adultère notamment. Mohamed n’avait tout simplement pas les moyens de les faire appliquer.

Ce n’est qu’après l’arrivée de Mohamed et de ses fidèles à Médine que les campagnes militaires dirigées contre les tribus voisines commencèrent véritablement. À mesure que les effectifs de Mohamed s’accrurent sur le terrain, le niveau de tolérance des nouveaux versets diminua. L’arrivée de nouvelles prescriptions sur une question particulière rendaient caduques les anciennes généralement plus permissives sur la même question. La révélation graduelle permit d’atteindre deux objectifs : limiter l’opposition initiale des non-musulmans à la nouvelle religion (puisque les versets proclamés durant les premières années de l’islam étaient relativement tolérants) et endurcir progressivement les croyants, augmenter leur détermination à établir la république islamique :

25.32 Et ceux qui ne croient pas disent : "Pourquoi n’a-t-on pas fait descendre sur lui le Coran en une seule fois ? " Nous l’avons révélé ainsi pour raffermir ton cœur.

Les exégètes de l’islam utilisent le terme abrogation (naskh) pour décrire la procédure menant à l’annulation d’un verset plus ancien par un plus récent. Si plusieurs versets abordent une question particulière, un seul s’applique et c’est toujours le plus récent à avoir été produit. Voilà pourquoi le Coran peut déclarer de lui-même qu’il ne contient pas de contradiction :

2.106 Si Nous abrogeons un verset quelconque ou que Nous le fassions oublier, Nous en apportons un meilleur ou un semblable. Ne sais-tu pas qu’Allah est Omnipotent ?

13.39 Allah efface ou confirme ce qu’Il veut.

17.86 Si Nous voulons, Nous pouvons certes faire disparaître ce que Nous t’avons révélé.

Afin de distinguer les versets abrogatifs des versets abrogés, il faut se référer à l’ordre chronologique des sourates (chapitres) du Coran et non à leur ordre habituel de présentation. L’ordre habituel de présentation n’est qu’un agencement des 114 sourates du Coran de la plus longue à la plus courte (la première constituant une exception).

Voici donc l’ordre chronologique des sourates du Coran. Il sera utile pour comprendre ce qui motive les islamistes à choisir tel ou tel verset lorsqu’ils sont confrontés à une situation discutée dans plusieurs passages du Coran.

JPG - 45.3 ko

Considérons trois des versets du Coran traitant de la consommation d’alcool pour illustrer comment s’applique le principe d’abrogation :

16.67 Des fruits des palmiers et des vignes, vous retirez une boisson enivrante et un aliment excellent. Il y a vraiment là un signe pour des gens qui raisonnent.

4.43 Ô les croyants ! N’approchez pas de la Salat (prière) alors que vous êtes ivres, jusqu’à ce que vous compreniez ce que vous dites.

5.90 Ô les croyants ! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu’une abomination, œuvre du Diable. Écartez-vous en, afin que vous réussissiez.

Puisque le premier verset cité et le plus ancien des trois ne prescrit aucune restriction, la consommation d’alcool était permise lorsqu’il était en vigueur. L’arrivée du second verset amena l’abrogation de 16.67. À partir de ce moment-là, la consommation d’alcool devint sujette à des restrictions avant les séances de prières. Lorsqu’à son tour 5.90 fut proclamé, il abrogea 4.43 et la consommation d’alcool devint alors complètement interdite. Voilà pourquoi la prohibition prévaut dans les pays qui suivent la loi coranique.

La primauté du verset de l’épée

Quand Pierre Lison extrait du Coran les versets qui lui conviennent et tait l’existence de ceux qui l’embarrassent, il fait du lecteur le juge ultime de ce qui est acceptable dans le Coran. Certains des versets qu’il choisit sont sans doute réconfortants, par contre sa méthode d’interprétation du Coran est aux antipodes de ce que prône l’islam. En arabe, le terme islam ne signifie pas paix, liberté d’interprétation ou que sais-je encore ; il signifie soumission, complète reddition à Allah. Puisque l’islam considère le Coran comme l’expression même de la volonté d’Allah, voilà pourquoi il condamne l’interprétation personnelle :

4.59 Ô les croyants ! Obéissez à Allah, et obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement. Puis, si vous vous disputez en quoi que ce soit, renvoyez-là à Allah et au Messager, si vous croyez en Allah et au Jour dernier. Ce sera bien mieux et de meilleure interprétation.

6.50 Dis[-leur] : "Je ne vous dis pas que je détiens les trésors d’Allah. (…) Je ne fais que suivre ce qui m’est révélé."

Avant de conclure que les islamistes déforment le message du Coran, il est essentiel que les commentateurs qui défendent ce point de vue nous expliquent quand et pourquoi les versets coercitifs du Coran seraient devenus inopérants. Il ne suffit pas de cacher ces versets ou d’extraire du Coran des bouts de phrases hors contexte pour contrer l’argumentation islamiste.

Lorsque l’organisation égyptienne Jihad islamique assassina le président Anouar Sadate le 6 octobre 1981, elle laissa derrière elle un manifeste intitulé Al-Faridah al-Gha’ibah (Le devoir négligé). Son auteur Mohamed Abd al-Salam Faraj ainsi qu’Ayman al-Zawahiri, le médecin devenu idéologue et bras droit d’Oussama ben Laden, faisaient partie de l’organisation à l’époque.

Le devoir négligé constitue l’une des références les plus accessibles pour comprendre la logique islamiste. Il fut traduit en anglais et présenté en 1986 par Johannes J. G. Jansen sous le titre The Neglected Duty (Collier Macmillan Publishers, London). Le devoir négligé dont il est ici question c’est évidemment le jihad, le combat armé contre les non-musulmans et les apostats de l’islam pour établir la république islamique.

Dans son texte, l’auteur Faraj cita plusieurs autorités reconnues du Coran de différentes époques qui dissertèrent spécifiquement sur l’abrogation des versets tolérants à l’égard des non-musulmans. Ces autorités rappelèrent que le verset 9.5 surnommé le "verset de l’épée" fait partie de l’avant-dernière sourate à avoir été produite et qu’en conséquence, il doit primer sur la centaine de versets tolérants proclamés avant lui. Il s’agit là d’une autre application du principe d’abrogation comparable à celle qui permet d’élucider les apparentes contradictions du Coran concernant la consommation d’alcool :

9.5 (Verset de l’épée) Après que les mois sacrés expirent, tuez les associateurs où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. Si ensuite ils se repentent, accomplissent la Salat (prière) et acquittent la Zakat (charité), alors laissez-leur la voie libre, car Allah est Pardonneur (sic) et Miséricordieux.

Le terme "associateurs" mentionné dans le verset 9.5 réfère à ceux qui vénèrent d’autres dieux qu’Allah. Le dogme chrétien de la trinité voulant que Dieu se révèle en trois entités distinctes mais indivisibles – le Père, le Fils et le Saint-Esprit – constitue un exemple d’association nommément dénoncée par le Coran aux versets 4.171 et 5.72-73.

