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We aim to promote the secular rule of law, which we believe to be the basis of harmony and mutual respect between individuals and groups in the increasingly globalised world, and to draw attention to efforts to subvert it.  We believe in equality before the law, equality between men and women, and the rights of the individual and are open to participation by all people who respect these principles.

We believe that freedom of speech is the essential prerequisite for free and just societies, secular law, and the rights of the individual.

We are committed to building and participating in coalitions in all parts of the world to effect significant progress in protecting rights of the individual which are sadly being eroded in many countries including those in the West.


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The Center for Vigilant Freedom

11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 23:14

Jour J, 12 septembre 1683 - Vienne échappe aux Turcs



Depuis le 14 juillet 1683, l'Europe retient son souffle : Vienne est assiégée par les troupes du grand vizir Kara Mustapha, fortes de près de 200 000 soldats. Ils menacent, si les Viennois ne se rendent pas, de donner l'assaut et de tuer tous les habitants. La situation est désespérée. L'eau des puits est contaminée et il ne reste que 4 000 hommes pour défendre la capitale des Habsbourg. L'Autriche et ses alliés n'ont plus qu'une solution : attaquer. Leur espoir réside dans l'armée de renfort commandée par le roi de Pologne, Jean III Sobieski. 


In Memoriam 12 septembre 1683 : Bataille et libération de Vienne

Le 12 septembre 1683, la civilisation européenne, combattante, se sauvait du péril ottoman. L’union des princes européens a sauvé notre civilisation du danger mortel que constituait l’Empire ottoman en reprenant Vienne, encerclée par les troupes innombrables de Kara Moustapha. Un siècle et demi auparavant, Vienne avait été assiégée une première fois. Le Roi d’Espagne s’était rangé du côté des Autrichiens. De même à l’époque de la Bataille navale de Lépante, l’Espagne et le Saint-Empire avaient fait cause commune contre l’invasion barbare des Ottomans.

Le scénario politico-militaire de la seconde moitié du 17ième siècle était inquiétant, les guerres se succédaient et aucune paix ne semblait se dessiner à l’horizon; ce fut un siècle terrible, un siècle de malheurs, qui a marqué l’Europe à jamais. La Guerre de Trente Ans (1618-1648) avait commencé comme une guerre de religions mais s’était poursuivie par un conflit entre la maison royale de France, les Bourbons, et les Habsbourgs. (…) Les Traités de Westphalie de 1648 sanctionnent l’affaiblissement définitif du Saint Empire Romain en Allemagne, territorialement mutilé et divisé entre catholiques et protestants, fractionné politiquement; en Europe, le Roi de France Louis XIV (1638-1715) détient une hégémonie de fait. Le rôle prépondérant qu’il joue sur le continent induit le “Roi-Soleil” à briguer la couronne impériale et, dans cette perspective, il n’hésite pas à s’allier avec les Ottomans (…).


L’offensive turque

L’Empire ottoman, qui avait déjà conquis les pays balkaniques et s’était installé dans la plaine hongroise, avait été toutefois contenu dans ses tentatives d’expansion, le 1 août 1664, par les armées impériales commandées par le Lombard Raimundo Montecuccoli (1609-1680) à la Bataille de Saint-Gotthard en Hongrie.

Mais rapidement, les Ottomans se remettent de cette défaite, sous l’énergique impulsion du Grand Vizir Kara Moustapha (1634-1683) et reprennent leurs offensives, encouragés inconsciemment par la politique de Louis XIV, résolument anti-habsbourgeoise, et par la faiblesse du Saint-Empire et de l’Europe toute entière.

Seule la République de Venise combattait efficacement les Ottomans à l’époque, le long des côtes de l’Egée, en Grèce et en Dalmatie. Ce fut un combat impavide et glorieux, la dernière guerre que la Sérénissime République mènera en tant qu’Etat indépendant. Cette guerre s’achèvera par la chute de Candia en 1669, défendue héroïquement par Francisco Morosini, dit du Péloponnèse (1618-1694).

Après la Crète, la Podolie, partie de l’actuelle Ukraine, est arrachée en 1672 à la Pologne et, en janvier 1683, à Istanbul, les étendards de guerre sont tournés vers la Hongrie. Une immense armée se met en marche en direction du coeur de l’Europe, sous le commandement de Kara Moustapha et du Sultan Mehmet IV (1642-1693), dont les intentions étaient claires : créer une “grande Turquie européenne et musulmane” dont la capitale serait Vienne.

Les forces impériales, peu nombreuses et appuyées seulement par les milices urbaines et rurales hongroises, commandées par le Duc Charles V de Lorraine (1643-1690), tentèrent de résister mais en vain (…).


Les cloches sonnent pour avertir l’Europe du danger turc

Le 8 juillet 1683, l’armée ottomane quitte la Hongrie et s’avance en direction de Vienne, installe son campement autour de la ville le 13 et commence le siège. Pendant la progression de cette armée, les régions traversées sont dévastées, les villes et les fermes sont mises à sac, les églises et les monastères détruits, les populations autochtones de confession chrétienne sont soit massacrées soit réduites à l’esclavage.

L’Empereur Léopold Ier (1640-1705), après avoir confié le commandement militaire de la place de Vienne au Comte Ernst Rüdgier von Starhemberg (1638-1701), quitte la ville et s’installe à Linz (…).

Dans tout l’Empire, les cloches sonnent à toute volée pour signaler l’arrivée des Turcs, comme en 1664 et un siècle auparavant. Alors commence la mobilisation de toutes les ressources du Saint Empire, tandis que l’Empereur négocie fébrilement pour faire convoquer tous les Princes, catholiques comme protestants. (…) Il sollicite l’intervention immédiate de l’armée polonaise, invoquant la nécessité suprême de sauver l’Europe (…).


Le siège de Vienne

Pendant ce temps, à Vienne, submergée par les réfugiés, commence le “chemin de croix” que constitue le siège. La ville tiendra, héroïquement. Six mille soldats et cinq mille miliciens urbains, isolés du reste du monde, vont s’opposer à une immense armée ottomane, soutenue par 300 canons. Toutes les cloches de la ville sont réduites au silence, sauf celles de la Cathédrale Saint Etienne, que l’on appelle l’Angstern, l’”angoisse”, qui, de ses battements incessants, convie les défenseurs à exécuter leurs tâches. Les assauts contre les murailles de la ville, les batailles au corps à corps se succèdent jour après jour et chaque jour semble être le dernier... mais les secours sont en route.

Avec la bénédiction du Pape et sous la direction de l’Empereur, qui prend la tête de ses armées, les troupes impériales avancent à marches forcées vers la ville assiégée. Le Roi de Pologne Jean III Sobieski (1624-1696) se joint à elles, car, par deux fois déjà, il a sauvé la Pologne des Turcs. Finalement, le 31 août il opère sa jonction avec les troupes du Duc Charles de Lorraine, qui exerce le commandement suprême.

Quand Impériaux et Polonais ont conjugué leurs forces, l’armée chrétienne-européenne marche enfin sur Vienne, où la situation est vraiment dramatique. Les Turcs ont ouvert des brèches dans les murailles et les défenseurs survivants, après avoir repoussé dix-huit attaques et effectué vingt-quatre sorties, sont totalement épuisés. Les janissaires ne cessent d’attaquer, exaltés par les imams. Les cavaliers tatars ravagent l’Autriche et la Moravie.

Le 11 septembre, Vienne vit dans l’angoisse : elle a l’impression qu’elle vit ses dernières heures de liberté. Le Comte Starhemberg envoie à Charles de Lorraine un ultime message désespéré : “Ne perdez pas de temps, mon très clément Seigneur!”.


La bataille

Le matin du 12 septembre 1683, le Vénérable Marco d’Aviano célèbre la messe et le Roi de Pologne y fait fonction d’acolyte. Il bénit ensuite l’armée massée à Kahlenberg près de Vienne : 65.000 soldats européens-chrétiens vont affronter sur un champ de bataille 200.000 Ottomans.

Les princes de Bade et de Saxe, les Wittelsbach de Bavière, les seigneurs de Thuringe et du Holstein sont présents à la tête de leurs troupes; viennent ensuite les Polonais et les Hongrois, le Général Comte italien Enea Silvio Caprara (1631-1701) ainsi que le jeune Prince Eugène de Savoie (1663-1736) qui va connaître son baptême du feu.

La bataille va durer toute la journée et se terminer par une terrible charge à l’arme blanche, conduite par Jean Sobieski en personne; elle met les Ottomans en fuite et donne la victoire à l’armée européenne. Celle-ci ne perd que deux mille combattants, tandis que les Ottomans doivent en déplorer 20.000. L’armée du Sultan prend la fuite en désordre, abandonnant son butin et son artillerie, après avoir massacré les prisonniers et esclaves chrétiens. Le Roi de Pologne envoie au Pape les bannières capturées, en les accompagnant de ces paroles : “Veni, vidi, Deus vincit” (“Je suis venu, j’ai vu et Dieu a vaincu”)(…).

Le jour suivant, l’Empereur entre dans Vienne, joyeuse et libérée, à la tête des princes du Saint Empire et des troupes confédérées (…).


Le ressac de l’Islam

La victoire de Kahlenberg et la libération de Vienne sont le point de départ de la contre-offensive des Habsbourg contre les Ottomans dans l’Europe danubienne, ce qui conduira, au cours des années suivantes, à la libération de la Hongrie, de la Transylvanie et de la Croatie, permettant à la Dalmatie de se joindre à Venise. C’est le moment historique où se manifeste de la manière la plus éclatante la vocation et la mission de la Maison d’Autriche, qui consistaient à libérer et à défendre l’Europe dans le Sud-est du continent. Pour réaliser cette mission, elle a mobilisé sous la bannière impériale romaine-germanique des Allemands, des Hongrois, des Tchèques, des Croates, des Moraves, des Slovaques, des Italiens, des Roumains, des Lorrains, des Savoisiens, des Franc-Comtois, des Flamands, des Wallons, des Luxembourgeois, des volontaires irlandais et arméniens, alliés aux Polonais et aux Vénitiens (…).

La Grande Alliance a donné vie aux projets du Pape Innocent XI, qui entendait s’inscrire dans la tradition d’un énergique prédécesseur, Saint Pie V (1504-1572), artisan de la victoire navale des Européens à Lépante, le 7 octobre 1571. La Bataille de Vienne constitue un tournant majeur dans l’histoire européenne, si bien qu’on peut parfaitement la comparer à la fameuse Bataille de Poitiers de 732, emportée par le chef austrasien Charles Martel (688-741), qui a arrêté l’avance des Arabes vers le Nord. Rappelons également que l’alliance reconduite en 1684, ratifiée sous le nom de Sainte Ligue, a sanctionné une alliance unique entre Allemands et Polonais, a redoré le blason de l’Empire exsangue après la Guerre de Trente Ans, a rapproché Protestants et Catholiques grâce à la clairvoyance et à la diplomatie d’un grand Pape, bien décidé à réaliser l’objectif qu’il s’était donné : libérer l’Europe des Turcs.

En cette année s’est forgée une fraternité d’armes entre tous les peuples de l’Europe christianisée, ce qui a permis une grande croisade victorieuse, qui a éliminé définitivement le danger mortel de l’ottomanisme. Force est de constater tout de même que ce danger millénaire, une fois écarté, a été vite oublié. Mais le siège de Vienne doit nous rappeler que, toujours dans nos mémoires, les cloches qui sonnent pour mobiliser l’Europe contre le péril turc et islamique ne doivent jamais cesser de sonner.


Renato CIRELLI
Traduction de l’espagnol par Angel ESPOSITO

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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 22:13

En 1453, le sultan Machin s’empare de Constantinople : c’est la fin de l’Empire Romain d’Orient. Dans leur stratégie d’expansion, les Turcs ont comme nouvel objectif la conquête du Saint Empire Romain Germanique, et les villes de Vienne et Rome.

Le 12 septembre 1683, le roi polonais Jean III Sobieski écrase les Turcs et sauve Vienne assiégée. Cette bataille (à distinguer du siège de Vienne de 1529) marque le point final d’une lutte de 250 ans entre les forces chrétiennes d’Europe centrale chrétienne et l’Empire Ottoman islamique. Pendant les 16 années qui suivent, les Turcs seront repoussés au sud du Danube. C’est la fin de la menace ottomane en Europe centrale.

 

 

La légende dit que le croissant, viennoiserie fort populaire en France, fut créé par les boulangers de Vienne pour célébrer cette victoire. Une autre version attribue l’invention du croissant, toujours en 1683, à un cafetier de Vienne. Ayant récupéré des sacs de café laissés par les Turcs lors de leur fuite, il aurait eu l’idée de servir du café accompagné d’une pâtisserie en forme de croissant, en souvenir de la défaite de l’occupant.

Ce serait Marie-Antoinette d’Autriche, originaire de Vienne, qui aurait officiellement popularisé le croissant en France à partir de 1770.


Écrit par Point de Bascule on 08 Septembre 2008. Posted in Archives

« Peut-être que les terroristes qui ont attaqué les États-Unis le 11 septembre 2001 cherchaient à venger la défaite des Ottomans à Vienne le 11 septembre 1683 », écrit Robert Sibley dans The Ottawa Citizen. Sibley rappelle les événements qui, à travers l’histoire, ont permis à la civilisation occidentale de se sauver du péril mortel des invasions islamiques barbares. L’alliance des européens et leur volonté farouche de sauver leur civilisation ont été des facteurs décisifs. Sans cet effort concerté, nous ne serions pas ici aujourd’hui à chanter les bienfaits de la démocratie et de la liberté.

Traduction de: Learning from past conflicts, par Robert Sibley, The Ottawa Citizen, le 6 septembre 2008

 

Les leçons de l'histoire

Peut-être que les terroristes musulmans qui ont attaqué les États-Unis le 11 septembre 2001 cherchaient à venger la défaite des Ottomans à Vienne le 11 septembre 1683. Le sort de l’Occident a souvent été décidé sur les champs de bataille. Si l'issue de certains conflits des derniers 2500 ans avait été différente, il est probable que nous, Occidentaux, ne serions pas en mesure de chanter les bienfaits de la liberté et de la démocratie libérale. Prenons, par exemple, la bataille de Marathon en 490 av.J.C. Une petite armée de guerriers grecs a vaincu les troupes beaucoup plus nombreuses de l'empereur perse Xerxès. Si les Grecs avaient perdu, dit l'historien Tom Holland, « non seulement l'Occident aurait perdu son premier combat pour son indépendance et sa survie, mais il est peu probable qu’il y aurait même une telle entité que l’Occident.». Mille ans plus tard dans l'ouest de la France, le sénateur romain Flavius Aetius a repoussé l’invasion des hordes d'Attila le Hun à la bataille de Chalons en 451. La victoire a sans doute donné aux Européens le temps de sauver l'héritage culturel de l'Empire romain en voie d’effondrement. La bataille de Tours en 732, où Charles Martel et son armée franque ont vaincu les troupes des Sarrazins au sud de Paris, a prévenu la domination de l'islam sur l’Europe occidentale. Dans le langage politiquement incorrect de l’historien du 19e siècle Friedrich von Schlegel, «Charles Martel sauva véritablement la chrétienté de l’Occident du péril de l’islamisme qui tendait à exterminer tous les peuples».

La notion de « bataille décisive », tout comme la théorie de « l'homme providentiel » dans la conception de l’histoire, ne fait plus école chez les intellectuels postmodernes qui, réceptifs à la mode du multiculturalisme et au courant d’opinion anti-occidental, ignorent les « victoires célèbres » de l’histoire occidentale. Il demeure néanmoins difficile de nier que certains événements - et certains hommes - ont joué un rôle de premier plan dans la sauvegarde de la civilisation occidentale que dénigrent les intellectuels. Prenez la défaite des Turcs ottomans lors de la bataille de Vienne. Les 11 et 12 septembre 1683, les armées chrétiennes commandées par le Roi de Pologne ont libéré Vienne, mettant fin à deux mois de siège. Plus jamais les musulmans n’ont été près d’imposer l’islam à l’Europe, du moins jusqu’au 21e siècle. Selon les mots de l'écrivain Hilaire Bellow, «la date du 11 septembre 1683 devrait être la plus célèbre de l’histoire». La défaite des Ottomans était loin d’être acquise. Pendant près de 1000 ans, le règne musulman avait dominé une grande partie du monde méditerranéen et au-delà. Même aussi tard que le 17ème siècle, aucune volonté des Européens de repousser cette domination ne semblait se dessiner à l’horizon. L'Europe émergeait à peine de guerres religieuses dévastatrices opposant catholiques et protestants. La marée islamique a commencé à monter en 632 lorsque Mahomet est mort dans la ville sainte de Médine. Il avait régné sur une petite bande de terre connue sous le nom de Hedjaz dans ce qui est maintenant le nord-ouest de l'Arabie saoudite. Après la mort de Mahomet, ses successeurs, y compris Abu Bakr, le premier calife et le père du gendre de Mahomet, ont poursuivi l’idée de Mahomet que l’islam devait gouverner le monde. Ils ont entrepris une campagne de conquêtes contre l'empire byzantin, successeur de l'empire romain, et l’empire persan des sassanides. L'idée de base était « convertis-toi ou meurs » ou, pour les chanceux, accepte un statut de seconde classe dans les sociétés musulmanes. Lors de la première incursion musulmane dans l’Irak chrétien en 634, connue comme la bataille des chaînes, le général arabe Khalid Ibn Al Walid a lancé un ultimatum à la population: «Embrassez l’islam et vous aurez la vie sauve, sinon payez le tribut. Si vous refusez l’un ou l’autre, vous n'aurez que vous-même à blâmer. Un peuple avance déjà sur vous, épris de la mort comme vous êtes épris de la vie». Au cours du siècle suivant, les armées musulmanes ont imposé leur foi par l'épée aux populations chrétiennes de l'Irak, de la Syrie, de la Palestine, de l’Afrique du Nord, de l’Espagne et du Portugal. Ils sont entrés en France en 721, menant des expéditions à travers les Pyrénées jusqu’en Aquitaine, mettant Bordeaux et Poitiers à sac en se dirigeant vers Paris. Pour les musulmans, la défaite de Tours en 732 était une défaite mineure. Au 11e siècle, les Turcs Seljuk ont supplanté les Arabes comme leaders du monde musulman. Ils ont conquis une grande partie de l'Asie Mineure, la Turquie d’aujourd’hui. Les Turcs ottomans ont succédé aux Seljuks à la fin du 13e siècle. Ils ont créé un empire qui, à son apogée, s'étendait sur la Hongrie, le sud de la Russie, l’Iran, la Palestine, la péninsule arabique, le Soudan, l’Éthiopie, l’Égypte et l’Afrique du Nord. Les Ottomans sont parvenus à l'Europe au 14ème siècle, imposant leur domination sur la Méditerranée orientale et les Balkans. En 1354, les Ottomans ont profité de la guerre civile dans l'Empire byzantin pour s’emparer de la péninsule de Gallipoli sur le côté européen des Dardanelles, le détroit qui sépare les Balkans de l'Asie Mineure. Ils ont pris Thessalonique aux Vénitiens en 1387. Ils ont défait les Serbes à la bataille du Kosovo en 1389. Ils se sont emparés d’Athènes, de la Bosnie et de la Crimée. Finalement, en 1453, les Turcs ont obtenu le joyau - la capitale byzantine de Constantinople, aujourd'hui Istanbul. Ils en ont fait leur capitale. Après cela, une campagne visant à conquérir le reste de l'Europe était pratiquement inévitable. En 1526, la Bulgarie étant déjà sous contrôle musulman, le Sultan Suleyman a ajouté la Hongrie à sa liste de conquêtes. Puis en 1529, et de nouveau en 1566, les Ottomans ont tenté sans succès de prendre Vienne. Leur échec a été une chance pour l'Europe. S'ils avaient réussi, les portes de l'Allemagne et du cœur de l’Europe auraient été grandes ouvertes à l'islam. C'est pourquoi ils ont essayé encore une fois 150 ans plus tard. En 1681, Kara Mustafa Pacha, Grand Vizir du Sultan ottoman Mehmet IV, a convaincu le Sultan de déchirer le traité de paix entre l'empire et les Habsbourg régnant sur l’Autriche. Il a souligné que les efforts pour conquérir une plus grande partie de la Hongrie étaient entravés par le Saint empereur romain germanique Leopold I, roi de Hongrie et héritier du trôle d’Autriche et de Bohême. Le Sultan était convaincu qu’une troisième campagne contre Vienne réussirait parce que les Français, jaloux de la montée en puissance des Habsbourg, avaient promis de ne pas interférer. (Ça sonne familier, n'est-ce pas?) Au printemps de 1683, le Sultan voyage à Belgrade pour passer son armée en revue et déclarer la guerre sainte aux infidèles. Léopold, quant à lui, n'attendait pas passivement que l'épée s’abatte. Il a obtenu argent et soutien moral du Pape Innocent XI et mis en place une alliance de volontaires pour défendre Vienne. Les ducs de Bavière, de Saxe et de Lorraine se sont joints. Plus important encore, Jean Sobieski, le Roi de Pologne qui s’était rendu célèbre à combattre les Ottomans en Ukraine, a promis de commander une armée pour libérer la ville.



Le siège lui-même a duré deux mois, de juillet à septembre. L’historien Douglas Clark explique qu’avec une armée de 200.000 hommes entourant la ville, les Turcs ont creusé une série de tranchées pour miner le mur d'enceinte. L'artillerie a maintenu des bombardements constants. Alors que la plupart des 80.000 résidents de Vienne avaient fui avant l'arrivée des Turcs, ceux qui sont restés - environ 10.000 soldats et 5000 civils et volontaires - se sont vite trouvés dans une situation critique. À la fin août, plusieurs murs étaient démolis. Seules des barricades temporaires et une résistance désespérée tenaient les Turcs en échec. Mais avec l'épuisement des ravitaillements et moins de la moitié des combattants restants, il était clair que l'ennemi allait bientôt l'emporter.

 

Pour une fois, la cavalerie est cependant arrivée à temps. Dirigés par le Roi de Pologne, 65.000 soldats de l'alliance – des Autrichiens, des Allemands et des Polonais - sont arrivés sur les hauteurs du Kahlenberg surplombant Vienne le 11 septembre. Kara Mustafa avait compté sur un siège rapide et n'avait pas pris la peine d'assurer ses arrières. Grave erreur.Mais il a fait une autre erreur. Au lieu de lever temporairement le siège et de mobiliser la totalité de son armée pour affronter les forces de Sobieski, le Grand Vizir a divisé ses troupes, laissant 10.000 hommes poursuivre le siège dans les tranchée tandis que 60.000 hommes affrontaient les forces de la sainte alliance. S’adressant à ses troupes avant le combat, Sobieski a dit: « Nous n’avons pas qu’une ville à sauver, mais l'ensemble du monde chrétien, et Vienne est son rempart. C’est une guerre sainte. » Dans la matinée du dimanche 12 septembre, l'armée du Roi a donné l’assaut en descendant les pentes du Kahlenberg. Un observateur turc a rapporté qu'on aurait dit « un flot de lave noire qui coulait le long de la montagne, étouffant et consumant tout sur son passage. »C'est peut-être exagéré, mais en milieu d'après-midi, les lignes Ottomans ont craqué. Sobieski en a tiré avantage, ordonnant une charge de cavalerie. «L'infanterie impériale regardait avec admiration la cavalerie des hussards ailés polonais équipés d’une armure resplendissante, des peaux de tigre et de léopard sur les épaules, la pointe de leur lance baissée», écrit l'historien Simon Millar. «Il y avait un bruit de lances s’entrechoquant alors qu’ils s’en retournaient. Les Ottomans ont battu en retraite sous le choc de l’attaque». Les forces turques ont tenté une contre-attaque, mais en fin d'après-midi, le Roi de Pologne galopait au milieu du carnage et de la confusion. Avec ses husssards, il s’est rendu aux tentes du Grand Vizir. Kara Mustafa n'était pas là. Blessé à l’oeil, on l’avait convaincu de battre en retraite, dit Millar. « Vers six heures, prenant son trésor personnel, il avait quitté par l'arrière de son pavillon et rejoint le reste de son armée en déroute. » Les récits contemporains présentent la défaite des Ottomans comme un triomphe « chrétien ». Au lendemain de la bataille, Sobieski a envoyé au Pape les bannières vertes du prophète que, d'après certains historiens, les Turcs pris de panique avaient abandonnées, en les accompagnant d'un note contenant ces mots: «Je suis venu, j'ai vu, Dieu a vaincu. »

 

 

La victoire des chrétiens a mis fin à l’emprise des musulmans sur la région. Presque immédiatement après le siège, les Autrichiens ont lancé une série de campagnes contre les Ottomans. En 1686, ils ont conquis Buda, capitale de la Hongrie turque, et, deux ans plus tard, Belgrade.Les Turcs ont continué de menacer l'Europe, reprenant temporairement Belgrade en 1690, mais après la bataille de Zenta en 1697 (un autre bataille un 11 septembre) où les armées autrichiennes ont tué 30.000 Ottomans, capturé 10 des épouses du Sultan Mustafa II, saisi le trésor royal et le sceau impérial, les Ottomans étaient en pleine déroute. En 1699, ils ont signé le Traité de Karlowitz, cédant à l’Autriche la Transylvanie et la totalité de la Hongrie. Les Ottomans ne se sont jamais remis de ces défaites, et dans des 200 années qui ont suivi, leur empire a lentement implosé. À la fin de la Première Guerre mondiale en 1918, les musulmans de la région méditerranéenne se sont retrouvés sous la supervision des Européens dans les États nouvellement établis par la Ligue des nations à partir des anciens territoires ottomans. Pire encore pour les islamistes, le leader turc Mustafa Kemal (Atartürk) a aboli le califat en 1924 et imposé un régime laïque à la Turquie.

Ce n'est pas la fin de l'histoire, bien sûr. Le chroniqueur Christopher Hitchens a écrit que les fanatiques planifient souvent leurs actes à des dates qui ont une importance symbolique pour eux. Peut-être que Osama bin Laden et ses acolytes islamistes ont des griefs qui débordent les politiques américaines au Moyen-Orient, a-t-il écrit. Peut-être que les terroristes musulmans qui ont attaqué les États-Unis le 11 septembre 2001 cherchaient à prendre leur revanche pour la défaite des Ottomans à Vienne. « Dans notre culture, cet épisode est souvent oublié ou minimisé », a déclaré M. Hitchens, «mais dans le monde islamique, et en particulier chez les extrémistes, il est rappelé comme une humiliation et un prélude à d’autres qui ont suivi. » Si le 11/9 était un acte de vengeance et partie d'un djihad pour rétablir le califat, nous sommes revenus au point de départ, historiquement parlant. Selon l'historien Anthony Pagden: «Il semble peu probable que la longue lutte entre l'Orient et l'Occident prendra bientôt fin. Les lignes de front tracées au cours des guerres médiques il y a plus de 23 siècles sont encore, dans cette partie du monde, là où elles étaient alors». Ce n’est pas la fin de l’histoire.


Sources Les lecteurs intéressés à en apprendre davantage sur le siège de Vienne et d'autres «batailles décisives» dans l'histoire occidentale peuvent consulter les ouvrages suivants:

- Thomas Baker, Double Eagle and Crescent: Vienna's Second Turkish Siege and Its Historical Setting, 1967.
- Douglas Clark Baxter, "Ottoman Turks Are Defeated at Vienna," Great Events from History: The 17th Century, 2005.

- Peter Green, The Greco-Persian Wars, 1996.

- Victor Davis Hanson, Carnage and Culture: Landmark Battles in the Rise of Western Power, 2001.

- Tom Holland, Persian Fire: The First World Empire and the Battle for the West, 2006.

- Walter Leitsch, "1683: The Siege of Vienna," History Today, July, 1983.

- Simon Millar, Vienna 1683: Christian Europe repels the Ottomans, 2008.

- Anthony Pagden, Worlds at War: The 2,500-year struggle between East and West, 2008.
- John Stoye, The Siege of Vienna, 1964.

 

http://www.pointdebasculecanada.ca/img/site/point-de-bascule.jpg

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 00:37

Bataille de France

Fichier:1940FaguoLiuYue.jpg

Avancée des armées allemandes entre le 13 et le 25 juin 1940 et tentative d'attaque italienne à partir du 21 juin
Informations générales
Date 10 mai - 22 juin 1940
Lieu Pays-Bas, Luxembourg et Belgique, puis France
Issue Victoire allemande ; occupation militaire de la France et du Benelux
Belligérants
Drapeau français République française
Drapeau : Royaume-Uni Royaume-Uni
Drapeau de la Belgique Royaume de Belgique
Flag of the Netherlands.svg Royaume des Pays-Bas
Drapeau de la Pologne Armée Polonaise de l'Ouest
Drapeau : Luxembourg Luxembourg
Drapeau : Tchécoslovaquie Forces tchécoslovaques libres
Troisième Reich Reich allemand
Flag of Italy (1861-1946).svg Royaume d'Italie
Commandants
Drapeau de la France Maurice Gamelin, puis Maxime Weygand
Drapeau du Royaume-Uni Lord Gort
Drapeau de la Belgique Léopold III
Drapeau des Pays-Bas Henri Winkelman
Drapeau de la Pologne Władysław Sikorski
Drapeau de l'Allemagne Gerd von Rundstedt (Armée Groupe A)
Drapeau de l'Allemagne Fedor von Bock (Armée Groupe B)
Drapeau de l'Allemagne Wilhelm von Leeb (Armée Groupe C)
Drapeau de l'Italie Umberto di Savoia (Armée Groupe Ouest)
Forces en présence
146 divisions
4 000 chars
3 200 avions
3 600 000 hommes
140 divisions
2 500 chars
4 000 avions
3 200 000 hommes
Pertes
Nota : il ne s'agit ici que des pertes militaires :
France
90 000 tués
123 000 blessés
2 000 000 prisonniers
1 875 blindés
Belgique
7 500 tués
15 850 blessés
600 000 prisonniers Royaume-Uni
3 500 tués
13 600 blessés
48 000 prisonniers
1 029 avions
Totalité du matériel lourd terrestre
Pays-Bas
2 890 tués
6 889 blessés
Pologne 6 000 tués
Allemagne :
27 074-163 682 tués2
111 034 blessés
1 290 avions
1 158 blindés
Italie :
1 247 tués-disparus
2 631 blessés
2 151 hospitalisés à cause du froid
Seconde Guerre mondiale
Batailles
Bataille de France et campagne des 18 jours
Invasion du Luxembourg · Bataille des Pays-Bas · Bataille de Hannut · Percée de Sedan · Bataille de La Horgne · Bataille de Stonne · Bataille de la Lys · Bataille d’Arras · Bataille d’Abbeville · Poche de Lille · Siège de Calais · Bataille de Dunkerque · Opération Paula · Combat de Pont-de-l’Arche · Bataille des Alpes · Combats dans le vallon du Seuil · Bataille de Pont Saint-Louis · Défense de la Loire · Incidents aériens en Suisse · l’Exode

Front d’Europe de l’ouest


Front d’Europe de l’est


Campagnes d’Afrique et du Moyen-Orient


Bataille de l’Atlantique


Guerre en Asie et dans le Pacifique


Guerre sino-japonaise

La campagne de France
Table des matières :

Tout le monde le sait, le début de la Seconde Guerre mondiale a été désastreux pour la IIIe République. Au départ, les Alliés adoptèrent une stratégie défensive d’attente, qui s’explique par leur retard sur le Reich en termes de préparation. De plus, cette stratégie permettrait de se renforcer grâce aux ressources internationales (accès à la mer) et surtout américaines. Les manœuvres prévues ne furent pas exécutées ou échouèrent (cas de la Norvège). Gamelin imagina néanmoins des opérations secondaires en Scandinavie, dans les Balkans et en Norvège mais ne réussira pas à assurer la défense de son front principal.


La stratégie française se résume en quelques mots : "durer pour se renforcer". Cela consiste surtout à mobiliser militairement et économiquement le pays pour le préparer à une guerre qui serait probablement longue. On était en effet conscients que les Alliés, ne pourraient lancer d’offensives d’ampleur avant 1941 voire 1942 pour les plans de production de l’armement. Dans l’attente de cette offensive, il faudrait affaiblir l’Allemagne par le blocus et résister à d’éventuelles attaques. Il faudrait alors prendre l’initiative de l’attaque comme en 1918. Mais on oubliait que durant la Première Guerre, les armées du Reich avaient été très affaiblies par les grandes offensives et ont été opposées à des ennemis bien supérieurs. Et ce n’est pas un blocus partiel qui permettra d’affaiblir à ce point la Wehrmacht. Cela explique que les Alliés n’aient pas bougé alors que l’armée allemande était engagée en Pologne. On surestimait alors ses moyens.

