Le pouvoir en quête de proximité
Le bloc-notes d'Ivan Rioufol du 8 février.
L e Parlement a donc désavoué le peuple. Alors que 55 % des électeurs, consultés le 29 mai 2005, avaient dit non à la Constitution européenne, c'est un document presque identique (de l'aveu de Valéry Giscard d'Estaing) qui a été approuvé, hier, par les députés et les sénateurs. Certes, les Français avaient été avertis, puisque Nicolas Sarkozy s'était engagé sur cette procédure. Mais il n'avait pas été dit que le «mini-traité» ressemblerait tant au texte rejeté. Le tour de passe-passe éloigne un peu plus l'Europe de sa légitimité populaire.
La défiance des Français pour leurs représentants, illustrée à l'époque par le refus de suivre les multiples injonctions à voter oui, ne risque pas de disparaître avec ce vote. D'autant qu'il y a de la désinvolture à laisser croire que les électeurs se seraient laissés aller à des irritations hors sujet : ce que soutient Jean-François Copé (UMP) quand il assure que le non était «motivé par des raisons qui n'avaient rien à voir avec la question posée». Il n'y a pas pire sourd…
Ce n'est pas seulement Jacques Chirac qui avait été désavoué. Il avait d'abord été dit non à cette Europe sans frontières ni mémoire, qui repasse par la fenêtre. C'est une institution distante et sans âme qui avait été refusée, même si la peur du libéralisme avait alimenté un autre vote de défiance. Ne pas vouloir admettre cette réponse littérale et réfléchie peut s'apparenter à un «coup de force» (Olivier Besancenot).
La conséquence du vote des parlementaires est d'ailleurs d'offrir des arguments aux plus radicaux, qui exploitent le sentiment de frustration d'une partie de l'opinion. Après avoir dénoncé le capitalisme fou qui a siphonné la Société générale, l'extrême gauche brode à plaisir sur le peuple méprisé. Le mariage de Nicolas Sarkozy avec Carla Bruni, samedi, a pu être perçu comme un signe supplémentaire d'éloignement du pouvoir, qui laisse photographier son bonheur dans le parc de Versailles.
Dans ce contexte, l'impératif d'une proximité avec la vie des gens s'impose plus que jamais au gouvernement, pour tenter de corriger le désamour qui frappe le président dans sa lune de miel. Faut-il aller comme Sarkozy l'a promis lundi à Gandrange (Moselle) pour ArcelorMittal, jusqu'à réintroduire la puissance publique sur des sites industriels menacés ? Le retour à l'État nounou serait une autre régression.
Fillon, le recours
La chute de président de la République dans les sondages, cette semaine, illustre une incompréhension. Mais la baisse sanctionne, en l'occurrence, un comportement plus qu'une politique, puisque le premier ministre est épargné. Selon Paris Match, Sarkozy le vibrionnant recueille 46 % de satisfaits et Fillon le taciturne 57 %. L'austérité de ce dernier, si elle n'a jamais répondu aux exigences élyséennes d'une communication réactive, semble mieux correspondre aux attentes. Le chef de l'État devra-t-il adopter à son tour cette modestie provinciale ? Il lui faudra se faire violence.
En attendant, ces aléas redonnent au premier ministre et à sa fonction une autorité qui s'était effacée sous la présidentialisation du régime. Toute cette semaine, François Fillon est apparu comme un recours, alors même que le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, s'est cru autorisé à rappeler le chef de l'État «à une certaine tenue». Si Claude Guéant, le bras droit du président, a annoncé dimanche la revalorisation des petites retraites au grand dam des députés UMP , c'est le premier ministre qui a repris la main en détaillant, mercredi, l'augmentation de 5 % du minimum vieillesse, avant que le président ne monte la prime à 200 euros…
La proximité des municipales n'est évidemment pas étrangère à la valse des annonces. D'autant que la majorité risque de payer un pouvoir d'achat toujours stagnant. Pour autant, la gauche n'a aucune raison de jubiler. La multiplication de ses attaques contre le chef de l'État masque le vide constant de ses projets. Quant à l'attitude sinueuse du PS face au traité européen, qu'il a approuvé après avoir demandé un référendum, elle n'autorise pas les socialistes à se croire davantage au diapason des Français. Les points que marquera peut-être la gauche en mars avaliseront surtout son immobilisme.
