Sixième mythe : Il n’y aurait de républicains qu’à gauche
jeudi 9 juillet 2009 - Copeau
Contrairement à ce que le mythe voudrait nous faire croire, il y a eu en France des républicains authentiques n’ayant aucune complaisance pour aucune forme de socialisme. Ils sont injustement oubliés aujourd’hui.
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En 1871, les républicains étaient divisés en deux groupes, l’Union républicaine de Gambetta et la Gauche républicaine de Ferry et Grévy. Le premier groupe était, il est vrai, largement à cheval sur « 1789 » et « 1793 ». Ils firent toutefois des concessions nécessaires aux orléanistes pour que les lois constitutionnelles de 1875 puissent être votées. Les leaders de l’autre groupe, Waddington [1], Léon Say [2], Agénor Bardoux [3], Jules Simon [4], sont, eux, des démocrates libéraux convaincus, souvent cultivés, des anticléricaux rationnels décidés à défendre vigoureusement la liberté de conscience contre les laïcistes fanatiques.
Gambetta, mort en décembre 1882, Ferry devient le leader des deux groupes. Après sa propre mort (1889), ce sont encore des ferrystes qui dirigent les gouvernements de la décennie 1890 (Jules Méline [5], Alexandre Ribot [6], Charles Dupuy [7]) ; c’est à ce moment que le groupe reçoit la dénomination nouvelle de « progressistes ». En 1889, au moment où l’ancien gambettiste Waldeck-Rousseau fait alliance avec les radicaux, le clivage entre gambettistes et ferrystes reprend vigueur. Avec Eugène Motte, ces derniers créent la tendance qui deviendra, en 1903, la Fédération républicaine, tandis que Waldeck-Rousseau et les anciens gambettistes créent l’Alliance démocratique.
Malgré cette division tactique, les deux groupes sont incontestablement des républicains selon « 1789 ».
Il en est de même des ex-orléanistes. Jacques Piou [8] fonde en 1885 un groupe parlementaire, la « Droite constitutionnelle », composée de députés qui acceptent la République et la jugent définitive, gage d’union et d’unité.
Les protestants ex-monarchistes ou ex-bonapartistes agissent de même. Edgar Raoul-Duval fonde un parti intitulé « Droite républicaine ». Léon XIII, pape depuis 1878, enfonce le clou en précisant que la doctrine chrétienne n’est attachée à aucune forme particulière de régime ; il y a eu, et il y a, de nombreuses républiques chrétiennes, tant catholiques que protestantes (Venise, Florence, Gênes, Genève, les Etats-Unis, …), et l’Eglise n’a pas conséquent pas à entretenir de conflit en France avec la République [9]. Le cardinal Lavigerie ajoute qu’en jouant le jeu de la nouvelle constitution les catholiques, qui sont nombreux et auxquels on peut penser que le suffrage universel donnera des élus en nombre important, pourront peser sur la législation et faire rapporter ou amender les lois les plus antireligieuses. Même Albert de Mun rejoint ce qui deviendra en 1901 un parti politique, l’Action libérale populaire (ALP). Piou ne reproche pas à ses adversaires d’être républicains, il leur reproche au contraire d’être de faux républicains, des continuateurs des terroristes et des tyrans. Il réclame à cor et à cri une Cour suprême permettant, comme dans la République américaine, de protéger les libertés contre les empiètements d’un régime d’assemblée.
Les républicains modérés sont sur la même longueur d’onde, y compris les libéraux de la franc-maçonnerie, tels Yves Guyot ou Hippolyte Rigault [10]. La logique aurait donc voulu que catholiques ralliés et républicains modérés se rapprochent. Mais ces projets seront compromis par l’Affaire Dreyfus qui rejettera les uns dans le Bloc des gauches, les autres dans l’Anti-bloc. A partir de cette date et pour des décennies, la démocratie libérale française restera scindée en deux.
Le Parti radical lui-même, comme (semble-t-il) la franc-maçonnerie dont il émane, est partagé entre les idéaux de « 1789 » et « 1793 ». Les hommes de « 1793 », contrairement à la reconstruction a posteriori de l’historiographie, n’ont dominé le gouvernement de la France que lors de brefs épisodes sans lendemains, Bloc des gauches, les deux Cartels [11], le Front populaire. Plusieurs événements décisifs contribuent en effet à détourner les Français des tentations extrêmes.