Dans l’attente de 1941-1942, il faudrait diviser les armées allemandes avec des fronts secondaires, surtout dans les Balkans. Mais Gamelin ne voulait pas engager de forces importantes dans ces secteurs, privilégiant le front principal et espérant l’entrée en guerre des pays balkaniques. Les Anglais pensaient comme lui. Au contraire, Paul Reynaud était partisan d’une attitude plus agressive, avec engagements massifs de troupes franco-britanniques, sur les fronts secondaires. Weygand voulait une intervention dans les Balkans. Mais il n’y aura pas assez de troupes, comme le montre les minces effectifs engagés en Norvège.

Avance allemande en France en 1940

Avance allemande en France en 1940

Après la guerre en Pologne, on peut tirer plusieurs conclusions sur l'armée allemande. En effet, la Wehrmacht était de plus en plus puissante, malgré certaines déficiences. Hitler poussait maintenant ses officiers à étendre la guerre, contre l’avis de l’OKH (haut commandement de l’armée de terre allemande : "Oberkommando des Heeres"). Cela lui vaudra de violentes critiques, et entraîna une tentative de putsch. Mais Hitler réussira à imposer ses idées. Le plan « Fall Gelb » est mis au point, malgré de nombreuses critiques. En effet, le 1er septembre 1939, la Wehrmacht n’était pas prête pour une guerre de longue durée, malgré les plans de redressement. En effet, en 1933, l’armée allemande ne comptait que 7 divisions sans matériel lourd ni blindés. L’aviation allemande, la Luftwaffe, n’existait pas encore et la marine ne comptait pas encore les U-Boote. En 1939, l’armée de terre compte 104 divisions, dont 6 blindées.

Français victorieux dans la Sarre

Français victorieux dans la Sarre

L’aviation compte 4000 avions tandis que la marine aligne 5 navires de lignes, 40 bâtiments légers, croiseurs et destroyers, et 57 sous marins. Mais il y a encore des problèmes. En effet, la marine ne dispose pas des réserves de combustible ni des chantiers navals nécessaires pour une guerre longue. L’armée allemande n’est pas préparée à un conflit étendu dans le temps. La marine subira de lourdes pertes en Norvège et ne s’occupera, ensuite, que de la sécurité maritime. Elle ne pourra pas empêcher l’évacuation de l’armée franco-anglaise par Dunkerque, ni déminer des secteurs côtiers qui auraient facilité le ravitaillement des troupes. La Luftwaffe, est très moderne, mais ne peut mener que des opérations tactiques, et pas d'opérations stratégiques lui permettant à elle-seule de faire triompher le camp allemand. Elle dispose de 4 000 appareils dont 1 500 bombardiers. L’armée de terre a aussi des problèmes, puisqu’elle n’est pas, elle non plus, en mesure en 1939 de mener une guerre d’envergure.

Tombes d'un soldat français (gauche) et allemand (droite)

Tombes d'un soldat français (gauche) et allemand (droite)

En moyenne, il manque pour chaque division d’infanterie d’active non motorisée l'équivalent d'un bataillon. De plus, l’artillerie et les blindés ne seront réellement prêts qu’en 1941. 2 divisions blindées sur 6 ne seront constituées qu’en 1938. Une division légère, deux de montagne, et deux d’infanterie sont formées à partir de l’armée autrichienne. Les divisions qui ont été constituées après la mobilisation sont de qualité très inégale dans tous les domaines (personnel comme matériel). Mais le problème majeur concerne l’approvisionnement en munitions durant les premiers mois de la guerre. Les allemands ne sont pas prêts à une guerre sur deux fronts. L’OKH a prévu 4 mois de réserves, mais rien que pour les armes individuelles, le déficit atteint parfois 70%. Pour l’artillerie, il atteint 50% et pour l’artillerie lourde, 75%. Il n’y a en plus aucune uniformité dans l’équipement et les structures. La production de guerre n’a pas pu suivre le rythme de la mobilisation, surtout pour les 50 divisions supplémentaires. 15 divisions ont du matériel tchèque, tout comme 10% des blindés.

Artillerie française

Artillerie française

Pour ce qui est des hommes en eux même, 50% sont jeunes et aguerris, le reste est constitué de réservistes nés avant 1901 et ayant été entraînés pendant la Première Guerre. Et ce constat est encore plus inquiétant pour les officiers. En effet, de 4 000 officiers en 1933, la Reichwehr en compte 19 400 en 1939. Mais pour cela, dès 1935-36, on est obligé de promouvoir au grade supérieur des centaines de sous-officiers et d’incorporer des officiers de police et de réserve. Le corps des officiers est donc de qualité inégale et les cadres qui ont eu une formation d’état major ne ont pas sûrs de la combativité de l‘armée. L’armée allemande a eu une croissance très rapide par rapport à l’armée de 1914, qui est arrivée à maturité après plusieurs décennies. Cela se remarque en Pologne où la victoire est dûe uniquement à l’aviation et aux blindés. La combativité de l’armée ne vaut pas celle de l’armée allemande de 1914.

Artillerie allemande

Artillerie allemande

Durant la campagne de Pologne, la consommation de poudre a dépassé de 80% la production mensuelle, la production d’explosifs de 167% et pour les munitions d’artillerie, le triple. Malheureusement, ces réserves seront complétées durant la pause jusqu’en mai 1940. Du point de vue des camions et autre véhicules à moteur, l’infanterie ne peut compter que sur le cheval. Il y a en effet réquisition de 400 000 chevaux et de 200 000 véhicules à traction hippomobile contre 12 000 véhicules à moteur. La production mensuelle de 1 000 unités ne permet même pas de répondre à l’usure normale des matériels. De plus, certaines divisions ont perdu 50% de leurs véhicules durant la campagne de Pologne. La production de véhicules est ralentie par la pénurie d’acier et de caoutchouc. Mais les Soviétiques livreront aux Allemands du fer, en plus du butin constitué en Pologne. L’URSS exige en contrepartie des matières premières, des machines, de l'équipement, et du matériel naval qui manquera aux Allemands.

Soldats britanniques tués

Soldats britanniques tués

Le Reich doit encore payer les ressources importées de Finlande, de Yougoslavie, et de Suède dont l’armée a grand besoin. Le manque de matières premières est catastrophique pour l’Allemagne. Au début de la campagne de France, le carburant couvre 4 mois de combat, le caoutchouc, 6 mois. L’Allemagne ne peut donc pas mener une guerre longue, malgré sa légère supériorité matérielle, contre des puissances supérieures économiquement. C’est pourquoi l’Allemagne a mis au point la stratégie de la guerre éclair. Entre 1939 et 1940, l’armée allemande fait encore des efforts dans la motorisation de l’armée et dans la puissance des unités blindées. Les Allemands produisent des chars plus lourds, comme les Panzer III ou IV, qui surclassent les Panzer I (avec des mitrailleuses) et les Panzer II (avec un canon léger).

Ainsi, le nombre des engins lourds a doublé tandis que celui des chars légers a diminué de 280. De ce fait, au moment de la guerre, le nombre de blindés est passé de 3 195 à 2 574 à la veille du 10 mai 1940. En revanche, ces unités sont mieux organisées et ont une puissance de feu accrues. De nouvelles divisions (Panzer et motorisées) ont été crées à partir de matériel tchèque comme Skoda 35 ou 18 t. On arrive donc au chiffre de 10 divisions blindées et de 7 divisions motorisées. Mais ces dernières ont moins de chars que celles des Alliés. Il faudra donc prélever des engins sur les divisions de réserve. C’est aux divisions de pointe de remporter la victoire. Il faudra donc une victoire rapide génératrice de butin...

Un soldat français blessé demande de l'aide

Un soldat français blessé demande de l'aide

La première vague allemande en mai 1940 est constituée de 35 divisions d’infanterie et des troupes motorisées et blindées. Ces hommes sont très entraînés, et avec un moral élevé. De plus, l’instruction des officiers a été améliorée, ils sont alors supérieurs aux officiers alliés. La victoire en France va reposer, comme en Pologne, sur les unités blindées et motorisées, ce qui ne permettra pas réellement d’évaluer la combativité des divisions d’infanterie. Au début de la guerre, en septembre 1939, Hitler espérait que les Alliés franco-britanniques ne mèneraient pas de réel conflit. Il espérait qu'ils se trouveraient contraints de déclarer la guerre à l’URSS, ce qu’ils n’oseraient pas.

 
Panzer en France en 1940

Panzer en France en 1940

Hitler pensait que la Pologne mettrait fin à la guerre. Mais du fait de la victoire facile, il se tourne vite vers l’ouest pour détruire la France et isoler la Grande Bretagne. Le 27 septembre 1939, Hitler déclare qu’il ne faut pas laisser l’initiative aux Alliés, mais profiter de la supériorité de l’Allemagne pour écarter toute menace, surtout sur la Ruhr. Le problème se pose à nouveau sur l’éventualité d’une guerre longue. Il faudra donc une guerre éclair. Une fois les bases aériennes et navales du Nord de la France, en Belgique et en Hollande sous contrôle allemand, il serait possible de mettre l’Angleterre à genoux. Mais Hitler se méfie de la Belgique, il faudra donc porter les opérations sur une partie des Pays-Bas.

Allemands en France en 1940

Allemands en France en 1940

C’est l’OKH qui devra mettre au point le plan d’opérations, sans attendre la réponse des Anglais à sa demande de paix, le 6 octobre. Le 9, il s’explique sur les raisons de l’offensive à venir. Il explique aussi qu’il veut prendre la direction des opérations. La conquête de la France devrait lui permettre d’occuper les bases, et d’avoir les ressources nécessaires et l’espace qui lui permettraient d’obliger les Anglais à céder. Pour Hitler, il faudra faire deux offensives majeures à travers la Belgique, le Luxembourg et la Hollande. Les blindés auront le rôle d’éviter le retour à une guerre de position. De son côté, l’OKW (Haut commandement inter-arme : "Oberkommando der Wehrmacht") donne ses directives à l’aviation, à l’armée de terre et à la marine. La date de l’offensive dépendra du temps.

Soldats allemands sous le feu

Soldats allemands sous le feu

Mais cette offensive ne fait pas l’unanimité. Von Brauchitsch par exemple, commandant de l’armée de terre, s’oppose à cette offensive, qu’il voit d’un mauvais oeil. En effet, il connaît les capacités de l’armée française, même si sa doctrine est trop « méthodique et rigide ». Surtout, il sait, comme de nombreux généraux, que le Reich ne peut supporter une guerre longue. Et du fait de la passivité des Alliés, il se pourrait que la guerre s’achève par une issue politique. L’OKH se prépare à la défense, refusant de violer la neutralité belge et hollandaise, ce qui empêcherait toute négociation. Il faudrait juste contre-attaquer si les Alliés pénétraient dans la Ruhr. Mais Hitler n’est pas de cet avis et l’OKH doit quand même mettre au point un plan d’offensive. Beaucoup d‘officiers supérieurs doivent agir contre leurs idées, dont Göring. Seul Raeder, chef de la marine, accepte sans broncher. Il ne reste à l’OKH qu’à essayer de temporiser pour négocier par l’intermédiaire de contacts secrets des opposants avec les Britanniques.

Rouen en flammes

Rouen en flammes

De son côté, Karl Heinrich von Stülpnagel rédige un mémoire contre cette offensive. Il explique qu’il faut encore attendre 2 ans pour que l’Allemagne puisse lancer une nouvelle offensive, les dotations en munitions étant insuffisantes et les unités blindées ayant souffert en Pologne. Brauchitsch ne manqua pas de critiquer ce projet devant Keitel, chef de l’OKW. Le chef du Groupe d’Armée C, von Leeb, commente le discours de Hitler du 6 octobre devant le Reichstag comme « un mensonge adressé au peuple allemand ». Il cherche aussi à convaincre von Bock et von Rundstedt, également sceptiques, dans une démarche allant vers leur démission si Hitler ne fait pas marche arrière. Il s’adresse aussi à von Brauchitsch pour que ce dernier essaie de convaincre Hitler.

Il pensa même aller jusqu’à renverser le pouvoir hitlérien par un coup d’état. Un certain nombre d’officiers contactèrent même les Anglais via le Vatican pour voir leur réaction en cas de coup de force. Les événements semblent arrivés à leur paroxysme. Mais suite à une dispute entre le Führer et von Brauchitsch, les officiers pensent que leur conjuration est découverte et annulent tout. De plus, ils ne sont pas sûrs que les officiers et le peuple ne les suivent. Il ne reste plus qu’à obéir à Hitler. Mais l’oberleutnant Oster communique aux Hollandais la date du 12 novembre et les plans allemands. Le but est de protéger les pays neutres et d’amener l’Allemagne à un échec, la guerre totale étant encore hors de portée du Reich.

Officiers allemands en France le 20 juin 1940

Officiers allemands en France le 20 juin 1940

Pendant ce temps, l’OKH met au point plusieurs plans d’offensives. Le premier plan, mis au pont par Halder, est assez traditionnel : attaque frontale au nord de Liège, protégée par une autre par la Belgique, en Hollande et dans le Nord de la France. Ce n’est qu’une réédition du plan Schlieffen de 1914. Il n’y a en outre aucun plan pour exploiter une victoire des forces allemandes. Puis entre novembre 1939 et mai 1940 est mis au point le plan Fall Gelb. Il résulte des idées de von Manstein et d’Hitler. Il faudra 3 groupes d’armées, au sud les GAC, de Bâle jusqu’au Palatinat, qui doit fixer les forces alliées puis attaquer ultérieurement afin d’exploiter la victoire. Le GAA, au sud de la ligne Meuse-Sambre, est le fer de lance de l’attaque avec 7 divisions de Panzer. Il lui faudra traverser la Meuse entre Dinant et Sedan puis aller jusqu’à l’embouchure de la Somme, avec son flanc gauche protégé.

 

Troupes allemandes

Troupes allemandes

La pointe, constituée d’unités mécanisées, prendra ainsi à revers les fortifications françaises. Une armée de ce groupe doit aller jusqu’au secteur Liège-Houffalize, afin d’encercler Liège par le sud, puis franchir la Meuse à Fumay et poursuivre à l’ouest. Les armées alliées seront alors encerclées par le groupe A et détruites. La 13e armée du groupe B doit aussi occuper les Pays-Bas pour éviter une jonction des Belges, des Franco-britanniques et des Hollandais. La Luftwaffe doit soutenir l’armée de terre, dont un tiers est chargé d'assurer la protection de l’ouest du Reich. La marine doit assurer le siège de la Grande-Bretagne, le soutient des troupes au sol et le blocage des transports alliés.
Comme nous le savons tous, le plan Fall Gelb sera une des plus grandes victoires de notre siècle...

Le 10 mai 1940, la Wehrmacht entre en Hollande tandis que la Luftwaffe bombarde les aéroports et lâche des parachutistes. C’est alors que les gouvernements hollandais et belges appelèrent à l’aide. Gamelin lança alors la manœuvre Dyle-Bréda, qui était très critiquée par le général George, commandant du front nord-est. En effet, elle répondait à des préoccupations plus politiques que stratégiques. Entrer en Belgique jusqu’à la Bréda pour aider les Hollandais, nécessite l’intervention de la VIIe armée du général Giraud, jusqu’alors tenue en réserve. Cela aurait pu marcher si les Allemands avaient agi comme en 1914. Ce ne fut pas le cas et il n’y aura plus d’armées de réserve pour agir rapidement. Les plans allemands de 1939 correspondaient aux idées d’offensives allemandes prévues par les Français, mais ils ont été modifiés le 18 février 1940, selon l’ordre de Hitler, et suivant les idées de von Manstein.

Désormais, le plan Manstein accroît l’importance du centre allemand au détriment de l’aile droite (qui entrera en Belgique du Nord et en Hollande). Le GACentre doit percer les défenses de la Meuse pour pousser vers Abbeville et l’estuaire de la Somme. Le but est d’isoler les forces françaises qui se seraient avancées en Belgique. Enfin, le flanc sud a pour but de fixer les armées du Rhin et les défenseurs de la ligne Maginot. Le plan est néanmoins assez dangereux. En effet, faire pénétrer rapidement d’importantes formations blindées par les Ardennes, puis s’engager en plein dispositif français sans protection des flancs est assez audacieux. En revanche, on a assigné pour cette tâche jusqu’à 10 Panzer divisionen. Le 10 mai, les Allemands sont organisés comme suit : au nord, l'aile droite et le GAB de von Bock (29 divisions dont 3 Panzer) ; le GAA au centre sous von Rundstedt dispose de 7 Pzd et de 37 divisions. Au sud, le GAC de von Leeb avec 17 divisions. Le centre est donc très puissant. C’est à lui qu’incombe la tâche de prendre par surprise l’ennemi français très rapidement.

Les Français, au contraire, comptent sur une stratégie défensive. Gamelin est conscient que son armée de terre n’est pas prête malgré des efforts au cours de la drôle de guerre. Mais si les Allemands attaquent, il faudra bien mener la guerre. Le dispositif français est comme suit. Tout d’abord, le commandant du front nord-est a 3 GA (le GA1 sous le général Billotte de la mer à Longuyon avec 39 divisions dont 9 britanniques, le GA2 sous Prételat de l’est de Longuyon jusqu’à Sélestat qui tient les défenses de Metz, de la Lauter et du Bas Rhin, enfin, le GA3 veille sur le Haut Rhin. Ces deux dernières totalisent 43 divisions). De plus, 23 divisions sont tenues en réserve, dont 6 entreraient en Belgique et les autres défendraient la Suisse en cas d’offensive allemande. Pour ce qui est du GA de Billotte, un élément mobile doit pénétrer en Belgique (Giraud, Blanchard et Corap) avec les troupes les plus modernes dont 3 divisions légères motorisées, 1 division cuirassée et 5 divisions d’infanterie motorisées. De plus, de Givet à Longuyon, appuyées sur la Meuse et la Chiers, 10 bonnes divisions couvertes par de la cavalerie à cheval et motorisée servent à combler l’espace entre la région fortifiée et l’élément mobile. On ne pensait pas alors que l’on puisse percer par les Ardennes, ou que même si les Allemands essayaient, on pourrait rapidement les stopper. C’était oublier la doctrine militaire française qui stipule que « tout obstacle non battu par le feu est un obstacle nul »...

Le premier, le GA de von Bock, avance au Nord afin d’attirer l’attention, tandis que les armées du centre se dirigeaient secrètement au point de passage, à travers l’Eifel et les Ardennes. Les Allemands lâchent aussi des parachutistes, sur la Haye et les aérodromes. En 4 jours, l’armée de von Bock oblige les Hollandais à se rendre. Giraud n’aura pas pu les aider. La manœuvre Breda a échoué tandis que la VIIe armée est engagée le long du littoral jusqu’à Flessingue. Du côté des Belges, appuyés sur la ligne Liège-Anvers, qui repose sur la Meuse et le canal Albert, on retrouve le même scénario. Deux commandos aéroportés prennent deux ponts sur le canal, tandis qu’un commando des sapeurs d’assaut prend le fort d’Eben Emaël. Pendant ce temps, deux PzD sous Hoeppner prennent Maastricht où le génie construit un pont durant la nuit. En une journée, les positions belges sont enfoncées. Il aurait fallu cinq jours pour que les renforts alliés ne viennent et puissent se poser sur la puissante position entre Louvain et Namur. Les Alliés entrèrent en Belgique le 10 à 6 heures 30 avec le corps de cavalerie de Prioux en tête, constitué des 2e et 3e divisions légères motorisées, qui doivent couvrir, entre la Dyle et le canal, le corps expéditionnaire britannique et celui de Blanchard. Le 11, Prioux est en contact avec les Allemands. Il explique alors au général Billotte qu’il faudrait rester sur l’Escaut, mais n’est pas écouté.

Au contraire, les divisions alliées accélèrent leur progression pour occuper la ligne Louvain-Namur. Le corps britannique à Dyle, la Iere armée doit s’installer le 13 au niveau de la trouée de Gembloux. En même temps, le corps Hoeppner attaque violemment la cavalerie française. Le 14, une division marocaine, ainsi que la 15e division d’infanterie de montagne, tiennent le canal devant les Panzer pour permettre aux Belges de se replier sur la ligne Louvain-Angers. Au centre, la IXe armée occupe la zone de la Meuse jusqu’au confluent de la Bar, tandis que la IIe armée occupe la zone entre Sedan et Longuyon. Mais c’est entre Sedan et Dinant, au milieu des deux armées, que vont pénétrer les Panzer qui ont traversé les Ardennes. Le groupement blindé von Kleist a deux corps blindés, le 19e de Guderian a 3 PzD pour entrer en France par Sedan, tandis que Reinhardt avance sur Monthermé. Au nord, ils sont couverts par le 39e corps avec 2 PzD (dont celle de Rommel). Rommel le premier traversa la Meuse. Il arriva sur la rive droite le 12, s’infiltra par le canal de l’île de Houx et attaqua en force le 13. Pendant ce temps, à Monthermé, Reinhardt ne peut sortir de la vallée encaissée, bloqué par une demi-brigade de mitrailleurs coloniaux. Le même jour, Guderian passe la Meuse soutenu par l’aviation. Grâce aux ponts du génie, les Panzers retrouvent l’infanterie sur la rive gauche.

Le 14, les contre-attaques menées par des petits groupes de Français échouent. Corap est donc coupé de Sedan, menacé au centre par Reinhardt, au nord par Rommel. Il ordonne la retraite sur la frontière et laisse donc seule la Ière armée qui devra se replier sur l’Escaut. En quelques jours, les Allemands partis de Sedan vont isoler les forces alliées. En 5 jours, Guderian arrive à Abbeville et la baie de la Somme, ce qui impressionne Hitler lui même. Saint-Omer est atteinte par Reinhardt le 24 tandis que Hoth déborde Arras le 23. Mais l’infanterie motorisée a du mal à suivre ce rythme. De ce fait, il y a entre les forces en Belgique et les armées que reforme le général George un couloir de 100 kilomètres. Les flancs allemands sont vulnérables. De Gaulle essaya de contre-attaquer sur ces derniers, le 20 mai, avec la 4e division cuirassée, les 2e et 3e PzD.

Le 19, Gamelin réfléchit à une manœuvre en tenaille depuis Arras et la Somme pour couper le couloir à son point le plus large. Il est alors, le jour même, démis de ses fonctions au profit de Weygand. Il reprend l’idée et ordonne au GA1 de marcher au sud, tandis que la VIIe armée ferait route au sud. Mais le temps joue contre les Français et il est bientôt trop tard pour éviter l’encerclement. Le 25, lord Gort propose un repli sur Dunkerque alors que l’armée belge est violemment prise à parti. Weygand suit cet ordre alors que le groupement Molinier, encerclé dans Lille, ne capitulera avec les honneurs que le 1er Juin. À Dunkerque, 220 000 britanniques et 100 000 Français embarquent. Mais sur les plages se trouvent 1 million de prisonniers et des tonnes de matériels.

Après le 20 mai, la situation devient de plus en plus critique pour les Français. En revanche les divisions Panzer, qui ont coupé les communications alliées des armées du Nord, ont avancé les flancs à découvert. Les troupes d’exploitation sont toujours au niveau de la Sambre. L’OKH craint d’ailleurs une nouvelle bataille de la Marne. En effet, il suffirait aux armées du Nord de percer vers le sud et des armées de la Somme vers le Nord. Cette double offensive permettrait de priver les Panzers de ravitaillement. Gamelin prévoyait des plans en ce sens mais est limogé le 19 mai et remplacé par Weygand. Il faudra 3 jours à ce dernier pour mettre au point un autre plan du même type. Le 24, il faudra combler la brèche au niveau de Bapaume, ce qui signifie que dans le même temps le front restera statique. Le 21 mai, le commandant du corps expéditionnaire britannique, Gort, essaie de rétablir les communications avec les lignes françaises de la Somme, qui se trouvent à 40 kilomètres, dans une offensive par Arras. Il dispose pour ce faire de deux divisions et d’une brigade blindée. Rapidement, la situation de la 7e Panzer est critique, et les chars allemands doivent faire demi-tour. Mais du fait du manque de blindés et puisque l’opération de soulagement de Weygand était relativement faible, l’ultime chance de victoire s’évanouissait. Plus le temps passe, plus le plan français devient impossible à réaliser.

Le dispositif allemand se constitue et se renforce au fil des jours. De la même façon, le réduit français se rétrécit. En effet, les 9 PzD attaquent au Sud en cercles concentriques, tandis que le groupe von Bock progresse en Belgique. 46 divisions alliées sont encerclées, soit 1 million d’hommes. A cela s’ajoute 1 million de réfugiés. Boulogne est aux mains des allemands le 24 mai tandis que le flanc du GA1 est découvert. « Les Français tiennent les deux extrémités du front sud. Le gros de la Ière armée est comprimé au sud-est de Lille. A l’ouest, le littoral est défendu par deux divisions de série B (60e et 68e DI). Là réside la clé du dispositif français. Si ce point s’effondre, l’encerclement sera total » (Michèle Battesti). Gort se rend alors compte que le plan Weygand n’est plus qu’une utopie. Les troupes britanniques sont à demi-ration, avec 10 jours de munitions pour l’artillerie. Il faut soit se rendre, soit trouver une solution rapide.

Le 24 mai, le War Office anglais ordonne le retrait du matériel lourd à partir du Havre. Gort décide en parallèle de retirer ses troupes au nord d’Arras. De ce fait, Weygand ne peut plus exécuter son plan d’offensive. Gort organise une défense en hérisson le long des cours d’eau du nord. Le 25, il ordonne le retrait sur Dunkerque. Le 27, le War Office ordonne le retrait par voie maritime. Les Anglais avaient songé à cette possibilité très tôt, et commencé à organiser cela dès le 19 mai. Churchill avait approuvé un plan consistant à réunir un grand nombre de navires de toutes tailles vers les ports français. Au départ, il fallait déplacer des troupes dans le cadre de la contre-offensive. L’amiral Bertram Ramsay avait alors réquisitionné une flotte de 126 navires. Le 26 mai à 18 heures 57, commence l’opération « Dynamo » qui paraît alors n’avoir aucune chance. On prévoit 45 000 hommes en deux jours mais il n’y en aura le premier jour que 7 669. Le second, le chiffre est porté à 17 804. Mais cela reste très inférieur aux prévisions les plus pessimistes.

De plus, les Allemands sont encore présents. Même si les forces de surface n’interviendront pas, les sous marins (U-Boote) et les S-Boot (Schnell-Boot) feront des sorties. Mais ce sera la Luftwaffe qui portera l’effort principal. En effet, le 27 mai, 30 000 tonnes de bombes incendiaires seront larguées sur la ville. Les Stukas s’acharneront sur les navires. Les soldats embarquant seront mitraillés. Les opérations de jour seront rapidement annulées. Enfin, les Allemands largueront des mines magnétiques. Les Anglais ne seront pas en reste et les Spitfire et Hurricane abattront 133 avions allemands. Heureusement pour les Alliés la mer d’huile favorisera l’opération qui durera 9 jours, et le plafond relativement bas gênera les mouvements de la Luftwaffe.

Deuxième élément, les Panzer se sont arrêtés. Depuis le 24 mai, la ligne Lens-Aire-Gravelines n’a été traversée par aucun char. Cette inaction est le résultat d’un ordre direct de Hitler, tandis que les officiers supérieurs allemands voudraient détruire les armées alliées. On ne sait pas vraiment ce qui a motivé cet ordre. Peut-être Hitler a-t-il voulu ménager les Anglais pour leur éviter une humiliation. Mais quoi qu’il en soit, Hitler a commis une erreur majeure. On ne pense alors plus qu’au plan rouge. Pour Hitler, Fall Gelb est terminé. Le second temps de la campagne, c’est à dire prendre à revers la ligne Maginot pour en terminer avec l’armée française. Autre hypothèse, les Panzer sont exténués et ont atteint les marécages des Frandres, qui effraient le soldat de la Grande Guerre qu’est Hitler. C’est donc à la Luftwaffe de Göring de donner le coup de grâce. Dans le même temps, Weygand se rend compte qu’il ne peut plus contre-attaquer. Il ordonne donc à ses armées du nord de se replier. Le but est maintenant de former une tête de pont solide soutenue par la mer. Mais les Belges, qui devraient soutenir le flanc français, capitulent rapidement. En effet, le 27 mai, les Belges reculent devant von Bock, acculés à la mer et encerclés de réfugiés civils. Le 28 mai à 5 heures, Léopold III ordonne l’armistice. Le GA1 est donc sans protection.

La situation empire le 27 mai, quand Hitler annule son ordre. Les Panzer repartent à l’assaut avant de partir pour la Somme et l’Aisne. Ils ne sont alors plus qu’à 8 kilomètres de Dunkerque et pilonnent la ville avec leur artillerie. La position alliée s’étend sur plus de 100 kilomètres de profondeur pour 40 kilomètres maximum de largeur. Petit à petit, les Allemands continuent à avancer et menacent de couper les Alliés de la mer. Le 29 mai, Weygand ordonne le repli général et abandonne l’idée d’une tête de pont. Mais c’est trop tard : même si von Bock exploite mal la capitulation belge, et même si les Allemands hésitent, la chute de Cassel entraîne le repli (contre l’avis de Weygand) des Anglais. De ce fait, les Anglais abandonnent l’arrière-garde française. Le 28 mai, d’ailleurs, 6 divisions de la première armée sont encerclées près de Lille. Elles se rendront le 31 mai après une lutte féroce, ce qui donne un répit à Dunkerque. Le général Wögner offre tous les honneurs militaires au général Molinié, chef de ces divisions françaises. La réponse de Berlin ne se fera pas attendre et Wögner sera limogé.

Le 30 mai au soir, les derniers Anglais ont rejoint la tête de pont, encombrée de matériel abandonné. Mais la Luftwaffe ne parvient pas à stopper l’opération Dynamo. Peu à peu, les évacuations deviendront plus importantes. Le 29, partiront 47 310 hommes, 53 823 le 30, puis 68 014 le 31. Ils seront débarqués à Douvres. Pour ce faire, les Britanniques usent d’une logistique impressionnante. Il existe aussi d’autres points d’évacuation à l’est de Dunkerque. La Royal Navy fait appel à toutes les embarcations disponibles et à tous les hommes (pêcheurs, retraités ...). De plus, 300 navires de guerre et de commerce français participent activement à l’opération. Une fois que les soldats sont dans le navire, on rejoint Douvres par la route Z, longue de 39 milles. Mais du fait de la proximité de l’artillerie allemande (la route longe la côte), une route Y de 87 milles est organisée. Cette fois, ce sont les S-Boot, patrouilleurs lance-torpilles, qui rendent dangereux ce point de passage. Après le 29 mai, une route X (55 milles) est draguée et sécurisée. Le 31 mai, 165 000 soldats seront évacués, mais seulement 15 000 Français. En effet, les soldats français sont refoulés, voire jetés à la mer.

Le même jour, se tient une rencontre à Paris entre Churchill, Weygand et Reynaud. Pour le premier, la France est virtuellement vaincue. Les propos sont en revanche pleins de « générosité ». Churchill par exemple insiste pour que les Français embarquent les premiers et que les Anglais assurent la défense !!! Mais il est vrai que le 1er juin, 35 013 Français sont évacués avec 29 416 Anglais. Falgade, commandant des troupes de défense du périmètre de Dunkerque, se bat avec acharnement et bravoure. Mais vite on se rend compte que ce sont les Français qui sont la dernière ligne de défense. A 3 contre 1, les Français résistent et même si les Allemands progressent, ils ne percent pas. Entre le 3 et le 4 juin, l’arrière-garde française est embarquée, tandis que les Allemands pénétrent dans les faubourgs de Rosendaël. L’organisation anglaise est une fois de plus exemplaire : les navires doivent aller si vite qu’ils ne jettent pas d’amarres.

À 3 heures 30, le dernier navire appareille. Ainsi, même si 30 000 Français n’ont pas été évacués et sont restés sur la plage, 342 618 franco-anglais auront été sauvés (1/3 de Français). Mais les pertes auront été lourdes : 2% des soldats embarqués ont été tués, 250 navires coulés (sur 860), dont 6 destroyers sur 39, 5 torpilleurs et deux contre-torpilleurs français. Dunkerque est un exploit de logistique et de courage. Mais 3 armées françaises ont été détruites, tout comme l’armée belge, et le corps expéditionnaire anglais. En chiffres, les Alliés ont perdu 1 200 000 hommes dont beaucoup de prisonniers, tandis que les Allemands comptent 10 255 tués, 8 543 prisonniers et 42 523 blessés. Pour finir, entre le 4 et le 25 juin, au cours de l’opération Aerial, 191 900 personnes seront évacuées de France pour échapper aux Allemands. Cela démontre l’importance du contrôle de la mer. Mais pendant ce temps, la France agonise...

