Je pourrai bien entendu revenir plus en détails sur les évènements antérieurs si vous le souhaitez, mais je pensais attaquer directement par les Thermopyles. Disons que l'Asie Mineure grecque (et galate) a déj� cédé, et qu'au prix d'une logistique fascinante (un pont sur le détroit du Bosphore fait de centaines de bateaux) les perses de Xerxès sont déj� en Europe. Nous sommes en 480 avant J.C. Le conflit dure depuis près de 30 ans. Les perses ont en effet soumis l'Hellespont et la Thrace (actuelle Bulgarie) depuis 510 av. J.C. Ils ont en revanche echoué � dompter les fameux scythes, qui ont pratiqué devant eux la politique de la terre brulée dans l'actuelle Ukraine, plus de 2 millénaires avant les invasions napoléonnienne et hitlérienne ! 2 expéditions contre la Grèce ont déj� échoué, celle du général Mardonios en -492. Mais en -490 ils ont pris Naxos avant d'échouer devant les athéniens et les platéens � Marathon, où l'infanterie lourde grecque, menée par le stratège Miltiade a fait des merveilles.

Cette fois ci les perses ont mieux préparé leur coup. Ils ont recruté � tour de bras déj� et dans tout l'empire. La marine est phénicienne, syrienne, egyptienne mais aussi... grecque. Les troupes sont perses, mèdes, saces, thraces, lybiennes, chalcidiennes, bactriennes, caspiennes, indiennes, assyriennes, ariennes, ethiopiennes (établies alors dans le Golfe persique), paphlagoniennes, phrygiennes, ciliciennes, lyciennes, chypriotes, lydiennes, colchydiennes,mares, mosques et j'en passe... "les 1000 nations" de l'empire s'apprêtent � se déverser sur l'Europe. Parmi ces hordes guerrières une troupe d'élite, les Immortels que nous décrit ainsi Hérodote :

Ce corps d'élite des perses, les Dix Mille, était sous les ordres d'Hydarnès, fils d'Hydarnès. On les appelait les immortels pour la raison suivante : si l’un des hommes venait � manquer, frappé par la mort ou la maladie, on lui choisissait immédiatement un remplaçant, et ils n’étaient jamais plus et jamais moins de dix mille. L’équipement des perses était, de tous, le plus somptueux et ils étaient eux-mêmes les meilleurs combattants. Ils portaient les armes et les costumes déj� décrits, mais surtout ils se distinguaient par l’or qui les parait abondamment. Ils emmenaient avec eux, dans des chariots, leurs concubines et des serviteurs nombreux avec tous les bagages nécessaires. Ils avaient un ravitaillement spécial, porté par des chameaux et des bêtes de somme

Xerxès a préparé son expédition depuis 3 ans. Il a sécurisé ses bases arrières en réprimant durement des révoltes � Babylone et en Egypte. Son or et ses menaces ont fait basculer dans son camps nombre de grecs, et pas seulement ceux d'Asie Mineure. La plupart des béotiens, dont les puissants Thébains se sont joints � lui. Surtout, il a fait preuve de brio diplomatique puisqu' il a su s'allier aux carthaginois. Ceux-ci lanceront une offensive simultanée sur les puissantes cités grecques de Sicile (notamment Syracuse) de manière � ce que ces dernières ne puissent envoyer de renforts sur le continent. Qui a dit que les perses étaient des amateurs ?

Prenant la mesure du danger, Athènes et Sparte ont noué une alliance. Une conscience grecque émerge devant le péril collectif au congrès de Corynthe. 31 cités au total se joignent � cette alliance défensive. Dans l'affaire, les spartiates assument un certain leadership, puisqu'au final 2 d'entre eux se voient confier le commandement des troupes maritimes et terrestres, Euribiade et le roi Leonidas (bien que l'athénien Themistocle commande directement la flotte de sa cité, qui fournit le plus gros contingent de bateaux).