D’abord, la Grande Guerre a imposé l’ « Union sacrée », ce qui a mis un terme quasi définitif aux persécutions antichrétiennes. C’est l’époque où Barrès écrit Les Diverses familles spirituelles de la France. Même les radicaux mettent la pédale douce sur leur anticléricalisme. Il y aura aussi, dès la fin de la guerre, le repoussoir de la Révolution bolchevique. Il déniaisera et « déradicalisera » les radicaux [12].
Des influences de type « 1789 » s’exercent ensuite lors du Bloc national [13], puis sous les gouvernements Poincaré et les autres gouvernements modérés des années 1920 et 1930.
Il y a d’abord les successeurs des ferrystes-grévistes, les « progressistes », réunis maintenant dans la Fédération républicaine. En 1919, leurs rangs se grossissent de nombreux catholiques issus de l’Action libérale populaire de Piou, au sein de l’Entente républicaine démocratique (ERD).
Les autres partisans de « 1789 », ceux qui ont choisi de suivre Waldeck-Rousseau et de participer au Bloc des gauches, se sont organisés dans l’ARD. C’est le parti des grands dirigeants de centre droit – Poincaré, Barthou, Tardieu, Flandin. Le slogan du parti, « ni réaction, ni révolution », marque son anti-collectivisme assumé. L’Alliance s’est même délibérément constituée en réaction à la création du Parti radical-socialiste, parce qu’elle est antisocialiste sur le plan économique et antilaïciste sur le plan idéologique.
Après la Première Guerre mondiale, l’ARD est présidée par Auguste Jonnart. Elle change deux fois de nom, devient le Parti républicain démocrate (PRD) puis le Parti républicain démocrate et social (PRDS). Les anciens sont rejoints par une nouvelle génération (Maginot, Lebrun, Reynaud, Petsche).
Face à eux, il y a le grand Parti radical. Et celui-ci n’est pas hostile à « 1789 ». Il est certes attaché à une certaine extension du secteur public. Mais aussi à la méritocratie républicaine, par définition anti-égalitariste. Il défend donc une politique nullement socialiste, mais social-démocrate, tendant vers l’Etat-providence, vaguement inspirée par le solidarisme de Léon Bourgeois. Cette politique implique une forte fiscalité, mais elle ne remet pas radicalement en cause les principes de la démocratie libérale selon « 1789 ». Elle ne le pourrait d’ailleurs pas, car son électorat est constitué de classes moyennes, et plus précisément de classes moyennes indépendantes, avec une forte composante de self-made men. Comme l’écrit Albert Thibaudet en 1926, les radicaux ont été empêchés par leurs électeurs de mettre en œuvre des programmes trop socialisants. Ceux-ci sont attachés à la propriété privée ; ce à quoi ils sont hostiles, c’est aux « gros ». Ils refusent les « réformes de structure », c’est-à-dire la vague de nationalisations proposées par les socialistes lors du Front populaire. C’est ensuite le radical Daladier qui met brutalement fin aux réformes du Front populaire, chassant les socialistes du gouvernement et prenant avec lui des hommes du centre et même de la droite, Champetier de Ribes [14], Paul Reynaud, Jacques Rueff.
Parmi les républicains, il faut aussi citer les partisans de la démocratie chrétienne. Il y a eu un catholicisme libéral dans la période 1830-1848 (Lamennais, Lacordaire, Montalembert, relayés en 1848 par l’abbé Maret et Ozanam [15]). Frédéric Le Play [16], Albert de Mun et René de La Tour du Pin [17] fondent des cercles catholiques d’ouvriers. Leurs travaux, réalisés dans un esprit conservateur, inspireront la Doctrine sociale de l’Eglise de Léon XIII [18]. Les mêmes se rallient, à la demande du pape, à la République.
En parallèle, d’autres catholiques, comme l’abbé Lemire, ont également adhéré à la République. A partir de 1892-1893, leur mouvement demande la « coopération », la participation des salariés aux bénéfices, la « solidarité ». Ils acceptent les principes de « 1789 », la souveraineté du peuple, les libres élections. Ils inspirent le Sillon de Marc Sangnier.