Au 5 juin, Rommel (avec la 7e Panzer), se trouve dans la région de Flixécourt et Bourdon, au nord du canal de la Somme. Les 19 et 20 mai, tous les ponts, d’Amiens à la mer, ont été détruits sauf deux ponts de chemins de fer, oubliés par les démolisseurs, qui se trouvent dans le secteur de Rommel. Ce dernier ordonne d’enlever les rails pour laisser passer ses chars. En face, des soldats sénégalais. Les Allemands qui travaillent sont hors de vue des coloniaux. Les défenseurs n’ont pour se défendre qu’un canon AC de 25 mm. Mais ils tiennent. Même si les Panzer percent au Sud, dans une vallée morte, Hangest, point d’appui principal des Sénégalais, tient toujours. L’attaque d’un bataillon blindé échoue du fait du terrain (les moteurs calent), mais Rommel envoie vite des automoteurs de 150 mm pour préparer une attaque d’infanterie. A la fin de la matinée, la ville est investie. Les Panzer attaquent alors vers le sud, débouchant sur le plateau qui va de la Somme à la Seine. Ils sont accueillis par l’artillerie lourde française et par des Sénégalais cachés dans les bosquets. Le point de Quesnoy-sur-Airaines a été solidement fortifié, et il faudra attendre l’arrivée des Panzer IV pour le réduire.

Le 6 juin, durant la nuit, les Français ont contre-attaqué avec des chars, détruisant une batterie de 88. Mais à partir de 10 heures, Rommel avance déployé sur 2 kilomètres et profond de 20. La Xe armée du général Altmayer est coupée en deux, la ligne Weygand est percée. Les Français se rendent alors réellement compte qu’ils n’ont plus aucune chance de boucher la faille. Le 7 juin, Rommel entre en Normandie, et seul la rivière Andelle le coupe de Rouen. Mais cette ligne est défendue par des éléments franco-britanniques. La 7e Panzer échoue d’abord à Sigy, mais, le 8 juin, perce et fonce sur Rouen. Rommel tombe sur une colonne blindée britannique mais le soir, il n’est plus qu’à 8 kilomètres de la ville. Rommel décide alors de capturer deux ponts sur la Seine, en fonçant sur Elbeuf. Les paysans qui les voient passer les prennent pour des Anglais, et les acclament puisque les Allemands ne pourraient pas être déjà là !!! Le bataillon de motocyclistes de la division est envoyée pour capturer les ponts. Puis Rommel perd tout contact avec eux. Il se rend sur place et se rend compte qu’ils n’ont toujours pas attaqué. Mais alors qu’il leur réitère son ordre de prendre les ponts, ces derniers sont détruits. Le 25e régiment Panzer se dirige alors vers Boos, tandis que Rouen est prise par la 5e Panzer.

Rommel prépare ensuite une offensive contre le IXe corps d’armée français, et la 51e division britannique. La chute de Rouen a rendu leur position très risquée. Ils manquent d’être encerclés et leur seule chance de salut résiderait en une retraite de 100 kilomètres vers le Havre. Et Rommel est bien décidé à la leur couper. Élément décisif, les Alliés progressent de 20 kilomètres par jour alors que Rommel avance à 40 kilomètres par heure. Le 10 au matin, les engins de reconnaissance allemands sont en vue de la Manche, aux Petites-Dalles, encerclant 50 000 soldats alliés. La solution pour les généraux Ihler et Fortune résiderait en un réembarquement. Dans cette poche française, il existe deux ports, Saint Valéry et Dieppe. Mais le second a été rendu impraticable par les Français afin qu’il ne tombe pas aux mains des Allemands. Il faut donc tenir jusqu’à l’arrivée des navires alliés.

Le 10, deux destroyers britanniques sont atteints par l’artillerie allemande alors que Rommel renforce sa position. Il occupe une falaise qui domine le port, d’où son artillerie et ses mitrailleuses pilonneront les Alliés. Malgré la défense acharnée de ces derniers, la poche se rétrécit inexorablement. Fortune annonce au War Office que la seule chance de s’en sortir consiste en une évacuation maritime dans la nuit du 11 au 12 juin. Rommel se rend compte de ce qui va se passer et accroît la pression sur les Alliés. Les Franco-britanniques profitent du brouillard pour se cacher et attendent les navires de secours. Ils ne viendront pas ... Ihler capitule le 12 juins à 8 heures, Fortune le même jour à 11 heures. En effet, les 3 bataillons écossais, privés de l’appui des Français et d’armement lourd, ne peuvent plus résister. Les Allemands auront capturé 12 généraux, 46 000 hommes, 100 canons, 58 chars, 368 mitrailleuses et plus de 1 000 camions.

Au lendemain de Dunkerque, Weygand ne dispose plus que de l’équivalent de 71 divisions. La Luftwaffe domine le ciel alors que 139 divisions allemandes se réorganisent afin de reprendre l’offensive. Le 29 mai, les troupes motorisées et blindées quittaient Dunkerque pour devenir le fer de lance de la seconde phase de l’opération. En face, Weygand compte sur le terrain et les lignes d’eau pour retarder le choc inévitable. Le nouveau front passe par la Somme, le canal Crozat, l’Ailette et l’Aisne jusqu’à Vouziers puis est relié à la Ligne Maginot par Montmédy. Le front n’est pas d’égale qualité. Si le front sur l’Aisne existe depuis mai, le front de la Somme est assez faible, plus encore car les Allemands ont créé des têtes de pont sur la rive sud. Malgré les contre-attaques, rien ne peut ébranler ces avant-gardes allemandes. Weygand propose alors une tactique en hérisson : des points d’appui laissent passer les chars mais bloquent l’infanterie d’exploitation. Début juin, c’est ce qui se met en place alors que le général en chef essaie de reconstituer deux groupements blindés autour des 1ère et 3e Divisions Cuirassées.

Il faudrait disposer de troupes pouvant attaquer sur les flancs les colonnes de Panzer. L’offensive reprit le 5 juin. A ce moment l’organisation de l’armée allemande a été modifiée : l’armée du Rhin passe à 24 divisions, le GAB de von Bock (qui devra attaquer Paris et la Basse Seine) compte à présent 41 divisions et 6 PzD, et le GAA de von Rundstedt (qui doit prendre à revers la ligne Maginot) se voit attribuer 41 divisions et 4 PzD. Au jour fixé pour lancer l’offensive, le GAB attaque le GA3 (20 divisions). Mais si la 7e armée du général Frère résiste, la 10e armée est enfoncée par Hoth dès le 6 juin. Le 9, Rommel atteint la Seine. Manstein avec son 18e corps d’infanterie motorisée fait tout aussi vite. Le 9 toujours, le GAA attaque. La 12e armée est bloquée par De Lattre de Tassigny et Aublet entre l’Argonne et Rethel. Mais à l’ouest de Rethel, La PzD de Guderian crée une tête de pont. Le groupement blindé Buisson contre-attaque et ralentit un moment l’avance allemande, mais à l’ouest, le front s’écroule. Le 10, l’armée allemande atteint la Meuse. De ce fait, la ligne de l’Aisne doit être reculée en direction des monts de Champagne.

À partir du 10 juin, la guerre est virtuellement termin

ée. L’armée française est en retraite sur toute la largeur du territoire, sans réserves. Toutes les divisions sont désorganisées et mélangées à des milliers de réfugiés. Le 12 juin, Weygand annonce au conseil des ministres que la guerre est perdue et que « la cessation des hostilités s’impose ». En réalité, le GA2, malgré des prélèvements, constitue encore un « ensemble homogène », et le front italien tient pied à pied. Mais l’avance allemande est très rapide, dans toutes les directions. Hoth force la Basse Seine le 13 juin. Le même jour, von Kleist déborde Paris et prend les ponts de Nogent et de Romilly. Le 14 la « ville ouverte de Paris » est occupée. Hoth prend la route de la Bretagne et de Cherbourg où les Anglais rembarquent le 18, juste avant que la garnison ne se rende le 19. Plus à l’est, la 12e armée et Guderian avancent également très vite. Chaumont est prise le 14, Besançon et Vesoul le 16, la frontière suisse le 17. Le GA2 est isolé dans les Vosges, attaqué par le GAC depuis la Sare et le Rhin le 14. Au centre, mis à part le cas de la résistance des ponts de Saumur, la Seine et la Loire sont rapidement franchies.

Pétain devient président du conseil après la démission de Paul Reynaud. Il débute les négociations le 17. Le 21, à Rethondes, une délégation française « prend connaissance des conditions d’armistice ». Elles sera signées le lendemain. Le GA2 a tenu jusqu’au dernier moment. Les garnisons de la Ligne Maginot ne déposeront les armes que début juillet. Dans les Alpes et sur l’Isère, la 6e armée (général Olry) se bat jusqu’au 25, moment où les Italiens et les Allemands la prennent à revers.

Début juin 1940, la France est désorganisée et sur le point d’être vaincue. Il n’y aura pas de nouvelle bataille de la Marne. Les milliers d’actes héroïques ne compensent pas les pertes énormes. Le 16 juin, Reynaud démissionne, espérant peut-être que Lebrun (président de la République) le rappelle dans un nouveau cabinet dont seraient éliminés tous les partisans d’un arrêt des combats. Mais c’est Pétain qui fut appelé. Ce dernier fit tout pour communiquer avec l’Allemagne et l’Italie. Le 17, Pétain annonce à la radio : "L’heure est venue de cesser le combat". Cette phrase a fait sensation car sous-entendait que des milliers de soldats étaient morts pour rien. Il y avait alors 3 solutions :

  •     l’armistice qui engageait le gouvernement.
  •     la capitulation de l’armée (punie de mort par le code militaire français car déshonorante).
  •     La continuation de la guerre avec les colonies, la marine ..


La seconde alternative était impensable. Un accord franco-britannique du 28 mars 1940 avait fixé que les deux pays ne pourraient conclure ni armistice, ni paix séparée. Les Anglais y consentiraient si la marine et l’aviation quittaient la France pour l’Afrique ou les ports britanniques. Le problème est que si la France continuait la guerre en Afrique, Hitler pourrait franchir l’Espagne et envahir l’Afrique du Nord. Le 18 juin 1940, De Gaulle fit un discours à la BBC pour que la France continue le combat. Mais il était seul. De son côté, Mussolini voulait sa part du gâteau. Les Allemands ne voulaient pas d’une paix mais d’un armistice. L’armistice entre la France et l’Allemagne est signé le 22 juin à 18 heures 30 en forêt de Compiègne, dans le wagon de l’armistice de 1918. Le 23 juin, les plénipotentiaires français arrivent à Rome, l’armistice sera signé le lendemain.

En 45 jours, l’armée allemande a détruit 8 divisions hollandaises, 22 belges, 9 britanniques et 94 françaises. Les armées britanniques ont pu être rembarquées mais tout leur matériel est resté aux mains des Allemands. Toutes les côtes, de la Norvège au golfe de Gascogne, sont occupées par les forces allemandes. C’est donc une pique évidente en direction de la Grande-Bretagne. Une fois de plus, la Blitzkrieg a montré son efficacité. Poussé par le temps, Hitler a du chercher rapidement la décision et a pour cela forgé une puissante machine de guerre. A cela s’ajoute un plan audacieux qui a créé la surprise initiale. Mais il ne faut pas oublier que la France s’est battue. Les Français eurent 90 000 tués (soit autant que lors des six premiers mois de la Première Guerre mondiale), 200 000 blessés et 1,9 million de prisonniers. Les Allemands, eux, dénombrèrent 27 000 morts, 120 000 blessés et 18 000 disparus. Les Belges perdirent 7 500 hommes et les Anglais 3 500.


Auteur : Guillaume Sevin

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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 22:49

Carte de la gaule à l'époque romaine

Les peuples celtes
 Nom latin:  Gallia Aquitania
 Localisation:  Aquitaine

Nous avons régroupé dans cette rubrique tous les peuples plus pu moins celtisés dits "Aquitains". Selon César et Strabon, l'Aquitaine correspond aux territoires compris entre l'océan, la Garonne et les Pyrénées; Strabon, les décrit comme des gens forts différents des Celtes qui habitent dans le reste de la Gaule; par leur langue et leur physique, les Aquitains se rapprocheraient des Ibères.

 


La conquête de l'Aquitaine par les Romains

Compte rendu du dîner-débat du 6 décembre 2008 avec Jean Pierre Brèthes.

Lumières Landaises n° 70.

 

N.B. Si passionnantes soient-elles, ces quelques notes ne rendent compte que de manière imparfaite de la richesse de l'exposé de J.P. Brethes, qui était agrémenté de nombreuses projections.


En 58 avant JC. L'empire romain n'est pas encore un empire. C'est une république qui ne contrôle guère que la Gaule Cisalpine, la Provincia Romana, qui s'étend jusqu'à Vienne - et non pas Lyon - et une partie de l'Espagne. La Gaule Cisalpine n'est autre que l'actuelle Italie du Nord, à l'époque peuplée de Gaulois. Ainsi, Tite Live et Virgile sont nés gaulois, en Gaule Cisalpine. Au-delà des Alpes, la Gaule dite chevelue n'est pas encore romanisée.

César fait une carrière à ses frais comme tous les aristocrates romains, et, dans son cas, à crédit. Crassus lui prête l'équivalent de centaines de millions d'euros actuels. En effet, les hommes politiques romains ne sont pas payés pendant leur carrière, et, au contraire, elle leur coûte très cher. Ils offrent à Rome des jeux et des spectacles – ceux que César a donnés à la plèbe coûtent tellement que, par la suite, on interdit d’en faire d’aussi chers -, et ils se remboursent ensuite sur les provinces. Ainsi, une poignée de familles romaines exploite les immenses provinces sur lesquelles Rome étend sa domination. A l’issue de son consulat, César obtient un mandat qu'on appelle un proconsulat, lequel donne les pleins pouvoirs sur un territoire étendu, pour lui la Gaule et l’Illyricum (Côte Dalmate).

Le premier projet de César était de conquérir les terres qui s’étendent à partir de la province Dalmate jusqu’au Danube, mais le roi Burebistas, contre lequel il envisageait de faire campagne, abandonne ses projets belliqueux contre Rome l'année du consulat de César, c'est-à-dire en 59. Le proconsul tourne alors ses regards vers la Gaule, qui offre d'immenses possibilités financières, au point que, dès la première année, il a remboursé la totalité de ses frais de campagne. Plutarque estime que César a vendu un million de têtes (humaines) au cours de la campagne. Dans la première année, il en vend deux ou trois cent mille

C'est dans ce cadre là que César lance ses légions dans la conquête des provinces voisines. Il prend prétexte de l'immigration des Helvètes pour les vaincre et, par la suite, entraîner ses légionnaires dans une véritable guerre de conquête. Ce n'est pas si facile, car dès la première année il doit faire face à une grève des officiers de ses légions. Il parvient à les convaincre de le suivre.

L'Aquitaine est la mal-aimée des Gaules. César nous dit qu'elle ne fait que le tiers de la Gaulle, et il situe ses limites aux Pyrénées et à la Garonne. Pour les Aquitains, la Garonne est effectivement une limite – même si Bordeaux et Toulouse ne sont pas aquitaines - mais pas les Pyrénées dont les Aquitains peuplent les deux versants.

Strabon, un géographe grec postérieur à César, parle d'un « peuple petit et obscur » et quelque cent vingt ans plus tard Pline l'Ancien, (qui commandait la flotte impériale lors du désastre du Vésuve) cite une trentaine de peuples, mais il ne parle pas de la même Aquitaine.

D'autre part, Napoléon III, dans l’Histoire de Jules César, qu'il a signée, en 1865, ne consacre qu'une page à l’Aquitaine. Quant à Mommsen, dans son Histoire Romaine publiée à Berlin en 1857, il l’expédie en dix lignes seulement. Il faut aller lire la monumentale Histoire de la Gaule de Camille Jullian pour trouver trois pages.

A partir du IIIème siècle avant JC, les Celtes ont migré vers la Gaule et vers l'Espagne, mais n'ont pas peuplé l'Aquitaine, à l'exception des Bituriges Vivisci , navigateurs et commerçants celtes, à Bordeaux et des Volces Tectosages à Toulouse, mais ils ne sont déjà plus en Aquitaine, où vivent des populations qui ne sont celtes ni par la langue ni par les usages.

En 58 av JC, César livre sa première campagne contre les Helvètes, puis en 57, va combattre les Belges et le pseudo germain Arioviste. A ce moment, les grands peuples gaulois de la Gaule centrale soutiennent César, notamment les Héduens, "frères de sang du peuple romain" et les Arvernes. Vercingétorix, comme beaucoup d’aristocrates de son peuple, est alors officier de la cavalerie de Jules César, essentiellement composée d'aristocrates gaulois.

Les Romains n'avaient pas de carte et s'en passaient donc pour se déplacer. Le croquis de la page suivante était fait à partir de ce que les Romains savaient en Géographie et que César avait appris de son maître Posidonius - qui avait été également le professeur de Cicéron - et peut être aussi de son rhéteur gaulois Gnipho. Pour les Romains, la Gaule est un pays entièrement tourné vers le nord et barré par des fleuves parallèles, la Garonne et la Seine. A l’ouest (au sud pour nous) de la Garonne se trouvent les Aquitains. En 56, c'est par les peuples qui bordent l’Océan que le proconsul commence véritablement la conquête, car au centre de la Gaule, les Héduens et les Arvernes sont ses alliés.

Comment est peuplée l'Aquitaine? Mommsen parle de « tribus ibériques ». On connaît l'existence de diverses peuplades, mais on ne connaît pas leurs frontières de manière fiable, car ces populations nomades occupaient de vastes étendues mal délimitées et ignoraient sans doute la notion de frontière, au sens actuel du terme. Ainsi il règne quelque incertitude sur les Tarusates, le peuple le plus puissant, dont nous descendons vraisemblablement et que l'on rattache tantôt au cours moyen de l’Adour et à Tartas, tantôt au Tursan. On sait aussi que Dax, Aquae Tarbellicae, est, comme son nom l’indique, une ville des Tarbelles,. Le seul endroit que l'on connaisse avec précision, c'est Sos dont le peuple, les Sotiates est le seul d’Aquitaine à avoir un roi et un oppidum (hauteur fortifiée). Ils sont peut-être celtes, en tout cas, ce sont les seuls qui se battent comme des Gaulois et les Aquitains les laissent se battre tout seuls contre les Romains. Tous les autres Aquitains se coalisent pour former une grande armée confédérée. Il existe aussi d'autres peuplades, comme les Gates ou les Ptianes que personne ne sait situer avec précision. Enfin, contrairement à ce que disent parfois certains historiens, à la suite de César, les Pyrénées n'étaient pas la frontière de l'Aquitaine.

On peut se demander pourquoi César vient conquérir le territoire de ces petits peuples nomades. Quelle est l'importance économique de l'Aquitaine ? A la différence de plaines comme la vallée du Rhône et la vallée de la Seine, l'Aquitaine ne constitue pas un enjeu économique majeur et les Romains ne sont pas inquiétés pour commercer sur la vallée de la Garonne. On a avancé l’attrait de l'or des Tarbelles, dont Strabon écrit, un demisiècle plus tard, que l'on trouve dans la région des plaques grandes comme la main. Mais il s'agit vraisemblablement d'un mythe, même si l’affaire de « l’or de Toulouse », soixante ans auparavant et la disparition d’un convoi d’or prouvent la présence de quantités importantes de ce minerai.

La lecture des amphores permet de mieux comprendre les flux économiques et montre clairement que la Garonne constitue un axe important. En 1972, la découverte des amphores de Cauna (des amphores de type espagnol), a contribué à montrer que les peuples de l'Adour commerçaient avec l'Espagne. Dès le IIIème siècle avant JC, l'Adour relie les provinces du nord-est de l'Espagne et les Aquitains par le Golfe de Gascogne et la Côte Cantabrique, entre autres. Mais surtout, il est un minerai stratégique important dans l'Antiquité : l'étain qui, allié au cuivre, donne le bronze. Si le cuivre est omniprésent, l’étain, bien plus rare, se trouve essentiellement en Bretagne (Grande-Bretagne). Pour Rome, son importation se fait par deux axes stratégiques : le premier, depuis la Méditerranée emprunte la Garonne, puis par cabotage rejoint le puissant peuple maritime des Vénètes, qui contrôlent, avec leur puissante flotte de haute-mer, le commerce avec la Bretagne. Les Vénètes sont de ces rares peuples celtes qui font du commerce comme les Bituriges Vivisci - qui ne sont pas des Aquitains - tournés vers l'Océan, jamais en guerre avec personne, et toujours du côté du vainqueur.

Donc, si le contrôle de la Garonne et de son estuaire présente une importance économique certaine, celui de l'Aquitaine profonde ne semble guère présenter d’intérêt, d’autant que la Côte Cantabrique n'est pas encore pacifiée.

Quel est alors le poids militaire de l'Aquitaine? Mommsen parle de « milices considérables par le nombre et le courage ». Effectivement les Aquitains ont remporté des succès militaires antérieurs. Le légat romain Valerius Praeconinus a été vaincu et tué, sans doute à l'occasion de la guerre contre Sertorius. La région compte aussi le puissant peuple sotiate dont nous avons parlé plus haut. Les autres sont de petits peuples dispersés, liés par ce que nous appellerions des accords de défense. César appelle l'Aquitaine le « pays des Vocates et des Tarusates ».

A propos des Aquitains, Camille Julian écrit ce panégyrique : "Ils montraient une bravoure à la fois plus habile, plus prudente et plus têtue. Rusés, habitués aux travaux les plus divers des champs, des mines et de l'élevage, ils montraient cette variété d'aptitudes qui faisait l'excellence du légionnaire romain ». Mais c'est de la poésie pure.

En tout cas, cinquante mille Aquitains et Cantabres sont rassemblés pour arrêter Crassus, le légat de César, et ses douze cohortes (quinze mille hommes dont six à sept mille fantassins). La réputation militaire des Espagnols, en revanche, n'est plus à faire depuis que Sertorius avait fondé une république libre d'Espagne. Les forces militaires qui comptent sont à la périphérie de l'Aquitaine, du côté de la Gaule, et, à la différence de tant d'autres peuples, ceux de l'Aquitaine ne sont pas nommés ailleurs dans La Guerre des Gaules, même pas dans la liste des peuples soulevés en 52, où figurent presque tous les peuples de Gaule. Cette conquête n'est donc essentielle ni économiquement ni militairement, même si Mommsen dit qu'il s'agit d'établir « une ligne de communication avec l'Espagne », car, de l'autre côté des Pyrénées, ce n'est pas l'Espagne romaine. Donc, notre fierté régionale dût-elle en souffrir, l'Aquitaine, la moins gauloise, la moins riche, la moins peuplée des Gaules, ne constitue pas un enjeu majeur pour César, tout au plus un objectif secondaire

La bataille d'Aquitaine a été menée par Publius Licinius Crassus, fils puîné de Marcus Licinius Crassus qui constitue avec César et Pompée l’alliance d’intérêts que l’on a appelé improprement le premier triumvirat, en fait une alliance de coquins pour se partager l'empire. De même que César a donné sa fille en mariage à Pompée, de même il a pris sous son aile le fils de Crassus (comme, d’ailleurs le frère de Cicéron) et il lui a donné un peu plus d'une légion : douze cohortes. Chose très originale, face à cette légion qui se bat évidemment « à la romaine », les Aquitains se battent aussi « à la romaine », en utilisant des camps retranchés. Le camp romain est une pure merveille, qui explique que les Romains n'aient jamais été battus dans cet abri inexpugnable. Il ne s’agit pas ici des camps permanents, mais des camps construits chaque jour, à l’étape, par les corps expéditionnaires. Celui de Crassus est composé d'environ 6000 à 7000 légionnaires, à peu près autant d'auxiliaires gaulois, et de 1000 à 2000 cavaliers. Tous les soirs, après 30 km avec 30 kg sur le dos, les légionnaires installent leur camp sur une dizaine d'hectares. Un tiers environ de la troupe forme une ligne de défense en construisant un parapet et en posant des piquets qu'ils ont porté sur leur dos tout le jour. Ce corps consomme environ 20 tonnes de blé par jour et cet approvisionnement est aussi vital que le carburant pour une armée actuelle ; or, la logistique est entièrement gauloise

Le combat contre les Sotiates est très vite réglé, mais l’affaire est beaucoup plus difficile avec le reste des Aquitains qui se battent comme des Romains. Ils laissent la légion romaine pénétrer en profondeur jusqu'à ce qu'elle atteigne le nord des actuelles Landes. Il est impératif pour eux que les troupes de Crassus ne débouchent pas sur les terres fertiles au Sud de l'Adour. Nous avons la chance d'avoir deux sources, dont une hostile à César, qui racontent exactement la même bataille. Les légionnaires romains, comme d’habitude, provoquent l'ennemi en l'appelant à monter à l'assaut, en resserrant les rangs pour paraître les moins nombreux possible. Normalement l'ennemi charge en courant et les légionnaires brisent aisément l'assaut au moyen de flèches et de javelots. Lorsque la troupe adverse est bien disloquée, ils avancent en rang compact et culbutent les survivants. Mais cette fois-là, cette tactique ne fonctionne pas parce que l'ennemi est formé « à la romaine » : il ne quitte pas l’abri invincible du camp. Alors Crassus lance une attaque frontale contre ce camp, sans succès, personne n'ayant jamais réussi à prendre un camp romain par la force. Ses hommes piétinent donc devant les retranchements aquitains, jusqu'à ce qu'on lui signale qu'une porte n'est pas gardée à l’opposé des combats. Il envoie deux cohortes sur 15 km, au pas de gymnastique, attaquer la porte dite "décumane".

Les Aquitains, pris à revers, sont battus et largement massacrés ; ils ne reprennent plus les armes contre Rome, même pas en 52, lors de l’insurrection générale. La localisation du site de cette bataille d’Aquitaine a donné lieu à plusieurs hypothèses. M. Brèthes retient deux cas : soit Crassus longe la Midouze puis l’Adour en direction de Dax, soit il oblique et emprunte un très vieux chemin qui relie les Pyrénées à l'EntreDeux Mers.

En 51, la guerre s’achève par la reddition d’un vaillant petit village, Uxellodunum, qui résiste jusqu'au bout, et César, "dans sa grande bonté", comme il le dit luimême, fit couper les mains de ceux qui avaient porté les armes et leur laissa la vie sauve, renonçant ainsi à la vente de ces milliers d’esclaves. Le Cadurque Luctérios, un des derniers chefs gaulois, se réfugie chez les Arvernes, qui le livrent à César.

Alors le proconsul, qui n'avait pas participé à la campagne de 56, vient lui-même assister à la soumission de l'Aquitaine.

A partir de là, l'Aquitaine est une conquête fidèle. Plusieurs Aquitains se battent avec César, le plus célèbre étant Pison l'Aquitain, qui est cité dans un épisode héroïque de la Guerre des Gaules. Par la suite, quelques soubresauts de montagnards indociles exigent une intervention d'Agrippa en 39 et une autre de Messala en 27. La pacification définitive est obtenue par la campagne d'Auguste chez les Cantabres en 25 av. JC, célébrée par le trophée de Lugdunum Convenarum, c'est-à-dire Saint-Bertrand de Comminges.

Les Aquitains vont alors s'employer à aménager leur statut. Très vite, Auguste crée une grande Aquitaine jusqu'à la Loire, dont la capitale est Saintes puis Bordeaux. Au troisième siècle, cette grande Aquitaine est divisée en trois parties et celle qui nous concerne prend le nom de novempopulanie, ou État des neufs peuples, un état fédéral, sans véritable capitale, même si Eauze en est le chef-lieu administratif. Les limites de cet État sont à peu près celles de la Gascogne.

Rome a apporté aux Aquitains le sens de l'État, la construction en pierres de taille, le mortier, la culture de la vigne, la mondialisation de l'économie, une langue internationale, et de nouvelles dénominations, puisque Rome a pris l'habitude d'appeler les villes du nom des peuples d’où vient leur nom actuel (mais Dax - Aquae Tarbellicae - s'est appelée Ax comme toutes les villes d'eau romaines).

Au souci de Rome de noyer dans une vaste entité administrative des populations qui avaient une identité très forte, a répondu le souci constant de ces peuples de faire reconnaître leur spécificité et peut-être leur identité polycéphale sans capitale véritable.

 

Cercle Frédéric Bastiat 

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14 mai 2011 6 14 /05 /mai /2011 13:26
L'Empire socialiste des Inka

Université de Paris — Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie — V (1928)

par Louis Baudin
Professeur à la faculté de Droit de Dijon

Conclusion

C'est au lecteur qu'il convient de compléter le récit que nous venons de faire, De la société précolombienne, nous n'avons guère pu donner qu'une idée, esquisser que l'armature. Il est possible que notre Europe moderne, imprégné de science soit aussi incapable de comprendre le système péruvien que l'était l'Espagne du XVIe siècle, tout enivrée d'ardeur mystique et de convoitise sensuelle.

Mais nous serons heureux si nous avons pu faire goûter au lecteur, au milieu des préoccupations de l'heure présente, un peu de la joie que nous avons goûtée nous-mêmes à lire les pages des vieux chroniqueurs, à participer à leur émerveillement, à éprouver comme eux la sensation de découvrir un monde nouveau 1.

 

Note

1 Au moment où notre livre va paraître, nous parvient un numéro de la Revista chilena de his­toria y geografía, de janvier-mars 1927, qui contient un important article de R. Latcham, intitulé : El dominio de la tierra y el sistema tributario en el antiguo imperio de los Incas. L'auteur, dont les vues se rapprochent des nôtres sur un grand nombre de points, reprend pour les développer la plupart des idées qu'il a exposées dans des études antérieures. R. Latcham est un des écrivains qui ont réagi avec le plus de vigueur contre la tendance des historiens d'autrefois à qualifier de communiste le régime péruvien.

Nous recevons également l'ouvrage de M. Castro Pozo : Nuestra comunidad indigena (Lima, 1924). Nous renvoyons à cette étude très consciencieuse le lecteur désireux de connaître les survivances d'anciennes coutumes que l'on trouve sur le plateau et que nous ne saurions examiner ici. Remarquons seulement que la division du travail n'existe pas dans la communauté indienne actuelle, que l'enfant est encore considéré comme propriété de sa famille et qu'en dépit des lois il est fréquemment vendu comme domestique par son père, que le mariage, s'il n'est pas obligatoire, a du moins conservé un caractère social, les parents décidant souvent les unions sans consulter les futurs conjoints. On conçoit que, fondée de la sorte sur l'intérêt plus que sur le sentiment, la famille indienne soit peu attrayante et on s'explique le goût de ses membres pour le silence et la contemplation.

Mentionnons enfin pour mémoire un pamphlet d'une fantaisie délirante, de M. A. Bontoux, intitulé : Le régime économique des Incas (Paris, 1927).


Appendice — A l'exemple des Inka

L'influence exercée par la civilisation des Inka sur les peuples étrangers après la conquête a été très faible. Aucune des colonies socialistes fondées en Amérique au courant du XIXe siècle, dont plus de 50 ont existé dans les seuls États-Unis, ne s'est inspirée des anciens Péruviens, et quand le socialisme européen a pénétré dans les États du Pacifique vers le milieu du siècle dernier, il s'est développé surtout dans les pays d'immigration qui n'avaient pas été conquis par les Inka ou n'avaient été que partiellement soumis : le Chili et la Colombie 1. La seule grande tentative d'organisation que l'on puisse rapprocher de celle que nous venons d'étudier est celle des Réductions du Paraguay. L'abbé Raynal dit expressément que les Jésuites prirent pour bases les règles posées par les Inka 2. Au Paraguay les terres étaient partagées entre les communautés indigènes et l'État ; les produits du domaine national (Propriété de Dieu) étaient conservés dans des magasins publics, ils servaient à l'entretien du culte, des veuves, des orphelins, des infirmes, des hauts fonctionnaires et constituaient des réserves pour les mauvaises années. Toute la direction économique était concentrée aux mains des missionnaires qui assignaient à chacun son métier ; aucune monnaie ne circulait à l'intérieur et le commerce extérieur était restreint autant que possible, afin d'isoler les Réductions du reste du monde 3. L'existence à des époques différentes sur ce même territoire sud-américain de deux communautés socialistes, l'une théocratique au XVIe siècle : les Réductions, l'autre égalitaire au XIXe siècle : la colonie de New-Australia, permet de mesurer la différence des résultats obtenus. La première fut longtemps prospère ; la deuxième périclita presque immédiatement 4.