Le mythe du jihad à caractère défensif

Dans son texte Islam et libéralisme, Pierre Lison reconnait que la lutte armée, le jihad constitue l’une des facettes de l’islam. Il le circonscrit cependant à "une guerre défensive entreprise pour protéger la communauté islamique". Si tel avait été le cas, il eut été question d’une légitime politique d’autodéfense.

Les notions d’attaque et de défense auxquelles réfère le Coran sont d’un tout autre ordre. Aucun exercice de violence n’est requis de la part des prétendus attaquants pour que l’islam se considère attaqué et donc qu’il se défende. Le simple refus d’individus libres de se soumettre à Allah et à ses principes constitue pour l’islam une attaque envers Allah et une manifestation d’orgueil qui doit être réprimée :

31.1.7 Et quand on lui récite Nos versets, il tourne le dos avec orgueil, comme s’il ne les avait point entendus, comme s’il y avait un poids dans ses oreilles. Fais-lui donc l’annonce d’un châtiment douloureux.

45.8 Il entend les versets d’Allah qu’on lui récite puis persiste dans son orgueil, comme s’il ne les avait jamais entendus. Annonce-lui donc un châtiment douloureux.

Loin de déformer le Coran, les islamistes ne font qu’en appliquer scrupuleusement les principes lorsqu’ils multiplient les attentats contre des non-musulmans. Selon l’esprit et la lettre du Coran, ils défendent Allah contre la mécréance.

Dès qu’un musulman renonce à sa foi, dès qu’un non-musulman persiste dans son refus de se convertir à l’islam, il est passible du châtiment que le Coran réserve à ceux qu’il considère avoir attaqué l’islam :

2.193 Et combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’association et que la religion soit entièrement à Allah seul. S’ils cessent, donc plus d’hostilités, sauf contre les injustes.

3.86-87 Comment Allah guiderait-Il des gens qui n’ont plus la foi après avoir cru et témoigné que le Messager est véridique, et après que les preuves leur sont venues ? Allah ne guide pas les gens injustes. Ceux là, leur rétribution sera qu’ils auront sur eux la malédiction d’Allah, des Anges et de tous les êtres humains.

Voilà pour le caractère défensif du jihad : une légende qui ne résiste pas à l’analyse Vous aurez noté que dans les deux derniers versets cités aucune forme d’agression physique n’est mentionnée. L’attaque contre laquelle le Coran ordonne de se défendre, le crime que le Coran commande à ses fidèles de châtier c’est celui de ne pas avoir accepté l’islam. Point à la ligne. On est à cent lieues d’une légitime politique d’autodéfense. On est à cent lieues d’une doctrine reconnaissant la liberté de conscience.

Il ne manque pas de commentateurs et de leaders d’opinion pour chercher à nous convaincre des vertus pacifiques du Coran. Leur argumentation tient de la pensée magique. Ils s’imaginent qu’en passant sous silence les versets liberticides du Coran, ceux-ci disparaîtront comme par enchantement. Qu’ils se détrompent ! Comme l’affirmaient Ayaan Hirsi Ali, Salman Rushdie et d’autres intellectuels dans leur Manifeste des douze, la lutte contre l’islamisme ne se gagnera pas par les armes, mais sur le terrain des idées. Voilà pourquoi il est essentiel non pas de cacher mais d’exposer les directives et les concepts du Coran qui inspirent et confortent les islamistes dans le jihad infernal qu’ils mènent à travers le monde.

 


- Article sous licence Creative Commons : (Corán)


par François-René Rideau
 
 
          Le débat fait rage parmi les libéraux, entre ceux qui affirment que l'Islam est fondamentalement intolérant, et ceux qui croient que l'Islam peut se concilier avec une tradition libérale. Je pense qu'il faut prendre du recul par rapport à la lettre de l'Islam.

 
L'interprétation du Coran reste ouverte
 
          Nul ne conteste que les fondamentalistes, qui prennent l'Islam à la lettre, ne soient des partisans du totalitarisme, ennemis de la liberté, de la paix, de la raison. En fait, nul qui a lu le Coran ne peut contester que sa lettre même prône explicitement des pratiques pour le moins contraires au respect des droits d'autrui, particulièrement des droits des femmes et de ceux des non-croyants, des sceptiques ou des relapses.
 
          Mais cela ne veut pas dire que les musulmans soient forcément nos ennemis, ou qu'il est impossible de laisser émerger un Islam souple et tolérant, qui trouvera des méthodes de casuistique pour prétendre respecter la lettre du Coran tout en l'assortissant de conditions, de réinterprétations, etc., qui la rendent inopérante quand elle est nuisible.
 
          La plupart des religions traditionnelles sont entrées en symbiose avec des sociétés fermées, totalitaires, où les individus avaient des destins sociaux tout tracés. Pourtant, quand la civilisation occidentale a rattrapé les peuplades primitives qui existaient encore de par le monde, les individus de ces sociétés traditionnelles se sont adaptés. Leurs religions se sont naturellement adoucies et transformées, et leurs pratiquants vivent paisiblement, bien intégrés dans notre civilisation libérale pluraliste.
 
Le cheminement sinueux et imprévisible du sens des Écritures
 
          Le judéo-christianisme lui-même contient de nombreux impératifs que les juifs et chrétiens ont vite appris à contourner. « Tu ne tueras point » dit la Bible – « à moins qu'une autre règle l'ordonne ou le permette », interprète la tradition. De tout temps, juifs et chrétiens ont appliqué la peine de mort, pratiqué la légitime défense, ou fait la guerre – souvent même au nom de cette religion dont un des commandements interdit le meurtre.
 
          Certes, la présence de nombreuses contradictions dans la Bible, constituée de nombreuses parties incohérentes, composées sur plusieurs siècles par de nombreuses personnes différentes, sans concertation, permet facilement de trouver dans une partie (Ancien ou Nouveau Testament) de quoi contredire un impératif trouvé dans une autre partie. Le fait que le Nouveau Testament ait été écrit par une faction pacifique d'un peuple conquis, plutôt que par une faction belliqueuse d'un peuple conquérant aide aussi à y trouver des impératifs convenant à une société pacifique et douce – au point qu'il est parfois même difficile d'y trouver de quoi justifier la défense armée contre un pouvoir politique qui deviendrait de plus en plus oppressant (il faut rendre à César ce qui est à César).
 
          Bref, il a fallu bien du chemin pour transformer une secte millénariste superstitieuse et paupériste au sein d'un culte ethnique traditionnel en une grande religion universelle capable de sous-tendre une civilisation de liberté individuelle.
 