Après la réintégration dans la République de l’Alsace et de la Moselle, en 1918, toute une génération d’hommes qui ont eu l’expérience d’un parti catholique est le noyau d’une nouvelle formation démocrate-chrétienne. En 1924 naît ainsi le Parti démocrate populaire (PDP), présidé par le Dr Thibout, puis par Auguste Champetier de Ribes. Il est aidé par la condamnation pontificale de l’Action française en 1926. Aux élections de 1928, le nouveau parti aura une vingtaine d’élus (dont l’abbé Desgranges, ou encore Robert Schuman).
Tout au long de la IVe puis de la Ve République, ce mouvement perdurera, sous les avatars successifs du Mouvement républicain populaire (MRP), du Centre des démocrates sociaux (CDS), fondu ensuite dans l’UDF puis l’UMP. Tous ces gens sont d’excellents républicains, qui ne sacralisent pas l’Etat, défendent la famille, les libertés religieuses, les écoles libres, les autonomies locales et régionales, les associations. Ils ne sont pas seulement antitotalitaires, ils sont aussi antijacobins.
Par ailleurs, l’historiographie de gauche essaie parfois de présenter comme de mauvais républicains, voire comme des antirépublicains décidés, des hommes politiques des années 1930 qui ont proposé de réformer la République parlementaire. Voyons ce qu’il en est réellement.
Alexandre Millerand avait tenté de rompre avec la tradition du 16 Mai, selon laquelle le Président ne doit exercer aucun des rôles politiques que lui reconnaissent formellement les lois constitutionnelles, et surtout pas dissoudre la Chambre.
Gaston Doumergue avait proposé d’étendre le droit de dissolution et de limiter l’initiative parlementaire en matière de dépenses.
André Tardieu, dans L’Heure de la décision, lance en 1934 un cri d’alarme, immédiatement suivi de La Réforme de l’Etat. Puis il jette carrément l’éponge et abandonne la vie politique. L’esprit général des réformes proposées par Tardieu est libéral. Il s’agit de limiter les pouvoirs de l’Etat et la ponction économique que la fonction publique opère sur la société civile. Quand une nouvelle majorité arrive au pouvoir, les spoliations pèsent sur d’autres catégories sociales, sans remise en cause des spoliations antérieures. Plus encore, comme l’écrit Tardieu, « Il faut choisir en fonction du but que l’on désire atteindre. Ce but, Herbert Spencer l’avait prophétiquement discerné, il y a bien des années, quand il écrivait : « la fonction du libéralisme dans le passé a été de mettre une limite au pouvoir des rois. La fonction du libéralisme dans l’avenir sera de limiter le pouvoir des parlements » » (La Réforme de l’Etat, p. 109).
Au lendemain de la guerre, le MRP incarne ce courant démocrate chrétien. Il a certes dû faire des concessions aux idées socialistes alors prépondérantes, mais il reste un parti modéré, chrétien, personnaliste, anticommuniste.
Il y a une autre famille de partis politiques directement ou indirectement issus des partis de la droite républicaine d’avant guerre : les indépendants. Le Parti paysan de Paul Antier [19] ; l’Entente républicaine de Joseph Denais [20] ; le Parti républicain de la liberté (PRL) de Joseph Laignel [21] et Michel Clemenceau [22] ; la Fédération républicaine, désormais dirigée par Louis Marin ; le Centre national des Indépendants (CNI) créé en janvier 1949, avec pour fondateurs Roger Duchet [23], Jean Boivin-Champeaux et René Coty ; plus tard le CNIP, le mouvement des républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing et Démocratie libérale d’Alain Madelin incarnent ce courant, globalement libéral. Ce parti critique entre autres l’adjonction, dans le Préambule de la Constitution, aux droits de l’Homme de 1789, des droits économiques et sociaux. La « Troisième force » qu’ils constituent avec la « conjonction des centres » tombera sur la question de la Communauté européenne de défense (CED), refusée en 1954 à la fois par les communistes et les gaullistes.
Antoine Pinay, Joseph Laignel deviennent présidents du Conseil dans les années 1952-1953, et mènent une politique libérale, orléaniste dans l’esprit.
Néanmoins, la conjonction des centres a été tentée plusieurs fois, sans jamais avoir réussi à se pérenniser. Pourquoi la place que les familles républicaines démocrates libérales ont occupé dans la vie politique de notre pays a-t-elle été si instable ?
Face à une gauche qui a depuis 1793 une mystique – un millénarisme – et depuis le début du XXe siècle une doctrine construite, le marxisme, face à une droite traditionnaliste qui a elle aussi une mystique, les démocrates libéraux ont eu des difficultés à proposer un idéal.