Les Espagnols qui auraient pu, plus que tous les autres Européens, subir l'influence péruvienne, se sont bornés à étudier le régime agraire, et encore sont-ils restés surtout imbus des souvenirs de l'histoire romaine ou grecque. Le licencié F. Murcia de la Llana en 1624, Floranes en 1797, Florez Estrada en 1839 ont cherché dans le système inka des justifications de leurs thèses 5.

Il est curieux que la littérature espagnole elle-même se soit peu inspirée de l'Amérique précolombienne ; c'est à peine si l'on trouve dans « le siècle d'or » quelques pièces relatives aux Inka, telle que la Aurora en Copacavana de Calderon de la Barca, type de drame religieux où l'on voit l'idolâtrie paraître sur la scène en chair et en os 6.

Plus bizarre encore est le fait que la plupart des utopistes aient négligé l'Amérique du Sud. Platon demeure la source où viennent puiser les constructeurs de cités futures, Thomas Morus tout le premier 7. Campanella et Morelly semblent faire exception ; le premier a peut-être emprunté aux Péruviens quelques-uns des éléments de son système, outre le titre même de son livre : Civitas Solis (1630) 8 ; le second, qui prétend prendre les Inka pour modèles dans sa Basiliade parle de culture en commun, de magasins publics et même de routes « bordées à distances égales de quelques habitations champêtres », mais la société qu'il décrit est communiste et vit en un pays très fertile, ce qui la différencie profondément des sociétés précolombiennes de l'Amérique du Sud 9 ; Francis Bacon, dans sa New Atlantis (1627), mentionne le Pérou à plusieurs reprises, mais sans s'inspirer de l'organisation péruvienne 10. Par contre, comme il est naturel, nous trouvons dans les ouvrages des utopistes des conceptions qui ont été réalisées au temps des Inka : chez Vairasse d'Alais, qui connaît les Commentaires de Garcilaso, un pays où tous les habitants sont riches sans rien posséder eu propre et où « personne ne manque des choses nécessaires et utiles à la vie » 11, chez Bulwer Lytton 12 une inégalité relative des fortunes sans misère véritable, chez Rétif de Bretonne 13 des communautés agraires, chez Bellamy 14 un fonctionnarisme universel et une réglementation de la production ; cependant, ce sont encore les États imaginaires dé Morus, de Morelly (dans sa Basiliade15, de Cabet 16, avec leur appareil géométrique, qui se rapprochent le plus de l'Empire péruvien.

Parmi les historiens et les philosophes, nombreux sont ceux qui se sont occupés des Indes de Castille, en France notamment, mais c'est surtout le point de vue moral qu'ils ont envisagé. Bodin se borne à démontrer, en prenant pour exemple le meurtre d'Atahualpa, qu'en politique le plus fort trouve toujours un prétexte pour accomplir son dessein 17 ; Montaigne, qui a lu Gómara, Benzoni et peut-être las Casas, vante les vertus des Américains et, en critiquant les Espagnols, vise toute la civilisation de son temps 18. En Espagne même, Guevara, dans L'Horloge des Princes (1529), et Ercilla y Zuñiga, dans L'Araucana (1590), protestent contre les excès commis par les vainqueurs 19.

Au XVIIe, comme au XVIe siècle, les conquérants espagnols continuent d'être sévèrement critiqués, dans un but parfois manifestement politique. Les Indiens bénéficient de l'horreur inspirée par leurs bourreaux et deviennent des modèles de vertu 20.

C'es au XVIIIe siècle, que les Inka font fureur dans notre pays, mais ce sont des Inka « bons pères de famille », tels peuvent les concevoir les lecteurs de Garcilaso et de Las Casas. Quoiqu'ils ne soient pas aussi à la mode que les « bons sauvages » du Paraguay ou de l'île de Tahiti, ils figurent en bonne place dans les comédies et les ballets. Les Indes Galantes de Rameau (1735) content les amours d'une fille d'Inka avec un officier espagnol ; Voltaire, qui cite Garci­laso, Herrera, Zárate et Las Casas, consacre à la conquête du Pérou un chapitre bref et peu instructif dans son Essai sur les mœurs 21 ; par contre il écrit Alzire, drame qui fut représenté pour la première fois le 27 janvier 1736 et qui remporta un succès incroyable. A notre point de vue, cette pièce est totalement dénuée d'intérêt, car l'auteur n'a nullement cherché à se documenter sur l'histoire et les coutumes des Indiens 22.

L'invasion américaine s'aggrave dans la deuxième partie du XVIIe siècle. Sur la scène se succèdent la Péruvienne de Boissi (1748), la Péruvienne encore de Rochon de Chabannes (1754), Manco-Capac de Iteblanc (1763) 23, Azor ou les Péruviens de Du Rozoi (1770). Les Lettres d'une Péruvienne, de Mme de Graffigny (Paris, 1752), en deux volumes, connaissent le succès ; on y voit une Indienne qui' adresse au moyen de kipu de longues missives dans le style fleuri et ampoulé de l'époque 24.

J. F. Marmontel, en 1777, publie son célèbre roman : les Incas ou la destruction de l'Empire du Pérou, fantaisiste, fastidieux et d'un sentimentalisme écœurant. Il multiplie les invraisemblances et, circonstance aggravante, il se réfère perpétuellement aux sources et insiste sur le caractère historique de son œuvre. .Il suppose qu'un Mexicain vient raconter aux Péruviens les malheurs de sa patrie et il nous montre l'Ink:a, au moment où l'Empire est menacé de toutes parts, pardonnant à un Espagnol d'avoir enlevé une Vierge du Soleil, crime exceptionnellement grave, comme nous le savons. Tout est si bien ordonné dans l'État qu'il nous présente qu'on se prend à admirer le désordre et les habitants sont si exagérément vertueux qu'on est presque tenté de regretter l'absence de vices 25.

Enfin, malgré leur extrême brièveté, les développements qui figurent dans la Grande Encyclopédie, aux mots Inka et Pérou, contiennent aussi plusieurs erreurs capitales. Nous avons le sentiment en les lisant que les Français du XVIIIe siècle pouvaient donner impunément libre cours à leur imagination quand ils parlaient de l'Amérique du Sud, ils trouvaient toujours un public disposé à les croire.

Certains esprits plus scientifiques ont traité du Pérou dans leurs ouvrages. Nous avons déjà cité l'abbé de Pauw ; malgré sa partialité et ses exagérations, on est presque reconnaissant à cet écrivain paradoxal d'avoir osé remonter « le torrent intarissable de glaciale sensibilité » 26 qui emportait tous ses contemporains. L'abbé Raynal, que nous connaissons également déjà, nous donne dans son Histoire Philosophique... un œuvre très caractéristique de l'état des esprits en cette fin de siècle où l'on ne veut pas renoncer à l'idéal du « bon sauvage » et où pourtant, après les voyages de la Condamine et de Bougainville, on ne peut plus se bercer d'illusions 27. L'abbé Raynal louange et blâme le Pérou tout à la fois, ses idées sont nombreuses, mais confuses, et ses conclusions incertaines.

Dans le livre VII du tome II, cet auteur brosse un tableau enchanteur de l'Empire inka ; puis constatant que la propriété était collective, il se demande comment les Péruviens, privés du stimulant de l'intérêt personnel, ne sont pas tombés dans la misère. Il répond par un raisonnement singulier : les Inka, ne connaissant pas la monnaie, obligeaient les Indiens à cultiver leurs terres, en guise de tribut, et « leur patrimoine était si confusément mêlé à celui de leurs sujets qu'il n'était pas possible de fertiliser l'un sans fertiliser l'autre ». L'abbé Raynal croit que les Péruviens ne s'élevèrent jamais au-dessus du plus étroit nécessaire. « On peut assurer qu'ils auraient acquis les moyens de varier et d'étendre leurs jouissances si des propriétés foncières commerçables (sic) héréditaires avaient aiguisé leur génie. » Le célèbre philosophe prétend encore que le commerce n'existait pas, que les arts « de détail » étaient imparfaits, que les récits des Espagnols relatifs aux villes, aux monuments, aux routes, aux kipu, sont des légendes, ce qui ne l'empêche pas de blâmer ceux qui ont traité de fables les récits faits sur les Inka. Selon lui enfin, les lois devaient insensiblement s'altérer, en raison de l'absence d'écriture, mais par bonheur l'ignorance absolue des monnaies d'or et d'argent empêchait le monarque de thésauriser. En définitive l'abbé Raynal n'admire pas sans réserves les institutions péruviennes et cache une grande inquiétude d'esprit sous un enthousiasme factice 28.

Adam Smith, plus bref que l'abbé Raynal, n'a pas été mieux inspiré que lui. Il certifie que les Indiens du Mexique et du Pérou n'ont pu jouir d'une civilisation véritable et en conclut que la population de ces deux Empires devait être très faible : « Il paraît impossible, dit-il, que l'un ou l'autre de ces Empires ait pu être civilisé ni aussi bien cultivé qu'aujourd'hui, où ils sont abondamment pourvus de toutes sortes de bestiaux d'Europe et où l'usage du fer, de la charrue et de la plupart de nos arts s'est introduit chez. Eux ; or la population d'un pays doit nécessairement être en proportion du degré, de sa civilisation et de sa culture 29. Malgré la barbarie avec laquelle on a détruit les naturels du pays après la conquête, vraisemblablement ces deux grands Empires sont aujourd'hui plus peuplés qu'ils ne l'ont jamais été, et le peuple y est certainement d'une nature fort différente, car je pense que tout le monde conviendra que les créoles espagnols sont, à beaucoup d'égards, supérieurs aux anciens Indiens 30. »

On voit que l'illustre économiste anglais n'était pas exempt de préjugés.

A l'encontre de l'abbé de Pauw, le comte de Carli trace du Pérou une riante esquisse, déformation grossière de la réalité dont Garcilaso demeure responsable. Le système péruvien, à l'en croire, est uniquement l'œuvre des Inka ; il est fondé sur la différenciation de la propriété « naturelle » et de la propriété « légale » et il aboutit au bonheur absolu. Cependant de Carli n'est pas un auteur sans mérite ; il critique avec esprit de Pauw qui « a regardé comme sauvage tout ce qui n'est pas à Berlin ou à Breslau » et qui, « par une étrange métamorphose, semble avoir hérité de l'âme du moine Vincent Valverde » (ce moine qui, à Cajamarca, présenta les Évangiles à l'Inka et donna le signal du massacre) ; il note que le Pérou ne peut être qualifié d'Etat conventuel ou de réunion monastique, car « cette forme de gouvernement ne pouvait avoir effet que dans des limites très étroites » ; il indique avec raison que la disparition des besoins factices, conséquence de l'énergique politique des Inka, est dans toute société humaine le fondement du bonheur 31. Il conclut dans un élan d'enthousiasme, excessif mais sincère : « Je suis tellement plein de l'idée de l'ancien Gouvernement du Pérou que je me crois réellement moi-même Péru­vien. Il me semble au moins que je voudrais voir réaliser un pareil système, en quelque endroit du globe. J'irai jouir d'un bonheur parfait pendant le temps qui me reste à vivre 32. »

A la veille de la révolution, en 1787, l'Académie de Lyon mettait au concours le sujet suivant : De l'influence de la découverte de l'Amérique sur le bonheur du genre humain. Parmi les ouvrages présentés sous ce titre, celui de l'abbé Genty mérite seul de retenir l'attention 33.

Cet auteur, comme l'abbé Raynal, admet à la fois que la propriété a été collective chez les Inka et que ce peuple a été très heureux, mais, comme il considère toute socialisation comme un mal, il cherche, par de subtils raisonnements, à sortir de l'impasse où il se trouve engagé. D'après lui, l'absence de propriété individuelle est la cause des imperfections que l'on relève dans la civilisation péruvienne : « Les divers monuments et toutes les productions des arts n'étaient dus qu'à des efforts prodigieux de patience et d'industrie ; la plus grande partie de l'activité nationale se consumait inutilement, faute d'instruments propres à la diriger et à en multiplier les effets » (p. 29). Enfin, si les Péruviens étaient heureux, ce n'était qu'un bonheur temporaire, les Espagnols sont arrivés au moment même où le malheur allait naître. La conclusion de l'abbé Gent y est décourageante. L'univers entier devait attendre « des fruits inestimables » de la découverte de l'Amérique, mais ces fruits « ont été changés en poisons mortels par la rage des conquérants et l'ambition des rois » (p. 294).

En somme les auteurs cherchent dans le système d'organisation des Inka, tel que le rapportent le petit nombre de chroniqueurs qu'ils connaissent, une confirmation de leur propre thèse politique et économique. Hostilité à l'égard des Espagnols, sympathie pour les Indiens, croyance au bonheur des sujets des Inka, mais à la nocivité de la propriété collective, tels sont généralement les dogmes qu'ils admettent. Non seulement ils se font une idée inexacte du système péruvien, mais leur ignorance même de la géographie de l'Amérique du Sud est surprenante. Ne voit-on pas l'abbé Raynal s'imaginer que la fertilité du sol et la douceur du climat rendent le travail facile aux habitants (t. 2, p. 142) ?

Au XIXe, siècle nous ne trouvons, à côté des romans de pure imagination, que les œuvres scientifiques dont nous avons parlé au chapitre premier. Personne ne donne plus les rouges en exemple aux blancs. ..

Les Inka ont. déserté aujourd'hui le théâtre et la littérature et leur .influence est morte. Quand, en 1913, M. Gaston Leroux s'avise d'écrire son amusant roman, L' éclipse du Soleil, dans lequel il fait revivre quelques grandes scènes du Pérou antique, en brodant avec beaucoup de fantaisie sans doute, mais toujours sur un canevas historique soigneusement établi, il a beau citer en note Garcilaso, Cieza de León et Sarmiento, le lecteur demeure méfiant, les faits qu'on lui conte semblent trop fantastique pour être croyables et, malgré les références fournies par l'auteur, il ne se laisse pas convaincre. Jamais le vrai n'a été si peu vraisemblable.

 

1 De Mazade, Le socialisme dans l'Amérique du Sud. Revue des Deux Mondes, 15 mai 1852.

2 Histoire philosophique..., t. 2, p. 277. L'auteur anonyme d'un mémoire de l'Académie de Dijon daté de 1874 (L'influence des Jésuites considérés comme missionnaires sur le mouvement des idées au XVIIIe siècle) dit également, en parlant de l'organisation établie par les Jésuites au Paraguay : « Peut-être en trouvèrent-ils le germe dans l'ancienne organisation sociale du Pérou. » V. Lettres édifiantes et curieuses, op. cit., t. 10, 11, 19, 23. – Lugones, El imperio jesuítico, op. cit. – Pablo Hernández,Organización social de la Compañia de Jesus, op. cit. – Charlevoix, Histoire du Para­gay, op. cit. – Sagot, Le communisme au Nouveau Monde, op. cit. – Demersay, Histoire physique, économique et politique du Paraguay, Paris, 1860-1864. – Pfotenhauer, Die Missionen der Jesuiten in Paraguay, trois vol., Gütersloh, 1891-1893. – Gothein, Der Christlich-Soziale Staat der Jesuiten in Paraguay, op. cit. – M. Fasbinder, Der Jesuitenstaat in Paraguay, op. cit. –.R. Lozano, Historia del Paraguay, op. cit. – F. de Azara, Viajes inéditos desde Santa-Fé, á la Asunción, al inte­rior del Paraguay, y á los pueblos de misiones, Buenos-Aires, 1873. – C. Baez, Le Paraguay, Paris, 1927.

3 Le peso servait de monnaie de compte, encore les prix étaient-ils fixés à des chiffres invariables. Ce système n'a pu se maintenir que grâce à l'absence complète de mines au Paraguay, à l'isolement des Réductions et à la rareté des échanges privés.

4 Droulers, Une colonie socialiste au Paraguay. Réforme sociale, 1895, t. 2. – Saint-Grahame, Where socialism failed, Londres, 1912.

5 J. Costa, Colectivismo agrario..., op. cit., p. 76-192.

6 Aucun poète de talent n'a chanté la conquête du Pérou. La Conquista de la Nlœva Castilla, publiée à Paris en 1848, et la Lima fundada, de P. de Peralta Barnuevo. (Lima, 1732), sont des œuvres sans valeur. Mentionnons, parmi les pièces de théâtre, la Trilogia de las hazañas de los Pizarros en el Nuevo Mundo y sus aventuras amorosas en la metrópoli, de Tirso de Molina, et l'Atahualpa, de Cortés (1784).

7 L'Utopie a été publiée en 1516, avant la découverte du Pérou par conséquent.

8 Campanella a pu connaître les récits de Jerez, Gómara, Cieza de León, Zárate, Acosta (M. Mauss, Analyse et critique de l'ouvrage de De Greef sur l'Evolution des croyances et des doctrines politiques. Le Devenir Social, 1890, p. 370, n. 2). « Campanella devait avoir lu des récits sur cet étrange pays (le Pérou). » (P. Lafargue, Campanella. Le Devenir Social, 1895, p. 574.)

9 Naufrage des Îles flottantes ou Basiliade du célèbre Pilpai, Messine, 1753, t. I, p. XLI, 4 et 105. On peut dire cependant que c'est par l'intermédiaire de Morelly que l 'Empire des Inka, quoique mal connu et mal compris, a exercé une certaine influence sur le socialisme moderne.

10 Edition de Cambridge, 1919, p. 1 et 17.

11 Histoire des Séverambes, Amsterdam, 1677'

12 The coming race, trad. franç., Paris, 1888.

13 Découverte astrale, Leipzig, 1782. – L'Andrographe, La Haye, 1782.

14 Looking backward, Boston, 1888.

15 Dans son Code de la Nature, Morelly prévoit dés règles strictes d'organisation : mariage obligatoire, suppression de la propriété individuelle, création de magasins publics, mais il s'écarte nettement du système péruvien sur bien des points : liberté de consommation, principe d'élection, etc.

16 Voyage en Icarie, Paris, 1840.

17 République, liv. 5, ch. 6 (Edition de Paris de 1577, p. 269). Atabalippa, comme écrit Bodin, a beau payer la rançon qu'on lui, demande et embrasser ensuite la foi catholique, il n'en est pas moins mis à mort : « Quand il n'y'a plus d'excuses, le plus fort en matière d'état ne laisse pas toujours de le gagner et le plus faible a tort. »

18 Essais, liv. 3; ch. 6. – P. Villey, Les sources des Essais (t. IV de l'édition Strowsky et Gebélin, Bordeanx, 1919) : Montaigne connut une traduction française complète de Gómara de 1584 et la traduction de Benzoni de 1579 ; il goûta surtout l'élégance et l'ironie du premier de ces écrivains (C. Pereya, Montaigne et López de Gómara. Revue de l'Amérique latine, 1er août 1924, p. 404).

19 Chinard, L exotisme américain dans la littérature française au XVIe siècle, Paris, 1911, p. 224.

20 Agrippa d'Aubigné, en s'excusant de ne point parler de la conquête du Pérou, s'exprime ainsi avec franchise : « Je renvoye mon lecteur aux Espagnols qui en ont escript, meu de deux considérations. L'une que je ne sçaurais entrer en ce discours sans passion contre les cruautés et perfidies, ce qui serait soupçonné d'un Français, et cette passion contre ma profession. » (Histoire universelle, Paris, 1616, liv. I, ch. 16).

21 T. 2, ch. CXLVlI. Voltaire soupçonne non sans raison Las Casas d'exagérer, mais i1 rapporte quand même les affirmations de cet écrivain.

22 L'abbé Galiani critique spirituellement les personnages de cette pièce dans sa lettre à Mme d'Epinay du 20 février 1773 « Alvarez, faible et pleureur, n'a rien du courage ni de la fierté castillane... Alzire est une des meilleures théologiennes de son siècle... Montèze, ni américain, ni espagnol, ni sauvage, ni chrétien; on ne sait ce que c'est, si ce n'est un imbécile. »

23 Appelé par la Harpe « un chef-d'œuvre de bêtise » (Correspondance, t. 4, p. 250).

24 Turgot a fait part à Mme de Graffigny elle-même de ses observations sur les « Lettres d'une Péruvienne » (Œuvres de Turgot, éd. Guillaumin, Paris, 1844, t. 2, p. 785). Enthousiasmés par la lecture de l'ouvrage de Mme de Graffigny, deux Italiens ont écrit une Apologie des quipos, pleine d'erreurs, dont parle Skinner (The present state of Peru, p. 17, n. 1.

25 Marmontel s'inspire de Garcilaso, de Las Casas et de Benzoni ; les inexactitudes de détail pullulent dans son ouvrage ; un seul exemple : il écrit que l'Inka fait arborer l'étendard de la guerre sur un des sommets de l'Illiniza (p. 238) ; or les deux cimes de cette montagne mesurent respectivement 5 300 et 5 160 mètres et le fameux alpiniste anglais Whymper, vainqueur du Chimborazo, a dû reculer devant l'une d'elles. Chateaubriand a emprunté à Marmontel une des scènes les plus importantes d'Atala (Chinard, L'exotisme américain dans l'œuvre de Chateaubriand, Paris, 1918, p. 289).

26 L'expression est de M. Lichtenberger, Le socialisme au XVIIIe siècle, Paris, 1895, p, 270. V. suprà, ch. I, p. 19. De Pauw allait jusqu'à considérer comme un signe de faiblesse l'absence de barbe chez les Indiens ! Nous passons sous silence les auteurs de second ordre comme l'abbé Lam­bert qui se borne à résumer Garcilaso (Histoire générale, civile, naturelle, politique et religieuse de tous les peuples du monde. Paris, 1750, t. XIII, p. 225 et suiv.).

27 La Condamine, Relation abrégée d'un voyage fait dans l'intérieur de l'Amérique méridionale, Paris, 1745. – L. A. Bougainville, Voyage autour du monde, par la frégate du roi la Boudeuse et la flûte l'Etoile, Paris, 1772.

28 Chez Chateaubriand, l'inquiétude est à son comble, car l'idéal de vie simple, offert par les Américains, apparaît comme inaccessible]e aux Européens. Un civilisé ne saurait redevenir sauvage.

29 Proposition inexacte, actuellement la natalité la tendance à décroître au fur et à mesure que la civilisation augmente.

30 Wealth of Nations, liv. IV, ch. 7. Trad. franç., op. cit., p. 178. On sait que cet ouvrage a été publié en 1776.

31 Delle lettere americane. Lettre XVI. Trad. franç., t. I, p. 233-340.

32 Delle lettere americane. Lettre XIX. Trad. ftanç., t. I, p. 284.

33 Le mémoire du marquis de Chastellux, sur le même sujet, comporte une, critique de la politique espagnole, mais très générale et surtout au point de vue du commerce


Annexes

Table de concordance des anciennes civilisations de la côte et du plateau

(d'après Means, introduction aux Memorias antiguas de Montesinos,
trad. angl., Londres, 1920, p. XLV.)

Côte Plateau
Proročimu et Protonazca.
Poterie, textile, construction en adobes.
Poteries archaïques, construction en pierres.
Čimu et Nazca.
Commerce avec l'intérieur, influence de Tiahuanaco.
Tiahuanaco.
Influence de la côte, progrès artistiques, poteries.
Čimu et Nazca.
Dernière époque, progrès architectu­raux. Constitution de puissants États.
Décadence, modification du climat. – Naissance de l'Empire Inka.
Conquête de la côte par les Inka, 1531.
Arrivée des Espagnols.

 

Liste des tribus de l'empire inka

(d'après Markham, On the geographical positions of the tribes which formed the Empire of the Yncas.
Journal of the royal geographical society
, 1871, p. 281.)

 

  1. Région des Inka :

    1. Inka (Hanan Cuzco – Hurin Cuzco – Ayamarka – Kes­pikanči – Muyna – Kehuar – Huaruk – Urko – Činča – Rimak tampu – Papri – Maska – Čil'ki – Poke – Mayu – Kanku).

    2. Kaña (Ayaviri – Kaña – Kanče – Kaviñia).

    3. Kičua (Yanhuara – Čumbivilka – Kotanera – Kotapampa – Aymará – Umasuyu).

    4. Čanka (Huankohual'u – Kiñual'a – Utunsul'a – Urumarka – Vilka – Takmana – Pokra – Ykiñano – Moročuko).

    5. Huanka (Sausa – Huankavilka – L'aksapalanka – Pumpu – Čukurpu – Ankora – Huayl'a – Yauyu)

    6. Lukana (Lukana – Sora – Kol'ahua – Huamanpalpa).

  2. Région du Collao (lac Titicaca) : Kol'a – Lupaka – Pakasa – Karanga – Uru– Kol'ahuaya– Kil'aka.

  3. Région de Činča-suyu (Nord du Pérou) : Huanuka – Končuku – Huamačuku – Kasamarka – Čačapuya – Huakračuku – Huankabamba – Ayahuaka.

  4. Région des Kitu (Royaume des Kara) : Kitu – L'actakunka – Ankamarka – Hambatu – Tikisambi – Mucha – Puruha – Lausi – Kañari – Palta – Zarza – Puritaku – Kul'ahuasu – Linguači – Kayambe – Utabal'u – Čimbu – Karangue – Huankalvilka – Manta – Kara – Takami.

  5. Région des Yunka (côte) : Kolane – Etene – Katakao – Sečura – Morrope – Čimu – Močika – Čango.

Tableau des langues parlés;es dans les territoires qui faisaient partie de l'Empie des Inka au début du XVIe siècle

(d'après le Dr Rivet, in : Les langues du monde. Op. cit., p. 639 et suiv.)

Famille linguistique

Tribus

Territoire

Čibča

Kara, Latakunga

Plateau équatorien jusqu'au parallèle S. 0° 31'

Atal'an

Manta, Huankavilka, Puná, Túmbez

Côte équatorienne

Puruha

Puruha

Province équatorienne de Chimborazo

Kañari

Kañari

Provinces équatoriennes de Cañar et de l'Azuay

Jíbaro

Palta

Province équatorienne de Loja

Sek

Kolan, Katakao, Sečura,

Côte péruvienne entre 5° et 6°30' de latitude méridionale

Yunka

Morrope, Eten, Čimu, Činča

Côte péruvienne entre 6°30' et 10° de latitude méridionale

Kičua

1° Groupe inka: Kana, Kanče, Inka, Cumbivilka, Aymará, Kičua, Čanka, Huanka, Lukana.

Plateau péruvien du nœud de Vilcañota au Cerro de Pasco

2° Groupe činčasuyu : Huanuku, Končuku, Huamačuku,Kasamarka, Cačapuy'à, Huakračuku, Huankabamba, Ayahuaka, Lamista.

Du Cerro de Pasco à la frontière équatorienne

3° Groupe Kiteño : les peuplades Kara conquises.

Plateau équatorien

4° Groupe bolivien : les peuplades boliviennes conquises.

Départements de Cochabamba, Chuquisaca et Potosi

5° Groupe argentin : les peuplades diagit conquises (qui parlaient autrefois le Kakan).

Région andine de la République Argentine

Ayrnará

Kol'a, Lupalka, Kol'agua, Pakasa, Karanga, Čarka, Kil'aka, Kauki (parlaient encore aymará avant la conquête inka les Kana, Kanče, Čumbivilka, Aymará, Čanka, Lipes, Čiča).

Région des lacs Titicaca et Poopo et région de Huarochiri au Pérou

Arawak

Uru, Čango

le long du Desaguadero et de la côte chilienne entre Cobija et Copiapo

Atakama

Atakama

Côte chilienne entre 19° et 24° de latitude méridionale

Liste chronologique des premiers gouverneurs et vice-rois du Pérou

1534

François Pizarre

Gouverneur

1541

Vaca de Castro

id.

1545

Blasco Nuñez Vela

Vice-roi

1546

Pedro de la Gasca

Gouverneur

1551

Antonio de Mendoza

Vice-roi

1555

Andrés Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete

id.

1561

Comte de Nieva

id.

1564

L. García de Castro

Gouverneur

1569

Francisco de Toledo

Vice-roi

1581

Martin Enríquez

id.

1586

Comte de Villar Dompardo

id.

1590

García Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete

id.

1596

Luis de Velasco, marquis de Salinas

id.

1604

Gaspar de Zuñiga, comte de Monterrey.

id.

1607

Marquis de Montesclaros

id.


Index bibliographique

Il convient d'ajouter aux bibliographies générales indiquées p. 6, la Bibliotheca americana, de Leclerc (Paris, 1878), très incomplète, la Bibliography of Peru, de Markham, qui figure à la fin de la traduction anglaise de l'histoire de Sarmiento de Gamboa (collection Hakluyt, 1907), et l'importante Bibliographie américaniste, établie par le DrRivet, publiée dans chaque numéro du Journal de la Société des Américanistes de Paris.

[L'index bibliographique de l'ouvrage et les tables alphabétiques des mots typiques espagnols et kičua et des souverains incas, avec les renvois associés, ne sont pas reproduits ici.]

 


Cartes géographiques

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DOSSIER SPECIAL L'EMPIRE SOCIALISTE DES INCAS

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14 mai 2011 6 14 /05 /mai /2011 12:40
L'Empire socialiste des Inka

Université de Paris — Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie — V (1928)

par Louis Baudin
Professeur à la faculté de Droit de Dijon

Chapitre XV — L'anthithèse espagnole


L'invasion des barbares

« Notre monde vient d'en trouver un autre, non moins grand, plain et membru que luy, toutesfois si nouveau et si enfant qu'on luy aprend encore son a b c : il n'y a pas cinquante ans qu'il ne sçavait ny lettres, ny pois, ny mesure, ny vestements, ny bleds, ny vignes. Il estait encore tout nud au giron et ne vivait que des moyens de sa mère-nourrice…. Bien crains-je que nous aurons bien fort hasté sa déclinaison et sa ruyne par notre contagion et que nous luy aurons vendu bien cher nos opinions et nos arts. C'estait un monde enfant. »

(Montaigne, Essais, liv. 3, ch; 6.)

 

Tandis que les deux fils de Huayna-Kapak, Huaskar et Atahualpa, luttaient l'un contre l'autre, Pizarre débarquait près de Túmbez et à la tête d'une poignée d'hommes montait à l'assaut du plateau. Heurt formidable de deux civilisations différentes, des Européens individualistes, brutaux et avides, mais pleins d'initiative et d'une merveilleuse audace, et des Indiens dont le régime socialiste avait brisé la volonté. La fortune sourit à la témérité et l'Empire croula, mais le choc devait être fatal aux vainqueurs comme aux vaincus, puisque les Espagnols rapportèrent chez eux avec l'or d'Amérique les germes de la décadence. Les événements historiques sont bien connus et il ne nous appartient pas de les raconter une fois de plus, mais il semble que les conquérants espagnols ont été souvent mal jugés.

Il serait puéril de vouloir comparer des États aussi dissemblables que le Pérou et l'Espagne, l'un avec ses statisticiens et ses fonctionnaires, l'autre avec ses inquisiteurs, ses chevaliers et ses mendiants. Dans l'un, tout était ordre et obéissance, dans l'autre tout était élan et fierté. L'Empire péruvien se résumait en un petit noyau d'intelligences qui absorbait la vie entière du pays, l'Espagne au .contraire était un fourmillement d'individus qui se heurtaient dans des luttes perpétuelles. C'est dans cette Espagne toute bouillonnante de vie qu'est né le type d'homme réunissant en lui, et portant à l'extrême les qualités etles défauts de sa race : le conquistador. Entraîné par la passion plus que par une volonté réfléchie, obéissant à l'esprit de camaraderie plutôt qu'au sentiment de la justice, mystique et sensuel, ambitieux et rusé, vaillant et tenace, il est le plus parfait représentant de ce casticismo qui concentre la valeur et la vertu de toute la Castille 1. Il regarde la vié comme une loterie, ne calcule point et risque son existence sur un coup de dés ; la conquête l'attire par ce qu'elle a de chimérique et ce n'est point là, comme on pourrait le croire, enthousiasme de la jeunesse : François Pizarre avait 58 ans environ lors de la découverte du Pérou et son frère Fernand près de 60. Jamais une déjà nation déjà modernisée, comme la France ou l'Angleterre au temps de la Renaissance, n'aurait pu produire de tels hommes, si démesurément confiants en eux-mêmes et assurés de leur destin, « des amoureux de gloire » pareils à ce Castillan dont Enrique Larreta nous a conté l'histoire 2. Qui connaît les défilés de la Cordillère peut comprendre l'état d'esprit de ceux qui osèrent s'y engager au nombre de moins de 200 en plein pays ennemi et inconnu.

