Nous sommes opprimés par nos frères humains. Puisqu’ils ont la possibilité de cesser de nous opprimer, de leur propre volonté, cette condition de coercition n’est pas inévitable. [1] La coercition est immorale, inefficace et inutile pour vivre et s’épanouir. Ceux qui choisissent d’être la victime de voisins prédateurs sont libres de continuer ; ce manifeste s’adresse à ceux qui choisissent de ne plus les subir : se défendre.
Pour combattre la coercition, il faut d’abord la comprendre. Et plus précisément, il faut savoir la raison pour laquelle on combat, autant que la nature de ce que l’on combat. La réaction aveugle se disperse dans toutes les directions contraires à la source de l’oppression, et gâche les opportunités ; la poursuite d’un but commun concentre les antagonistes et permet la formation d’une stratégie et de tactiques cohérentes.
L’autodéfense locale et immédiate fonctionne mieux contre la coercition diffuse. Bien que le marché puisse développer de grandes structures d’entreprise pour la protection et la réparation des dommages, celles-ci ne protègent que contre les menaces de violence aléatoires dûes aux seules opportunités égoïstes de criminels plus ou moins isolés ; tandis que la véritable oppression, découlant de concepts fantaisistes et illusoires implantés profondément dans la tête d’innombrables victimes, ne peut être combattue qu’à l’aide d’une stratégie globale et autour d’un seul point cataclysmique de singularité historique : la Révolution.
Une telle institution de coercition, centralisant l’immoralité, ordonnant des vols et des meurtres, et coordonnant l’oppression à une échelle inconcevable comparée à la seule criminalité ordinaire, existe vraiment. C’est la Mafia au-dessus de toutes les Mafias, le Gang surpassant tous les Gangs, c’est la Conspiration dépassant toutes les conspirations. C’est ce qui a massacré plus de gens en quelques dizaines d’années que tous les morts de l’Histoire humaine jusque là ; c’est ce qui a volé plus de richesse en quelques décennies que toute la richesse produite jusque là ; c’est ce que a tordu et corrompu plus d’esprits – pour exister et survivre – en quelques décennies, que toute l’irrationalité de l’Histoire toute entière jusque là. C’est Notre Ennemi : l’Etat. [2]
Rien qu’au XXème siècle, les guerres et les démocides ont tués plus que la totalité de tous les morts des siècles précédents ; les impôts, les taxes, les tributs et les redevances ont pillé plus de richesse qu’il n’en avait jamais été produite dans les siècles précédents ; et les mensonges d’état, les philosophies justifiant son existence et son intervention, ses systèmes de propagande et « d’éducation » ont aliéné et brisé plus d’esprits que toutes les superstitions dans les siècles passés ; pourtant au milieu de toute cette masse de confusion voulue et d’obstruction délibérée de la pensée, le fil de la raison s’est déployé en fibres de résistance, destinées à tisser la corde qui exécutera l’Etat: le Libertarianisme.
Partout où l’Etat divise et assujétit ses opposants, le Libertarianisme unit et libère. Partout où l’Etat obscurcit, le Libertarianisme éclaire ; là où l’Etat dissimule, le Libertarianisme révèle ; là où l’Etat encourage, le Libertarianisme condamne.
Le Libertarianisme développe une philosophie complète à partir d’un seul axiome: l’initiation de violence ou de menace de violence (coercition) est mauvaise (immorale, maléfique, stupide, impraticable, etc.) et est interdite ; rien de plus. [3]
Le Libertarianisme, à ce jour, a découvert le problème et défini la solution: l’Etat face au Marché. Le Marché est la somme de toutes les actions humaines libres. [4] Celui qui agit sans coercition fait partie du Marché. C’est ainsi que l’économie fut intégrée dans le Libertarianisme.
Le Libertarianisme a inspecté la nature humaine pour expliquer ses droits fondamentaux dérivant de la non-coercition. Il en est sorti que tout homme (ou femme, ou enfant, ou Martien, etc…) a un droit absolu et exclusif sur sa vie et tout ce qu’il crée avec (sa propriété). Ainsi la philosophie objectiviste fut intégrée dans le Libertarianisme.
Le Libertarianisme a demandé pourquoi la société n’était pas libertarienne, et a découvert l’Etat, sa classe dominante, son camouflage, et les historiens héroïques combattant pour faire connaître la vérité. Ainsi l’Historicisme sceptique fut intégré au Libertarianisme.
La psychologie, en particulier celle de Thomas Szasz connue sous le nom de contre-psychologie, fut adoptée par les libertariens cherchant à se libérer de l’emprise étatique et de la servitude spontanée.
Recherchant une forme d’art pouvant exprimer l’horreur dont peut être capable l’Etat et extrapoler les futurs possibles de la liberté, le Libertarianisme a trouvé la Science-Fiction déjà bien implantée sur ce thème.