Révolution conservatrice
En réalité, la révolution conservatrice qui a porté Nicolas Sarkozy au pouvoir reste encore le meilleur allié du gouvernement. Cette modernité nouvelle, qui récuse Mai 68, s'illustre quand Fillon déclare mercredi son «soutien» à l'enseignant qui a passé 24 heures en garde à vue et qui a été mis en examen pour avoir giflé un élève qui l'avait traité de «connard». «Les enseignants ont besoin d'un peu de discipline et d'un peu de respect pour faire fonctionner les classes», a-t-il déclaré. Ce retour de l'autorité est aussi réclamé pour les banlieues ( voir nos éditions d'hier).
Un semblable phénomène de réhabilitation des valeurs et des hiérarchies s'observe, depuis Ronald Reagan, aux États-Unis. Mais, alors que le discours unique de la France bonne fille assure que les deux mandats de George W. Bush ont mis un terme à ce mouvement, les primaires de mardi ont montré que le républicain John McCain, qui propose de rester en Irak «cent ans s'il le faut», répond toujours aux aspirations d'une partie de la société américaine. Fillon a raison d'inviter à «regarder (McCain) d'un peu plus près»...
Berlusconi, le retour ?
Le cauchemar des bien-pensants, déjà confrontés au retour de Tony Blair sur la scène internationale, serait une victoire des républicains en novembre, qui s'ajouterait au retour de Silvio Berlusconi en Italie en avril. La gauche française, qui avait tant soutenu Romano Prodi, s'est gardée de tirer le bilan des vingt mois de son gouvernement, soldé par sa démission. Wait and see.
Prédictions du discours unique
Le bloc-notes d'Ivan Rioufol du 7 mars.
Le discours unique prédit la Berezina pour la majorité aux municipales. En attendant, le chômage baisse (7,5 %), François Fillon recueille 66 % de satisfaits (sondage Paris Match ) et Nicolas Sarkozy semble amorcer une remontée (sondage Le Point ). Un succès de la gauche, qui se contenterait d'un repliement local, se confirmera peut-être. Cependant, il n'est pas toujours de bon augure d'être ainsi préélu par les perroquets. Ségolène Royal puis François Bayrou, à qui l'Élysée fut promis, le savent. C'est pourquoi Barack Obama, plébiscité pareillement, a sans doute du souci à se faire.
Il arrive au monde médiatique de prendre ses désirs pour des réalités. Son suivisme a fait croire que l'affaire Clearstream dissimulait un Watergate : elle se conclut par un dossier qui ne reproche à Dominique de Villepin que de mauvaises pensées. Le pilonnage anti-Bush, autre exemple, interdit d'admettre la récente défaite d'al-Qaida en Irak. En revanche, le même endoctrinement permet à l'actrice Marion Cotillard, couronnée d'un Oscar, de soupçonner les États-Unis d'avoir fait s'effondrer les Twin Towers, le 11 septembre 2001…
Pour les adeptes du copier-coller, l'arrivée d'un démocrate à la Maison-Blanche est acquise. Ils n'imaginent pas qu'un républicain puisse y garder la place. L'obamania, précédée d'une dévotion des belles âmes pour Michael Moore, en vient à négliger Hillary Clinton, qui a remporté mercredi deux victoires importantes, au Texas et dans l'Ohio. Alors que le projet d'Obama est aussi vide que le fut celui de la candidate socialiste, le bien-pensisme y barbote en terrain familier.
En réalité, rien n'est joué aux États-Unis, même si la percée d'Obama rappelle le goût des Américains pour les success stories et les hommes neufs. Son métissage, considéré comme un programme suffisant, dissimule mal les faiblesses de ses propositions et de sa diplomatie. Dans un pays traumatisé par le 11-Septembre, le discours offensif de John McCain contre «l'extrémisme islamiste» paraît plus adéquat.
Pour tout dire, cet unanimisme devient pesant, à force de penser de travers. Silvio Berlusconi s'apprête à revenir au pouvoir en Italie, en avril, après avoir été conspué par l'intelligentsia. José Luis Zapatero, applaudi en France pour vouloir ouvrir l'Espagne au multiculturalisme, se découvre, à la veille des législatives de dimanche, rudement contesté chez lui par ceux qui craignent pour l'État-nation. Faut-il encore prendre pour vérité ce qui se répète ?
Le pari de Parisot
Un bémol : l'unanimité n'est pas toujours suspecte. Il est des dossiers indéfendables. Tel est le cas de la caisse noire de 600 millions d'euros constituée par l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Elle permettait de payer, en liquide, salariés, syndicalistes, hommes politiques. Même le GUD, groupe d'extrême droite, aurait bénéficié de largesses pour, dit-on (mais le lien n'est guère évident), financer la campagne de Valéry Giscard d'Estaing de 1974. Reste que cette réalité indigne davantage que le pactole du comité d'entreprise d'EDF (480 millions d'euros), qui aurait servi à financer la CGT, le PCF et la Fête de l'Humanité. Passons.