Il est faux de voir dans les conquérants de simples bandits assoiffés d'or et de plaisir. Sans doute, il y eut dans la troupe de Pizarre bien des gens de sac et de corde, un, seul détail suffit à le prouver : après la capture de l'Inka, à Cajamarca, quelques soldats proposèrent à leur chef de couper les mains des prisonniers indien ; mais à côté de ces brutes, on trouve F. de Jerez, Miguel Estete, Bartolomé Ruiz, Pedro Sancho, C. de Molina, J. de Betanzos et bien d'autres qui ont su observer et raconter, et qui étaient autre chose que des « aventuriers ignorants » 3.

Ce n'est pas que les Espagnols n'aient point commis toutes sortes de cruautés. Le testament de S. de Leguízamo et les Noticias secretas de Juan y Ulloa constituent des charges écrasantes 4. Les crimes ont été innombrables, depuis le meurtre d'Atahualpa jusqu'au viol des vierges du Soleil, à la destruction des palais, au pillage des magasins. Des .richesses ont été stupidement anéanties sans profit pour personne ; pour prendre la cannelle on coupait l'arbre, pour avoir la laine on tuait la vigogne 5. « Les Espagnols, dit Ondegardo, firent plus de mal en quatre ans que les Inka en quatre cents ans. » « Ils mirent le pays à sac », ajoute Santillán 6. ­

Sans doute, les conquérants eurent à surmonter des difficultés inouïes, à lutter non seulement contre la nature ou l'indigène, mais encore contre leurs propres compatriotes intrigants et jaloux. Ce n'est qu'à la troisième tentative et après toutes sortes de péripéties tragiques que Pizarre atteignit Túmbez. La plupart d'entre eux eurent à endurer de grandes souffrances : rappelons-nous l'expédition de Pascual de Andagoya sur les côtes de Colombie 7, celle d'Alvarado à travers les forêts équatoriennes de BahÍa de Caraques, à Riobamba 8, celle de Gonzalo Pizarre dans les forêts vierges de l'Orient équatorien, celle d'Almagro dans le désert d'Atacama au Chili 9. De tels hommes, durs pour les autres comme pour eux-mêmes, ne reculaient devant rien, et, lorsqu'ils se trouvaient enfin devant les richesses rêvées, une véritable ivresse les saisissait et ils perdaient toute retenue 10.

Le résultat fut désastreux ; les Espagnols, ne comprenant rien au système inka, le faussèrent même involontairement 11 ; les guerres civiles 12, les épidémies, les corvées excessives, le travail des mines provoquèrent une rapide dépopulation. Il n'est rien de plus triste que la lecture de certains chapitres de Cieza de León décrivant l'abandon d'anciennes vallées riches et peuplées 13. De graves conséquences en résultèrent : les charges supportées par les Indiens devinrent d'autant plus lourdes que le nombre des contribuables diminuait 14, tous les indigènes de 16 à 60 ans furent déclarés tributaires, alors qu'avant la conquête ceux de 25 à 50 ans seuls étaient regardés comme tels 15, et, le Trésor espagnol ne touchait même pas le montant intégral des impôts, car les collecteurs ne se gênaient pas pour percevoir des commisions indues 16. En outre, les chefs indigènes devenus trop nombreux 17, n'étant plus soumis au contrôle de l'inka et prenant à l'exemple des Espagnols des goûts de luxe et des désirs de jouissance, commencèrent à tyranniser les Indiens. « Aujourd'hui, dit Santil­lán, chaque cacique en sa province s'est fait Inka, » 18. Il fallut des ordres formels du Roi d'Espagne pour que l'on fixât le montant des tributs dus aux caciques par leurs sujets 19.

Les Espagnols ne sont point seuls à avoir commis dans leurs colonies des erreurs et des crimes ; plus cruels qu'eux encore, les Anglais en Amérique du Nord ont exterminé les Indiens. Il n'en reste pas moins vrai qu'on peut à certains égards comparer l'arrivée des Espagnols à une invasion de barbares. Seulement pour être équitable, il ne faut pas oublier, comme on le fait souvent, que cette époque de troubles a été de courte durée et qu'une ère de calme et d'organisation l'a suivie.


L'organisation de la colonie

« Mieux vaut arrêter une industrie que causer aux Indiens le moindre préjudice. »

Recopilación de leyes de los reinos de las Indias,
liv. IV, titre 26, loi 4.)


Depuis longtemps déjà des historiens ont cherché à rendre justice aux Espagnols, à protester contre les exagérations des trois écrivains qui, à la fin du XVIIIe siècle, ont faussé le jugement de leurs contemporains : l'abbé Ray­nal (1770) Adam Smith, l'illustre auteur de la Richesse des Nations (1776) 20, et Roberson (1777) ; mais nul ne les écoutait et c'est à peine aujourd'hui si l'on connaît les Reflexiones irnparciales sobre la humanidad de los Españoles en las Indias de Juan Nuix, écrites en italien et traduites en espagnol, et le chapitre de Colmeiro auquel nous avons fait précédemment allusion 21. Enfin, de nos jours, quelques voix sont parvenues à se faire entendre : Marius André en France22, R. Altamira en Espagne 23, C. Pereyra au Mexique 24, s'efforcent de réformer les jugements sommaires que les auteurs les plus considérables ont cru devoir porter sur l'œuvre de l'Espagne en Amérique. Une réaction se dessine contre les erreurs accumulées dans les manuels scolaires, réaction qui à son tour semble à certains égards excessive.

Il n'est plus permis d'ignorer à présent ce que les vainqueurs ont donné aux vaincus : les cultures européennes 25, les animaux utiles 26, les connaissances scientifiques, ni surtout de méconnaître les efforts tentés par le roi, les hauts fonctionnaires et le clergé pour améliorer le sort des Indiens. Rarement plus grands administrateurs ont dirigé les destinées d'un peuple que le président de La Gasca ou le vice-roi F. de Toledo, et comment ne pas admirer le licencié honnête et pauvre, Juan de Ovando, président du Conseil des Indes, qui élabora ce « monument de justice, et de sagesse », que l'on nomme « les Lois des Inde »27 ? Dans chaque province un fonctionnaire royal remplissait les fonctions de « protecteur des Indiens », et la traite des nègres ne fut pas autre chose qu'une mesure humanitaire destinée à éviter aux indigènes les travaux les plus pénibles 28.

Ce qui est particulièrement remarquable dans l'organisation espagnole, c'est qu'elle s'est inspirée à maints égards de l'ancienne organisation péruvienne. Toute l'œuvre d'Ondegardo est un vibrant plaidoyer en faveur du retour aux institutions précolombieimes (services personnels, répartition, réductions, suyu). Matienzo, quoique parlant sans cesse de la tyrannie des Inka, calque les articles des lois qu'il propose sur les coutumes existant avant la conquête 29. Si le vice-roi F. de Toledo mérita d'être nommé un « second Pačakutek » 30, c'est qu'il refit l'œuvre de ce monarque : il rassembla les peuplades éparpillées, désigna des fonctionnaires, répartit les tributs, régla le service des courriers et des tambos.

Seulement toute cette réglementation arriva trop tard, les blancs ne pouvaient se plier à la discipline ancienne ; les règlements furent imparfaitement appliqués ou même tournés, et l'ensemble du système prit l'aspect d'une caricature plutôt que d'une copie du modèle antique. Pereyra, parlant des lois des Indes, déclare « qu'il ne manquait à ce répertoire de charité qu'une loi qui fit appliquer les autres » 31.

Ce qui a subsisté surtout de l'ancienne organisation, c'est justement ce qui n'était pas l'œuvre des Inka : la communauté agraire. La conquête a jeté bas le plan rationnel, la superstructure édifiée par le législateur de Cuzco, et le fondement ancestral seul est demeuré.

La « paix espagnole » régna en Amérique : Le vice-roi F. de Toledo refusa d'entreprendre de nouvelles expéditions, alléguant qu'il vaut mieux conserver et faire fructifier ses domaines que conquérir de nouvelles terres impossibles à exploiter, faute d'hommes 32. Des colons s'établirent, des villes prospérèrent, les Espagnols furent cultivateurs, éleveurs, constructeurs, savants et non pas seulement ces chercheurs d'or que la légende et la poésie ont maintes fois décrits. Ici encore l'action tutélaire de l'État se fit sentir en écartant du continent américain par des prohibitions d'immigration les indésirables : vagabonds, criminels, juifs ou maures.

Pas plus que le régime colonial ne fut un régime d'oppression systématique, la guerre de l'indépendance ne fut un mouvement de révolte populaire des Indiens. La « mystique révolutionnaire » a falsifié l'histoire. Ce furent les grands propriétaires, le haut commerce et le clergé qui menèrent la lutte, tous désireux avant tout d'autonomie, et ce fut un « grand aristocrate », Bolivar, qui triompha 33.


« Cristóforo Colombo, pobre Almirante,
Ruega á Dios por el mundo que descubriste ».

(Ruben Dario, A Colón.)

 

Que sont devenus aujourd'hui les descendants de ceux qui adoraient le Soleil ? Les statistiques incomplètes ne permettent pas de répondre avec précision. Nous avons vu que la population du territoire soumis autrefois à l'Inka atteint probablement vers 1914 le même chiffre qu'à l'arrivée de Pizarre ; mais combien dans ce chiffre y a-t-il d'Indiens, de métis et de blancs ? Même quand, par extraordinaire, les statistiques distinguent les races, elles demeurent suspectes, car souvent en Amérique du Sud, tout Indien vêtu à l'européenne et parlant espagnol est classé comme blanc par l'administration.

 

Il semble au total que les blancs dans les États andins soient en minorité, non seulement par rapport aux rouges, mais encore relativement aux métis. Le recensement de 1896, accuse 57,6 % d'Indiens purs au Pérou et celui de 1914, 50,9 % de ces Indiens en Bolivie. D'après Wolf, on compte seulement un blanc pur par 100 habitants dans les campagnes de l'Équateur et les Indiens purs représentent 50 % de la population équatorienne 36. Suivant Garcia Calderón, sur la population totale du Pérou et de l'Équateur, l'élément blanc n'atteint que la faible proportion de 6 %, contre 76 % à l'élément indien pur 37. Means donne pour le Pérou les pourcentages suivants : Indiens purs 50 %, métis 30 à 35 % , blancs 15 à 20 %, dont 5 % purs 38. Récemment, M. V. Sapper a estimé que plus de 6 millions de purs Indiens vivent dans les pays andins 39 ; le docteur Rivet parle de 5 millions 40. Tous ces chiffres sont très approximatifs. D'une manière générale, on peut dire que les blancs occupent la plupart des situations importantes dans ­les Républiques sud-américaines, que les métis constituent la majeure partie de la classe moyenne et que les rouges forment la masse de la population.

 

Intelligents et imitateurs, les blancs et les métis s'inspirent d'idées démocratiques incompatibles avec leur degré de civilisation et s'obstinent à maintenir – des institutions « à l'européenne », qui ne sont pas faites pour eux. Aussi des révolutions incessantes entravent-elles le développement économique et les peuples passent-ils par de continuelles alternatives de dictature et d'anarchie. Le calme ne se rétablit qu'au moment où le pouvoir tombe aux mains d'un de ces chefs énergiques que l'on nomme des caudillos, tels Porfirio Diaz, Guzmán Blanco, García Moreno, le docteur Francia, le général Roca. Alors le pays peut entrer dans la voie du progrès, mais bientôt monte la clameur des libéraux indignés, le caudillo est balayé par l'émeute et le désordre recommence 41. Quant à la situation de la grande masse du peuple, elle est ce qu'elle a toujours été. Les derniers descendants des Inka, de l'ancienne élite exterminée par Atahualpa et par les Espagnols, sont tombés dans l'oubli 42 et « les Indiens, comme le dit Tschudi, sont aujourd'hui plus arriérés qu'au moment de la conquête espagnole » 43. Ils restent soumis, méfiants et superstitieux ; la paresse mentale constitue leur caractéristique la plus marquée et se traduit par la débilité de la volonté, le goût de l'alcool, l'absence d'hygiène, le manque de nourriture convenable et des connaissances culinaires les plus sommaires, l'insuffisance de l'habitat et du vêtement 44. La plupart d'entre eux vivent dans des cabanes de pierres sèches et de torchis, sans fenêtre : ils continuent de dormir tout habillés, de s'accroupir sur le sol pour manger, de se servir comme ustensiles de ménage d'écuelles, de vases, de coupes, de cuillères. Ils ne sont pas attirés par les grandes villes et ne forment point, comme tant d'autres miséreux de nos pays, un prolétariat urbain, sauf à Lima 45. Ils conduisent leurs troupeaux de lamas, comme faisaient leurs aïeux, en modulant sur la flûte les chansons d'autrefois. Leur langue est celle de leurs anciens maîtres, le kičua, leurs mœurs sont celles de leurs ancêtres, leur droit coutumier subsiste en marge du droit écrit, leur christianisme même n'est qu'un paganisme déguisé. Notre civilisation a passé sur leur âme comme le vent passe sur la Cordillère. Tels ils sont aujourd'hui, tels ils étaient lorsqu'ils accouraient en foule le long des routes pour acclamer le fils du Soleil.

Les Européens s'imaginent volontiers que les Indiens ne sont plus qu'un souvenir, qu'ils existent seulement dans les romans de Fenimore Cooper, dans les poèmes de Longfellow ou dans ces « Réserves » où les Américains du Nord les ont parqués comme des bêtes curieuses. Et pourtant, ce sont ces hommes rouges qui tiennent en leurs mains l'avenir des États du Pacifique. Le nombre de ceux d'entre eux qui sont de race pure aurait diminué, il est vrai, de près de moitié depuis la conquête espagnole, si l'on en croit Von Sapper, mais l'Immigration blanche est faible dans ces pays qui demeurent séparés du monde « par les mêmes barrières naturelles qu'au temps de l'Inka 46 » et dans le cours de ces dernières années là population indigène semble avoir augmenté rapidement 47.

Dans de nombreuses régions, les. Indiens et les descendants d'Espagnols n'ont point de contact entre eux, « spectacle unique de deux races, vivant côte à côte depuis trois siècles sans fusionner » 48. Dès l'époque coloniale, les lois des Indes, en cherchant à protéger les indigènes par des dispositions particulières, ont contribué à les tenir à l'écart des envahisseurs 49. Cet isolement a persisté ; de nos jours les rouges opposent aux blancs une incroyable force d'inertie. Là même où des fusions se produisent, il reste à savoir laquelle des deux races l'emporte. Faut-il croire avec Payne et avec Mendieta y Nuñez que les éléments mixtes retournent peu à peu au type indien 50, ou avec Von Sapper que dans deux ou trois cents ans la race rouge, par suite des croisements qui ne sauraient manquer de se produire malgré tout à la longue, aura entièrement disparu  51 ? Quoi qu'il en soit, actuellement le statut des indigènes est dans les États andins la plus grave question que les gouvernements aient à résoudre ; et, de temps à autre, des révoltes viennent rappeler aux descendants des vainqueurs que les fils des vaincus n'ont pas tous oublié leurs anciennes gloires 52.

A la fin de la guerre de l'Indépendance, au congrès de Tucuman, un certain nombre de délégués demandèrent la restauration de l'Empire des Inka, avec Cuzco comme capitale. C'était un bel hommage rendu au passé, mais, si l'Indien. semble avoir peu changé, le blanc et le métis ont apporté dans la vie sociale trop d'éléments nouveaux pour que l'ancienne organisation péruvienne puisse revivre sans être déformée.

L'étonnante histoire des Inka ne peut plus avoir de suite.

 

Notes

1 Altamira, Psicologia del pueblo español. Oviedo, 1902. – Unamuno En torno al casticismo. Salamanque, 1902. – Navarro y Ledesma, Vida del ingenioso hidalgo Miguel de. Cervantes Saavedra, Madrid, 1905. – Blanco Fombona, El conquistador del siglo XVI. Madrid, 1922.

2 Dans son célèbre roman : La gloria de Don Ramiro.

3 L'expression est de Robertson (V. Velasco, Historia, t. I, p. 175). La race des conquistadores s'étiola rapidement en Amérique, elle donna naissance à des créoles impressionnables, aimables, capricieux et superstitieux : qui ne rappelaient en rien leurs ancêtres. « Il semble que la mollesse et la fainéantise est attachée au pays, peut-être parce qu'il est trop bon, car on remarque que ceux qui ont été élevés au travail en Europe deviennent lâches en peu de temps, comme les créoles » (Frézier, Relation, p. 227). Aujourd'hui cependant on pourrait retrouver plusieurs des traits distinctifs du conquistador dans les caudillos sud-américains, ces dictateurs audacieux qui ont fait l'Amérique latine moderne.

4 Calancha; Corónica moralizada, liv. l, p. 98. – Marcos de Niza (Relation... Trad. franç, p. 309 et suiv.) parle avec détails des crimes des Espagnols. Pour les horreurs commises pendant l'expédition du Chili, v. C. de Molina, Relación de la conquista..., p. 166, et pour celles commises sur les côtes de l'Equateur, v. la lettre de Diego de Almagro, du 8 mai 1534 (Colección de documentos del archivo de Indias, vol. 42, p. 104). Pereyra (L'œuvre de l'Espagne en Amérique, p. 242) estime que les Noticias secretas ne sauraient être utilisées contre l'Espagne, car « elles mettent à nu les vices d'une société, vices indépendants du lien politique de cette société avec l'Espagne » ; pourtant, si le Gouvernement de Madrid doit être mis hors de cause, les Espagnols sont bien responsables de la naissance et du développement de ces vices.

5 Juan y Ulloa, Noticias secretas. Deuxième partie, ch. 9.

6 Ondegardo, Relación, p. 72. – Santillán, Relación, par. 60.

7 Noticia biográfica del adelantado Pascual de Andagoya. Anonyme, Op. cit.,.p. 552.

8 Marshall Saville, A letter of Pedro de Alvarado, relating to his expedition to Ecuador. New York, 1917.

9 Oviedo y Valdés,.Historia general, t. 4, liv. XLVII. – Herrera, Historia general, déc. 5, liv. 10, ch. 2.

10 Pour Juan Nuix, étant données les tentations auxquelles furent soumis les conquérants, il est remarquable que les désordres n'aient pas été pires (Reflexiones imparciales sobre la humanidad de los Españoles en las Indias. Madrid, 1782, p. 225).

11 Nicholson écrit : « L'apport des idées de valeur d'échange (au Pérou) fut pareil à l'introduction chez un peuple primitif d'une maladie dont les anciennes nations civilisées ne souffrent point, étant immunisées par une longue habitude » (The revival of marxism, op, cit., p . 67). Ceci n'est pas exact, puisque, comme nous l'avons vu, il existait un système de troc et de monnaie.

12 Les luttes entre conquistadores revendiquant des terres attribuées par la Couronne et dont les limites étaient forcément très imprécises, le pouvoir central ignorant leur situation géographique exacte, sont une des pages les plus extraordinaires de l'histoire du monde.

13 Crónica. Primera parte, ch. LX-LXX-LXXV, etc. Les Indiens qui ne moururent point s'enfuirent en grand nombre dans les montagnes (Lettre du licencié Gasca au Conseil des Indes, 28 janv. 1547. Colección de documentos in ditos para la historia de España, t. 50, p. 27). V. P. de Ribera et A. de Chaves y Guevara, Relación de la ciudad de Guamanga (Relaciones geográficás, t. I, p. 110). – Calancha, Corónica moralizada, t. I, liv. I, ch. 16. – Bollaert, Antiquarian ethnological, p. 133. – ­Pereyra, dans son désir d'innocenter les Espagnols, va trop loin. Il prétend que la dépopulation était inévitable l'indigène ne pouvant supporter aucun travail, même sous le régime le plus bienveillant (L'œuvre de l'Espagne en Amérique. Trad. fr., p. 328) ; si cette observation est vraie pour les habitants des terres tropicales, en particulier pour les Antilles, auxquelles l'auteur fait allusion, comment le serait-elle pour les Kičua du plateau, habitués depuis longtemps à exécuter de durs travaux ? Juan Nuix va plus loin encore en niant la dépopulation (Reflexiones, op. cit., p. 120 et suiv.), mais il fonde son raisonnement sur la situation du Mexique. Nous avons vu plus haut que la dépopulation était un fait indéniable. Colmeiro, dans son Historia de la economia politica en España (Madrid, 1863, t., 2, ch. LXXVIII), dresse la liste des causes de cette dépopulation : il indique notamment les épidémies et le système colonial lui-même, mais ce système n'était nullement propre aux Espagnols ; avant eux, les Portugais l'avaient appliqué aux Indes d'Asie et toutes les nations européennes avaient suivi leur exemple. M. Sobreviela et Narcisso y Barcelo insistent sur les ravages, causés par les épidémies (Voyages au Pérou, L II, p. 369). De même Lozano (Historia del Paraguay, Madrid, 1754, t. 1, liv. 1, ch. 13 et 14). Montesinos va jusqu'à prétendre que les anciens souverains avaient prohibé l'écriture parce que les feuilles servant de tablettes propageaient les maladies (Memorias, chap. 15).

14 « Dix Indiens v. suprà, p. 182, sont parfois taxés aujourd'hui comme l'étaient cent autrefois » (Santillán, Relación, par. 53).

15 Herrera, Historia general, déc. 5, liv. 10, ch. 8.

16 Juan Y Ulloa, Noticias secretas, 2e partie, ch, 1.

17 Santillán, Relación, par. 25. – Les fonctionnaires espagnols aussi étaient trop nombreux (Juan y Ulloa, Noticias secretas, 2e partie, ch. 7).

18 Relación, par. 58. « Quand un Indien doit 2 pesos, le cacique en prend 8 ou 10 » (Santillán, Relación, par. 57). De même D. de la Bandera écrit : « A l'arrivée des Espagnols, chaque cacique prend les pouvoirs de l'Inka. » (Relación, p. 99) « Les Indiens ne savaient ni n'osaient refuser aux caciques les biens, femmes et filles que ceux-ci demandaient » (Mémoire de F. de Toledo adressé à Philippe II in Relaciones geográficas, t. I, app. 3, p. CLIII.).

19 Cédule royale du 27 nov. 1560, Colección de documentos del Archivo de Indias, t. 18, p. 489.

20 « Le Gouvernement d'Espagne lui-même, tout arbitraire et violent qu'il est, a bien été obligé, en maintes occasions, de révoquer ou de modifier les ordres qu'il avait donnés pour le régime de ses colonies, et il a cédé à la crainte d'exciter une insurrection générale » (Wealth of Nations, liv. V, ch. 7. Trad. franç., op. cit., p. 177). Pourtant A. Smith reconnaît les progrès accomplis par les colonies espagnoles d'Amérique.

21 V. suprà, p. 238. n. 9.

22 La fin de l'Empire espagnol d'Amérique. Paris, 1922. – Bolivar et la démocratie. Paris, 1922. – Les guerres civiles et le césarisme en Amérique espagnole. La Revue universelle, 15 décembre 1925.

23 Resultados generales en el estudio de la historia colonial americana, criterio histórico resultante. 21eCongrès international des Américanistes. La Haye, 1924, p. 425.

24 L'œuvre de l'Espagne en Amérique, op. cit. – Historia de la América española, 2 vol. Madrid, 1920-24.

25 Comme le remarque J. Prado y Ugarteche, il ne serait pas juste d'exiger que les Espagnols aient fait au bénéfice de l'Amérique ce qu'ils n'avaient pas fait dans leur propre patrie et il ne faut pas oublier qu'en Espagne l'agriculture n'était guère florissante (Estado social del Perú, op. cit., p.41).

26 V. Friederici, Der Charakter der Entdeckung, Op. cit, p. 426.

27 J. de la Espada, Relacines geográficas, t. I. Introduction, p. LVIII. – Recopilación le leyes de los reinos de las Indias (Madrid, 1841). – Gómara, Historia general, ch. CLI. – V. une liste des mesures protectrices des Indiens : Colección de documentos del Archivo de Indias, t. 6, p. 118, les instructions données aux corregidors en 1574 et 1597 (Même collection, t. 21, p. 301), le Códice de leyes y ordenanzas para la gobernación de las Indias y buen tratamiento y çonservación de los Indios, 24 sept. 1571 (Même collection, t. 16, p. 376), la lettre de protestion de l'évêque de Cuzco à l'Empereur (Même collection, t. 3, p. 92), le Ordenanzas que mandó hacer D. García Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete, para el remedio de los excesos que los corregidores de los naturales hacen en tratar y contractar con 1os Indios, i otras cosas dirigidas al bien de ellos. Lima, 1594.

28 Le protecteur des Indiens fut supprimé par la suite, car il coûtait très cher à ceux mêmes qu'il était chargé de défendre (Cédules de 1582 et 1584.,Colección de documentos dei Archivo de Indias, t. 18, p. 533 et 340). V. Memorias de los vireyes que han gobernado en Perú durante el tiempo del coloniaje español, op. cit., t. 2, p. 98. Pour la traite des nègres, v. G. Scelle : Histoire politique de la traite négrière aux Indes de Castille. Paris, 1906, t. 1, p. 135 et suiv. Les Indiens, dans les transactions, étaient regardés par la loi comme des mineurs (Solórzano, Politica indiana, op. cit., liv. 2, ch. 28. – Helps, The spanish conquest, t. 4, p. 246).

29 Latcham, La existencia, p. 52, n. 1.

30 Garcilaso, Comentarios, liv. 6, chap. 36. Ce vice-roi avait songé à créer un Musée des Indes, mais il ne put mettre ce projet à exécution (J. de la Espada, Tres relaciones, p. XIX).

31 L'œuvre de l'Espagne en Amérique, tr. fr., p. 242. Mais il est certain qu'en quelques cas les Espagnols et particulièrement les ecclésiastiques sont tombés, dans l'excès contraire; à force de protester contre les agissements de leurs compatriotes, ils ont fait croire aux Indiens que toute perception d'impôt était un vol (Estado de un parecer dei Doctor Vazquez sobre los repartimientos enco­miendas y aprovechamientos de las Indias. Colección de docutmentos del Archiva de Indias, t. 4, p. 141).

32 J. de la Espada, Relaciones geográficas, t. 4, app., p. CXIV.

33 Jean Terral, L'œuvre de l'Espagne en Amérique. Revue des études historiques, janvier 1926. Il y eut guerre non pas entre deux peuples, ni entre indigènes et créoles, mais bien entre deux politiques (R. Altamira, Resultados generales..., op.cit., p. 434).

34 L'expression est de M. Garcia Calderón, Le Pérou contemporain, op. cit., p. 328.

35 « Christophe Colomb, pauvre amiral, / Prie Dieu pour le monde que tu as découvert. »

36 Ecuador, p. 525.

37 Les démocraties latines..., p. 332.

38 Race and society in the andean countries, op. cit, p. 419. – Du même auteur: Breves apuntes sobre la sociologia campestre del Perú. Mercurio peruano, août 1921, p. 45. De même au Mexique, les Indiens et les métis forment la majeure partie de la population ; on compte 3 millions de des­cendants d'Espagnols sur un total de 13 ou 14 millions d'habitants (Universal, 7 décembre 1924).

39 Die Zahl und die Volksdichte der indianischen Bevölkerung in Amerika, 21eCongrès international des Américanistes, op. cit., p. 103.

40 V. suprà au ch. 4, p. 49, n. 1.

41 Depuis quelques années la situation s'est beaucoup améliorée et un état d'équilibre semble enfin avoir été atteint. Une ère de calme et de prospérité s'est ouverte pour l'Amérique du Sud.

42 D'après Garcilaso, en 1603, moins d'un siècle après la conquête, les derniers descendants des Inka présentèrent une humble pétition à leurs vainqueurs pour demander un allègement des charges qu'ils supportaient, et à cette époque ils étaient au nombre de 567 (Comentarios, liv. 9, ch. 40). Frézier raconte qu'il existait à Lima, au début du XVIIIe siècle, une famille de la race des Inka dont le chef se nommait Ampuero. Le vice-roi, à son entrée dans la capitale du Pérou, ne manquait pas de lui rendre une sorte d'hommage public (Relation, p. 249).

43 Contribuciones..., p. 38. Nous ne prétendons nullement que les Indiens ne soient pas perfec­tibles ; plusieurs parmi eux se sont illustrés dans les arts, dans la science ou dans la politique, et l'on peut croire que la masse prendra un jour conscience d'elle-même, – c'est. à cet égard qu'il serait intéressant de savoir si les Inka étaient de même race que leurs sujets, – mais les rouges aujourd'hui encore persistent à se regarder eux-mêmes comme inférieurs aux blancs, à tel point que ceux d'entre eux qui sont parvenus à occuper une certaine situation sociale s'empressent bien souvent de renier leur passé et de mépriser leurs frères de couleur.

44 Means, Breves apuntes..., op. cit., p. 45.

45 C. Ugarte, El problema agrario peruano. Mercurio peruano, septembre 1923, p. 138.

46 Payne, History, t. I, p. 247, n. 2.

47 En Equateur, le recensement de 1915 indique un excédent de 16,4 par 1 000 habitants des naissances sur les décès, chiffre considérable qui n'est dépassé en Europe que par la Russie, la Roumanie et la Bulgarie (Annuaire international de statistique de la Haye, 1919, t. 4), mais les recensements en Équateur ne sont que des évaluations, forcément très approximatives. Les mariages sont généralement féconds chez les Aymará et les Kičua, mais un grand nombre d'enfants périssent en bas âge, faute de soins (Rouma, Les Indiens Quitchouas et Aymaras, op. cit., p. 59).

48 Rivet, Etude sur les Indiens de la région de Riobamba, op. cit., p. 64. – J. Prado y Ugardeche souligne la « séparation profonde » qui existe entre la race européenne et la race indigène (Estado social del Perú, op. cit., p. 160).

49 E. Rabasa, L'évolution historique du Mexique, tr. fr., Paris, 1924, p. 24.

50 Payne, History, t. I, p. 246, n. 1. – Mendieta y Nuñez, Situación de las poblaciones indigenas de América ante el derecho actual, Mexico, 1925, p. 9, « On a constaté que le type de la mère aymará se maintient mieux que celui du père espagnol ; après plusieurs générations successives d'unions mixtes, on retrouve toujours l'Aymará sous le prétendu Hispano-Américain. » Recles, Géographie universelle, t. XVIII, p. 654).

51 Die.Zahl und die Volksdichte..., op. cit.

52 Par exemple, les révoltes de 1570, 1743, 1780 que nous avons déjà citées, celle de Condorcanqui au siècle dernier et celles d'Azángaro et de Huancane tout dernièrement en décembre 1923. A propos de trois congrès indigènes tenus à Lima, le journal El Comercio explique que le caractère de crainte, de timidité et de jalousie de l'Indien vient de l'exploitation dont celui-ci continue à être l'objet de la part des blancs. Il préconise l'établissement pour l'indigène d'une législation spéciale fondée sur le respect des anciennes coutumes (El Comercio, 27 sept. 1923). Means craint que ces peuples, dépourvus de toute instruction, se laissent contaminer paf les idées bolchévistes, raison de plus pour s'occuper d'eux activement (Race and society..., op; cit., p. 424).


 

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14 mai 2011 6 14 /05 /mai /2011 11:14
L'Empire socialiste des Inka

Université de Paris — Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie — V (1928)

par Louis Baudin
Professeur à la faculté de Droit de Dijon

Chapitre XIV — Une ménagerie d'hommes heureux


« Et les hommes se sont réjouis d'être menés comme un troupeau »

(Dostoïevsky, Les Frères Karamazov.)


L'Indien était-il satisfait de son sort ? Telle est la grave question à laquelle nous devons répondre, si nous voulons porter un jugement sur le système social des Inka. Nous savons que le monarque fournissait à ses sujets ce qui leur était nécessaire, mais le bonheur se résout en un état de conscience et ne consiste pas dans une accumulation de produits.

Nous sommes arrêtés immédiatement dans notre examen par un obstacle : les chroniqueurs parlent de riches et de pauvres 1. Quel sens devons-nous donner à ces mots ? Nous savons qu'il ne faut pas considérer le Pérou comme un État communiste ; aussi les Indiens qui ont reçu des donations de l'Inka peuvent-ils être considérés comme des riches, ceux qui n'ont pu obtenir de récoltes par suite d'une gelée, d'une inondation ou d'une sécheresse et qui sont nourris sur les réserves des greniers sont véritablement des pauvres. On appelait encore pauvres les vieillards, infirmes et malades entretenus par les com­munautés 2 et les Indiens qui n'avaient pas d'enfants pour les aider à travailler 3. En résumé, un minimum d'existence était assuré à tout individu; le dénuement absolu était inconnu et les grandes inégalités de fortune demeuraient exceptionnelles 4. L'homme ne pouvait pas s'appauvrir, mais il arrivait rarement à s'enrichir ; les mots richesse et pauvreté avaient donc un sens relatif. « L'égalité dans la pauvreté rendait tous les Indiens riches », dit Marna 5.