Voil� l'occasion de faire plus ample connaissance avec Léonidas et les 300:

Comme il avait 2 frères plus âgés que lui, Cléomène et Dorieus, il était bien loin de penser au trône; mais Clémoène mourut sans laisser d'enfant mâle; et Dorieus avait déj� disparu, frappé lui aussi par la mort, en Sicile : le trône échut donc � Léonidas parce qu'il était né avant Cléombrotos (le plus jeune fils d'Anaxandride), mais aussi parce qu'il avait épousé la fille de Cléomène. C'est lui qui va alors aux Thermopyles, avec les 300 hommes qui lui étaient assigné, et qui avaient des fils. Il avait avec lui des Thébains (...) sous les ordres de Léontiadès, fils d'Eurymaque. La raison qui le fit insister pour avoir des thébains avec lui, entre tous les grecs, c'est qu'on accusait nettement leur citer de pencher du côté des mèdes; et Léonidas leur demanda de partir en guerre avec lui pour savoir s'ils lui enverraient des hommes ou s'ils se détacheraient ouvertement du bloc héllénique. Ils lui envoyèrent bien des renforts, mais leurs intentions étaient tout autres.

On a bien compris que les 300 étaient une troupe d'élite, la garde personnelle du roi, et qu'en outre leur descendance était assurée. Reste � savoir pourquoi si peu d'hommes sont dépéchés en première ligne.

Léonidas et ses hommes formaient un premier contingent expédié par Sparte pour décider les autres alliés � marcher eux aussi en les voyant et pour les empêcher de passer du côté des mèdes � la nouvelle que Sparte temporisait; les spartiates comptaient plus tard (car la fête des Carnéia les arrêtait pour l'instant) laisser, les cérémonies terminés, une garnison dans Sparte et courir aux Thermopyles avec toutes leurs forces. les autres alliés faisaient de leur côté les mêmes projets, car les fêtes d'Olympie tombaient � ce moment l� ; comme ils pensaient que rien ne se déciderait l� bas de sitôt, ils avaient envoyé de simples avant-gardes aux Thermopyles.

Autre question : comment les grecs ont-ils atterri aux Thermopyles ? Disons qu'au printemps, la Thessalie et la Macédoine sont tombées dans les mains perses, et leurs habitants, au pied du mur n'ont guère eu d'autre choix que de se ranger au côté des envahisseurs. Ce qui ne les a pas empêché pour autant de fournir aux grecs toutes les informations stratégiques nécessaires :

Un avis prévalut : garder le défilé des Thermopyles, plus étroit, de toute évidence, que celui qui mène en Thessalie et, de plus, unique et plus proche de chez eux. L'étroit sentier qui causa la perte des grecs, ceux qui furent perdus aux Thermopyles, ils en ignoraient totalement l'existence avant d'être sur place, où les Trachiniens le leur indiquèrent. Donc on prit la décision de garder le défilé pour fermer au Barbare la route de la Grèce, et la flotte se rendrait au cap Artémision...

La configuration des lieux présente en effet un intérêt certain, au point, par l'étroitesse du champ de bataille de rétablir un peu le rapport de force :

...près d'Alpènes, après les Thermopyles, le passage est juste assez large pour un chariot; avant les Thermopyles, près d'un cours d'eau, le Phénix, voisin de la ville d'Anthéla, il y a un passage de la même largeur. A l'ouest des Thermopyles, la montagne s'élève abrupte, inaccessible, très haute ; c'est un contrefort de l'Oeta. A l'est de la route il y a la mer et les marécages. on trouve dans le défilé des bassins d'eau chaude qu'on appelle les marmites dans le pays et près d'eux un autel d'Héraclès. un mur avait été bati pour fermer le passage et il avait autrefois des portes; les phocidiens l'avaient élevé par peur des Thessaliens (...) ils ramenèrent � l'époque les eaux chaudes sur la route pour raviner le sol et la rendre impraticable. Ce vieux mur datait d'une époque lointaine et les ans l'avaient en grande partie ruiné : les grecs décidèrent de le relever pour fermer la Grèce au Barbare

Voil� donc le décor posé, et les forces en place. La tragédie peut maintenant se nouer.


300, les Thermopyles, Hérodote : partie 2/2 - un beau jour pour mourir

Le décor a déj� été planté et les protagonistes sont entrés en scène. Dans un mince défilé au bord de la mer, le reste du monde va se frotter � la crème des hellènes. Et y laisser quelques plumes au passage. Retour vers le passé.

La piétaille perse progresse vers le sud dans la plaine trachinienne L’amiral grec Eurybiade voit de son côté avancer vers lui la marine perse bien supérieure en nombre. N’écoutant que son courage, il se replit, prenant le risque d’un débarquement perse derrière les troupes occupant le défilé des Thermopyles. Mais parfois la lâcheté paie… Une tempête se lève alors au large de l’Artémision pour 3 jours de fin du monde avec le concours de Borée.