L'Islam peut s'accommoder des principes de la liberté
 
          L'Islam a bien du chemin à faire pour s'accommoder des principes de la liberté. Le Coran est un texte explicite, relativement cohérent car établi par un collège concerté de « sages »; ses impératifs, très concrets, ne sont pas aussi faciles à contourner que dans le cas de la Bible. Celui qui voudrait annuler un impératif par un impératif opposé ne trouvera pas autant d'incohérences que dans la Bible, voire aucune, sur certains sujets. Et cependant, ce texte est statique, il ne changera pas, tandis que la façon de l'interpréter, elle, est dynamique. Il sera donc possible, à force de casuistique, de trouver des interprétations compatibles avec une société de liberté.
 
« Tout ce qui ne vient pas attaquer la liberté d'autrui doit être toléré, même les thèses les plus farfelues, les superstitions les plus absurdes. »
   
 
          Certes, il en faudra, de la casuistique, aux imams, pour arriver à concilier un texte explicitement belliqueux, dominateur et intolérant, à la vie dans une société paisible de liberté, de respect des droits, de tolérance. Sans doute dans de nombreuses familles, la pratique de l'Islam cessera bien avant que l'Islam ne s'accommode complètement de nos principes de liberté.
 
          Et alors? Ce n'est pas une raison pour rejeter cet « Islam modéré », pour radicaliser tous ces musulmans qui ne font pas de théologie et ne demandent qu'à vivre paisiblement dans le respect de leurs traditions séculaires, pour ridiculiser les théologiens qui leur fourniraient le vernis de théologie nécessaire à se sentir en conformité avec cette religion tout en vivant paisiblement. Et si, comme les fondamentalistes islamistes, vous et moi, considérons que cet « Islam modéré » est une perversion du texte, qu'importe? Tant mieux!
 
          Que d'aucuns considèrent l'impératif de La Djihad (Guerre « sainte ») comme une guerre contre soi-même, visant à l'amélioration morale personnelle, plutôt que comme une guerre sanglante consistant à trucider les infidèles – c'est peut-être une déformation grossière de l'esprit du texte, mais alors, vive ce genre de déformations grossières de l'esprit du texte!
 
          Espérons qu'un jour les théologiens musulmans recommanderont que les femmes musulmanes portent une burq'a symbolique, un voile ou foulard islamique virtuel, constitué de leur seule pudeur; qu'ils exigeront que ce soit par l'exemple de sa vertu et de sa piété plutôt que par la violence physique que le bon musulman frappe sa femme désobéissante ou convertisse l'infidèle.
 
          Vive la corruption de la lettre nocive de l'Islam! Vive sa transformation magique, quoique peu évidente, en principes bénéfiques!
 
          Ne jouons pas la politique du pire. Accueillons comme bienvenues toutes les améliorations de l'Islam, comme de toutes les religions, en faveur de la liberté, et, sans jamais concéder qu'elles auraient atteint la perfection à ce sujet, encourageons toujours de nouveaux pas vers cette liberté que nous chérissons.
 
          Et si tels sont les sentiments que cela vous inspire, riez, moquez-vous, hochez la tête, méprisez, mais laissez faire!
 
Tolérance privée et neutralité publique
 
          Tout ce qui ne vient pas attaquer la liberté d'autrui doit être toléré, même les thèses les plus farfelues, les superstitions les plus absurdes. Les tenants de ces thèses et de ces superstitions, soyez-en assurés, ne nous croirons pas moins stupides, ne se moqueront pas moins de nous, ne seront pas moins stupéfaits par notre incapacité à voir l'évidente Vérité. Qu'importe, tant qu'eux aussi nous laissent faire, respectent nos personnes, nos droits, nos propriétés.
 
          La tolérance ne consiste pas à croire que les imbéciles sont intelligents, mais à laisser les imbéciles être victimes de leur propre imbécillité plutôt que de la nôtre – car nous-mêmes n'en sommes pas exempts.
 
          Cela ne veut pas dire qu'il faille activement financer telle ou telle fraction de l'Islam ou de toute autre religion – encore moins avec l'argent soutiré de force aux contribuables qui rejettent et méprisent cette religion.
 
          Que chacun soit libre de donner son temps, son argent, aux institutions religieuses, a-religieuses ou irreligieuses qu'il juge bénéfiques, et ne soit pas forcé de donner aux autres.
 
          Que l'autorité gouvernementale se garde bien d'encourager telle vérité, ou pire encore, telle « erreur utile ». Car non seulement l'autorité ne détient ni la vérité, ni le critère d'utilité des erreurs, mais ses encouragements n'iront qu'à la répression de l'esprit critique qui doit faire émerger la vérité, à la multiplication des erreurs bien au-delà des effets « utiles » escomptés, et au parasitisme sur les fonds soutirés de force aux citoyens, à la lie de ceux qui se font un métier de vivre d'une superstition ou d'une autre. 

Partager cet article
Repost0
20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 20:06

 

Publié le 7/12/2010

 

          Isabel Paterson

Le libertarianisme afficha une indépendance grandissante à mesure que la Guerre froide occupa l’avant-scène du débat politique, et que la question étrangère détermina les clivages. Loin de revendiquer une rupture, les libertariens prétendaient à l’inverse perpétuer une tradition antiétatiste, mise à mal par les nouveaux conservateurs. Il faut donc tenir ensemble les deux approches, rupture et continuité, et appréhender le libertarianisme comme l’expression singulière d’une tradition antiétatiste américaine [1].

Plutôt que de parler d’une doctrine libertarienne, il convient de parler d’un esprit antiétatiste. La doctrine ne se constituera, de manière systématique, qu’après l’institution du mouvement libertarien contemporain. Ceci permet de souligner que la doctrine libertarienne est en tout point indigène. Et que le libertarianisme se présente, en référence à Jefferson ou Paine, comme la synthèse du libéralisme classique, de l’anarchisme individualiste et de l’isolationnisme. Qui sont bien trois manifestations antiétatistes.

Un antiétatisme moral : l’anarchisme individualiste

Protégé des contaminations communistes européennes, cet anarchisme individualiste pouvait à bon droit s’autoriser de l’œuvre des constituants de Philadelphie qui élevèrent à la dignité d’un principe politique le droit de résistance au pouvoir.


Henry David Thoreau (1817-1862) : l’homme du repli individualiste

A l’écoute de la nature, et éprouvant le besoin de s’éloigner du monde, Thoreau se retranche tel un ermite et rédige Walden ou la vie dans les bois. Pendant son asile, il n’avait pas cru bon de s’acquitter des impôts qui lui étaient demandés, prétextant qu’un gouvernement admettant l’esclavage et faisant la guerre au Mexique était indigne de son soutien. De retour à la vie « civilisée », il est écroué. Il rédige à sa sortie de prison, en 1849, La désobéissance civile, aujourd’hui considéré comme le bréviaire de la résistance non-violente. Pour Thoreau, l’État ne saurait être qu’un expédient devant disparaître partout où l’initiative individuelle est susceptible de s’exprimer. Mais il se garde d’appeler à la violence. Il préconise une « désobéissance civile », c’est-à-dire un refus de payer ses impôts. Comme il l’écrit : « si un millier d’hommes refusaient de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une mesure violente et sanguinaire, comme le fait de les payer et permettre par là à l’État de commettre la violence et de verser le sang innocent. Telle est, en fait, la définition d’une révolution paisible, si semblable chose est possible [2] ». L’État réclame de la part de ses sujets un consentement absolu (un droit absolu sur ma personne et ma propriété) ; Thoreau, au contraire, se « plaît à imaginer un Etat qui […] traite l’individu avec respect comme un voisin ; qui ne jugerait pas sa propre quiétude menacée si quelques-uns s’installaient à l’écart, ne s’y mêlant pas, en refusant l’étreinte ». Il prône une sorte de généralisation du droit de résistance lockéen, confinant ainsi à l’anarchisme.