Il est clair que le système inka, ainsi formé de survivances historiques et de conceptions rationnelles, paraît très complexe ; c'est fâcheux pour le sociologue, mais les formes de vie .des peuples sont rarement simples. Aussi les tentatives de rapprochement faites entre, l'économie péruvienne et les autres économies sont-elles destinées à échouer. Suivant que l'on examine le Pérou sous un angle ou sous un autre, on y découvre des analogies avec tel ou tel Etat, c'est pourquoi nous voyons les auteurs modernes, suivant leurs tendances personnelles, comparer le Pérou tantôt à l'Angleterre, en raison de son caractère agressif et de son pouvoir d'adaptation et d'assimilation 6, tantôt à l'Allemagne d'avant-guerre, en raison du caractère de l'Empereur 7, tantôt à la Turquie, à cause du maintien des communautés agraires et de la concentration de la puissance politique 8. Le seul grand Empire qui ait existé dans l'Amérique centrale précolombienne au moment de l'arrivée des Espagnols, celui du Mexique, différait profondément du Pérou. Les Aztèques vivaient sous un régime quasi-féodal, leurs guerres et leur culte étaient sanguinaires, leur commerce avait pris une grande extension et leurs connaissances scientifiques étaient étendues.

Chez aucun peuple du Nouveau Monde, nous ne trouvons, comme chez les Inka, une absorption lente et graduelle de l'individu par l'État. Le poison n'est pas donné aux Indiens par doses massives capables de déterminer une réaction, mais il s'insinue lentement jusqu'à déterminer la perte de la personnalité. L'homme est fait pour l'État et non l'État pour l'homme. C'est bien là du socialisme dans le plein sens du mot et c'est une grande erreur de se refuser à regarder l'Empire péruvien comme un État socialiste, sous prétexte qu'il est un État de conquête – comme si le socialisme et l'impérialisme ne pouvaient aller de pair – ou que sa politique est inspirée non par des motifs d'altruisme, mais par l'intérêt personnel bien entendu du monarque – comme si le socialisme et l'altruisme étaient synonymes.

Le poison portait-il avec lui son remède ? La quasi propriété constituée par donation pouvait-elle se développer ? Peut-être, si les conquérants espagnols n'étaient pas arrivés, aurions-nous .assisté à une individualisation progressive de l'élite en même temps qu'à une socialisation graduelle de la masse, le fossé se creusant, de plus en plus entre ces deux castes. Il faut reconnaître cependant que le régime n'est pas tombé de lui-même. La guerre civile qui désolait l'Empire à l'époque de la découverte n'aurait vraisemblablement engendré aucune modification dans l'ordre social si elle avait pris fin sans l'intervention des blancs.

Que le système péruvien ait été souvent imposé par l'à force, ce n'est pas douteux, mais, grâce à l'appui que leur prêtait la religion et grâce à leur habile politique, les Inka ont réalisé ce miracle de transformer la crainte en amour. Leur caractère divin, attesté par les victoires de leurs armées et la magnificence de leur Cour les dons qu'ils distribuaient aux chefs si libéralement, l'ordre et la paix qu'ils faisaient régner, tout concourait à leur gagner peu à peu le cœur de leurs sujets. L'Indien n'avait qu'à obéir, et quiconque s'est accoutumé à une obéissance passive finit par ne plus savoir agir par lui-même et se prend à aimer le joug qu'il subit. Rien n'est plus facile que d'obéir à un maître, exigeant peut-être, mais qui règle tous les détails de la vie, assure le pain quotidien et permet d'écarter de l'esprit toute préoccupation : « Les Inka furent aimés extrêmement », déclare Cieza de León 9. « Sans aucun doute, le respect et l'affection que ce peuple avait pour ses Inka étaient grands », affirne Acosta 10.

Le résultat de la socialisation apparaît nettement ; l'État péruvien a su empêcher les passions destructrices de l'ordre social de se donner libre cours et de restaurer l'anarchie primitive ; il a fait disparaître les deux grands facteurs de troubles : la pauvreté et la paresse, et il n'a laissé qu'une bien petite place à l'ambition et à l'avarice, mais du même coup, il a tari les deux sources du progrès : l'esprit d'initiative et l' esprit de prévoyance.

Quelle initiative en effet l'Indien pouvait-il prendre, alors qu'une réglementation minutieuse allait jusqu'à exiger que l'on fît la chicha avec du maïs frais et qu'on ne mangeât pas les épis encore verts de cette plante ? 11. L'administration pensait et agissait pour lui et, si elle suspendait son action, la vie sociale s'arrêtait. Cette inertie se traduisait sous le règne des Inka par la régression du commerce, que nous avons notée, par le manque d'élan et l'absence d'originalité dans les arts, par le dogmatisme de la science 12 et la rareté des inventions, même les plus simples 13. Nous comprenons maintenant le motif du meurtre d'Atahualpa. Pizarre savait que l'Inka, une fois libre, n'avait qu'un signe à faire pour lever une armée de plusieurs dizaines de milliers d'hommes. En frappant la tête, le conquérant réduisait le corps à sa merci 14. Cette passivité a subsisté après la chute de l'Empiré, au point que les Indiens se désintéressent aujourd'hui des mouvements politiques ou économiques 15 et qu'étant incapables de se défendre eux-mêmes, élisent fréquemment un cacique espagnol, qui joue le rôle des anciens protecteurs d'indigènes de l'époque coloniale 16, ou bien ils reconnaissent pour chef celui d'entre eux qui a su s'imposer de lui-même par son habileté ou sa force 17, L'ambition a été si bien détruite que le rouge, sauf exception, cherche rarement de nos jours à s'élever sur l'échelle sociale et laisse aux blancs et aux métis le soin d'exercer les fonctions publiques et de se partager les honneurs, « L'absence presque absolue d'initiative et de décision, tel est le trait caractéristique de l'Indien », écrit encore Monnier en 1890 18. Par contre, les Péruviens ont l'esprit d'imitation ; ils ont vite appris à se servir des armes espagnoles et à faire la guerre à l'européenne 19.

Le sens de la hiérarchie a subsisté également ; non seulement les Indiens se donnent des chefs, mais en maintes régions s'est constituée une véritable gobernación menor très puissante, quoique non officielle, dirigée par l'hacendado blanc, c'est-à-dire le propriétaire d'une exploitation agricole qui administre ses biens à l'aide d'une série de sous-chefs indigènes, nommés encore, kuraka  20.

Quant à l'esprit de prévoyance, comment aurait,-il pu se développer chez l'homme du peuple, alors que les greniers publics regorgeaient de vivres et que les fonctionnaires devaient pourvoir en cas de besoin à la subsistance de leurs administrés ? « Aujourd'hui, remarque Ondegardo, les Indiens ne pensent pas à se faire un vêtement neuf tant que l'ancien n'est pas en morceaux 21. » « Ils ne songent pas au lendemain », dit Cabeza de Vaca 22. De nos jours, Grandidier et Bandelier font la même constatation 23 et quand l'Indien par extraordinaire cherche à se constituer une réserve, il la gaspille immédiatement 24.

Mais ce qui est plus grave, c'est que la substitution de l'État à l'individu dans l'organisation économique détruit l'esprit de charité. L'indigène, attendant tout de l'État, n'a plus à s'occuper d'autrui et ne doit lui venir en aide que si la loi l'exige. Les membres des communautés doivent travailler des terres pour le compte des incapables, mais ce travail effectué, ils sont libérés de toute obligation ; ils doivent secourir leurs voisins sur l'ordre de leurs chefs, mais de leur propre mouvement ils n'ont rien à faire : et voilà pourquoi, au temps de la conquête espagnole, les sentiments humanitaires les plus élémentaires menaçaient de disparaître. « Ainsi, écrit Ondegardo, les fils n'étaient pas obligés d'entretenir leurs pères devenus vieux, personne n'avait à secourir les nécessiteux, ce qui me paraît être une invention du démon pour enlever aux Indiens la charité… Aujourd'hui, quand bien même des Indiens rencontreraient un des leurs avec la jambe brisée, seraient-ils au nombre de vingt et habitant un village tout proche, ils ne feront pas autre chose que de donner avis du fait, afin que la communauté envoie, pour chercher le malheureux, celui que cette tâche concerne 25. » Cette absence d'esprit de charité accentue le caractère utilitaire des institutions péruviennes. Maintenant encore, la famille est regardée comme une entreprise de travail, les enfants comme des capitaux, le mariage comme un contrat d'assistance mutuelle 26. García Calderon note un certain « sens concret des choses » comme un des traits marquants du caractère indien 27.

Doux et servile, tel est devenu l'habitant du haut plateau andin. La rudesse des mœurs n'a subsisté que là où le souverain n'avait pu établir longtemps sa domination. Les Aymará du nord-est du lac Titicaca, dont le territoire, est situé à l'écart des voies naturelles de migration et de conquête, sont demeurés vindicatifs et cruels, fort différents des Kičua 28. L'Inka a donné à son peuple une mentalité d'esclave.

Quoi d'étonnant que ce grand empire géométrique soit si monotone et si triste ! Cieza de León s'excuse de répéter indéfiniment les mêmes remarques au cours de son voyage. Dans le plus grand nombre des provinces les naturels se copiaient si bien les uns les autres qu'on pouvait les regarder comme « tous ­identiques »29. L'uniformité architecturale surprend Humboldt comme la régularité de vie étonne Lorente. Tout est pareil, et les hommes eux-mêmes se ressemblent comme des frères 30. Dans chaque bassin isolé du plateau l'existence de l'Indien du peuple se déroule, monotone comme le climat et le paysage, et tout ce qui sort de l'ordinaire, tout ce qui est étrange ou imprévu est divinisé et prend place parmi les huaka auxquels on rend un culte. C'est bien ­là le résultat auquel ont abouti tous les grands réformateurs socialistes. Dans l'Utopie comme dans l'Icarie, comme dans les Réductions du Paraguay, règne une navrante uniformité 31.

Le caractère indien, ainsi analysé, nous apparaît sous un jour peu favorable, même si nous tenons compte des exagérations de beaucoup d'auteurs espagnols : « La peur est la seule règle morale (de l'indigène) », dit Del Hoyo 32. Les naturels de la province de Collao « sont si accoutumés à servir qu'ils exécutent d'eux-mêmes tous les travaux nécessaires » 33. Gómara, qui n'est pas tendre pour les vaincus, les qualifie de menteurs, cruels, ingrats, gens sans honneur, sans pudeur, sans charité, sans vertu 34, et Morua de paresseux, sales, menteurs et inconstants 35. Par contre l'auteur d'une relation anonyme prodigue les épithètes laudatives : doux, tendres, pacifiques, miséricordieux, obéissants, loyaux 36. Aujourd'hui même, Bandelier et Bingham nous peignent les habitants des rives du lac Titicaca sous des couleurs absolument différentes 37. Ces quelques appréciations divergentes risquent d'égarer le jugement, mais tous les auteurs reconnaissent la servilité de l'indigène. Or, s'il en est ainsi, c'est bien au système inka qu'on le doit, car Ondegardo remarque que les seuls peuples capables d'être gouvernés sont ceux qui avaient été domptés par les Inka, des expéditions multipliées n'étant pas venues à bout des autres 38. Le caractère de l'Indien a persisté jusqu'à nos jours : paresse, ou plus exactement indolence, timidité, ivrognerie, saleté d'une part 39 et aussi, douceur « à toute épreuve » 40, soumission, servilité, résistance à la fatigue et un certain esprit utilitaire. Ce sont bien là les traits distinctifs d'une race asservie et abrutie.

C'est au prix de cette dégradation qu'un bien-être relatif a été obtenu. Que ce bien-être n'ait pas été regardé par l'Inka comme un but, mais comme un moyen d'obtenir un meilleur rendement de travail, une plus grande gloire et de plus grands profits pour lui-même, c'est fort probable 41, mais c'est déjà une preuve d'intelligence de sa part d'avoir compris qu'il était de son intérêt d'agir pour le bien du peuple entier.

Encore tous les défauts que nous avons notés sont-ils peu de chose à côté du vice capital que recèle tout système socialiste, ce vice devant lequel ont reculé des savants prêts à entrer dans la cité future, comme Schaeffle 42: le socialisme, en tuant l'esprit d'initiative et de prévoyance individuelles, arrête la marche du progrès humain. La nation, enserrée dans un réseau de réglementations étroites et définitives, est cristallisée 43.

Les Inka ont-ils pu éviter cet inconvénient en constituant une élite ? On peut le supposer, car la spécialisation de l'intelligence se conçoit aussi bien que celle de la force physique ou celle de la mémoire. De même que les kipu-kamayu, habitués de père en fils pendant leur vie à recueillir exactement des faits et des chiffres, arrivaient à une prodigieuse maîtrise de leur art, de même les amauta devaient développer à l'extrême leurs facultés intellectuelles 44. L'intelligence, dit-on, n'est pas le privilège d'une classe, encore faut-il que le milieu et l'hérédité favorisent sa naissance, et c'est bien dans la caste supérieure qu'elle avait les plus grandes chances de se développer et non chez les sujets ignorants et abrutis. D'ailleurs, les Inka n'ont pas régné assez longtemps pour que nous puissions enregistrer des progrès ; et les facultés inventives des amauta semblent être restées fort médiocres. Les Péruviens paraissent avoir en avant tout et presque exclusivement le génie de l'organisation. Une direction éclairée et une discipline inflexible assurent mieux le bien-être d'un peuple, même privé de facultés inventives, que les plus belles découvertes lorsqu'elles sont appliquées par des apôtres de la lutte des classes.

Quant à ce peuple lui-même, il était et il est extrêmement routinier. Ses habitudes demeurent immuables, et si aujourd'hui l'homme est libre, suivant la loi, il demeure serf « par là permanence des mœurs autoritaires » 45.


L'hérésie du bonheur

« Oublie-t-il donc qu'il l'a reconnue tout à l'heure, l'ignorée, la nouvelle, la périlleuse, l'hérésie du bonheur dont les autres ne sont que des voiles ?... Hérésie du bonheur ! Hérésie des hérésies ! »

(Louis Artus, La maison du fou.)

 

Maintenant nous pouvons répondre à la question que nous avons posée : l'Indien était-il heureux ? On peut le croire, puisqu'il regrette tant le passé. Il travaillait sans déplaisir pour un maître qu'il tenait pour divin, il n'avait qu'à obéir sans se donner la peine de penser; si son horizon était borné, il ne s'en apercevait pas, puisqu'il n'en connaissait pas d'autre, et s'il ne pouvait s'élever sur l'échelle sociale ; il n'en souffrait nullement, puisqu'il ne concevait pas qu'une telle ascension fût possible. Sa vie se déroulait dans le calme, coupée de fêtes à des époques déterminées, semée d'événements : mariage, service militaire, corvées, strictement réglés 46. Il avait ses joies et ses peines à dates fixes. La maladie et la mort seules s'obstinaient à échapper aux règlements de l'État.

Discipline militaire et méthode économique étaient les deux manifestations d'une même tendance ; toutes deux avec la même rigueur cherchaient dans des voies différentes à éliminer le hasard.

Peu de grands malheurs, peu de grandes joies ; c'était un bonheur négatif. L'Empire réalisait ce que d'Argenson appelait une « ménagerie d'hommes heureux ».

Ne méprisons pas outre mesure ce résultat ; ce n'est pas peu de chose que d'avoir évité les pires souffrances matérielles, celles de la faim et du froid. Rarement le Pérou connut la disette, malgré la pauvreté de son sol, alors que la France de I694 et de 1709 subissait encore de cruelles famines 47. Ce n'est pas peu de chose non plus que d'avoir supprimé le crime, et établi, en même temps qu'un ordre parfait, une sécurité absolue. « Ces rois barbares, dit Acosta, avaient fait de leurs sujets des esclaves et jouissaient des fruits de leur travail ; c'était là leur plus grande richesse. Et ce qui force l'admiration, c'est qu'ils se servaient d'eux avec un ordre et une organisation tels que cette servitude se transformait en une existence très heureuse 48. »

Comment aurait-il pu être malheureux, ce peuple que nous avons vu travailler en chantant ?

Croyons donc que les indigènes se trouvaient heureux 49. La médiocrité de leur situation importe peu ; le bonheur est chose subjective et la seule comparaison que pouvait faire le Péruvien avec ses voisins insoumis, aux prises avec les difficultés matérielles, en lutte contre l'homme et contre la nature, suffisait à lui faire sentir ce bonheur.

L'acquiescement même à l'ordre établi, l'exact accomplissement de la tâche imposée, le sentiment, avivé par les poètes, d,'être la cellule d'un corps admirable, étaient des sources de joie que maintenaient pures de tout ferment d'envie la séparation des castes et la limitation des désirs 50.

Quant à la liberté individuelle, seuls pouvaient la regretter ceux qui l'avaient connue dans les pays nouvellement soumis. Il est reposant de sentir les phases de la vie journalière ordonnées comme un théorème et il suffit de ne pas chercher à briser les barrières pour finir à la longue par se croire libre.

Si donc le bien-être et la vertu, sources de bonheur, sont le but de la vie, on peut dire que l'Inka a réalisé un chef-d'œuvre. L'âme de l'Indien s'est endormie au rythme monotone d'une existence trop bien réglée.

Mais si au contraire c'est le développement de la personnalité humaine qui est regardé comme le but de toute existence, alors le système péruvien a été la plus désastreuse des expériences sociales. L'Inka a plongé ses sujets dans un sommeil voisin de la mort ; il leur a enlevé toute dignité humaine. Certes, il est des moments dans l'existence où l'on se sent fatigué de lutter, où l'on ne voudrait même plus avoir à penser et où l'on envie ceux qui n'ont qu'à obéir à une intelligence plus vaste que la leur, mais le désir de se détruire ainsi soi-même pour se laisser absorber dans une masse ne peut être que le fruit malsain des heures de détresse. La volonté de se surpasser incessamment, l'effort constant d'amélioration, voilà ce qui importe; aujourd'hui pour l'individu l'essentiel dans la vie, c'est d'avoir la sensation de monter.

Et pour le souverain, la sagesse n'est pas d'avoir trouvé un système parfait, c'est de le chercher sans relâche. Celui qui croit avoir atteint son but est par cela même condamné.

En Amérique, un soi-disant bonheur n'a été obtenu que par l'anéantissement de la personnalité humaine et, si l'on demandait à chacun de nous dans quel pays il préférerait vivre : Pérou précolombien ou Espagne du XVIe siècle, sans doute bien peu choisiraient le premier de ces États 51. Chez les Inka la vie entière se réfugie dans la seule classe dirigeante et essentiellement dans le chef ; hors de lui et de sa famille, les hommes.ne sont plus des hommes, ce sont des pièces de la machine économique ou des numéros de la statistique administrative 52.

 

Notes

1 Cieza de Leon, Crónica. Primera parte, ch. LVIII. – C. de Castro, Relación, p. 216. – Falcón, Representación, p. 153.

2 Cieza de Leon, Crónica. Segunda parte, ch. 19.

3 Garcilaso, Comentarios, liv. 5. ch. 15.

4 Dans la vallée de Chincha, les kuraka avaient des terres d'inégales grandeurs, suivant la distribution qui en avait été faite par l'Inka Yupanki, d'après C. de Castro (Relación, p. 218).

5 Historia, p. 114. Même remarque de Lugones à propos des réductions du Paraguay (El impe­rio jesuítico, p. 167).

6 Squier, Peru, p. 575.

7 Hanstein, Die Welt des Inka, p. 130.

8 Phillippovich in Trimborn, Der Kollektivismus, p. 605.

9 Crónica. Segunda parte, ch. I3. « Ces Indiens conservent très chèrement le souvenir du dernier de leurs Incas et s'assemblent de temps en temps pour célébrer sa mémoire. Ils chantent des vers à sa louange et jouent sur leurs flûtes des airs si lugubres et si touchants qu'ils excitent la compassion de ceux qui les entendent » (P. Morghen, Lettres édifiantes et curieuses, éd. de 1839, t. 5, p. 225.)

10 Historia, natural, t. 2, liv. 6, ch. I2. Aujourd'hui aussi, « servile et superstitieux, l'Indien finit par aimer les tyrannies qui l'oppriment » (Garcia Calderón, Les démocraties latines de l'Amérique. Paris, 1912, p. 330). Nous devons nous méfier des réponses obtenues par les Espagnols lors des enquêtes officielles, car les conquérants avaient intérêt à faire croire que les Inka avaient régné par la crainte et que leurs sujets supportaient impatiemment le joug (Tschudi, Contribuciones..., p. 30).

11 Ondegardo, De l'état du Pérou. Trad. franç., ch. 12.

12 Le progrès des sciences a été arrêté par l'impossibilité de discuter (Cevallos, Resumen, p. 162 et suiv.).

13 Ainsi il n'existait pas de système commode pour moudre le grain et c'est pour ce motif que le pain n'était pas la nourriture ordinaire (Garcilaso, Comentarios, liv. 8,ch. 7 ; v. suprà p. 137). Les lndiéns sont grands imitateurs de ce qu'ils voient, mais tès bornés dans leurs inventions. (FIé­zier, Relation, p. 240).

14 Pizarre n'agissait point par pure cruauté ; il avait conscience de ses devoirs, comme le prouve la lettre qu'il écrivait de Jauja à Hernando de Soto en 1534 pour lui recommander de bien traiter les Jndiens (Colección de documentos del Archivo de Indias, t. 42, p. 134).

15 Means, Indian legislation in Peru, op. cit., p. 526.

16 Von Buchwald, Propiedad rústica en tiempo de la colonia, op. cit., p. 3.

17 Tel le mayoral de la région de Riobamba (Rivet, Etude sur les Indiens de la région de Rio­bamba, op. cit., p. 64).

18 Des Andes au para, op. cit., p. 199. « L'Indien est sans ambition pour la richesse », remarque Frézier (Relation, p. 240). « On ne peut dire assez combien ils (les Indiens) montrent d'indifférence pour les richesses et même pour toutes les commodités. » (P. Bouguer, La figure de l aterre, p. 102).

19 Prescott, Histoire. Trad. franç., t. 2, p. 214.

20 Means, Race and society in the andean countries. American historical review, novembre 1918, p. 419.

21 De la orden..., p. 107.­

22 Descripción y relación de la ciudad de la Paz, op. cit., p. 72.

23 «L'Indien ne voit qne le présent, il ne songe pas au lendemain n. Grandidier, Voyage, op. cit, p. 69. – Bandelier, The Islands of Titicaca,..., p. 19 et Partie 3, n. 56.

24 Il en est ainsi pour les réserves de laine que constitue l'Indien en certaines régions du plateau (Colpaert, Des bêtes à laine des Andes, op. cit., p. 44). L'état de servitude des anciens Égyptiens avait également tué chez eux l'esprit de prévoyance (Maspéro, Histoire ancienne des peuples de l'Orient classique, op. cit., t. I, p. 343).

25 Relación, p. 87.

26 V. Guevara, Derecho consuetudinario..., op. cit.

27 Le Pérou contemporain, op. cit., p. 17, note 2.

28 Bandelier, The Islands of Titicaca..., p. 13.

29 Cieza de León, Crónica. Primera parte, ch. LXXVIII.

30 Prescott, Histoire, Trad. franç., t. 1, p. 160. « Les Indiens se distinguaient par l'extérieur plus que par le fond, comme les enfants » (Lorente, Historia antigua, p. 326).

31 « Conçu ainsi le socialisme apparaît comme le plus insupportable rêve de médiocrité et de laideur que l'humanité ait fait » (Fournière, Les théories socialistes au XlXe siècle. Paris, 1904, p. 413).Bougainville indique la monotonie comme la caractéristique de la vie dans les Réductions du Paraguay (Chinard, L'Amérique et le rêve exotique dans la littérature française aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, 1913. p. 373).

32 Estado del catolicismo, p. 162.

33 Pedro Sancho, Relación, p. 198.

34 Historia general, ch. CXCV.

35 Historia, p. 142.

36 Relación de las costumbres, p. 205. Ulloa et de Pauw s'obstinent à regarder l'Indien comme une brute, d'Orbigny s'efforce au contraire de le réhabiliter (L'homme américain, t. I, p. 174). De grandes controverses se poursuivent pendant tout le cours du XVIIIe siècle entre Jésuites et Franciscains, comme au XVIIe siècle entre Franciscains et Dominicains sur les vertus des sauvages d'Amérique. (L'influence des Jésuites, considérés comme missionnaires, sur le mouvement des idées au XVIIIe siècle. Mémoires de l'Académie de Dijon, 1874).

37 Bandelier, The Islands of Titicaca..., p. 19. – Bingham, Inca-Land, p. 102.

38 De l'état du Pérou. Trad. franç., ch. 12. Garcia Calderón se demande si c'est le milieu qui a permis la création de l'Empire, grâce à la faiblesse et à l'ignorance des hommes, ou bien si c'est la race des Inka qui est parvenue à discipliner les peuples jusqu'à leur donner un instinct d'obéissance et de servitude. (Le Pérou contemporain, op. cit., p. 18). La résistance désespérée des Kara, placés dans un milieu identique à celui de leurs vainqueurs, établit le bien-fondé de la deuxième proposition.

39 Peut-on dire, comme le fait Garcia Calderón, que l'Indien s'enivre pour oublier la douleur de son existence quotidienne, alors que déjà dans l'Amérique précolombienne l'amour immodéré de la boisson était son vice capital ? (Les démocraties latines..., op. cit., p. 330).

40 Comme dit d'Orbigny (L'homme américain, t. I, p. 274).

41 Ondcgardo, Copia de carta..., p. 460.

42 La quintessence du socialisme, op. cit., p. 51.

43 Les sujets de l'Inka, suivant P. Chalón, ne surent accomplir aucun progrès en agriculture ni dans le travail des mines, ni en métallurgie, ni en joaillerie (Los edificios del antiguo Perú, op., cit., p. 94). Si les Indiens sont réfractaires à la culture européenne, ils le doivent selon le Dr. Car­ranza à « la nature statique de leur caractère, sans analogie avec celle d'aucun autre peuple et race humaine et à la civilisation même qu'ils atteignirent sous le régime théocratique des Inka . » Colección de articulos, deuxième série, p. 48 in Prado y Ugarteche, Estado social del Perú durante la dominación española, op. cit., p. 160). « C'était ... une structure d'ensemble très harmonique dans toutes ses parties, une forme statique fortement équilibrée » (De Greef, Sociologie. Structure générale des sociétés, t. 2, p. 39). Ces conditions de vie des anciens Péruviens contrastent avec celles de notre existence actuelle, instable et précaire. Devons-nous considérer l'Empire des Inka comme un Etat stationnaire, au sens où Stuart Mill prenait ces mots ? (Principes d'économie politique, liv. 4, ch. 6. Suarez emploie cette épithète. Historia general, t. I, p. 239). Devons-nous croire qu'en détournant ses sujets de la lutte économique, le monarque leur permettait de poursuivre des buts plus élevés ? Nullement ; l'Inka en rivant le corps n'a pas libéré l'esprit ; il n'a pas substitué aux désirs qu'il limitait d'autres désirs de qualité supérieure.

Remarquons encore que le même arrêt dans l'évolution, la même cristallisation est visible en matière de religion. On ne trouve chez les Indiens ni mysticisme, ni profondeur de dévotion, ni élans de piété (Helps, The spanish conquest, t. 3, p. 344).

44 Tschudi, Contribuciones, p. 69. Sans aller jusqu'à admettre avec Ribot l'hérédité du génie, il faut bien reconnaître qu'un individu d'élite transmet dans une certaine mesure ses facultés à ses descendants.

45 García Calderón, Les démocraties latines, p. 329. Bandelier, The Islands of Titicaca, p. 77. M. Rouma cite de nombreux exemples de l'hostilité de l'Indien à toute innovation et en trouve la cause dans le système inka (Les Indiens Quitchouas et Aymaras des Hauts.Plateaux de la Boli­vie, Bruxelles, 1913, p. 60).

46 « L'Indien n'avait pas la permission d'être heureux à sa manière » (Prescott, Histoire. Trad. franç., t. I, p. 121). « Ce qui fera éternellement la gloire de ce sage Gouvernement, est que la maxime fondamentale du souverain était d'obliger même les sujets à être heureux. » (De Carli, Delle let­tere americane. Trad. franç., t. I, p. 202).

47 . Santa Cruz Pachacuti parle d'une famine qui aurait duré sept années et qui aurait fait de nombreuses victimes sous le règne de Tupak-Yupanki (An account of the antiquities, p. 97), mais ce renseignement demeure suspect, car cet auteur est le seul qui nous le fournisse et il est surprenant qu'une aussi longue période de misère, survenue à une date rapprochée de la conquête, ne soit pas restée dans le souvenir des Indiens.

48 Acosta, Historia natural, t. 2, liv. 6, ch. 15.

49 Dans le même sens, Brehm, Das Inka-Reich, p. 92.

50 « Celui qui envie autrui se fait du mal à lui-même », disait l'Inka Pačakutek. (Garcilaso, Comentarios. Liv. VI, chap. 36). Ce que regrettent aujourd'hui les habitants du plateau, quoique leurs désirs soient bien restreints, c'est le temps où ces désirs étaient plus restreints encore. Nous avons entendu la même plainte formulée en Equateur et au Maroc : l'étranger a donné aux indigènes des désirs nouveaux qui font leur tourment. Dans nos pays civilisés, les désirs croissent plus vite que les moyens de les satisfaire et voilà pourquoi tant d'individus qui jouissent d'un bien-être de plus en plus grand ne cessent de se lamenter et sont en réalité de plus en plus malheureux par leur propre faute.

51 Et pourtant « Le monde actuel incline avec le socialisme et la centralisation vers une organisation qui n'est pas très différente de celle des Inka ». (De la Riva-Agüero, Examen de los Comentarios, op. cit., p. 156). Nous avons brièvement tiré de l'expérience péruvienne quelques enseignements dans notre communication du 5 juillet 1927 à la Société d'Economie Politique (Journal des Economistes, 15 juillet 1927, p. 506, et L'Economiste français, 23 juillet 1927, p. 99).

52 Prescott. (Histoire. Trad. fr., t. I, p. 177) et Lorente (Historia antigua, p. 328) prétendent que le sentiment patriotique n'existait pas au Pérou. Pourtant l'État théocratique et socialiste des Réductions parait avoir créé au Paraguay une forte unité nationale ; on l'a bien vu lors de la terrible guerre de 1866. « La nation s'est formée dans les Missions », dit Sagot (Le communisme au Nouveau Monde, op. cit., p. 113). Chez les Inka, l'absence de sentiment patriotique s'expliquerait par ce fait que l'Empire était de date récente et que plusieurs de ses parties n'étaient pas encore unifiées (Jijón y Caamaño, Un cementerio incásico, p. 83 et 89. – Suárez, Historia general, t. I, p.66).


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13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 22:59
L'Empire socialiste des Inka

Université de Paris — Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie — V (1928)

par Louis Baudin
Professeur à la faculté de Droit de Dijon

Chapitre XIII — Coup d'œil sur la civilisation des Inka

Nul ne sera tenté de dire que les Inka étaient des barbares après l'examen auquel nous venons de procéder. Mais ces grands administrateurs avaient-ils su créer et développer les formes supérieures de civilisation, les arts, les lettres et les sciences ? Question qui n'est pas sans intérêt si l'on veut se rendre compte de la situation générale du' Pérou, mais que nous ne pouvons traiter ici que d'une façon très sommaire, car elle demanderait des développements considérables.

Nous savons déjà que la technique de certains arts industriels était très perfectionnée, mais les Indiens avaient-ils un réel sens esthétique ? Sans aucun doute ; les poteries, les tissus, les objets ciselés qui abondent dans les tombeaux en fournissent la preuve; l'aurification des dents des habitants de la côte équatorienne, les procédés employés au Pérou pour faire pousser et noircir les cheveux 1, l'usage des fards, le choix par l'Inka de sites merveilleux soit pour y résider, comme la vallée de Yucay, soit pour s'y reposer au cours de ses voyages, comme les plates-formes disposées le long des routes, soit pour y construire des cités, comme Maču-Piču, tout témoigne d'une recherche constante de la beauté.