« Cependant, l’armée navale, en mer, continuait sa route, et lorsqu’elle arriva sur la côte de la Magnésie, entre le cap Sépias et Casthanée, les navires de la première ligne s’amarrèrent au rivage et les autres restèrent � l’ancre � côté d’eux ; comme la plage n’était pas très étendue, ils mouillèrent sur 8 rangs, tournés vers la haute mer. Mais � l’aube, après une nuit calme et sereine, la mer se mit � bouillonner, une terrible tempête se déchaîna , avec de violentes rafales du vent d’est, celui qu’on appelle dans le pays l’Hellespontien. (…) tous les navires qu’elle surprit sur la mer furent jetés les uns contre les rochers du Pélion, qu’on appelle « les Fours », les autres sur la plage ; certains allèrent s’échouer sur les flancs du même cap Sépias, et les vagues en jetèrent d’autres � la côte, aux villes de Mélibée et de Casthanée. Rien ne put résister � la fureur de l’Ouragan. »

Un peu plus loin dans le texte, on peut mesurer le caractère « fondateur » de cette bataille. Un relent d’âge d’or flotte sur cette tempête de l’Artémision où les Dieux ont également leur mot � dire. Cette bataille, certes bien réelle, revêt un caractère ontologique avec cette confrontation d’une surhumanité composée de 300 spartiates dont on connaît presque chaque prénom, face � une monstrueuse marée d’envahisseurs serviles. On l’a vu dans la première partie, les Spartiates sont les descendants d’Héraclès. Leurs alliés Athéniens ont également quelques arguments � faire valoir.

« Les Athéniens, dit-on, sur la foi d’un oracle avaient invoqué le vent Borée, car un oracle supplémentaire leur avait conseillé d’invoquer la protection de leur gendre. Or, d’après les grecs, Borée a pour femme une Athénienne, Orythie, fille d’Erechthée. (…) Sur les bateaux, qui guettaient l’ennemi � Chalcis en Eubée, dès qu’ils sentirent la tempête approcher ou même avant, ils sacrifièrent � Borée et Orythie et les conjurèrent de perdre les nefs des barbares, comme l’autre fois au Mont Athos.».

Mauvais augure pour les perses. 400 navires coulés et avec eux les vivres, les équipages et les troupes embarquées. C’est assez pour faire perdre l’avantage numérique écrasant qu’avaient les perses sur les mers. Désormais ils ne pourront plus scinder leurs escadres, de peur de tomber sur grecs plus nombreux. Les marins grecs d’ailleurs s’enhardissent font demi-tour et coulent une trentaine de navires appartenant aux renégats ioniens. Une nouvelle tempête se lève, expédiant par le fond une seconde escadre perse qui devait réopérer le contournement. Autant de navires qui manqueront considérablement � Salamine un an plus tard. Cette fois-ci c’est � Poséidon Sauveur que les grecs rendent grâce.

Comme dirait Shurik’N, � l’intérieur les choses étaient moins roses… Xerxès a bien noté la colère des Dieux grecs, et évite soigneusement de les indisposer en traversant une forêt sacrée. Il campe sur le territoire de la ville de Trachis et les grecs dans le défilé appelé « Les portes des eaux chaudes ». En fait les grecs sont légèrement plus que 300, car du moins au départ ils frôlaient les 7000 :

« Il y avait 300 hoplites de Sparte, 1000 de Tégée et de Mantinée (500 de chacune des 2 villes), 120 d’Orchomène en Arcadie et 1000 du reste de la région : c’est tout pour l’Arcadie. Corinthe avait envoyé 400 hommes, Phlionte 200 et Mycènes 80. Voil� les forces qui venaient du Péloponnèse. De Béotie venaient 700 Thespiens et 400 Thébains. Appelés � la rescousse, les Locriens d’Oponte avaient envoyé toutes leurs forces et les Phocidiens 1000 hommes. »

(Hoplites spartiates dans le jeu video Rome total war)

La première reconnaissance perse est trompeuse, l’éclaireur n’aperçoit que quelques spartiates « occupés les uns � faire de la gymnastique, les autres � peigner leur chevelure ». Il retourne tranquillement vers Xerxès pour qui cette attitude semble risible. Son conseiller grec, Démarate, le met pourtant en garde :