L'habileté de Laurence Parisot a été, cette semaine, de faire admettre comme une évidence la fracture patronale née de ces pratiques occultes, qui ont conduit l'ancien président de l'UIMM, Denis Gautier-Sauvagnac, à distribuer près de 20 millions d'euros de 2000 à 2007. En dénonçant ses indemnités de départ (1,5 million d'euros) et en se désolidarisant d'un monde corrompu, la présidente du Medef a fait preuve d'une détermination qui assoit son autorité. Derrière un profil à la Margaret Thatcher se précise un possible destin politique.
Rarement consensus n'aura été aussi rapidement acquis sur la nécessité de réformer les dérives patronales (mais aussi syndicales) abritées derrière l'omerta : méthodes d'autant plus indéfendables qu'elles s'ajoutent aux avantages exorbitants que s'accordent certains grands patrons, tandis que des salariés s'appauvrissent. En voulant «tout remettre à plat», Parisot semble avoir pris la mesure d'une exaspération populaire dont la gauche croyait faire son miel. Reste à imposer une éthique au libéralisme, ce mot qui fait encore peur. Pari gagnable.
Poids des évidences
Le poids des évidences viendra, le plus sûrement, à bout des récitations et des aveuglements. Ainsi n'est-il plus condamnable d'admettre l'existence d'un racisme anti-blanc ou anti-juif, porté ici et là. Mercredi, c'est le calvaire d'un Français de confession juive qui a été dévoilé. Il a été séquestré durant une journée par six voyous qui lui ont fait subir des sévices à connotations antisémites et homophobes. La scène s'est déroulée à Bagneux (Hauts-de-Seine), là où il y a deux ans Ilan Halimi avait été torturé à mort, parce que juif également.
Les organisations antiracistes ont de quoi être ébranlées, elles qui ont participé initialement à la victimisation des enfants des cités et à leur sentiment d'impunité. Est-ce l'effet de leur lucidité ? SOS Racisme soutient aujourd'hui Ayaan Hirsi Ali dans son combat contre les islamistes (bloc-notes du 15 février). La Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) se mobilise contre les dérives du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, qui veut assimiler au racisme toute critique de l'islam (voir mon blog). La pensée molle n'y retrouve plus ses petits. Bonne nouvelle.
Israël boycotté
Le monde arabo-musulman boycottera le Salon du livre, qui ouvre ses portes le 13 mars à Paris, avec Israël comme invité d'honneur. Or, nombreux sont les écrivains israéliens qui s'opposent à la politique de l'État hébreu. Pourquoi refuser de les rencontrer ?
Pour Sarkozy, retrouver la droite
Le bloc-notes d'Ivan Rioufol du 14 mars.
La majorité a remporté une victoire passée plutôt inaperçue, dimanche : elle a maintenu le FN à la marge. Jean-Marie Le Pen, qui n'a pas été en reste dans l'hystérie anti-Sarkozy, n'a su pour autant récupérer ses électeurs perdus en 2007. Il est improbable que sa fille, Marine, gagne à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), où elle n'a eu que 28,53 % des voix. Même s'il existe une déception dans l'électorat populaire, elle ne suffit pas à faire renaître l'extrême droite. L'UMP reste le recours.
Les envolées de Nicolas Sarkozy sur la nation, trois mois avant le scrutin de 2007, avaient davantage contribué à le faire élire que son discours sur la rupture. Aussi est-ce cette stratégie que reproduit le chef de l'État, à la veille d'un second tour délicat (même si la Berezina promise n'a pas eu lieu). En abordant, mardi à Toulon, la nécessité d'une «immigration maîtrisée» et d'une défense de l'identité nationale, il s'est souvenu de son socle, négligé au profit de la gauche. Grosse ficelle, néanmoins.
«L'ouverture, je vais la continuer», assurait-il dernièrement. Le président aurait-il donc décrispé la politique ? Cela se verrait. La droite espagnole vient de perdre les législatives à cause de sa rigidité ; la droite française risque de perdre les municipales à cause de son élasticité. Sarkozy devrait écouter son ami José Maria Aznar, ancien président du gouvernement espagnol : «Les idées libérales, les idées de droite sont trop souvent défendues par des gens complexés qui, pour paraître “légitimes”, ont toujours besoin de cautions de gauche.» (Revue Politique internationale).