 

Il est probable même que c'est pour embellir leurs enfants que les Indiens déformaient les crânes des nouveau-nés en les serrant entre des planches placées par les habitants du Collao des deux côtés de la tête et par les habitants de la côte sur la face et sur la nuque ; chez les premiers la figure était rétrécie et chez les seconds elle était élargie. « Les Indiens, remarque tristement le Père Cobo, ne se contentaient pas de la tête que Dieu leur donnait 2. » On a cherché à expliquer ces déformations par des motifs d'un autre ordre, notamment par le désir de différencier les tribus par la forme de la tête, ce qui eût été vraiment pousser l'amour de la classification à ses dernières limites 3. On a prétendu aussi qu'elles avaient pour but de développer certaines facultés intellectuelles des individus en modifiant leur enveloppe matérielle, idée commune à bien des primitifs, et il n'est pas impossible qu'il en ait été ainsi dans certains cas, puisque Santa Cruz Pachacuti raconte que l'Inka Loke Yupanki ordonna de serrer la tête des nouveau-nés de manière à les rendre obéissants 4. Mais en général le moulage des têtes provenait vraisemblablement du désir de conformer les enfants à un certain idéal de beauté. Cette pratique, qu'on retrouve dans d'autres peuplades, par exemple chez les Palta de l'Équateur, aux crânes aplatis, et chez les Kimbaya de Colombie, aux têtes carrées, a été interdite par les Espagnols 5.

 

Aujourd'hui encore, les Indiens ont gardé le sentiment de la forme et de la couleur, ils aiment les beaux vêtements et les objets bien travaillés, ils sont peintres et ciseleurs 6.

Quant au dessin, il était souvent géométrique; sur les tissus en particulier les animaux et les végétaux étaient stylisés, comme si la symétrie et l'ordre avaient hanté l'esprit des Péruviens au point de les amener à transposer dans leur représentation de la nature les conceptions qui les avaient guidés dans l'organisation de leur société 7.

L'architecture répondait surtout à des buts pratiques; c'est pourquoi tous les monuments affectés à une même destination étaient conçus sur le même modèle. Tambos, palais et temples, comme le dit plaisamment M. Rouma 8, semblent sortis d'une manufacture travaillant en série. Trop rarement, .les sculpteurs s'ingéniaient à rompre la monotonie des façades et des cou­verts 9.

La céramique est certainement l'art qui a pris au Pérou le plus grand développement, surtout il est vrai parce que ses éléments ont été empruntés pour la plupart à des tribus étrangères soumises par les Inka. Son étude nécessiterait à elle seule un ouvrage entier. Les vases sont de toutes formes, de toutes couleurs et de toutes décorations, depuis les gobelets de petites dimensions jusqu'aux aryballes élancées à col étroit et à fond arrondi, depuis les poteries monochromes de Čimu jusqu'à celles polychromes de Nazca, depuis les vases zoomorphes, qui font entendre lorsqu'on verse leur contenu le sifflement des animaux qu'ils représentent, grâce à un ingénieux système d'échappement d'air, jusqu'aux grands pots figurant des hommes dans toutes les attitudes 10.

C'est sur les vases que la peinture peut être appréciée ; des combats, des danses, des défilés sont reproduits en général de façon rudimentaire, sans aucune notion perspective, sans aucun relief, mais avec un vif sentiment de la couleur. Sur les objets faits avec des calebasses, les dessins sont gravés au moyen d'un fil métallique porté au rouge ; c'est une véritable pyrogravure.

Les artisans de la côte étaient particulièrement versés en l'art de la céramique ; leur imagination avait trouvé dans le milieu ambiant des formes et des couleurs pour s'alimenter, au lieu que la sierra n'offrait aux habitants du plateau que des contours aux lignes simples et des tons uniformes.

Les orfèvres étaient parvenus à acquérir une grande maîtrise ; ils savaient fabriquer des fils d'or et d'argent très minces, qui servaient à l'ornementation des tissus ; ils connaissaient le travail du métal au repoussé, le damasquinage par superposition de métaux, le placage soit d'or ou d'argent sur du cuivre, soit d'or sur de l'argent, sans que l'on sache exactement comment ils pouvaient l'obtenir 11.

Un très grand nombre de petits objets de toilette ou de parure ont été trouvés dans les tombes et témoignent de l'habileté de ceux qui les ont fabriqués : tranchets à manche (tumi), aiguilles, grandes épingles (tupu),bagues, plaques ornementales, pinces à épiler, boucles d'oreilles en bois, métal ou terre cuite, colliers en pierre précieuse, corail, graines ou dents d'animaux.

Enfin la pratique de l'embaumement avait atteint un haut degré de perfection, comme le prouvent les momies que l'on a découvertes 12.

 

Que l'art péruvien demeure en général conventionnel, qu'il ne « parle pas à l'âme comme l'écrit Wiener 13, c'est exact si cette âme est l'âme compliquée et tourmentée que nous portons en nous, mais la simplicité et la monotonie des sujets et des décors ne devaient pas être pour déplaire à un peuple dont la vie était elle-même simple et monotone. N'exagérons rien d'ailleurs, les Indiens étaient capables de réaliser de très belles œuvres. Il est des vases qui sont de véritables portraits destinés à accompagner dans la tombe ceux qui leur servirent de modèles 14.

Ce qui ne laisse pas d'être inquiétant, c'est la passion des Kičua pour la nature artificielle. Le jardin de Cuzco, avec ses arbres, ses oiseaux, ses lamas et son berger, tous en or, nous éblouit moins qu'il ne nous étonne, et une telle accumu1ation de métal, même fort bien ouvragé, nous semblerait aujourd'hui d'un goût détestable. Seulement, comme disait fort bien l'abbé Genty en réponse aux critiques de l'abbé Raynal : « Pour estimer le degré de mérite des ouvrages d'un peuple à demi-sauvage (disons : dont la civilisation est différente de la nôtre), il faut suivre les progrès lents et successifs de l'esprit humain et ne pas raisonner. de son industrie d'après les découvertes de nos arts et les méthodes ingénieuses qu'une longue pratique et la communication des idées ont pu nous faire imaginer 15. » Que si l'on objecte que l'art des Kičua est en réalité surtout le fruit des apports des civilisations du nord et du nord-ouest, quiténienne ou čimu nous répliquerons qu'il faut féliciter grandement les souverains de Cuzco de n'avoir détruit aucune centre de culture, mais au contraire d'avoir su se mettre à l'école des vaincus.

La musique mérite une place à part en raison de son caractère populaire 16. Les instruments les plus répandus étaient les sifflets, les ocarinas, les grelots, la flûte verticale surtout oukena en os ou en roseau, percée de trois ou sept trous, « en général très soignée et fort juste » 17, et la flûte de Pan ou syrinx formée de tubes de roseau, argile, pierre, bois, métal ou plume, de différentes longueurs, juxtaposés, an nombre de cinq à douze 18. Dans l'armée, il était fait usage de la trompe en terre cuite ou en bois, rarement en métal, er du tambour en peau de lama frappé avec une seule baguette 19.

Les mélodies indiennes sont généralement battues aujourd'hui sur une échelle pentatonique, avec un fréquent emploi du mode mineur qui leur donne des accents tristes, parfaitement harmonisés avec le caractère de ceux qui les jouent.

Si les progrès artistiques des Péruviens semblent avoir été considérables, leurs connaissances scientifiques paraissent être demeurées fort sommaires et uniquement pratiques 20. Le système décimal était employé dans la comptabilité ; la géométrie se réduisait à des notions d'arpentage, de tracé de routes ou de taille de pierres ; la géographie se bornait à l'exécution de cartes en relief en argile. Garcilaso raconte avoir vu une carte établie de cette façon 21. Un cacique de Tomebamba fournit à Benalcazar le plan de la route à suivre pour marcher à la rencontre du général indien Rumiñahui 22 et nous avons déjà dit que l'Inka Pačakutek s'était servi de tels plans, soit pour répartir les terres, soit pour faire reconstruire Cuzco, soit pour ordonner des déplacements de mitmaes 23.

En astronomie, les Péruviens étaient très inférieurs aux Aztèques : ils calculaient les solstices et les équinoxes en observant les ombres portées d'une série de piliers de pierre 24. Quito, située sous l'Équateur, était regardée comme une ville sainte, car les piliers ne donnaient aucune ombre à midi les jours d'équinoxe. Le soleil, disait-on, « prend plaisir à s'asseoir en ce lieu » 25. Par contre, les éclipses demeuraient un objet de terreur et, de même que chez un grand nombre de peuples primitifs, les Indiens faisaient le plus de bruit possible pour réveiller l'astre qui s'était un moment endormi.

Sur les sciences psychiques nous ne savons à peu près rien. Comme chez tous les grands peuples de l'antiquité, elles sont demeurées secrètes, à supposer qu'elles aient existé au Pérou. Les formes les plus grossières seules nous sont connues et les chroniqueurs nous apprennent que les devins ne jouissaient pas d'une grande considération 26.

Des incertitudes règnent encore en matière de médecine et de chirurgie. Les Indiens savaient masser, saigner avec un silex et traiter par les simples ; ils employaient le tabac comme médecine sous forme de prises. Si l'on en croit Morua, les remèdes les plus fréquemment employés étaient à la portée de tout le monde, car ils consistaient « dans la tempérance et la diète » 27. La pénitence aussi était regardée comme efficace, car la maladie était tenue pour une punition du péché et considérée comme une entité qu'il convenait de chasser par tous les moyens ; ainsi s'explique cette extraordinaire fête annuelle de Situa que nous décrit Garcilaso 28. Les habitants, après un jeûne préalable, s'assemblaient le long des quatre grandes artères de Cuzco ; ils secouaient leurs vêtements et frottaient leur visage et leurs membres pour se débarrasser des mauvais germes en les jetant sur le chemin et quatre ore­jones brandissant des lances passaient en courant au milieu d'eux, chassant les maladies jusqu'à une grande distance dans la campagne. La nuit venue, les Indiens parcouraient les rues en portant des torches qui faisaient fuir les maladies devant elles et qui étaient jetées ensuite dans la rivière, pour que le courant entraînât au loin tous les maux.

Il existait des médecins spécialisés qui étaient fournis à titre de tribut par les Kol'ahuaya, peuplade établie à l'est du lac Titicaca. Ce sont encore dés habitants de cette région qui parcourent aujourd'hui l'Amérique du Sud en vendant des simples et en appliquant aux malades les remèdes que décrivent les anciens chroniqueurs 29. Les amauta aussi devaient jouer le rôle de guérisseurs, mais peut-être étaient-ils plus théoriciens que praticiens 30. Morua et Gutiérrez de Santa Clara prétendent que plusieurs médecins habitaient le palais royal et que l'Inka en avait toujours un auprès de lui 31.

Ces spécialistes eurent-ils des connaissances chirurgicales ? On a découvert dans les tombeaux des crânes qui paraissent avoir été trépanés et qui portent des cicatrices plus ou moins avancées attestant la survivance du patient ; il est fort possible que l'opération du trépan ait été tentée avec succès dans un pays où les blessures à la tête devaient être fréquentes par suite de l'usage des massues, mais nous ne sommes pas encore fixés sur ce point 32.

Au total, les connaissances scientifiques semblent avoir été médiocres; n'oublions pas cependant que certaines d'entre elles ont pu être perdues, puisqu'elles étalent possédées par l'élite seule et que celle-ci a disparu. Mais il y a un fait certain et curieux qui a placé les Indiens dans un état d'infériorité manifeste par rapport aux autres peuples de l'antiquité, c'est leur incapacité à utiliser la notion de cercle. Ils concevaient le cercle, puisque leurs images du soleil et de la lune ou leurs vases étaient circulaires, mais ils ne l'appliquaient que dans un domaine extrêmement restreint, puisqu'ils n'avaient imaginé ni la roue, ni le tour, ni la voûte, ni la colonne.

 

La littérature a dû atteindre un grand développement, si nous en jugeons par les trop rares fragments qui sont parvenus jusqu'à nous: Le peuple aimait le chant et, aujourd'hui encore, l'Indien module sa complainte en parcourant les pistes de la sierra. Il n'y avait pas de fête sans que des poètes officiels (haraviku), célébrassent les vertus des ancêtres, la gloire du souverain ou des amours imaginaires. Garcilaso rapporte une de ces poésies qu'il a empruntée à Blas Valera et qui est formée de vers de quatre syllabes non rimés 33.

La plus curieuse pièce de vers que nous possédions est un drame ; Ol'antay 34,mis par écrit par un curé de Sicuani, nommé Valdés. Peut-être la forme ancienne a-t-elle été profondément altérée, afin de l'adapter au goût du temps : vers octosyllabiques, usage de la rime 35, disposition des scènes, mais le fond remonte certainement à l'époque précolombienne 36, comme le remarque Markham, les caractères des personnages sont tout à fait conformes aux traditions inka et ne manquent pas de grandeur 37. L'action est vivement menée et les faits s'enchaînent bien les uns aux autres. Détail curieux, quand une strophe n'est pas achevée par un personnage, son interlocuteur ne la termine pas. Enfin, l'amoureux ne se trouve jamais en tête-à-tête avec la dame de ses pensées, ce qui suffirait à différencier profondément l'Ol'antay des tragédies classiques européennes 38.

Ces pièces de théâtre étaient composées par les amauta et jouées par les grands personnages 39. Toute représentation de drame kičua fut interdite par les Espagnols en 1781, à la suite d'une révolte d'Indiens 40.

 

Un coup d'œil sur les mœurs de l'époque nous fera comprendre mieux que toute autre étude l'état social du Pérou précolombien. On a voulu parfois prendre la condition de la femme comme mesure de la civilisation d'un peuple. Il faut reconnaître qu'un jugement est ici très difficile à porter. Sans doute, la femme n'accomplit pas les travaux les plus pénibles, elle se borne à aider l'agriculteur à cultiver la terre et le soldat à porter les bagages ; elle est protégée par la loi, nul ne peut la brutaliser ni la répudier à sa guise ; sans doute aussi beaucoup d'Indiennes reçoivent-elles une certaine instruction dans les maisons de vierges et les hommes marquent-ils du respect pour elles. Dans les banquets, les femmes s'accroupissent dos à dos contre leur mari, les servent et mangent en même temps qu'eux 41, ce qui n'était pas encore admis en France au moyen âge. La souveraine prend part à toutes les fêtes, Huayna-Kapak consulte sa mère sur les affaires de l'Empire, et c'est une femme qui vient implorer ce monarque après la révolte des Čačapoya et qui obtient le pardon 42.

Mais par contre, les femmes sont regardées à bien des égards comme des marchandises. Le plus grand nombre d'entre elles, affecté aux besoins du peuple, constitue un minimum nécessaire pour assurer la survivance de la race ; le reste est mis en réserve et distribué par l'Inka comme les vêtements et les armes, suivant les nécessités de la politique impériale. Il n'est pas plus permis de les martyriser qu'il n'est permis de gaspiller les denrées. La femme figure en somme un objet de consommation d'ordre supérieur à la disposition de l'État. On peut dire qu'elle n'est pas brutalisée, mais qu'elle est asservie 43.

Seulement l'homme est, lui aussi, traité avec bien peu d'égards ; on le déplace, on lui assigne une tâche sans lui demander son avis. Aussi devons-nous non pas considérer la condition de la femme d'alors à notre point de vue moderne, mais seulement examiner si les Inka ont amélioré le sort de la femme depuis qu'ils ont commencé de régner ; or il n'est pas douteux que les hommes des tribus sud américaines voisines des Kičua traitaient leurs compagnes bien souvent comme des esclaves, les brutalisant et leur faisant accomplir les métiers les plus pénibles, ce qui n'était pas le cas au Pérou 44.

Hommes ou femmes, tous les Indiens menaient une existe ce sévèrement réglée. L'enfant, dès son plus jeune âge, était soumis à une rude discipline: On le baignait dans l'eau froide et il ne tétait que trois fois par jour, « pour ne pas l'habituer à la gloutonnerie », dit le chroniqueur 45. Jamais la mère ne tenait le petit dans ses bras, elle le laissait dans son berceau de bois pour l'accoutumer à la dure et se penchait sur lui sans le prendre pour lui donner le sein. Quand l'enfant avait atteint l'âge de deux ans, on coupait ses cheveux en présence des parents et amis de la famille et on lui donnait un nom ; à 8 ans, ce nom était changé contre un autre et il l'était de nouveau à 18 ans, suivant Las Casas 46.

Les réunions étaient fréquentes ; des banquets publics avaient lieu les jours de fête en présence des chefs locaux, chacun apportant ce qu'il devait manger et échangeant à sa guise sa nourriture contre celle de son voisin, un peu à la manière d'un pique-nique 47. Puis des danses, des chants alternaient avec des jeux de hasard dont certains ont survécu jusqu'à nos jours 48. Les danses étaient graves et les hommes seuls y prenaient part en se donnant la main les uns aux autres 49.

Sur ce chapitre des fêtes, les chroniqueurs sont inépuisables. La grande fête du Soleil (Raymi), qui il avait lieu probablement vers le mois de juin, ne durait pas moins de neuf jours 50 ; les grands fonctionnaires venaient à Cuzco de toutes l'es régions de l'Empire pour y participer. Ce devait être un fort beau spectacle que celui de tous ces Indiens portant les coiffures et insignes distinctifs de leurs tribus, se pressant autour des musiciens et des danseurs couverts de peau de puma et ornés de plumes d'oiseau 51 ou saluant de leurs cris enthousiastes le passage du souverain, monté sur sa chaise en or massif, tout couvert d'or et de pierreries, une couronne d'or garnie de plumes sur la tête et un disque d'or sur la poitrine, précédé de serviteurs portant les armes royales et entouré d'une multitude de guerriers aux vêtements multicolores.

Mais plus impressionnante encore devait être la première de toutes ces cérémonies du Raymi : le salut au Soleil. Le monarque, les princes et un grand nombre d'habitants, pieds nus, se rassemblaient avant l'aurore sur une des places de Cuzco et, au moment où l'astre du jour paraissait au delà des montagnes, la multitude s'accroupissait et baisait les rayons lumineux, tandis que, l'Inka, levant un vase d'or, offrait à boire à son père le Soleil 52.

Parmi les plus importantes solennités figuraient encore les triomphes militaires : défilés, cérémonies religieuses, danses et chants se succédaient et se terminaient, comme se terminent souvent encore les réunions d'Indiens, par une ivresse générale.

Voici comment Montesinos décrit l'entrée triomphale de l'Inka Sinši Roka à Cuzco après la défaite des Andahuayla révoltés : Les sonneurs de trompe ouvrent la marche, puis 2 000 soldats s'avancent en formation de combat, les chefs portant des coiffures de plumes multicolores et des plaques d'or sur les épaules et sur la poitrine, les hommes couverts de plaques d'argent prises à l'ennemi. Quelques-uns d'entre eux frappent sur des tambours de forme humaine, au nombre de 6, faits avec les peaux des chefs vaincus. Viennent ensuite successivement des soldats, des prisonniers, les mains liées derrière le dos, encore des soldats avec 6 nouveaux tambours pareils aux précédents, puis le souverain des Andahuayla étendu nu sur une litière et entouré de tambours faits avec la peau de ses parents. Derrière lui marche une troupe de crieurs, les uns faisant savoir comment l'Inka traite les révoltés, les autres rappelant les actions commises par les Andahuayla. 3 000 orejones les suivent, richement vêtus et ornés de plumes, en chantant un hymne de victoire. Après eux viennent 500 jeunes filles appartenant aux premières familles de l'Empire ; elles dansent et chantent, la tête couronnée de guirlandes, des feuillages dans les mains et des grelots aux jambes. Un groupe de grands personnages s'avance ensuite, les uns enlevant les pierres et les fétus de paille restés sur le chemin, les autres jetant des fleurs ; ils précèdent immédiatement l'Inka, assis sur un trône en or porté par 8 orejones. L'homme-dieu est abrité par deux parasols de plumes, formant comme un dais, garnis de petites feuilles d'or très fines et d'émeraudes ; il tient dans sa main droite un propulseur en or et dans sa main gauche un bâton de même métal, qu'il prétend avoir reçu du Soleil. Sur le front il porte le ruban de laine rouge et une couronne d'or richement travaillée. Enfin des membres de la famille royale et du conseil et des princesses couvertes d'ornements, tous portés sur des litières, terminent le défilé 53.

On voit combien il est difficile de qualifier l'état social des Inka 54. Fort arriérés sur quelques points, très avancés sur d'autres, les Péruviens échappent à toute c1assification ; ils ont à la fois des procédés techniques primitifs et d'autres très perfectionnés ; ils traitent les nommes comme du bétail, mais ils savent récompenser le mérite ; ils font des tambours avec la peau des révoltés, mais ils laissent en fonction les chefs ennemis vaincus, après les avoir comblés de présents ; ils ignorent la roue, mais ils jouent des pièces de théâtre ; ils ne savent pas écrire, mais ils dressent d'impeccables statistiques. Comment peut-on dire que l'esprit humain se développe en tous lieux dans une même direction et doit fatalement évoluer de la même manière ? L'Empire inka ne saurait être comparé à aucune des grandes civilisations de l'Ancien Monde.

 

Notes

1 Garcilaso, Comentarios, liv. 8, ch. 13. – M. Saville, Precolumbian decoration of tee teeth in Ecutador. American Anthropologist, vol. 15, 1913, p. 377.

2 Historia, liv. 14, ch. 6. – M. Macedo, Las deformaciones artificiales dà cráneo en el antiguo Perú. Revista universitaria de Lima, année 7, vol. l, janvier 1912.

3 Las Casas prétend que dans chaque province les habitants avaient un forme de tête particulière. C'est manifestement inexact, car aucun autre chroniqueur ne signale ce fait remarquable. (De las antiguas gentes, p. 175).

4 Relación, p. 253.

5 Joyce, South American Archaeology, p. 35. Cobo dit que « les Collas se faisaient une tête longue et pointue » pour que le bonnet de laine leur aille bien (loc. cit.). Les caprices de la mode ne sont pas encore arrivés chez nous à adapter la tête à la coiffure, au lieu d'adapter la coiffure à la tête. Matienzo interdit les déformations dans la province de Charcas (Pietschmann, Aus den Göttingischen gelerhrten Anzeigen, op. cit., p. 732).

6 D'après Bandelier, les Aymará seraient très inférieurs à cet égard aux Kičua (The Islands of Titicaca..., p. 19).

7 Le lecteur trouvera de magnifiques dessins de poteries et de tapisseries dans les ouvrages de M. Uhle. Kultur und Industrie Sudamerikanischer Völker, op. cit., de d'Harcourt, La céramique indienne du Pérou (Paris, 1924), et de W. Lehmann, Kuntsgeschichte des alten Peru (Paris, 1924). A Villar y Córdova qualifie l'art péruvien de cubiste (La educatión incáica, op. cit., p. 510). H. Bingham croit découvrir chez les anciens Péruviens le le même préjugé qui existe chez les Arabes contre la représentation de la forme humaine (The inca peoples and their culture, op. cit., p. 254). Cette observation ne saurait s'appliquer aux peuples du littoral ; les artistes čimu avaient au contraire des tendances réalistes et représentaient même des expressions de physionomie et des difformités physiques, ceux de Nazca pratiquaient là stylisation, mais leur sujet préféré était encore la tête humaine (D'Harcourt, La céramique ancienne, op. cit., p. 10, 19, 38).

8 La civilisation des Incas, p. 44.

9 V. suprà, p. 158.

10 Le vernis est inconnu, mais les parois sont patinées avec une palette de bois. Les dessins des poteries fournissent de merveilleux motifs d'art décoratif moderne.

11 Ils l'obtenaient sans doute par martelage. Après avoir calculé l'épaisseur de la couche d'or qui couvre certains objets, MM. Verneau et Rivet écrivent : « Si l'on admet que le placage était obtenu par martelage, l'habileté des ouvriers précolombiens égalait donc celle de nos batteurs d'or qui, avec un outillage beaucoup plus perfectionné, ne peuvent pratiquement obtenir des feuilles d'épaisseur très notablement inférieure. » (Ethnographie ancienne, p. 337). Le placage était connu en Equateur et sur la côte péruvienne, mais ignoré dans le Haut-Pérou et en Bolivie (Rivet L'orfèvrerie précolombienne des Antilles. Journal de la Société des Américanistes de Paris, 1923). ­Les orfèvres étaient arrivés à fabriquer des papillons d'or « dont le centre de gravité était si bien établi que, lorsqu'ou les lançait eu l'air, ils restaient quelque temps à voleter avant de retomber. » (Wiener, Pérou.et Bolivie, p. 586. – Beuchat, Manuel, p. 684). Il y a au musée d'ethnographie du Trocadéro un très beau vase en argent repoussé d'une seule pièce.

12 Buffon parle des momies péruviennes eu citant Garcilaso et Acosta (Œuvres complètes, 1833, t. 9, p. 88). Pour les têtes humaines momifiées, v. J. Tello, El uso de las cabezas humanas artificialmente momificadas. Revista universitaria de Lima, n° 13, 1918. Les Péruviens savaient réduire les têtes humaines à un très petit volume sans en déformer les traits. Les Jivaros des forêts vierges orientales de l'Équateur ont coutume encore de nos jours d'opérer de telles réductions, grâce à des procédés dont ils ont gardé le secret. Le gouvernement équatorien a dû prohiber le commerce de ces œuvres d'art d'un genre particulier, très recherchées par les Européens.

13 Pérou et Bolivie, p. 634 et 550, n. 1.

14 Daniel Réal, Un chef-d'œuvre de la céramique péruvienne. Journal de la Société des Américanistes de Paris, 1921.

15 L'influence de la découverte de l'Amérique.., p.,23, note. Sur le goût des Mexicains pour les objets de métal représentant des animaux, v. Pierre Martyr, De Orbe Novo, trad. franç., Paris, 1907, p. 452.

16 V. R. et M. d'Harcourt, La musique dans la sierra andine. Journal de la Société des Américanistes de Paris, 1920, et le bel ouvrage qui vient de paraître de ces mêmes auteurs : La musique des Incas et ses survivances. Paris, 1925. La liste des instruments de musique donnée par Cobo a été confirmée pat les découvertes archéologiques (Cobo, Historia, liv. 14, ch. 17. – Bandelier, The Islands of Titicaca. Partie 3, n. 131).

17 L'os est perforé de trous exactement placés où ils doivent se trouver pour obtenir des sons justes. (Capitan et Lorin, Le travail en Amérique, p. 154). « C'est dans l'Empire incasique que ces flûtes ont atteint leurs formes les plus parfaites » (D'Harcourt, La musique des Incas, p. 87).

18 Suivant leur grandeur, les flûtes correspondaient à des tonalités différentes de soprano, de ténor, de contralto et de basse (Garcilaso, Comentarios, liv. 2, ch. 27). Il n'y avait pas d'instruments à cordes (A. Villar y Córdova prétend que les anciens Indiens avaient de tels instruments mais ne donne aucune référence. La educación incáica, op. cit., p. 536.)

19 La tinya était une sorte de grand, tambour de basque à double membrane. Les Huanka avaient la fâcheuse habitude de faire des tambours avec les peaux des guerriers vaincus ; ils pensaient que les ennemis survivants en entendant le bruit de ces instruments fuiraient épouvantés. Les Inka appliquaient ce traitement barbare aux révoltés seulement.

20 Ce caractère pratique de la science et en général de la civilisation péruvienne a été bien vu et mis en lumière par Leadbeater, Le Pérou antique, p. 232-368.

21 Garcilaso, Comentarios, liv. I, ch. 26. Ondegardo fait allusion à cette carte. Relación, p. 85.

22 Suárez, Historia general, t. 1, p. 175.

23 Betanzos, Suma y Narración, ch. 12 et 16. – Sarmiento, Geschichte, p. 80.

24 Il y aurait une certaine correspondance entre le zodiaque des Inka et celui des Aztèques et même celui des peuples asiatiques, ce qui n'a rien de surprenant étant donnée l'origine probable des Sud-Américains (Krum-Heller, El zodiaco de los Incas en comparación con el de los Aztecas. 17eCongrès international des Américanistes. Mexico, 19I2.) Certains auteurs modernes estiment que l'équinoxe de printemps (21 sept.), puis à partir du règne de Pačakutek le solstice d'été (22 décembre), marqua le début de l'année et, conformément aux indications de Garcilaso, qu'on ajoutait à l'année lunaire le nombre de jours nécessaires pour la faire coïncider avec l'année solaire (G. V. Callegari, Conoscenze astronomiche degli atichi Peruviani. Revista abruzzese, 1914). Betanzos, Balboa, Molina placent le début de l'année à des dates différentes, mais l'année avait-elle un début ? Rien n'est moins certain. Le menu peuple comptait les.années par récoltes (J. du Gourcq, L'astronomie chez les Incas. Revue scientifique, 1893, p. 15 et suiv,). D'après Montesinos, à partir d'une certaine date, les Péruviens auraient établi des mois de 30 jours, divisés en semaines de 10 jours (Memorias, chap. 11).

25 Garcilaso, Comentarios, liv 2, ch. 2.2. Desjardins se trompe quand il déclare que la science la plus perfectionnée au Pérou était l'astronomie (Le Pérou avant la conquête espagnole). Il est cependant possible que des découvertes ultérieures nous révèlent chez l'élite des connaissances astronomiques étendues absolument ignorées du vulgaire et des conquérants de race blanche. M. Nordenskiöld croit déjà pouvoir dire qu'il existait une grande différence entre le « calendrier développé de l'homme-médecin (traduisez: l'amauta) et le calendrier primitif de l'homme du commun » (Le calcul des années et des mois dans les quipus péruviens, op. cit., p. 56.)

26 Leadbeater; spécialiste en la matière, déclare que rien au Pérou ne méritait « de s'appeler occultisme » (Le Pérou antique, p. 412). Pourtant il est certain que les Indiens avaient une magie des nombres. Le chiffre 4, suivànt Payne, le chiffre 7, selon Nordenskiöld, étaient regardés comme sacrés. Pour savoir si l'année serait bonne, on comptait les pommes de terre d'un sac (Payne, History, t. II, P., 283. – Nordenskiöld, Le calcul des années et des mois dans les quipus péruviens, op. cit., p. 55). Le chiffre 4 était fatidique au Mexique, au Guatemala et en Colombie (Helps, The spanish conquest, t. 4, p. 285). Les sorciers n'avaient guère de crédit que parmi les classes inférieures de la population (Balboa, Histoire du Pérou, trad. franç., chap. 29).

27 Morua, Historia, p. 114. – H. Valdizón, Acerca de los orígenes de la medicina peruana. Lima, 1922. Nous avons peine à admettre que la science médicale des Péruviens ait été très grande, comme le dit Fidel Lapez (Les races aryennes, p. 320).

28 Comentarios, liv..7, ch. 5 et suiv. Frazer a reproduit ce récit (The golden bough. Londres, 1922, p. 553). Cette fête rappelle la « chasse aux esprits » de certains villages nègres. Bien des Indiens croient encore que les maladies sont des êtres immatériels malfaisants, telle la petite vérole, qu'ils nomment tayta-kapak.

29 Wrigley, The travelling doctors of the Andes. The geographical review, 1917, t. 4. – Markham, The Incas of Peru, p. 158. La légende des Kol'ahuaya a été contée par Oliveiro Cezar, Las leyendas de los Indios Quichuas. Buenos-Aires, 1893, p. 34.

30 Tschudi, Contribuciones..., p. 69.

31 Morna, Historia, p. 116. – G. de Santa Clara, Historia, t. 3, ch. 49.

32 Cette trépanation peut avoir eu aussi pour objet, comme dans l'Egypte ancienne, de mettre les prêtres en relation directe avec la divinité ou de faire sortir le mauvais esprit enfermé dans le crâne du malade. On aurait découvert dans la vallée de Chicama des jambes amputées, munies de pieds en bois artificiels (Velez López, Las mutilaciones en los vasos antropómorfos del antiguo Perú. 18eCongrès international des Américanistes. Londres, 1912, t. 2. p. 267 et suiv.). Sur les 400 crânes trépanés trouvés par le Dr. Tello, 250 présentent des cicatrices (Villar y Córdova, La educación incáica. Revista universitaria de Lima, 1926, p. 56).

33 Raurich, Elementos…, op. cit., p. 34-35. – Garcilaso, Comentarios, liv. 2, ch. 27. Pourquoi Hanstein prétend-il que les Péruviens ne chantaient pas ? (Die Welt des Inka, p. 78).