« Ces hommes sont ici pour nous barrer le passage, ils se préparent � le faire, car ils ont cette coutume : c’est lorsqu’ils vont risquer leur vie qu’ils ornent leur tête. Au reste, sache-le bien : si tu l’emportes sur ces hommes et ce qu’il en reste dans Sparte, il n’est pas d’autre peuple au monde, seigneur, qui puisse s’opposer � toi par les armes ; aujourd’hui tu marches contre le royaume le plus fier, contre les hommes les plus vaillants qu’il y ait en Grèce. »

Xerxès gage toutefois que l’ennemi s’enfuira � la vue de son approche, et campe 4 jours sous le nez des grecs. Exaspéré, au cinquième jour, il lance contre eux une première vague composée de Mèdes et de Cissiens (habitants de la région de Suse) puis une seconde, avec cette fois-ci ces Immortels. 2 cruelles désillusions en une journée.

« ''Les Mèdes se jetèrent sur les Grecs ; beaucoup tombèrent, d'autres prenaient leur place et, si maltraités qu'ils fussent, ils ne rompaient pas le contact ; mais ils ne pouvaient déloger l'adversaire malgré leurs efforts. Et ils firent bien voir � tout le monde, � commencer par le roi, qu'il y avait l� une foule d'individus, mais bien peu d'hommes. La rencontre dura toute la journée. Les Mèdes, fort malmenés, se retirèrent alors et les Perses les remplacèrent, ceux que le roi nommait les Immortels, avec Hydarnès � leur tête ; ceux-l� pensaient vaincre sans peine, mais, lorsqu'ils furent � leur tour aux prises avec les Grecs, ils ne furent pas plus heureux que les soldats mèdes, car ils combattaient dans un endroit resserré, avec des lances plus courtes que celles des Grecs et sans pouvoir profiter de leur supériorité numérique. Les Lacédémoniens firent preuve d'une valeur mémorable et montrèrent leur science achevée de la guerre, devant des hommes qui n'en avaient aucune ; en particulier ils tournaient le dos � l'ennemi en ébauchant un mouvement de fuite, sans se débander, et, lorsque les Barbares qui les voyaient fuir se jetaient � leur poursuite en désordre avec des cris de triomphe, au moment d'être rejoints ils faisaient volte-face et revenaient sur leurs pas en abattant une foule de Perses ; des Spartiates tombaient aussi, mais en petit nombre. Enfin, comme ils n'arrivaient pas � forcer le passage malgré leurs attaques, en masse ou autrement, les Perses se replièrent. Tandis que la bataille se déroulait, Xerxès, dit-on, regardait la scène et trois fois il bondit de son siège, craignant pour son armée. Voil� comment ils luttèrent ce jour-l� ''. »

Immortel perse suivi d'un guerrier Mède

Configuration des lieux, supériorité de l’armement, brio tactique : le nombre ne pût rien pour les perses ce jour l� qui se heurtèrent � un véritable mur de fer et furent transpercés de part en part. Le premier jour fût donc un complet désastre pour le grand roi. Le second jour n’allait guère lui apporter plus de satisfaction.

« Le lendemain, les Barbares ne furent pas plus heureux ; comme leurs adversaires n'étaient pas nombreux, ils les supposaient accablés par leurs blessures, incapables de leur résister encore, et ils reprirent la lutte ; mais les Grecs, rangés en bataillons et par cités, venaient � tour de rôle au combat, sauf les Phocidiens chargés de surveiller le sentier dans la montagne. Les Perses constatèrent que la situation ne leur offrait rien de nouveau par rapport � la veille, et ils se replièrent. »

La situation est donc bloquée. Et c’est par la traîtrise qu’elle trouvera une issue. Hérodote pense avoir identifié le traître mais admet que plusieurs hypothèses circulent :