Lysander Spooner (1808-1887) : le père de l’anarcho-capitalisme

Au début des années 1840, Spooner mit sur pied une compagnie privée The American Letter Mail Company, dont le succès incita le gouvernement à faire voter une loi institutionnalisant le monopole étatique sur les services postaux. Pour justifier théoriquement ses agissements, Spooner rédigera une brochure qui ne se contentait pas de dénoncer les dommages économiques causés par un monopole étatique ; il dénonçait plutôt et essentiellement les risques qu’un tel monopole faisait courir sur les libertés individuelles. La hantise de Spooner était que l’État pût alors contrôler la correspondance des particuliers.

Son apport ne se limite pas à cet épisode. Sa distinction entre la morale et le droit ou, pour reprendre ses propres termes, entre les vices et les crimes, dans un court texte de 1875, est passée à la postérité : « Les vices sont les actes par lesquels un homme nuit à sa propre personne ou à ses biens. Les crimes sont les actes par lesquels un homme nuit à la personne ou aux biens d’autrui. » Tant que l’individu ne se nuit qu’à lui-même, l’État n’a pas à intervenir. L’État n’a pas à protéger l’individu contre lui-même. Tout ce qui est bon d’un point de vue moral n’a pas à être rendu obligatoire en droit.

Dans un autre pamphlet, Outrages à chefs d’État, Spooner affirme que le seul contrat susceptible de lier ceux qu’il concerne doit faire l’objet d’une signature effective de ces derniers. La Constitution américaine n’a pas fait l’objet d’un tel contrat. Comme l’écrit Spooner, « la Constitution, parce qu’elle était leur contrat, est morte avec eux ». L’assentiment unanime ne peut s’exprimer ni par le vote ni l’acquittement de l’impôt. D’une part, « des gens auxquels il est permis de se choisir périodiquement de nouveaux maîtres n’en sont pas moins esclaves ». D’autre part, croire que l’impôt est un signe d’assentiment implicite de la Constitution, c’est oublier qu’il est imposé par la force. « Tous les grands gouvernements de la terre […] ne sont que de simples bandes de voleurs qui se sont associés dans le but de dépouiller, conquérir et asservir leurs semblables ».


Benjamin Tucker (1854-1939) et le journal Liberty : la diffusion d’un esprit libertaire

L’idée défendue par le journal Liberty est emprunté à Josiah Warren : celui de la souveraineté individuelle. Il faut ainsi protéger chaque individu de toutes les violations extérieures que son environnement est susceptible de commettre sur son corps et sa propriété. Or, Tucker remarque que l’auteur principal de ces infractions répétées n’est autre que l’État. Les anarchistes sont donc pour lui des « démocrates jeffersoniens impavides ». Tucker et Liberty défendent ainsi l’amour libre, le divorce, les relations sexuelles insolites, la privatisation de la sécurité (qu’il emprunte à Gustave de Molinari). « La défense est un service comme les autres. C’est un travail à la fois utile et désiré, et donc un bien économique sujet à la loi de l’offre et de la demande. Sur un marché libre, ce bien serait fourni au prix de sa production. La compétition prévalant, le succès irait à ceux qui fournissent le meilleur article au meilleur prix. La production et la vente de ce bien sont, aujourd’hui, monopolisés par l’état. Et l’État, comme tous les détenteurs de monopoles, propose des prix exorbitants ».

Si, au début de Liberty, Tucker manifeste un grand respect pour les révolutionnaires européens de l’époque, les événements du Haymarket de 1886 [3] changent radicalement sa position. La stratégie adoptée par Liberty consiste en une guerre des idées visant à abolir, par la persuasion, non pas tant l’État que l’idée qui le fait vivre.

Toutefois, il y a chez Liberty une profonde hostilité à l’égard d’un certain capitalisme, le capitalisme d’État. Tucker insiste sur le fait que tous les monopoles, fussent-ils privés, ne peuvent se maintenir qu’avec le soutien de l’État. Il en conclut que, plutôt que de renforcer l’autorité comme le préconisent les marxistes, il faut à l’inverse l’évacuer du jeu économique et laisser se déployer le principe qui lui est le plus hostile, la liberté. Cette condamnation des monopoles autorise Tucker à tancer la bourgeoisie qui en bénéficie, tout en proclamant bien haut ses préférences libérales. Il en conclut même que « les seuls qui croient vraiment au laisser-faire sont les anarchistes ».

Un antiétatisme économique : le libéralisme classique

Prôné par les Pères Fondateurs, qui lui donnent un fondement jusnaturaliste, il ne trouve ensuite chez les intellectuels guère d’apologistes. Dès la fin du 19e siècle, ses principes sont souvent dévoyés et associés à la défense d’une politique conservatrice. La première moitié du 20e siècle est marquée par un profond désaveu des thèses libérales. Il faut attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour voir les préparatifs d’une prochaine renaissance.

Le libéralisme américain au 19e siècle : une pente conservatrice

Pour Rothbard, l’histoire du libéralisme américain au 19e siècle est marquée par deux glissements liés l’un à l’autre. L’abandon progressif d’une philosophie des droits naturels pour un utilitarisme technocratique ou un darwinisme social. Ensuite, un renoncement au radicalisme originel au profit d’une pente conservatrice, que Lippmann dénonçait déjà dans La Cité libre. Comme il l’écrit : « C’est ainsi que, à l’origine radicaux et révolutionnaires, opposés diamétralement aux conservateurs, les libéraux classiques en sont venus à adopter l’image de ce qu’ils avaient combattu ». Rothbard fait ici référence explicite aux Apologistes américains de la fin du 19e, J.B. Clark, JL. Laughlin, S. Newcomb, qui avaient pour mission de justifier les changements entraînés par le nouveau capitalisme industriel. Ils affirmaient que l’extension des pouvoirs économiques d’un État, de surcroît ouvertement corrompu, était légitime. Les Apologistes justifiaient ainsi les pouvoirs étatiques d’écraser les syndicats et associations agricoles, de fixer les prix, de réguler la compétition entre les industries, et d’augmenter fortement les taxes douanières. Ils convoquaient en outre volontiers des arguments moraux religieux pour justifier l’ordre établi.