A travers les domaines de la politique, de l’économie, de la philosophie, de l’histoire et de l’art, les partisans de la liberté ont vu un tout, réunissant leur résistance avec celle de tous les autres, partout, et ils ont pris conscience de leur existence mutuelle. Ainsi, les libertariens devinrent un Mouvement. Le Mouvement Libertarien s’éveilla et prit conscience du défi: partout, Notre Ennemi l’Etat, du fond des océans jusqu’à la surface de la Lune et de Mars, dans tous les pays, chez tous les peuples, et dans chaque esprit individuel. Certains se sont alliés avec l’élite pour renverser les dirigeants actuels de l’Etat. [5] Certains ont attaqué directement les agents de l’Etat. [6] Certains se sont associés aux dirigeants de l’Etat qui proposaient moins d’oppression en échange de votes. [7] Et d’autres ont entrepris d’éclairer la population pour étendre et soutenir le Mouvement sur le long terme. [8] Partout, une Alliance Libertarienne d’activistes s’est levée. [9]
Les plus hautes sphères de l’Etat n’allaient pas abandonner les pillages, ni rendre le butin à leurs victimes dès le premier signe d’opposition. Leur première contre-attaque vint des anti-principes déjà implantés par leur caste intellectuelle corrompue: défaitisme, lâcheté, compromis, collaboration, gradualisme, monocentrisme et réformisme – sans compter les innombrables promesses « d’améliorer » l’Etat ! Tous ces anti-principes (des déviations, des récupérations, des hérésies, des positions contradictoires et incohérentes, etc.) seront examinées plus tard. La pire de toutes fut le Partiarchisme, l’anti-principe d’atteindre le but libertarien à travers des méthodes étatiques, par le vote et les partis politiques.
Le Parti « Libertarien » fut la seconde contre-attaque que l’Etat infligea au Mouvement, d’abord comme oxymore ridicule [10] puis comme armée d’invasion. [11]
La troisième contre-attaque fut la tentative par les dix plus grands capitalistes des Etats-Unis d’acheter les grandes institutions libertariennes – pas seulement le Parti – et de diriger le Mouvement de manière ploutocratique de la même manière que les autres ploutocrates dirigent chacun leurs partis politiques. [12]
Le succès partiel de ces contre-attaques étatiques a corrompu le Libertarianisme au point de scinder la « Gauche » du Mouvement et de paralyser le reste. Alors que la désillusion grandissait au sujet du « Libertarianisme » ainsi déformé, les libertariens désabusés cherchaient une solution à ce nouveau problème: conquérir l’Etat sans devenir l’Etat. Comment éviter d’être utilisés et retournés par l’Etat et son élite ? Autrement dit, comment éviter de sortir du chemin vers la liberté quand on sait qu’il y a plusieurs de ces chemins ? Le Marché a de nombreuses voies pour aller de la production à la consommation d’un produit, et aucun n’est parfaitement prévisible. Donc même si l’on peut aller d’ici (étatisme) à là (liberté), comment trouver le meilleur chemin ?
Il y a ceux qui affectionnent de recycler les vieilles stratégies de différents mouvements morts et enterrés depuis longtemps. De nouvelles voies sont offertes, oui, et elles ramènent toutes vers l’Etat. [13]
La Trahison, qu’elle soit consciente ou non, persiste. Il pourrait en aller autrement.
Même si personne ne peut prédire exactement quelles actions vont entraîner l’apparition d’une société réellement libre pour unir tous les individus émancipés, on peut éliminer d’un coup toutes celles qui ne feront pas avancer la cause de la Liberté, et l’application stricte des principes du Marché donnera la carte du terrain à traverser. Il n’y a certainement pas Un Seul Chemin, une ligne droite vers la Liberté. Mais il y a toute une famille de courbes, un Espace rempli de lignes, qui mèneront le libertarien vers son objectif de société libre ; cet Espace peut être décrit.
Une fois l’objectif connu et les chemins découverts, il ne reste plus que l’Action nécessaire pour aller d’ici à là. Avant tout, ce Manifeste appelle à l’Action.
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Notes:
[1] Je dois à Robert LeFevre ce concept, bien que nous en tirions des conclusions différentes.
[2] Merci, Albert J. Nock, pour cette phrase.
[3] Le Libertarianisme moderne est le mieux expliqué par Murray Rothbard dans « Pour une Liberté Nouvelle », qui est malgré tout en retard de quelques années quelle que soit l’édition. Recommander un livre pour expliquer le libertarianisme c’est comme recommander une chanson pour expliquer la musique.
[4] Merci, Ludwig von Mises.
[5] Alliance Libertarienne Radicale, 1968-1971
[6] Mouvement Etudiant d’Action Libertarienne, 1968-1972, plus tard ressuscité brièvement comme prototype du MGL.
[7] Citoyens pour une République Restructurée, 1972, composée de membres désabusés de l’ALR.