« ''Xerxès se demandait comment sortir de cet embarras lorsqu'un Malien, Éphialte fils d'Eurydèmos, vint le trouver dans l'espoir d'une forte récompense : il lui indiqua le sentier qui par la montagne rejoint les Thermopyles, et causa la mort des Grecs qui demeurèrent � leur poste. Par la suite Ephialte craignit la vengeance des Lacédémoniens et s'enfuit en Thessalie ; mais, bien qu'il se fût exilé, lorsque les Amphictyons se réunirent aux Thermopyles, les Pylagores mirent sa tête � prix ; plus tard il revint � Anticyre où il trouva la mort de la main d'un Trachinien, Athénadès ; cet Athénadès le tua d'ailleurs pour une tout autre, mais il n'en fut pas moins récompensé par les Lacédémoniens. Telle fut, plus tard, la fin d'Éphialte. Cependant une autre tradition veut qu'Onétès de Carystos, fils de Phanagoras, et Corydallos d'Anticyre aient renseigné le roi et permis aux Perses de tourner la montagne, — tradition sans valeur � mon avis : une première raison, c'est que les Pylagores n'ont pas mis � prix les têtes d'Onétès et de Corydallos, mais celle d'Éphialte de Trachis, et ils devaient être bien informés ; ensuite nous savons qu'Éphialte a pris la fuite � cause de cette accusation car, sans être Malien, Onétès pouvait bien connaître l'existence du sentier s'il avait circulé dans le pays, mais l'homme qui a guidé les Perses par la sente en question, c'est Ephialte, c'est lui que j'accuse de ce crime. (…)Le sentier se présente ainsi : il part de l'Asopos qui coule dans cette gorge ; la montagne et le sentier portent tous les deux le nom d'Anopée. La sente Anopée franchit la crête de la montagne pour aboutir � la ville d'Alpènes, première ville de Locride du côté des Maliens, en passant par la roche qu'on appelle Mélampyge — Fesse Noire — et la demeure des Cercopes, sa partie la plus étroite''. »

A partir de ce moment, les spartiates et leurs alliés sont condamnés. Les Immortels se lancent rapidement sur le sentier et bousculent les hoplites phocidiens qui le gardaient, et qui n’opposent guère de résistance et s’enfuient. Le défilé des Thermopyles se transforme alors en piège pour les spartiates. Cependant ces derniers, avertis de l’arrivée de l’ennemi dans leur dos, ont encore la possibilité de s’enfuir, mais c’est bien mal les connaître.

« ''Les Grecs qui défendaient les Thermopyles apprirent du devin Mégistias, d'abord, que la mort leur viendrait avec le jour : il l'avait vu dans les entrailles des victimes. Ensuite il y eut des transfuges qui leur annoncèrent que les Perses tournaient leurs positions ; ceux-ci les alertèrent dans le courant de la nuit. Le troisième avertissement leur vint des sentinelles qui, des hauteurs, accoururent les prévenir aux premières lueurs du jour. Alors les Grecs tinrent conseil et leurs avis différèrent, car les uns refusaient tout abandon de poste, et les autres étaient de l'avis opposé. Ils se séparèrent donc, et les uns se retirèrent et s'en retournèrent dans leur pays, les autres, avec Léonidas, se déclarèrent prêts � rester sur place. On dit encore que Léonidas, de lui-même, les renvoya parce qu'il tenait � sauver leurs vies ; pour lui et pour les Spartiates qui l'accompagnaient, l'honneur ne leur permettait pas d'abandonner le poste qu'ils étaient justement venus garder. Voici d'ailleurs l'opinion que j'adopte de préférence, et pleinement quand Léonidas vit ses alliés si peu enthousiastes, si Peu disposés � rester jusqu'au bout avec lui, il les fit partir, je pense, mais jugea déshonorant pour lui de quitter son poste ; � demeurer sur place, il laissait une gloire immense après lui, et la fortune de Sparte n'en était pas diminuée. En effet les Spartiates avaient consulté l'oracle sur cette guerre au moment même où elle commençait, et la Pythie leur avait déclaré que Lacédémone devait tomber sous les coups des Barbares, ou que son roi devait périr. Voici la réponse qu'elle leur fit, en vers hexamètres'' : « ''Pour vous, citoyens de la vaste Sparte, Votre grande cité glorieuse ou bien sous les coups des Perséides Tombe, ou bien elle demeure ; mais sur la race d'Héraclès, Sur un roi défunt alors pleurera la terre de Lacédémone Son ennemi, la force des taureaux ne l'arrêtera pas ni celle des lions, Quand il viendra : sa force est celle de Zeus. Non, je te le dis, Il ne s'arrêtera pas avant d'avoir reçu sa proie, ou l'une ou l'autre. » Léonidas pensait sans doute � cet oracle, il voulait la gloire pour les Spartiates seuls, et il renvoya ses alliés; voil� ce qui dut se passer, plutôt qu'une désertion de contingents rebelles, en désaccord avec leur chef.'' »

Le devin lui-même décida de combattre et mourir sur place, après avoir renvoyé son fils… O tempora o mores. C’était un beau jour pour mourir il faut croire. Ils moururent donc, tous jusqu’au dernier, non sans entraîner en enfer un nombre conséquent d’adversaires dont certains prestigieux. Voici la geste de leur dernière bataille.