Certes, les doctrines démocrates-libérales ont dominé au début de la Révolution, rayonné ensuite jusque tard dans le XIXe siècle. Cependant, il est de fait que la tradition libérale perd ensuite une grande part de son attractivité. La crise de 1929 paraît, aux yeux de nombreux intellectuels, sonner le glas de l’économie libérale [24]. Les intellectuels mêmes qui sont assez intelligents et informés pour comprendre les dangers et les horreurs des régimes totalitaires, ne se rallient pas pour autant avec netteté à l’idéal « 1789 » [25]. Les anticonformistes des années 1930 considèrent que le monde de ces années vit une terrible régression civilisationnelle. Ils renvoient dos à dos le capitalisme et le marxisme, qu’ils considèrent tous deux comme des matérialismes conduisant au règne de la machine et à la déshumanisation de la société. Ils entendent donc promouvoir une société où la personne humaine et les valeurs spirituelles seront remises au premier plan. Or il est évident, à leurs yeux, que la République démocrate libérale est incapable de produire une telle société. Ils refusent, certes, le révolutionnarisme de l’extrême gauche comme celui de l’extrême droite ; mais ils ne reconnaissent de valeur ni spirituelle ni morale à la République modérée qui a fait accomplir au pays tant de progrès scientifiques, économiques et sociaux.
Sous l’effet des traitements de choc que constituent la Deuxième Guerre mondiale puis la Guerre froide, l’Europe se réveille bientôt de la fascination pour les régimes antilibéraux. Toute une génération reprend alors la réflexion sur le modus operandi de l’économie de marché, sur le rôle essentiel que jouent la propriété privée et la liberté des contrats pour permettre une coopération sociale pacifique et efficiente, sur le caractère essentiel à cet égard du droit formel, sur le bien-fondé de la démocratie politique pluraliste, et enfin sur le rôle des libertés intellectuelles. Parmi beaucoup d’autres, il faut citer Michael Polanyi, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Karl Popper, Walter Eucken, Karl Boehm, Hannah Arendt, Piero Gobetti, Luigi Einaudi, Bruno Leoni, Luigi Sturzo, Alexandre Zinoviev, Ayn Rand… On reconnaît enfin que les sociétés modernes complexes ne peuvent être gérées que dans le cadre d’ordres sociaux polycentriques, c’est-à-dire démocrates libéraux. Ces auteurs ont repris à la gauche la magistrature morale. Ce qui ne rend que plus étranges, par contraste, les difficultés que rencontre cette philosophie politique pour se faire entendre en France.
Conclusion : l’Eglise de la Gauche
mardi 14 juillet 2009 - Copeau
Nous pouvons observer un quasi monopole des tenants de « 1793 » dans les réseaux de la communication sociale. Les entreprises de médias peuvent bien appartenir à des capitalistes, cela ne veut pas dire que ceux-ci aient le moindre contrôle sur l’idéologie qu’ils diffusent. Surtout, ce ne sont pas les médias qui peuvent créer en profondeur une culture. La culture d’un pays est forgée par d’autres institutions, les grandes institutions pérennes et qui forment les esprits depuis la jeunesse.
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« 1793 », nous l’avons vu, est un millénarisme. Cette religion de substitution, Nemo l’appelle la « Gauche » avec une majuscule, en prenant le mot non au sens parlementaire ou partisan, mais précisément en son sens spirituel – une mystique qui ne se discute pas. Pour son malheur, la France a donné à la religion de la Gauche l’Eglise dont elle avait besoin : c’est l’Education nationale.
Les intellectuels de Gauche ne sont pas des isolés et sont bien rarement des penseurs originaux. Ce sont plutôt les estafettes d’une armée permanente, constituée des enseignants fonctionnaires, auxquels il faut ajouter nombre d’employés des organismes publics de la culture. A contrario, privée d’un accès normal à l’école et à l’Université, la famille idéologique libérale n’a plus jamais eu d’assise institutionnelle lui permettant de vivre et de rayonner. Cela s’est déroulé le long d’une suite de décisions malencontreuses qui se sont enchaînées en cascade selon une path dependance fatale. Aujourd’hui, la République a renoncé purement et simplement à toute idée de gouverner l’Education nationale. Bien que nominalement public et fonctionnant avec l’argent des citoyens-contribuables, c’est une entreprise privée qui s’autogère, gouvernée par les seuls chefs de l’Eglise de la Gauche, francs-maçons et syndicalistes. Simultanément, l’Etat rend à la nouvelle Eglise le signalé service d’empêcher la société civile de faire naître et vivre des écoles concurrentes. Or il est un fait que le pluralisme scolaire existe sous une forme ou une autre dans toutes les démocraties autres que la France jacobine.