Pour Rothbard, c’est Spencer (1820-1903) qui le premier diffusa l’idée que l’évolution naturelle, découverte par Darwin, pouvait être appliquée à l’étude des phénomènes sociaux. Pour Spencer, le progrès social procède d’une sélection des meilleurs. Mais, contrairement à l’interprétation qu’a pu en faire Rothbard, cette pensée ne se traduit nullement par un attentisme et une acceptation passive du statu quo. Spencer plaidait à l’inverse pour une lutte volontaire contre tous les obstacles contrariant ce progrès social, à commencer par l’État. Il rédigea ainsi en 1850 Le droit d’ignorer l’État, dans lequel il faisait assaut manifeste d’antiétatisme. Comme il l’écrit, « Si chaque homme a la liberté de faire tout ce qu’il veut, pourvu qu’il n’enfreigne pas la liberté égale de quelque autre homme, alors il est libre de rompre tout rapport avec l’État – de renoncer à sa protection et de refuser de payer pour son soutien [...] il a par conséquent le droit de se retirer ainsi. ».

C’est bien plus William Sumner (1840-1910) qui reste l’ennemi par excellence des promoteurs de réformes sociales. Adhérant lui aussi au darwinisme social, il assigne à l’État un rôle prééminent, de protection de la liberté civile (constituée de la propriété, des contrats et de la vie). C’est enfin Sumner qui, le premier, dénonça le militarisme, l’expansion et l’impérialisme, qui « favorisent toujours la ploutocratie » ; il participa à la fondation, en 1898, de la Anti-Imperialism League, créée en réaction à la guerre d’Espagne.

Si l’on suit la démonstration de Rothbard, on peut dire que le radicalisme de Spencer et de Sumner était de circonstance. Si un État fort prétendant favoriser le processus de sélection naturelle – comme l’Italie fasciste – n’eut peut-être pas trouvé grâce à leurs yeux, il n’eût pas non plus rencontré dans leurs œuvres une condamnation solide et radicale. La cause, selon Rothbard, à leur refus de visser leur antiétatisme à la reconnaissance de droits naturels. À l’inverse de Henry George (1839-1897), qui, lui, s’appuiera sur une doctrine jusnaturaliste, alors pourtant en voie de disparition.

George souligne le paradoxe pour lui insupportable entre un progrès soutenu et une pauvreté persistante. En 1879, il publie Progrès et pauvreté, où il dénonce le fait que les richesses sont accaparées par les propriétaires terriens par le biais des loyers. D’où le remède préconisé : il suffirait de faire payer à chacun un impôt proportionnel à la valeur de la terre qu’il exploite. Cette théorie suggère une propriété collective des biens naturels. Certes. Mais Henry George croit en l’existence de droits naturels inaliénables qui contraignent l’État à garder ses distances d’avec les individus. Parmi eux, il inclut volontiers le droit de propriété. Comme chez Locke, il considère que l’homme se fait le propriétaire de tout ce à quoi il mêle son travail. Il insiste aussi sur l’importance de la division des connaissances en économie, et sur l’impossibilité de les centraliser en un seul cerveau. Il est ainsi profondément opposé à une planification étatique, et condamne le socialisme au motif qu’il rend impossible toute coopération spontanée entre agents économiques.


Le libéralisme américain au 20e siècle : du déclin à la préparation d’un renouvellement

À partir de la crise de 1929, le mot « libéralisme » refait surface, mais dans un sens tout à fait singulier, rappelé par Alain Laurent dans Le libéralisme américain, histoire d’un détournement : les principaux propagandistes du New Deal (à commencer par John Dewey, et avant lui Hobhouse) usurpèrent le terme liberal. En réaction, en 1938, un colloque initié par Walter Lippman fut organisé, pour faire converger les idées de Lippmann avec les différentes tentatives européennes de résistance intellectuelle au socialisme. La version alors proposée se situe à mi-chemin du « nouveau libéralisme » des liberals et du libéralisme classique. Ses contempteurs se baptisent néolibéraux, pour signifier un retour au libéralisme d’origine, là où les nouveaux libéraux marquent une rupture. Hayek, Mises, Hazlitt, Read, en sont les principaux protagonistes. En 1947, la Société du Mont-Pèlerin, qui se propose elle aussi de réhabiliter le libéralisme, marque une radicalisation certaine des positions des participants, sous la houlette de Hayek. Minoritaires en 1938, les libéraux indisposés au compromis sont suffisamment nombreux pour imposer leur intransigeance.

Toutefois, le mot « néolibéralisme » ne désigne en fait qu’une doctrine exclusivement économique, que s’approprieront volontiers les nouveaux conservateurs, mais dont ne se contenteront nullement les libertariens.

Un antiétatisme isolationniste : la Old Right

Née en réaction au New Deal, la Old Right a, jusqu’au début des années 1950, représenté l’une des tendances les plus fortes dans le Parti Républicain sous l’impulsion du sénateur Robert Taft.

Les grandes figures de la Old Right

Chez eux, l’individualisme n’est pas une doctrine. C’est un tempérament. Henry Louis Mencken (1880-1956) conjugue un antiétatisme virulent, une croyance dans le laissez-faire et une opposition à toute intervention belliqueuse. Il s’est aussi montré tout à fait réticent à la politique du New Deal. Lorsque Roosevelt décida de dévaluer le dollar, Mencken cria spontanément : « Au vol ! » et menaça de porter l’affaire devant la Cour Suprême. Il s’est enfin fortement opposé à l’entrée en guerre des États-Unis lors de la Seconde guerre mondiale.

Albert Jay Nock (1870-1945), dans Our Enemy, the State, applique les analyses sociologiques de Oppenheimer au développement de l’État américain moderne. Pour Oppenheimer, la cause de la genèse de tous les États vient de l’opposition entre deux groupes se distinguant selon deux méthodes de survie antithétiques : l’économie ou la politique. Il considère que l’adoption de la Constitution « marqua le début de la contre-révolution conservatrice, et les grosses entreprises en étaient le moteur. Contre les fermiers et les petites entreprises, les grands intérêts financiers ont fomenté puis opéré un véritable coup d’État, en jetant simplement les articles de la Confédération dans une corbeille à papier ». Nock édite dans les années vingt The Freeman, dans lequel il considère que le New Deal n’a pas seulement des effets nocifs sur l’économie, mais surtout ne détruirait rien moins que l’âme humaine. Il va jusqu’à identifier l’œuvre de Roosevelt à celles de Hitler et Staline.