« ''Les alliés renvoyés par Léonidas se retirèrent donc, sur son ordre, et seuls les Thespiens et les Thébains restèrent aux côtés des Lacédémoniens. Les Thébains restaient par force et contre leur gré, car Léonidas les gardait en guise d'otages ; mais les Thespiens demeurèrent librement et de leur plein gré : ils se refusaient, dirent-ils, � laisser derrière eux Léonidas et ses compagnons ; ils restèrent donc et partagèrent leur sort. Ils avaient � leur tête Démophilos fils de Diadromès. Au lever du soleil Xerxès fit des libations, puis il attendit, pour attaquer, l'heure où le marché bat son plein, — ceci sur les indications d'Éphialte, car pour descendre de la montagne il faut moins de temps et il y a moins de chemin que pour la contourner et monter jusqu'� son sommet. Donc, Xerxès et les Barbares attaquèrent, et les Grecs avec Léonidas, en route pour la mort, s'avancèrent, bien plus qu'� la première rencontre, en terrain découvert. Ils avaient d'abord gardé le mur qui leur servait de rempart et, les jours précédents, ils combattaient retranchés dans le défilé ; mais ce jour-l� ils engagèrent la mêlée hors du passage et les Barbares tombèrent en foule, car en arrière des lignes leurs chefs, armés de fouets, les poussaient en avant � force de coups. Beaucoup d'entre eux furent précipités � la mer et se noyèrent, d'autres plus nombreux encore, vivants, se piétinèrent et s'écrasèrent mutuellement et nul ne se souciait de qui tombait. Les Grecs qui savaient leur mort toute proche, par les Perses qui tournaient la montagne, firent appel � toute leur valeur contre les Barbares et prodiguèrent leur vie, avec fureur. Leurs lances furent bientôt brisées presque toutes, mais avec leurs glaives ils continuèrent � massacrer les Perses. Léonidas tomba en héros dans cette action, et d'autres Spartiates illustres avec lui parce qu'ils furent des hommes de coeur, j'ai voulu savoir leurs noms, et j'ai voulu connaître aussi ceux des Trois Cents. Les Perses en cette journée perdirent aussi bien des hommes illustres, et parmi eux deux fils de Darius, Abrocomès et Hypéranthès, nés de la fille d'Artanès, Phratagune (Artanès était frère du roi Darius et fils d'Hystaspe, fils d'Arsamès ; il avait donné sa fille � Darius avec, en dot, tous ses biens, car il n'avait pas d'autre enfant). Donc deux frères de Xerxès tombèrent dans la bataille, et Perses et Lacédémoniens se disputèrent farouchement le corps de Léonidas, mais enfin les Grecs, � force de vaillance, le ramenèrent dans leurs rangs et repoussèrent quatre fois leurs adversaires. La mêlée se prolongea jusqu'au moment où survinrent les Perses avec Éphialte. Lorsque les Grecs surent qu'ils étaient l� , dès cet instant le combat changea de face ils se replièrent sur la partie la plus étroite du défilé, passèrent de l'autre côté du mur et se postèrent tous ensemble, sauf les Thébains, sur la butte qui est l� (cette butte se trouve dans le défilé, � l'endroit où l'on voit maintenant le lion de marbre élevé � la mémoire de Léonidas. L� , tandis qu'ils luttaient encore, avec leurs coutelas s'il leur en restait un, avec leurs mains nues, avec leurs dents, les Barbares les accablèrent de leurs traits : les uns, qui les avaient suivis en renversant le mur qui les protégeait, les attaquaient de front, les autres les avaient tournés et les cernaient de toutes part''. »

Il n’est pas que Léonidas qui soient entrés dans la légende ce jour-l� . Certains mots résonnent encore, au point d’être toujours aujourd’hui la devise des régiments grecs.