L’appareil social massif fonctionne à maints égards dans la société française comme l’Eglise fonctionnait dans les sociétés européennes traditionnelles [1]. La vie de 1 250 000 personnes et de leur famille dépend de l’institution. Les syndicats ont le pouvoir de tuer dans l’œuf toute politique qui serait voulue par les représentants de la souveraineté nationale, mais qui ne leur agréerait pas. Cette Eglise se recrute elle-même ; non seulement elle forme ses professeurs, mais elle contrôle aussi, depuis les accords Lang-Cloupet, la formation des professeurs du privé. Elle bénéficie des statuts créés en 1946 par Maurice Thorez, ainsi que des franchises universitaires, qui rendent tout professeur titulaire inamovible.
Dès lors qu’elle est une institution monopolistique, elle dispose d’un pouvoir d’uniformisation plus grand que celui qu’a jamais possédé l’Eglise de Rome qui n’était pas l’employeur de tous ses clercs. Cette institution est aussi marquée par son monocolorisme. Presque toute trace des anciennes sagesses, des autres philosophies politiques, des autres manières de voir le monde, ont été progressivement éliminées. D’autres visions sont systématiquement écartées, refoulées, tenues soigneusement en marge, contraintes de se réfugier dans l’underground, de communiquer par les samizdats (quelques rares journaux, des réseaux associatifs, et – ce qui est d’ailleurs le grand avenir – internet). Nous vivons une véritable situation d’oppression.
Ce système monopolistique n’existe dans aucun autre pays démocratique. Il tient en tutelle les pouvoirs séculiers. Il contrôle l’Etat sub rationae peccati, c’est-à-dire en se faisant juge de l’orthodoxie ou de la déviance des hommes politiques. Certes, il existe en France des hommes politiques de droite et du centre. Mais ils n’ont le droit d’exister dans le débat public que s’ils restent spirituellement de Gauche.
L’Eglise de la Gauche s’est arrogé le droit de délier les citoyens français du devoir d’obéir à la loi. Elle s’est même donné le droit de dispenser les citoyens français de tout devoir d’obéir à des décisions du gouvernement ou à des lois du Parlement qu’elle juge impies, et d’absoudre n’importe quel citoyen qui, pour lutter contre ces décisions et ces lois, use de moyens violents. C’est l’explication de fond que nous recherchions de la prévalence des mentalités « 1793 » dans notre pays.
Tout vœu du peuple qui ne correspond pas aux canons moraux de l’Eglise est repoussé comme « populiste ». On ne veut pas envisager l’idée que les membres du gouvernement ou le président de la République soient des hommes mauvais ; ils n’oseront donc pas s’élever contre le Bien. C’est exactement le type d’influence cléricale que dénonçaient les anticléricaux rationnels du XIXe siècle. C’est, au sens propre du terme, du cléricalisme.
Le ministre de l’Education nationale, en particulier, ne doit rien toucher à l’institution dont il reçoit pour quelques mois la direction nominale. Les gouvernements de la République font comme l’empereur germanique Henri IV ; ils vont tous les jours à Canossa et baisent la mule des francs-macs.
L’Eglise millénariste a décrété que l’école avait pour fonction non d’éduquer et d’instruire, mais de « réduire les inégalités ». Outre qu’elle a contribué à aggraver en réalité les inégalités sociales, elle n’a cessé de faire reculer la qualité des études [2].
Nous sommes, nous, dans la situation où était l’Empire ottoman à la fin du XIXe siècle, paralysé intellectuellement et socialement par ses oulémas, en passe d’être submergé par des civilisations supérieures.
Beaucoup de Français croient en toute bonne foi que ce qu’ils ont reçu de « 1789 », ils le doivent à « 1793 ». C’est donc manifestement l’éducation qu’ils ont reçue qui fait problème. Nous devons faire œuvre d’anticléricalisme rationnel, et songer à mettre d’urgence en chantier une loi de séparation de l’Eglise de la Gauche et de l’Etat.