Franck Chodorov (1887-1966) fut le directeur de la Henry George School of Social Science et éditeur du journal publié par l’Institut, The Freeman. À la mort de Nock, il devint son exécuteur testamentaire. La transmission n’était pas seulement juridique : Nock léguait aussi à son descendant une mission qu’il présentait comme le « boulot d’Isaïe ». Isaïe est envoyé sur terre pour prévenir les futurs maux qui menacent la société, et le prophète est bien conscient que ses mots ne seront pas entendus par la masse, mais seulement par une petite minorité d’élus, que Nock appelle « le Rémanent ». Les membres du Rémanent ont besoin d’encouragements et de remontants ; la tâche de Chodorov sera de prendre soin d’eux.

Mais cette esquisse ne serait pas complète sans les trois femmes qui, peut-être davantage que leurs pairs masculins, ont ouvert la voie à la constitution du libertarianisme contemporain.

Rose Wilder Lane (1886-1968) publie en 1936 Give me Liberty, dans lequel elle fustige la perversion des idéaux individualistes américains accomplie par la politique de Roosevelt. « Aveugles à l’Amérique et adorant l’Europe, ces pseudo-penseurs réactionnaires ont renversé la pensée américaine dans un effort de se rapprocher de l’Allemagne du Kaiser ». Elle envoie en 1943 une lettre à une émission de radio, dans laquelle elle dénonce « toutes ces lois sur la ’sécurité sociale’, qui sont allemandes ». Le FBI s’en empare, monte un dossier sur Lane, la police d’État se rend à son domicile, et Rose Wilder Lane se met dans une colère furieuse, accusant les policiers, censément au service de la population, d’être aussi vils que la Gestapo. Cette réplique, reprise par la presse, la rendra célèbre. C’est à cette époque qu’elle publie The Discovery of Freedom : Man’s Struggle against Anthority, qui inscrit l’histoire de l’humanité tout entière comme dirigée par la résistance de l’homme face à l’autorité.

Isabel Paterson (1886-1961) était chroniqueuse au New York Herald Tribune. Elle publie en 1943 The God of the Machine, ouvrage dans lequel elle montre que les États-Unis seraient le produit d’une « énergie » libre et débridée, mais néanmoins autodisciplinée et contrôlée par les individus. L’autorité, incarnée dans l’État, ne serait alors qu’une illusion, ne pouvant que gêner ce flux d’énergie, ou bien retarder les actions humaines. Elle considère que la militarisation de la société et la mise en place de la conscription ne sont que les conséquences de l’intervention étatique dans l’économie.

Enfin, Ayn Rand (1905-1982) publie, en 1943 également, La source vive, roman qui narre le renvoi du jeune architecte Howard Roark de son école. Motif : refus de se plier aux canons de l’architecture traditionnelle. À l’inverse, son compagnon de classe Peter Keating, autrement moins doué que son camarade, dont il ne cesse de quémander l’assistance, finit major de sa promotion. Keating rencontre un succès retentissant en se contentant le plus souvent d’imiter les standards architecturaux hérités de l’histoire. À la fin du roman, il sollicite à nouveau l’aide de son rival pour obtenir un contrat très juteux : la construction de logements sociaux. Mais, si Keating remporte le concours, un journaliste découvre rapidement la supercherie, et dépêche d’autres architectes pour altérer le projet. Roark, à son retour de voyage, découvre dans une rage froide la corruption de son projet et décide de détruire les logements sociaux à la dynamite. Il est arrêté. Lors de son procès, Roark prend sa propre défense en énonçant les principes individualistes d’Ayn Rand, et est finalement acquitté.


Une filiation directe avec les libertariens

C’est Murray Rothbard qui intègre la Old Right au courant libertarien. Il rencontre Chodorov, puis Mises, dont il devient très proche. Après la défaite de Taft à l’investiture présidentielle, Rothbard quitte le parti Républicain, fonde The Vigil, afin de veiller à ce que la tradition de la Old Right ne fut pas engloutie par les phagocytes conservateurs. Il considère que la Old Right avait deux faiblesses, qu’il va s’efforcer de combler : d’une part, elle était marquée par une absence d’assise théorique susceptible d’apporter une cohérence à ses différentes prises de position ; d’autre part, elle ne fut à aucun moment un mouvement organisé susceptible de peser sur l’opinion publique. Il y avait même chez ces différents penseurs un refus manifeste d’une quelconque volonté de se rassembler.

C’est à tout cela que le mouvement libertarien tentera de remédier.


Notes :

[1] S. L. Newman défend un point de vue similaire : « Il y a toujours eu une tradition antiétatiste dans la politique américaine ; le libertarianisme en est simplement l’une des plus récentes manifestations » (S.L. Newman, Liberalism at Wit’s End: The Libertarian Revolt against the Modern State, Itchaca, Cornell University Press, 1984, p. 22).
[2] H. D. Thoreau, La désobéissance civile, p. 28.
[3] Massacres à Chicago perpétrés par des anarchistes violents le jour du 1er mai. On ne sait pas vraiment qui a été à l’origine des événements, de la police ou des manifestants ; mais cette date devait stigmatiser à jamais le mouvement anarchiste comme violent et faire de Chicago un point chaud des luttes sociales de la planète.


Publié le 12/10/2010

 

Durant les années 1960, le mouvement libertarien est marqué par un rejet de l’impérialisme conservateur, la condamnation de la violation des principes libéraux et le refus de la confusion du droit et de la morale religieuse. À travers l’héritage des trois traditions antiétatistes américaines classiques (Old Right, isolationnisme, libéralisme classique), une avant-garde libertarienne, au début coupée de ses partisans, émerge et quitte le Grand Old Party.

A partir du début des années 1950, les nouveaux conservateurs [1] dotent la droite américaine d’une idéologie englobante qui lui fait défaut. Des revues comme Modern Age et la National Review en sont le fer de lance. La seconde, fondée par William Buckley, est le véritable centre de gravité de ce nouveau traditionalisme.

La résistance du libertarianisme : une synthèse réactive

Dans le cadre de la lutte contre le communisme et l’URSS, Buckley distingue clairement entre ce qu’il appelle les « conservateurs de l’endiguement » et les « conservateurs de la libération », pour finalement prendre position en faveur des seconds. Une querelle l’oppose ainsi au libertarien Chodorov, pour qui la guerre a créé une dette colossale, entraînant une augmentation continuelle des impôts, la conscription militaire et un accroissement de la bureaucratie. C’est la revue The Freeman qui abrite ces échanges musclés. « Pendant la guerre, écrit Chodorov, l’Etat acquiert toujours du pouvoir au détriment de la liberté ». Schlamm lui répond dans la livraison suivante de la revue que la menace soviétique est telle qu’elle ne saurait être contenue par l’indifférence. Ce à quoi Chodorov répond, toujours dans leFreeman, qu’il n’est pas convaincu « de la capacité du gang de Moscou à envahir le monde ». « La suggestion que la dictature américaine serait « temporaire », ajoute-t-il, rend suspect l’ensemble de l’argument, car aucune dictature ne s’est jamais donné de limite dans la durée de son office ». La guerre, termine-t-il, « quels que soient les résultats militaires, est certaine de rendre notre pays communiste ».