« ''Si les Lacédémoniens et les Thespiens ont montré un pareil courage, l'homme brave entre tous fut, dit-on, le Spartiate Diénécès dont on rapporte ce mot qu'il prononça juste avant la bataille : il entendait un homme de Trachis affirmer que, lorsque les Barbares décochaient leurs flèches, la masse de leurs traits cachait le soleil, tant ils étaient nombreux ; nullement ému le Spartiate répliqua, sans attacher d'importance au nombre immense des Perses, que cet homme leur apportait une nouvelle excellente : si les Mèdes cachaient le ciel, ils combattraient donc � l'ombre au lieu d'être en plein soleil. Cette réplique et d'autres mots de la même veine perpétuent, dit-on, le souvenir du Spartiate Diénécès. Après lui les plus braves furent, dit-on, deux frères, des Lacédémoniens, Alphéos et Macon, les fils d'Orsiphantos. Le Thespien qui s'illustra tout particulièrement s'appelait Dithyrarnbos fils d'Harmatidès. Les morts furent ensevelis � l'endroit même où ils avaient péri, avec les soldats tombés avant le départ des alliés renvoyés par Léonidas ; sur leur tombe une inscription porte ces mots : « Ici, contre trois millions d'hommes ont lutté jadis Quatre mille hommes venus du Péloponnèse. » Cette inscription célèbre tous les morts, mais les Spartiates ont une épitaphe spéciale : « Étranger, va dire � Sparte qu'ici Nous gisons, dociles � ses ordres. » Voil� l'épitaphe des Lacédémoniens, et voici celle du devin Mégistias : « Ici repose l'illustre Mégistias, que les Mèdes Ont tué lorsqu'ils franchirent le Sperchios ; Devin, il savait bien que la Mort était l� , Mais il n'accepta pas de quitter le chef de Sparte''. »

A vrai dire, seuls les Thébains, les « malgré eux » de l’histoire furent épargnés par Xerxès. Ce dernier n’eut pas un triomphe très digne puisqu’il fît décapiter Léonidas et placer sa tête sur une lance. Voici l’histoire des Thermopyles, mais la guerre allait encore durer plusieurs années et connaître des épisodes glorieux ou funestes. Athènes fût évacuée, � l’exception de quelques centaines d’irréductibles qui voulurent défendre le Parthénon, et dévastée par les perses. Puis ce fût le roll-back avec la victoire maritime de Salamine, et celle terrestre de Platées, où la plus grande armée hellène de tous les temps (110 00 hommes) écrasa définitivement la piétaille eurasiatique pourtant 3 fois plus nombreuse. Athènes s’accapara le prestige des victoires helléniques, et devint la première démocratie impériale de l’histoire, ce qui fît grandir le ressentiment des autres cités. 30 ans après Platées éclata la guerre du Pelloponèse, si bien racontée par Thucydide, ou Sparte vainquit après moultes péripéties. Quelques décennies plus tard ce furent les Thébains puis les Macédoniens qui la mirent � leur tour au pas, Macédoniens qui d’ailleurs avaient un compte � régler avec les perses. Mais ceci est une autre histoire…

Source : Hérodote - edition Folio classique poche Liens intéressants : - Les Thermopyles vus par Alexandre Dumas - La perse racontée par le géographe antique Strabon - Les Thermopyles dans Wikipedia US - Sparte sur Memo.fr - Grandeur et misère de l'hoplite par V.D.Hanson sur Theatrum Belli - Sur la phalange grecque


On sait que le film « 300 » a suscité par mal de controverses, tournant autour des limites du bon goût, et qu’il a provoqué une grande émotion dans le monde entier. C’est pourquoi bien peu de gens auront prêté attention aux détails des costumes. Peut-être, certains auront-ils été irrités d’avoir vu, sur les boucliers des Spartiates défendant les Thermopyles contre les Perses supérieurs en nombre, un cône sans base, pointu et étroit.

Image Hosted by ImageShack.usIl s’agit d’une forme archaïque de la lettre grecque « lambda », qui équivaut, phonologiquement, à notre « L ». Dans les représentations de l’histoire de Sparte, on a des indices que les hoplites, effectivement, portaient des boucliers décorés de la sorte et où le « lambda » était une abréviation de « Lakedaimon », Lacédémone, le nom de Sparte aux temps classiques. Depuis la deuxième guerre messénienne (640 à 620 av. J. C.), quand les hoplites spartiates avaient pour la première fois marché au combat en formation de phalange, on peignait des « lambda » sur les boucliers à Sparte afin de mieux se reconnaître. Cette explication est en apparence plausible, la phalange constituant une masse compacte et alignée d’hommes lourdement armés. On aurait retrouvé cette pratique ailleurs : les Athéniens peignant une chouette sur leurs boucliers et les Thébains, un sphinx.