C'est justement pour avoir dit vouloir décomplexer la droite que Sarkozy avait été élu à 53 %, il y a dix mois. Mais, depuis, il n'a su convaincre de sa détermination. À moins d'un sursaut, la gauche affaiblie s'apprête à tirer profit de l'abstention d'en face. «En deux mois, j'avais bouclé le plus gros paquet de mesures de libéralisation de l'économie de l'histoire espagnole», dit aussi Aznar (L'Express), qui a réveillé son pays. En France, les réformes à moitié engagées ne peuvent mobiliser les impatients.
Quand le président déclare, mardi, qu'il «tiendra naturellement compte» des résultats de dimanche, qui ne s'annoncent pas fameux pour la majorité, il est à espérer qu'il n'envisage pas de donner encore d'autres gages à une gauche sans programme ni vision claire, prête à freiner ce qui ne va déjà pas assez vite. Sarkozy doit retrouver sa droite et accélérer les réformes.
Le non-dit socialiste
La gauche «des territoires» s'apprête à gérer le quotidien des communes. «Tous ceux qui ont gagné au premier tour sont avant tout des hommes de terrain», fait remarquer Gérard Collomb (PS), majoritaire à Lyon. Alain Juppé (UMP), également réélu brillamment à Bordeaux, a promis de se consacrer totalement à sa ville. Cette exigence de proximité a fait prendre un bouillon à nombre de transfuges, à commencer par Jean-Marie Cavada (UMP) dans le XIIe arrondissement de Paris. Cette même exigence a fait promettre à Christian Estrosi qu'il quitterait le gouvernement en cas d'élection à Nice. Obligera-t-elle Bertrand Delanoë (Paris) a renoncer à d'éventuelles ambitions à la tête du PS ? Dans ce contexte, l'alliance anti-Gaudin passée à Marseille entre Jean-Noël Guérini (PS) et Jean-Luc Bennahmias (MoDem), parachuté en 2002, a sans doute peu de perspectives.
Le repliement local est un élément que la gauche compte d'ailleurs mettre en scène. Elle laisse entrevoir une possible cohabitation, à partir de ces ancrages dans «les profondeurs de notre peuple», expression entendue chez François Hollande, lundi sur Europe 1. Alors que Ségolène Royal met volontiers en avant, encore récemment en parlant du mérite, son côté «vieille France», les socialistes développent un non-dit à l'arrière-goût peu ragoûtant. Notamment quand Hollande le Corrézien souligne «l'impensé» de Sarkozy sur les fameux «territoires», lacune qu'il compare aux attaches rurales de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Le secrétaire général du PS voudrait-il rappeler la condition de fils d'immigré du président, étranger à la France profonde et à son âme, qu'il ne s'y prendrait pas autrement.
Indéchiffrable MoDem
Reste cette autre donnée qu'est la persistance de la bipolarisation de la vie politique. Qu'on le veuille ou non, elle structure le débat, malgré les tentatives d'ouverture. Le bipartisme sort même renforcé du premier tour, avec la confirmation de la disparition du FN. Un MoDem avec 3,7 % des suffrages (mais il n'était pas dans toutes les communes) ne peut prétendre remplacer l'extrême droite dans son rôle protestataire. Dans la majorité des cas, des affrontements droite-gauche auront lieu dimanche. Ils rendent indéchiffrable la stratégie néocentriste de François Bayrou, dont la formation soutient le PS à Marseille ou à Chartres, mais l'UMP à Toulouse ou Colombes et fait cavalier seul à Paris. Qui peut comprendre Marielle de Sarnez, candidate du MoDem à Paris, qui dit vouloir «sortir du bloc contre bloc», mais critique Bertrand Delanoë pour avoir refusé sa proposition d'alliance sur le dos de Françoise de Panafieu (UMP) ? Alors que le MoDem a pour ambition de moderniser la politique, ses marchandages très IVe République contribuent à rendre son discours incohérent. Les Français suivront-ils ? Il faudrait au moins que Bayrou gagne Pau. Or, maire à mi-temps n'est guère porteur ces temps-ci.
Cette vieille France qui s'en va
Lazare Ponticelli, est mort mercredi à 110 ans. Jeune immigré italien, il s'était engagé en 1914, à 17 ans, pour «défendre la France car elle m'avait donné à manger ; c'était une manière de lui dire merci». Dès août 1914, 130 000 jeunes soldats français tomberont en trois jours à la bataille de Charleroi. Avec le dernier poilu, c'est cette vieille France héroïque qui s'en va.