Une deuxième ligne de rupture est constituée par la politique économique. Au début des années cinquante, la crainte de voir les nouveaux conservateurs sacrifier les dogmes du libéralisme classique à la satisfaction d’un impérialisme messianique catalyse les premières réactions libertariennes. C’est du reste à cette occasion que Dean Russell invente le mot même de « libertarien ».

L’émergence d’un double leadership

Depuis le début des années 1950, Murray Rothbard trace les contours de la doctrine libertarienne à travers différents articles, en prenant presque systématiquement comme repoussoir les principes conservateurs.

Toujours dans The Freeman, Schlamm doit en découdre avec Rothbard cette fois, qui avait présenté la célèbre thèse de Mises selon laquelle le communisme s’effondrerait de lui-même et qu’il n’était pas besoin de gaspiller des efforts inutiles pour faire advenir une chute imminente. Schlamm s’en prend pour la première fois nommément aux « libertariens », qui, selon lui, « ont raison en tant qu’économistes, mais fatalement tort comme théologiens : ils ne voient pas que le diable est réel et qu’il est toujours là pour satisfaire la soif insatiable des hommes pour le pouvoir ». A l’élection présidentielle de 1956, Rothbard soutint le candidat indépendant T.C. Andrews, tout en précisant que parmi les deux principaux candidats, le républicain D. Eisenhower et le démocrate A. Stevenson, le second lui paraissait préférable. Pour la première fois, le mouvement libertarien se positionne donc à gauche de l’échiquier politique. Ceci a marqué une rupture intellectuelle avec le mouvement conservateur, en attendant la rupture organisationnelle.

Ayn Rand joue également, durant cette période, un rôle déterminant dans les préparatifs à la constitution du mouvement libertarien. Le cercle de ses adeptes, qui se réunit dans le salon de la romancière, s’agrandit sans cesse, et écoute l’initiatrice lire les épreuves de son nouveau roman, Atlas Shrugged. Parmi eux [2], le futur président de la Fed, Alan Greenspan, est des plus assidus, tout comme Barbara et Nathaniel Branden. Comme dans la Source vive, son précédent roman, on trouve dans Atlas Shrugged une opposition manichéenne entre des créateurs égoïstes et des parasites étatistes. Parmi les premiers, Dagny Taggart et Hank Rearden sont les principaux protagonistes du roman. Respectivement directrice d’une compagnie ferroviaire et magnat de l’acier, ils s’efforcent l’un et l’autre de résister tant bien que mal aux ingérences du gouvernement et de faire vivre leurs affaires dans le contexte d’une crise sans précédent. A mesure que l’Etat se montre de plus en plus intrusif dans l’économie, les membres du cercle très fermé des créateurs égoïstes disparaissent un à un. On apprend au milieu du roman qu’ils se sont tous réunis dans les montagnes du Colorado, au sein d’une communauté capitaliste utopique, appelée Galt’s Gulch, le « ravin de Galt ». John Galt, dont la recherche de l’identité est martelée tout au long du roman par la question « Who is John Galt ? », est un ingénieur surdoué à l’initiative de la grève. Inventeur d’un moteur révolutionnaire alimenté à l’énergie statique, il refuse d’en offrir l’usage à la masse ignorante. « Les victimes sont en grève (…) Nous sommes en grève contre ceux qui croient qu’un homme doit exister dans l’intérêt d’un autre. Nous sommes en grève contre la moralité des cannibales, qu’ils pratiquent le corps ou sur l’esprit ».

Hank Rearden et Dagny Taggart sont tellement attachés à leurs propres commerces qu’ils déclinent toutes les sollicitations de John Galt. Mais la retraite des principaux acteurs de l’économie rend leur situation de plus en plus insupportable. La société américaine traverse des crises de plus en plus préoccupantes, et imputées conjointement aux ingérences des gouvernants et à la forfaiture des créateurs. La fin du roman décrit avec emphase une situation apocalyptique. Les hommes d’Etat, désœuvrés, reprennent tour à tour l’aphorisme éculé de Keynes : « Dans le long terme, nous sommes tous morts ». John Galt interrompt soudainement les programmes radiophoniques pour expliquer les causes du déclin. Son discours, comparable à celui de Howard Roark lors de son procès, tient lieu de prolégomènes à la philosophie objectiviste randienne. Galt commence par énumérer les perversions morales sous-tendant l’étatisme ambiant. De là le dédain de la masse pour les créateurs égoïstes qui lui apportaient pourtant la plus grande richesse. A la fin, John Galt annonce leur retour à la condition que l’Etat se retire. Les hommes du gouvernement abdiquent. Ainsi s’achève le roman : « la voie est libre, dit John Galt, nous voici de retour au monde. Il leva la main puis, sur la terre immaculée, traça le signe du dollar ».

Atlas Shrugged a été désigné comme le deuxième livre le plus influent pour les Américains, juste après la bible, par la Library of Congress en 1991.

A peine eut-il lu le livre que Murray Rothbard adressa à Ayn Rand une lettre élogieuse dans laquelle il alla jusqu’à reconnaître avoir après d’elle une dette intellectuelle majeure. Rand accueillit chez elle les membres du Cercle Bastiat, et en particulier Rothbard. Le rapprochement fut cependant de courte durée. Pour soigner sa phobie des voyages, Rothbard fit appel aux services de Nathaniel Branden, qui diagnostiqua « le choix irrationnel de son épouse ». Rand et Branden invitèrent donc Rothbard à quitter sa femme, et lui offrirent leurs services matrimoniaux pour lui substituer une compagnie plus conforme aux canons randiens. Rothbard déclina l’invitation, ce qui mit Rand dans une rage folle ; elle orchestra un procès en excommunication contre Rothbard, ce qui marqua la fin définitive de leur collaboration.

Les ténors libertariens exclus des instances conservatrices

Les conservateurs s’employèrent alors à écarter l’avant-garde libertarienne sans toutefois rejeter le mot « libertarien ». Pour profiter les militants que la pensée libertarienne était susceptible d’apporter, sans toutefois lui permettre de s’exprimer et de corrompre leurs propres idéaux, les conservateurs ont ainsi œuvré pour priver les principaux leaders libertariens d’expression, en les écartant de la National Review.

Bien que seul représentant des libertariens parmi les contributeurs de la National Review, Chodorov se désolidarisa rapidement des positions prises par la revue. Dès 1956, celle-ci commença à refuser des articles contestant la légitimité et l’utilité d’une intervention des Etats-Unis à l’extérieur. Rothbard contribua quelques années encore à contribuer à cette revue, mais, comme Justin Raimondo l’explique [3], les idées économiques exposées par Rothbard étaient purement ornementales, et promettaient de disparaître à la première occasion. En 1959, il soumit à la revue conservatrice un article dans lequel il préconisa un désarmement nucléaire mutuel pour mettre un terme à la guerre froide. Le refus, pourtant attendu, de Buckley de publier l’article marqua définitivement la fin de leur impossible collaboration.