Il n’y a toutefois aucune preuve archéologique de cette pratique. Quand on trouve des représentations de la phalange, surtout sur des vases, on a plutôt l’impression que chaque soldat peignait son bouclier de manière individuelle, avec des motivations magiques, afin de tenir l’ennemi à distance et de protéger le porteur de l’arme défensive. Nous devons toutefois constater qu’en règle générale, la symbolique militaire des Grecs de l’antiquité n’était pas fort développée ; ils ne connaissaient par exemple pas l’usage de signaux sur le champ de bataille, au moyen de drapeaux. Cette carence générale rend plausibles les thèses qui estiment qu’il n’y avait aucun équipement uniforme chez les Grecs, où tous les combattants auraient porté un bouclier identique.

Le symbole du « lambda » demeure toutefois relativement inconnu. Pourquoi le « lambda » n’a-t-il jamais été repris comme symbole politique, n’a-t-il jamais joué de rôle dans notre histoire récente, alors que le mythe de Sparte, depuis l’ère des grandes révolutions, n’a cessé de croître ? Des Jacobins aux fascistes, on a tenté maintes fois de ressusciter l’Etat guerrier, d’en imiter sa constitution, en référence à l’égalité qu’il préconisait pour les uns, en référence à son militarisme pour les autres. Mais personne n’a repris le « lambda » à son compte.

Les choses vont changer vers le milieu du vingtième siècle. C’est l’époque où émerge aux Etats-Unis un mouvement homosexuel, qui malgré de nombreux recoupements avec d’autres subcultures plus ou moins marginalisées, a fini par rechercher ses propres signes et formes d’expression symboliques. La plupart des militants homosexuels étaient en faveur de symboles « doux », comme la rose, le drapeau arc-en-ciel, des symboles doublés de masculinité ou de féminité. D’autres voulaient une symbolique soulignant le rôle de victime des homosexuels, comme celle du triangle rose, insigne infâmant des homosexuels dans les camps de concentration. Mais, dans ce vaste mouvement homosexuel, existait également une minorité « martiale » qui voulait reprendre le « lambda » seul ou en combinaison avec d’autres symboles de la « gay pride ».

En 1970, la « New York Gay Activists Alliance » choisit le « lambda » comme emblème. Quatre ans plus tard, l’ « International Gay Rights Congress » d’Edimbourg le reprend. Par la suite, il s’est rapidement répandu dans tous les pays occidentaux. Les interprétations, qui justifient le choix de ce symbole, sont variées. Certains affirment que le « lambda » est celui de Lesbos, l’île de Sapho, où la légende affirme que l’éros homosexuel entre femmes y était pratiqué. D’autres enfin se réclament directement de Sparte, car, à Sparte, on pratiquait le « pédérastie dorique », à laquelle les homosexuels entendaient se référer. La « pédérastie dorique » aurait été pratiquée à Sparte : un guerrier adulte et un guerrier en voie de formation devaient former à deux un « binôme », également sur le plan sexuel. Ils devaient s’épauler au combat et dormaient sous la même tente.

Cette tradition spartiate et dorique contredit l’image que se donnent la plupart des homosexuels d’eux-mêmes. Raison pour laquelle le « lambda » est le symbole le plus contesté du mouvement homosexuel. Nombreux sont ceux qui entendent le « neutraliser » en le réinterprétant : on affirme qu’il est le symbole, en physique, de la « longueur d’onde » et, partant, de l’énergie ; et on prétend aussi que ce « L » grec signifie « libération ». Des voix se sont élevées, parmi les homosexuels, pour bannir le « lambda » des symboles « légitimes ».

Peu importe l’issue de cette guerre des symboles. L’arrière-plan que constitue cette querelle nous permet de regarder avec d’autres yeux ce qui se trouve entre les lignes dans le scénario du film « 300 », au-delà de toutes les polémiques auxquelles nous avons assisté.

Karlheinz WEISSMANN
(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°18/2007).

Source: http://euro-synergies.hautetfort.com et http://vouloir.hautetfort.com