[8] Société pour la Liberté Individuelle, 1969-. Il y avait aussi le Collège Rampart (disparu), la Fondation pour l’Education Economique, et l’Institut pour la Libre Entreprise, avant même l’explosion de popularité du libertarianisme.
[9] En particulier l’Alliance Libertarienne Californienne, 1969-1973. Le nom est maintenu pour sponsoriser des conférences, et pour le mouvement au Royaume-Uni.
[10] Le premier Parti « Libertarien » a été créé par Gabriel Aguilar et Ed Butler en Californie en 1970, pour servir de marchepied vers la popularité médiatique. (Gabriel était farouchement anti-politique.) Même le Parti « Libertarien » de Nolan a été critiqué et moqué par entre autres Murray Rothbard, dès sa première année d’existence.
[11] Le Parti « Libertarien » qui a émergé à l’échelle nationale et proposé John Hospers et Toni Nathan pour la présidentielle de 1972, a été créé par David et Susan Nolan en Décembre 1971 dans le Colorado. D. Nolan était un membre dissident du YAF en 1967 et a manqué leur pic de popularité en 1969. Il a toujours été minarchiste et conservateur, dès la première édition. Les Nolan étaient sincères, comme beaucoup de participants et de candidats, mais la polémique sur la « question d’un parti » est apparue immédiatement. Un débat sur le sujet entre Nolan et Konkin a été publié dans les New Libertarian Notes au printemps 1972 juste avant les élections.
[12] Charles G. Koch, milliardaire de Wichita grâce au pétrole, a acheté de 1976 à 1979 à travers ses proches, ses fondations, ses instituts et ses centres les formations suivantes: le Forum Libertarien de Murray Rothbard ; la Revue Libertarienne de Robert Kephart édité par Roy A. Childs ; les Etudiants pour la Société Libertarienne de Milton Mueller ; le Centre pour les Etudes Libertariennes de Joe Peden ; Enquête, édité par Williamson Evers ; l’Institut Cato ; plusieurs Fonds, Fondations et Instituts de Koch. Il a été surnommé « Kochtopus » dans le premier numéro de New Libertarian de Février 1978, et attaqué par écrit par Edith Efron dans le magazine libertaro-conservateur Reason, au milieu d’allégations de conspiration « anarchiste ». Le Mouvement de la Gauche Libertarienne s’est distancé d’Efron et de ses dérives anti-anarchistes, mais l’a soutenue immédiatement lorsqu’elle a révélé la dérive mono-centriste du Mouvement. En 1979 Kochtopus prenait le contrôle du Parti National Libertarien à sa congrès de Los Angeles. David Koch, frère de Charles, a acheté ouvertement la nomination de vice-président pour 500 000$.
[13] Murray Rothbard s’est séparé de Kochtopus peu après le congrès de 1979, et ses alliés, comme Williamson Evers, d’Enquête, furent expulsés. Le CEL ne fut plus financé par le Parti. Le Forum Libertarien a commencé à attaquer Koch. Rothbard et le jeune Justin Raimondo organisèrent un nouveau congrès pour les « radicaux » du PL (le premier du genre, en 1972-1974, a servi de tentative de l’ANL pour détruire le PL de l’intérieur). Bien que Rothbard en soit venu à se demander « est-ce que Konkin a raison ? » dans son discours de Juillet 1980 dans le Comté d’Orange, la stratégie des radicaux est de reformer le PL à partir de la Nouvelle Gauche avec des tactiques néo-marxistes.
[14] J’espère que les prochaines éditions ne porteront plus cette note, mais dans le contexte historique actuel il est essentiel de mentionner que le Libertarianisme n’est pas spécifiquement destiné aux « plus avancés » ou « plus éduqués » des résidents d’Amérique du Nord (stéréotypés sous l’apparence d’un consultant en informatique jeune, féministe et blond aux yeux bleus ayant 0,6 enfant). Seul le Marché libre peut amener le Second- et le Tiers-mondes hors de la pauvreté et de la superstition autodestructrice. Les tentatives forcées d’augmenter la production et de rationnaliser la culture n’ont causé que retours de flammes et régression: Iran et Afghanistan. Au bout du compte les interventions des USA ont surtout entraîné la répression de l’auto-amélioration. Les Marchés quasi-libres, comme Hong Kong, Singapour et Shangaï (avant l’unification) ont attiré des foules d’entrepreneurs motivés et mobiles. Le marché noir très développé de la Birmanie constitue l’essentiel de l’économie du pays et ne nécessiterait qu’une conscience libertarienne pour évincer Ne Win et l’Armée, pour accélerer les échanges et éliminer la pauvreté presque instantanément. Des observations similaires sont possibles sur des marchés noirs ou gris très développés dans le « Second Monde » de l’occupation soviétique, comme en Arménie, en Géorgie et dans la contre-économie Russe.
[15] Note pour la seconde édition. La note mentionnée au dessus est, malheureusement, toujours d’actualité.
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