L’exclusion la plus retentissante du mouvement conservateur reste toutefois celle d’Ayn Rand. La condamnation virulente d’Atlas Shrugged par les éminences du nouveau conservatisme la conduisit à prendre ses distances d’avec le mouvement conservateur en voie d’institutionnalisation. Whittaker Chambers va jusqu’à qualifier la perspective de Rand de « totalitaire » en comparant cette dernière au dictateur omniscient du roman de Orwell. Par ailleurs, Rand condamnait sans préavis toute forme de religion. Pour Buckley et les nouveaux conservateurs, un athéisme aussi agressif ne pouvait faire bon ménage avec la composante traditionnaliste et religieuse de la coalition en formation. Rand présenta même une critique structurée du nouveau conservatisme, en dénonçant ce qu’elle identifiait comme ses trois piliers : la religion, la tradition et la dépravation humaine. Comme elle le dit : « Aujourd’hui, il n’y a plus rien à « conserver » : la philosophie politique établie, l’orthodoxie intellectuelle et le statu quo sont le collectivisme. Ceux qui rejettent toutes les prémisses du collectivisme sont des radicaux » [4].

A leur corps défendant, les conservateurs se brouillent aussi avec des auteurs qu’ils auraient pourtant aimé conserver dans leur giron. C’est tout particulièrement vrai de Friedrich Hayek. Dans un article célèbre, intitulé « Pourquoi je ne suis pas conservateur » [5], il regrette que le contexte de l’époque associe les libéraux aux conservateurs. Il congédie l’axe gauche-droite qui insinue que le libéralisme se trouverait à mi-chemin entre le conservatisme et le socialisme, et propose de lui substituer une disposition « en triangle, dont les conservateurs occuperaient l’un des angles, les socialistes tireraient vers un deuxième et les libéraux vers un troisième ». La « peur du changement », typique de la pensée conservatrice, se traduit chez eux par un refus de laisser se déployer librement les forces d’ajustement spontanées, et par un désir de contrôler l’ensemble du fonctionnement de la société. De là « la complaisance typique du conservateur vis-à-vis de l’action de l’autorité établie ». « Comme le socialiste, le conservateur se considère autorisé à imposer aux autres par la force les valeurs auxquelles il adhère ». L’un comme l’autre se révèlent ainsi incapables de croire en des valeurs qu’ils ne projettent pas d’imposer aux autres. « Les conservateurs s’opposent habituellement aux mesures collectivistes et dirigistes ; mais dans le même temps, ils sont en général protectionnistes, et ont fréquemment appuyé des mesures socialistes dans le secteur agricole ». Hayek condamne aussi l’impérialisme conservateur, emprunt d’un nationalisme et d’un autoritarisme des plus délétères.

Enfin, il convient de noter qu’Hayek ne rejette pas le terme « libertarien », comme on le lit souvent. Il lui reproche simplement son irrévérence à l’endroit d’une tradition qu’il entend pourtant perpétuer, mais ne rejette en rien ce qu’il recouvre, et encore moins l’inspiration qui l’a fait naître. Toutes ces ruptures intellectuelles ne font que précéder la rupture partisane, qui ne tarda pas à intervenir.

  • [1] Il convient de distinguer ces nouveaux conservateurs des néoconservateurs. Ces derniers interviendront un peu plus tard, à la fin des années 1960 autour de journaux comme Public Interest et Commentary, et derrière des personnalités comme Daniel Bell, Irving Kristol, Patrick Moynihan et Norman Podhorez. Pour simplifier, on peut décrire les nouveaux conservateurs comme des traditionnalistes anticommunistes, qui se réfèrent à l’histoire et s’autorisent de Burke ; les néoconservateurs comme d’anciens démocrates hostiles à l’évolution progressiste de la gauche, ayant pour code le droit naturel et se réclamant de Tocqueville. Les deux mouvements conservateurs se coalisèrent dans les années 1970 pour préparer la victoire de Reagan en 1980.
  • [2] Le groupe se baptise ironiquement The Collective.
  • [3] Justin Raimondo, Reclaiming the American Right, p. 189.
  • [4] A. Rand, « Conservatism : An Obituary » (1960), in Capitalism : The Unknown Ideal, New York, Signet, 1967, p. 197.
  • [5] F. A. Hayek, « Pourquoi je ne suis pas conservateur », in La Constitution de la liberté, 1960.

http://www.contrepoints.org/wp-content/themes/WpAdvNewspaper133/headPics/ccontrepoints.png

Partager cet article
Repost0

Jumelage

Voir les articles

INDEX

 

 READ THIS BLOG IN ENGLISH WITH GOOGLE Click here

Ni totalitarisme nazi, ni totalitarisme communiste, ni totalitarisme islamiqueL'image “http://img57.imageshack.us/img57/3474/bouton3sitany0.gif” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.

« Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire. »

George Orwell


DOSSIER

LE LIBERTARIANISME

Informez-vous sur la philosophie politique libertarienne


« Les faits sont têtus; quels que soient nos souhaits, nos inclinations ou les voeux de nos passions, ils ne peuvent changer l'état de fait et la preuve. »     John Adams

DOSSIER

LE WEB RESISTANT 

lewebresistant.gif

Informez-vous sur la cyber-résistance

 

« Les religions chrétiennes furent sanglantes et meurtrières en s'éloignant de leurs textes tandis que l'islam le fut en se rapprochant des siens. »                                                      Eric Conan



DOSSIER

FONDAMENTALISME, DJIHADISME, TERRORISME

L’ISLAMISME EST UN TOTALITARISME

img80/3421/poing1bjr1.jpg

Ce qu’il faut savoir sur l’une des plus grandes menaces politiques et religieuses du XXIème siècle

 


« Le socialisme cherche à abattre la richesse, le libéralisme à suprimer la pauvreté »                                                   Winston Churchill

 

DOSSIER

LISEZ LE rapport SUR LE SOCIALISME

Plus de 20 articles du blog C.R pour vous réinformer sur le socialisme


« Le Communisme est l'Islam du XXème siècle. »                                                   Jules Monnerot


DOSSIER

LISEZ LE rapport SUR LE COMMUNISME

Plus de 20 articles du blog C.R pour vous réinformer sur le communisme

 

« La religion d'Hitler est la plus proche qui soit de l'islamisme, réaliste, terrestre, promettant le maximum de récompenses dans cette vie, mais avec ce Walhalla façon musulmane avec lequel les Allemands méritoires peuvent entrer et continuer à gouter le plaisir. Comme l'islamisme, elle prêche la vertu de l'épée.  »                            Carl Gustav Jung

 

DOSSIER

LISEZ LE rapport SUR LE NAZISME

Plus de 20 articles du blog C.R pour vous réinformer sur le nazisme


« Ils ignorent que les épées sont données pour que personne ne soit esclave. »                                                                                        Lucain

Partenaire :