34 Morua parle à deux reprises des pièces de théâtre Kičua. (Historia, p. 24 et 114) et Santa Cruz Pachacuti donne même les noms de certaines d'entre elles : une comédie anay sauca (ce qui veut dire : combien amusant) ; une farce llama-llama, des tragédies hanamsi, hayachuso (Relación, p. 268). On a bien cité parfois un autre drame :Uska paukar, mais il a été reconnu que des rôles entiers étaient d'origine espagnole (Fidel López, Les races aryennes, p. 329).

35 Garcilaso dit que les Indien n'utilisaient pas la rime (Comentarios , liv. 2, ch. 26 et 27). Celle-ci a été introduite dans le drame après la conquête.

36 Markham, The Incas of Peru, p. 148 – L. Cordero, Estudios de linguística americana. Cuenca, 1901, p. 29,

37 Introduction à la traduction de la deuxième partie de la. Crónica de Cieza de León, Collection Hakluyt. Londres, 1883.

38 V. l'introduction de la traduction française de Pacheco Zegarra.,(Paris, 1878). La traduction espagnole de José Barranca (Ollanta, Lima, 1868) porte en sous-titre : O sea la severidad de un padre y la clemencia de un rey. Voici le sujet du drame : le valeureux général Ol'antay aime la fille de l'Inka, qui répond au gracieux nom de Kusi Kuyl'ur (Étoile de joie), et il en est aimé ; quoique n'étant pas de sang royal, il ose demander au monarque la main de la princesse. Le souverain refuse avec indignation et fait enfermer sa fille. Ol'antay, furieux et désespéré, s'enfuit de Cuzco, soulève les provinces montagneuses de l'est (Anti) et établit son centre de résistance dans la grande forteresse d'Ollantaytambo.Le chef indien Rumiñahui (œil de pierre) attaque le rebelle, mais il est battu ; il use alors d'un stratagème ; feignant d'avoir été torturé par ordre de l'Inka, en punition de sa défaite, il se présente, couvert de blessures et criant vengeance devant Ol'antay qui l'accueille sans méfiance. Puis, à un jour convenu, pendant que les révoltés célèbrent une fête, Rumiñahui ouvre les portes de la forteresse à l'armée de l'Inka. Mais celui-ci, dans un grand élan de, générosité, pardonne à Ol'antay, lui donne sa fille en mariage et lui confie un haut commandement. – Plusieurs caractères sont bien dessinés, celui d'Ol'antay notamment et celui de son serviteur, le facétieux Piki Čakir qui est le comique de la pièce.

39 Garcilaso, Comentarios, liv. 2, ch. 27.

40 Frézier parle déjà au début du XVIlle siècle d'une suppression du théâtre, où l'on représentait la mort de l'Inka (Relation..., p. 250). Dans l'édition de 1809 des Voyages au Pérou de M. Sobreviela et Narcisso y Barcelo figure une note ainsi conçue : « Dans la plupart des grandes villes du Pérou, les Indiens renouvellent la mémoire de la mort d'Atahualpa par une espèce de tragédie qu'ils représentent dans les rues le jour de la Nativité de la Vierge…. Les Espagnols ne sont point alors en sûreté » (t. II, p. 374).

41 Cobo, Historfa, liv. 14, ch. 5.

42 Garcilaso, Comentarios, liv . 9, ch. 7.

43 Letourneau, La condition de la femme dans les diverses races et civilisations. Paris, 1903, p. 199. « Au-Yérou, la femme n'était ni un meuble, comme en Orient, ni une bête de somme, comme chez les peuplades sauvages ; c'était une propriété de l'État, qui en disposait selon son bon plaisir, au mieux du caprice du commandement » (Castaing, Le communisme au Pérou, p. 27.)

44 Chez les Araukan, par exernple, les femmes étaient de véritables esclaves (L. Pena, Histoire du Chili, Paris, 1927, p. 5). Les Indiens des tribus du Madre de Dios traitent maintenant encore leurs femmes comme des bêtes de charge (Saavedra, El ayllu, p. 87).

45 Garcilaso, Comentarios, liv. 4, ch. 12.

46 Las Casas, De las antiguas gentes..., p. 45. – Brühl, Die Kulturvolker..., p. 346.

47 Garcilaso, Comentarios, liv. 5, ch. XI. Dans ces sortes de cérémonies, les Indiens hanan et les Indiens hurin étaient accroupis face à face et trinquaient les uns avec les autres.

48 Il existait aussi des jeux de « cérémonie », qui faisaient partie des rites mortuaires. Nordens­kiöld, $pieltische aus Peru und Ecuador. Zeitschrift für Ethnologie, Heft 2 und 3, 1918, p. 169. ­– Karsten, Zeremonielle Siele unter den Indianern Sudamerikas. Acta Academiae AboensisHuma­niora. Abo, 1920, t. I.

49 La célèbre chaîne d'or de Huayna-Kapak était destinée à la danse ; les danseurs tenaient la chaîne au lieu de se tenir par la main (Zarate, Historia, liv. I,ch. 14). On trouvera une étude des danses dans R. et M. d'Harcourt, La musique des Incas et ses survivances, p. 91 et suiv.

50 Les auteurs ne sont pas d'accord sur les dates des fêtes.

51 Les danses indigènes primitives, menées par des Indiens couverts de peaux d'animaux et de plumes, ont subsisté dans certaines régions (R. Paredes, El arte en la altiplanicie. La Paz, 1913}.

52 Garcilaso, Comentarios, liv. 6, ch. 21.

53 Montesinos, Memorias, ch. 22.

54 Joyce, fort embarrassé, appelle la civilisation des Inka une magnifique barbarie (South-American Archaeology, p. 76).


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13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 22:58
L'Empire socialiste des Inka

Université de Paris — Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie — V (1928)

par Louis Baudin
Professeur à la faculté de Droit de Dijon

Chapitre XII — L'expansion de l'Empire

Le Roi : « Il faut appeler les ennemis amicalement avant de les combattre et leur parler avec douceur. Prends garde de verser le sang inutilement et d'immoler des innocents. »

(Ol'antay, scène III)

 

Plusieurs sociologues et non des moindres ont regardé le Pérou antique comme le type même d'une société militaire, d'un « Etat de conquête » 1. Les uns se sont plu à représenter cette expansion de l'Empire comme chose aisée ; suivant eux, la première confédération de tribus a dû l'emporter facilement par la force du nombre sur les groupements isolés et les expéditions des souverains de Cuzco n'ont été que des promenades militaires 2. D'autres, en met tant en relief le peu de résistance offert aux Espagnols par les Péruviens, dépeignent les Indiens comme gens sans bravoure, tant et si bien que le lecteur en est réduit à s'imaginer le Pérou comme un Etat singulier qui serait extrêmement militaire, mais dont les habitants auraient des goûts fort pacifiques. Ces exagérations sont démenties par les faits. Il est vrai que les Inka ont disposé d'une arrmée puissante et bien organisée et qu'ils ont soumis des peuples nombreux, mais leurs conquêtes ont été souvent longues et difficiles, et s'ils ont été aisément vaincus par les Espagnols, c'est en raison de circonstances spéciales que nous rapportons qui n'ont rien à faire avec le courage des Indiens.

L'organisation de l'armée ne présentait rien de très original. Tout homme valide devait le service miilitaire, probablement de 25 à 50 ans 3, soit comme soldat, soit comme porteur. Des maîtres spéciaux enseignaient la lutte et l'exercice des armes dans chaque village aux enfants âgés de plus de 10 ans ; ils signalaient ensuite au tukrikuk ceux qui se distinguaient par leur force ou leur bravoure et méritaient d'être soldats, les autres étaient porteurs 4. Un dixième de la population de chaque province était appelé par roulement pour des périodes qui sur la côte étaient toujours fort courtes en raison du climat. Le reste du temps, les Indiens en état de porter les armes vaquaient à leurs occupations ordinaires et "ils devaient s'exercer certains jours devant les kuraka 5.

L'armée était commandée par un généralissime, fils, frère ou oncle de l'Inka 6 ; elle était divisée en troupes de 10, 50, 100, 1 000, 10 000 hommes, chacune ayant son chef propre. Mais les soldats originaires des différentes parties de l'Empire n'étaient point mêlés les uns aux autres, tous ceux d'une même tribu demeurant réunis sous un même commandement et ceux de hanan étant séparés de ceux de hurin 7. Au milieu des combattants étaient placés les hommes et les femmes de charge qui portaient les vivres et s'approvisionnaient dans les tambos de la route. Jamais les armées n'avaient à demander quoi que ce soit aux habitants, elles trouvaient tout dans les greniers : nourriture, vêtements, armes 8. Un soldat qui se serait avisé d'exiger un grain de maïs d'un habitant ou de le voler, eût été immédiatement mis à mort. Quel spectacle que celui de ces grandes armées parcourant l'Empire sans que la population ait le moins du monde à souffrir de leur passage et quelle différence avec les arrmées européennes d'autrefois et même d'aujourd'hui 9 !

En dehors de l'armée régulière, il y avait à Cuzco la garde permanente de l'Inka, formée d'Indiens du Cañar 10.

Au total, d'après les chroniqueurs, l'armée sous le règne de Huayna-Kapak pouvait compter environ 200 000 hommes de guerre, non compris les porteurs, mais ce chiffre ne doit être retenu que sous toutes réserves 11.

Les armes dont les Péruviens disposaient étaient offensives et défensives. Parmi les premières, la plus redoutable était certainement la fronde. Les enfants s'employaient dès l'âge de sept ans à chasser les oiseaux qui venaient dévaster les champs de maïs, aussi étaient-ils fort habiles et bien des Espagnols furent tués par les frondeurs, tel Jean Pizarre au siège de Cuzco. Le cordon de cette arme était fait en laine, cuir oufibre de cabuya ; il était souvent tissé ou brodé ; la pierre était ronde ; quand elle était chauffée à blanc, elle enflammait les toits de chaume ; c'est ainsi que Cuzco fut incendiée 12.

Pour lancer les flèches, les Indiens se servaient de l'arc et de la estólica ou propulseur. Ce dernier se composait d'un bâton de 40 à 60 cm de longueur, surmonté d'un rebord à sa partie postérieure et d'un crochet à sa partie anté­rieure. La flèche était placée le long du morceau de bois, de manière que sa pointe reposât sur le rebord et que son talon se logeât dans le crochet. Le soldat saisissait le bâton à pleine main et décrivait avec le bras un arc de cercle comme s'il voulait lancer l'instrument, mais il ne le lâchait point et la flèche seule, quittant le rebord et poussée par le crochet, partait vers le but. La estólita était donc un simple prolongement du bras, destiné à donner au trait une vitesse plus grande 13.

Les pointes des flèches étaient en os, bois, silex ou métal, mais l'Inka, par un étonnant souci d'humanité, défendait qu'on les empoisonnât.

Utilisé surtout pour la chasse, l'ayl'o (bolas des Espagnols), était formé d'une corde divisée en trois cordelettes, chacune d'elles portant à son extrémité une pierre ou une masse de métal 14. Il était lancé dans les jambes des animaux sauvages autour desquelles il s'enroulait à la façon d'un lasso, et les Indiens s'en servirent plus tard pour faire tomber les chevaux espagnols. Les cavaliers argentins l'utilisent encore aujourd'hui dans la pampa.

Comme armes destinées au combat rapproché, les soldats avaient la massue, en bois ou en métal, qu'ils tenaient à deux mains et suspendaient par des liens au bras gauche, préalablement entouré de coton 15 ; ils se servaient aussi de la hache en cuivre, quelquefois en argent ou en or, du javelot et de la lance.

Les armes défensives consistaient en un casque de bois rembourré de coton, en boucliers de bois et de coton, parfois de très grande taille et capables de couvrir jusqu'à une vingtaine d'hommes 16, en plastrons capitonnés de coton destiné à protéger le corps contre les flèches 17.

Toutes ces armes offensives et défensives, se trouvaient en grand nombre dans les dépôts publics que de Beauchamp appelle « des arsenaux » 18.

L'Inka portait un large bouclier carré, de bois ou de cuir, avec une frange d'étoffe, ayant au dos une boucle de cuir dans laquelle il passait le bras gauche ; il tenait à la main droite une massue terminée par une étoile de bronze à six ou huit pointes 19.

 

Cette armée puissante, ainsi organisée et outillée, soumise à une discipline rigide, était un redoutable instrument de conquête, mais les souverains ne se servaient d'elle qu'à défaut de tout autre moyen. Il est remarquable que les Péruviens n'aient jamais, comme tant de monarques antiques, envahi sans autres formes de procès les territoires voisins et massacré leurs habitants ; au contraire les souverains de Cuzco cherchaient d'abord à attirer les peuples en leur montrant la situation florissante de l'Empire, en faisant étalage de leurs richesses et en offrant des présents aux chefs des tribus 20. Si la diplomatie échouait, alors les soldats entraient en scène, mais toujours et à tout instant les adversaires pouvaient capituler ; ils étaient sûrs, s'ils n'avaient pas commis de trahison, de ne subir aucunes représailles. Jamais l'Inka ne se livrait à des actes de cruauté inutiles. Sans doute n'agissait-il pas ainsi par esprit humanitaire, c'était là simplement son intérêt bien entendu; il n'ignorait pas qu'il attachait plus solidement les peuples à son trône par un traitement généreux que par une action brutale et il nous donne par-là même la mesure de son habileté politique 21.

Grâce aux chroniqueurs, nous savons avec quelques détails comment l'Inka procédait quand il voulait conquérir un territoire 22. Il s'informait d'abord de la situation générale de la tribu qui occupait ce territoire et de ses alliances ; il s'efforçait d'isoler l'adversaire en agissant sur les chefs des peuplades voisines par des dons ou des menaces, puis il chargeait ses espions d'étudier les voies d'accès et les centres de résistance 23. En même temps il envoyait des messagers à plusieurs reprises pour demander obéissance et pour offrir de riches présents 24. Si les Indiens se soumettaient, l'Inka ne leur faisait aucun mal ; s'ils résistaient, l'armée pénétrait sur le territoire ennemi, mais en évitant de piller et de dévaster un pays que le monarque comptait bien annexer 25.

L'ordre de bataille était le suivant : les frondeurs engageaient le combat, puis les archers lançaient leurs flèches et enfin, quand on en venait au corps à corps, les haches et les massues entraient en jeu 26 ; Il ne paraît pas y avoir eu de combinaisons stratégiques, cependant l'Inka savait prendre les dispositions que commandait te terrain ; lorsqu'il entra dans les forêts de l'est pour combattre les Anti, il divisa son armée en trois colonnes en indiquant un point de concentration en territoire ennemi. Les chefs, semble-t-il, usaient surtout de ruses de guerre, par exemple en feignant de fuir et en attirant l'adversaire dans une embuscade 27.

Une fois la campagne terminée, l'Inka faisait mettre les prisonniers en liberté, distribuait des présents aux chefs vaincus, les confirmait dans leur pouvoir et organisait le pays comme nous l'avons vu. Seuls étaient punis les révoltés et les traîtres 28.

Les exemples de conquêtes pacifiques sont nombreux, il en fut ainsi pour la vallée de Činča 29, mais bien souvent aussi les tribus indépendantes résistaient désespérément, tels les Kara. Ces derniers avaient formé une véritable confédération avec plusieurs de leurs voisins du sud, Zarza, Palta, Kañari, mais les Péruviens commencèrent par détacher une à une les nations fédérées et les Kara furent réduits à leurs seules forces. La lutte que les Inka entreprirent contre eux se prolongea pendant dix-sept années, elle fut très dure et elle met en lumière les procédés de conquête tout à fait modernes des Péruviens. Ceux-­ci procédaient par étapes, consolidant leurs progrès avant d'en marquer d'autres; ils organisaient économiquement chaque parcelle de territoire conquise, construisant des dépôts, des routes, des places fortifiées, qui servaient de base pour les opérations futures 30.

On voit maintenant combien il est faux de prétendre que les Inka aient étendu leur Empire sans effort par de simples promenades militaires. Même pour affirmer leur puissance sur le plateau péruvien, les souverains ont eu à lutter contre des confédérations qui les ont parfois battus, comme les Čanka 31, et certains d'entre eux ont failli trouver la mort dans les combats, tel Inka Roka blessé devant Ollantay 32. Au début de la guerre des Kara, Tupak­Yupanki échoua devant Mocha et son ennemi s'empara de nouveau de toute la province de Puruha ; plus tard, Huayna-Kapak fut battu par les Karanki, son frère battu et tué au siège d'Otávalo, dans le nord de l'Équateur, et l'Inka ne finit par triompher qu'en employant une ruse de guerre. De même les révoltes n'ont pas été rares, malgré toutes les précautions prises par le monarque, et certaines ont mis en péril l'existence de l'Empire, par exemple celle des Čanka et celle de Cuzco même pendant une absence de Virakoča 33. Comment Cunow ose-t-il écrire : « Ces descriptions surabondantes qui nous racontent les glorieuses victoires des Inka, nous montrent leur supériorité guerrière sur les autres tribus, leur audace et leur bravoure invincibles, ne sont que des légendes (nichts anderes als Marchen). Une fois que les Inka avaient vaincu les petites tribus qui étaient leurs voisines, une expansion plus grande n'offrait aucune difficulté… 34 » 

Les faits font aussi justice de l'absurde accusation de lâcheté portée contre les Indiens par Robertson et Vilfredo Pareto. Les batailles livrées entre les armées d'Atahualpa et de Huaskar à Ambato en Equateur, à Quipaypan près de Cuzco ont été acharnées. On fait grand état du peu de résistance offerte par les Péruviens aux Espagnols, mais, comme nous l'avons déjà remarqué, à cette époque les Indiens étaient en pleine guerre civile ; ceux du Pérou, dont le souverain légitime Huaskar avait été détrôné par le bâtard Atahualpa, regardaient les blancs comme des sauveurs ; leur savaient gréd'avoir fait prisonnier cet usurpateur et leur faisaient fête. Ce sont des Indiens de Cuzco qui ont marché sous les ordres des Espagnols contre les Indiens de Quito. En somme, l'arrivée des blancs n'a été qu'un épisode dans la grande lutte entre les Inka et les Kara 35.

Quant à la débâcle de l'armée d'Atahualpa, dès que celui-ci fut pris par les Espagnols, elle s'explique fort bien. Il y eût d'abord une véritable trahison, car le souverain péruvien recevait les étrangers en amis, sans avoir tenté de les arrêter dans les défilés de la Cordillère, ce qui lui eût été extrêmement facile 36. D'autre part, les Indiens, qui n'avaient jamais vu ni chevaux, ni armes à feu étaient replis d'une crainte superstitieuse. Chez les autres peuples d'Amérique, l'épouvante ne fut pas moins grande 37. Enfin et surtout, en raison même de la centralisation excessive du pouvoir au Pérou, la perte du chef aboutissait à l'anéantissement de l'armée. L'extraordinaire discipline qui régnait dans l'Empire, chez les civils comme chez les militaires, avait à tel point détruit l'esprit d'initiative individuelle que les hommes n'osaient ou même ne savaient plus agir quand ils n'étaient pas commandés. La preuve en est que les Indiens de l'ancien royaume de Quito, soumis pendant moins de temps que les Péruviens à la puissance de l'Inka, résistèrent vaillamment aux Espagnols ; Kiskis etRumiñaui luttèrent désespérément contre Almagro et Benalcazar, un des fils de Ruayna-Kapak reprit Cajamarca, la bataille de Tiocajas, dans la province de Riobamba, dura un jour entier et les Espagnols auraient dû reculer si une éruption providentielle du Cotopaxi n'eût effrayé les Indiens qui se retirèrent 38. Les Péruviens eux-mêmes, quand ils se rendirent compte que les Espagnols détruisaient leurs institutions et dilapidaient leurs biens, trouvèrent parmi eux des chefs énergiques et peu s'en fallut que les blancs ne fussent chassés da plateau. L'Inka Manko repoussa Pizarre dans la vallée du Yucay et assiégea Cuzco en février 1536. Ce siège fut fertile en traits d'héroïsme, blancs et rouges se provoquèrent et luttèrent corps à corps, la ville fut incendiée et le capitaine indien qui défendait la forteresse préféra se tuer plutôt que de se rendre 39. Plus tard, des révoltes d'Indiens se multiplièrent et certaines d'entre elles furent d'une extrême gravité, celles de Huarochiri en 1570 et de Tarma en 1743 par exemple. En 1780, Tupak Amaru à là tête de 60 000 hommes, ne conquit pas moins de six provinces 40. Del Royo rend justice aux soldats de l'Inka quand il assure que la débilité et la faiblesse dont parlent les auteurs espagnols n'existent que dans l'imagination de ces derniers 41. Les Indiens n'étaient point des lâches, mais ils avaient été pendant si longtemps condamnés à une obéissance passive qu'ils n'étaient braves que lorsqu'ils recevaient l'ordre de l'être. Voltaire a bien noté que les Péruviens, au lieu de profiter des dissensions qui ne tardèrent pas à éclater entre les conquérants, « attendaient stupidement à quel parti de leurs destructeurs ils seraient soumis » 42. C'est le régime socialiste qui a causé la, perte de l'Empire, bien plus que les coups des « conquistadores » 43.

Il serait également fort exagéré de regarder la guerre comme une passion dominante des Inka et de supposer leur pays en état de lutte perpétuelle. Le soin apporté par le souverain à recourir le moins fréquemment possible à la fo.rce des armes déme!}} cette assertion. Il suffit de comparer la situation de l'Empire sous le règne de Huayna-Kapak à celle qui existait autrefois, lorsque les tribus ou les confédérations de tribus luttaient sans cesse entre elles, pour mesurer le progrès réalisé. « Paix au dedans, grâce à la guerre au dehors », tel était suivant Prescott le but du monarque 44.

Que cette expansion dé l'Empire ait eu des mobiles économiques, c'est ce gue nous avons déjà essayé de montrer, mais ce serait tomber dans un matérialisme historique détestable que de regarder ces mobiles comme les seuls qui aient existé. L'ambition, la soif de gloire ont. joué ici leur rôle ; il serait difficile d'expliquer par des considérations économiques la lutte entreprise contre le royaume de Quito, fort éloigné du centre de l'Empire, qui n'était nullement indispensable à l'existence des Péruviens et dont la conquête menaçait de devenir une affaire désastreuse, même au point de vue économique, en raison de la résistance des habitants 45. Par contre les mobiles d'ordre religieux semblent avoir été absents, contrairement à ce que pense Lorente 46 ; les dieux des vaincus étaient emmenés à Cuzco en otage et les cultes étrangers étaient respectés 47.

 

Le souverain n'avait pas seulement à livrer des guerres offensives ; il avait aussi à se défendre. Les frontières étaient perpétuellement menacées par des tribus guerrières redoutables, comme les Guarani à l'est ou les Araukan au sud. Aussi existait-t-il tout un système de forts, places fortifiées, marches mili­taires 48.

Le fort le plus fameux que nous connaissions est celui de Saxahuaman, à Cuzco, construit peut-être, en partie au moins, antérieurement aux Inka et que P. de Poo compare aux Pyramides et au Colisée 49. Il était formé de plusieurs enceintes concentriques en pierres énormes ; au-centre se dressaient trois tours, réunies entre elles par des couloirs souterrains, et se trouvait un réservoir rempli d'eau amenée par des canaux également creusés sous terre 50. A côté de ce chef-d'œuvre de l'art indien, les pukara ou enceintes, hâtivement construites, et les tambos fortifiés aux murs de pierre polie, paraissent n'avoir eu qu'une faible valeur défensive.

Les grands forts d'arrêt qui fermaient les voies d'accès de l'Empire étaient en réalité des places fortifiées qui devaient se suffire à elles-mêmes. Chacun d'eux renfermait dans ses murs une ville entière avec ses maisons, ses temples et ses champs de culture. En cas de siège, la résistance pouvait se prolonger indéfiniment. Tels étaient Pisak, « montagne entière transformée en forteresse », qui, suivant Squier, rappelle les anciennes places fortes des Indes anglaises 51, et Ollantaytambo avec ses palais, ses maisons, ses escaliers, ses citernes, ses aqueducs, ses terrasses et ses murs crénelés de porphyre rouge 52. Mais la plus remarquable de ces places était Maču-Piču, qu'une mission américaine a récemment découverte, Maču-Piču, la cité de granit blanc qui s'élève dans le cañon de l'Urubamba au dessus des précipices. Ses murs aux pierres admirablement assemblées ont résisté au temps et aux tremblements de terre ; ses escaliers, taillés à même dans le granit, relient encore entre eux les édifices et les terrasses en gradins. Tout est construit en pierre : maisons, temples, remparts, ou creusé dans la pierre : bassins, sièges, mortiers. Autour de la ville court une double muraille, surmontée d'énorrmes blocs prêts à être précipités sur l'assaillant ; à l'extrémité d'un éperon rocheux est un poste où la sentinelle veille et sur le point le plus élevé de la montagne se dresse la pierre sacrée « où le Soleil est attaché » 53.

Aux frontières de l'Empire existaient de véritables marches militaires avec des systèmes de forteresses commandant les passages. La province de Cañar présentait ainsi l'aspect d'un camp retranché avec les forts de Pucara près du rio Peluicay, de Pitaviña sur les rives du rio Jubones, d'Incapirca près du confluent des deux rios Silante et Huairapungo 54. De même, le pays compris au sud-de l'Empire entre les rios Choapa et Maule était occupé militairement par des avant postes, afin de tenir en échec les Araukan 55. Nous avons vu que les garnisons de ces places éloignées jouissaient de privilèges spéciaux.

Au delà des frontières que gardaient les soldats de l'Inka s'étendaient des zones où l'influence péruvienne se faisait sentir, zones difficiles à délimiter, qui comprenaient une partie des forêts brésiliennes 56, de l'Argentine 57, du Paraguay 58 et même de la Colombie 59.

L'Empire rayonnait du Darien à l'Araucanie et du Pacifique au cœur du Brésil sur la plus grande partie de l'Amérique du Sud.

 

Notes

1 Spencer, Principes de Sociologie. Trad..franç., t. 3, p. 773. – Belaunde, El Perú antiguo, ch. 7. – Trimborn, Der Kollektivismus, p. 984.

2 C'était déjà l'opinion d'Ondegardo (Report, p. 153). Cunow l'a reprise en l'exagérant (Die soziale Verfassung..., p. 50).

3 Santillán, Relación, par. 49 – Hanstein, Die Welt des Inka, p. 88.

4 Las Casas, De las antiguas gentes, p. 35.

5 Garcilaso, Comentarios, .liv. 5, ch. XI.

6 Velasco prétend que les chefs supérieurs de l'armée étaient toujours au nombre de deux (Historia, t. 2, p. 50).

7 M. Uhle, Los orígenes de los Incas, op. cit., p. 308. On ne voit pas très bien comment concilier ce système avec la division numérique. Comme pour l'organisation civile, les chiffres sont vraisemblablement approximatifs.

8 Oviedo.y Valdés, Historia general, t. 4, ch. 17. – Herrera, Historia general, déc. 5, liv. 3, ch. 16. – Cobo, Historia, liv. 14, ch. 7.

9 Las Casas, rapportant que des milliers de soldats passaient par les chemins sans prendre un fruit aux arbres, croit devoir ajouter : « Esto no es fábula sino verdad. » « Ceci n'est pas un conte, c'est la vérité » (Apologética, ch. CCLVI.)

10 Morua,Historia, p. 157. – Lettre au vice-roi F. de Toledo, 24 septembre 1572 (J. de la Espada, Relaciones geográficas, t. 2, app I, p. x). Cette garde n'a dû exister qu'à la veille de la conquête espagnole, la province de Canar ayant été rattachée tardivement à l'Empire par Tupak-Yupanki. C'est pour punir les Kañari de leur fidélité au souverain légitime Huaskar qu'Atahualpa détruisit leur capitale Tomebamba.,

11 Jijón y Caamaño, Un cementerio incásico..., p. 84. – Santa Cruz Pachacuti, Relación, p. 102. – Herrera, Historia general, déc. 5, liv. 3, ch. 14. Cet auteur parle plus loin de 300 000 hommes réunis par Tupak-Yupanki pour combattre les Čanka, puis de 200 000 hommes sous les ordres de Huayna-Kapak lors de la guerre de Quito. Brehm et Hanstein reproduisent le chiffre de 300 000 qui paraît considérable et qu'on est tenté à première vue de tenir pour suspect, d'autant plus que les historiens ont toujours été portés à exagérer sur ce point. On sait ce qu'il faut penser des armées perses, romaines ou même de celles de Charlemagne. Cependant ici, étant donné la population de l'Empire et surtout 1e système de recrutement et les dispositions prises pour le ravitaillement, les troupes péruviennes ont pu réellement être importantes. Le nombre des habitants de l'Empire étant estimé à 12 millions, celui des Indiens de 25 à 50 ans peut être évalué au tiers de ce chiffre, soit 4 millions et la moitié mâle en état de porter les armes à 2 millions. Il est curieux de noter que c'est précisément ce chiffre qu'indique Anello Oliva : « Sinši Roka, écrit-il, fit procéder au dénombrement général des hommes en état de porter les armes et en trouva 2 millions » (Histoire du Pérou. Trad. franç , p, 41). Mais il est impossible que ce chiffre ait pu être atteint sons Sinši 'Roka, à l'aurore de la dynastie des Inka, alors que l'Empire ne comptait qu'un petit nombre de tribus. Anello Oliva fait certainement erreur quant à l'époque du dénombrement. Les Indiens servant par ralliement et étant appelés par dixièmes, c'est bien au total de 200 00 hommes que l'on aboutit, mais c'est là un grand maximum et ce chiffre comprend les porteurs. Les Aztèques étaient individuellement des soldats plus redoutables que les Kiča, ils avaient de meilleures armes et un sentiment patriotique plus développé ; les Péruviens au contraire l'emportent par le nombre et la discipline (Friederici, Der Charakter der Entdeckung, op. cit., p. 43).

12 Cieza de León, Crónica. Segunda parte, ch. 31. .Encore aujourd'hui les Indiens sont fort habiles à manier la fronde. Pendant la guerre de « Queta » dans la province de Jujuy, en République Argentine, un détachement de 150 soldats de l'armée régulière fut anéanti à coups de fronde par les Indiens (Boman, Antiquités de la région andine, t. 2, p. 453). Velasco donne pour armes aux Kara : la pique, la lance, la hache et la massue ; il ne mentionne ni la estólica, ni la fronde (Historia, t. 2, p. 7). Bello Gayoso, parlant des Kañari, cite les frondes, les lances, les massues, les propulseurs (Relación in Relaciones geográficas, t. 3, p. 159). – V. Urteaga, El ejército incáico Boletín de la sociedad geográfica de Lima, 1920.

13 M. Uhle, La estólica en el Perú. Revista histórica de Lima, 1907, p. 289. Les Magdaléniens connaissaient le propulseur (J. de Morgan, L'humanité préhistorique. Paris, 1921, p. 67).

14 Bandelier, The Islands of Titicaca . Partie 4. n. 11. – A. de Vega, Descripción que se hizó en la provincia de Xauxa, op. cit., p. 85. – J. de Ulloa Mogo1lón, Relación de la provincia de los Collaguas. op. cit., p. 45.

15 F. de Jerez, Verdadera relación..., p. 334.

16 Molina, Relación de la conquista..., p. 143. – Marcos de Niza, Relation. Trad. franç., p. 290.

17 Avec peut-être parfois des plaques de cuivre. Montesinos, Memorias, ch. 10.

18 Histoire de la conquête et des révolutions du Pérou, t. I, p. 37.

19 Markham, The Incas of Peru, ch. 9.

20 C'est ce que Garcilaso appelle avec quelque exagération : gagner les vassaux par l'amour et non par la force (Comentarios, liv. 3, ch. 15).

21 La mansuétude de l'Inka Tupak Yupanki après la bataille de Pomatambo émerveille les vaincus (Herrera, Historia general, déc. 5, liv. 3; ch .9).

22 Cieza de León, Crónica. Segunda parte, ch. 18. – Santillán, Relación, par, 8. – C. de Castro, Relación, p. 207. – Garcilaso, Comentario, liv.5, ch. 12. Garcilaso rapporte qu'une peuplade, ayant reçu des messagers de l'Inka, consentit à recevoir provisoirement le souverain, étant entendu que le conquérant se retirerait si ses lois ne convenaient pas aux habitants. L'Inka accepta, mais plus tard la peuplade, ayant reconnu l'excellence du système péruvien, se soumit définitivement. (Comentarios, liv. III, ch. 15). Cette histoire est bien suspecte. Elle est reproduite par Marmontel (Les Incas, op. cit., p. 245).

23 L'espionnage jouait un grand rôle dans la préparation des guerres. Les yanakuna étaient passé maîtres en cet art au temps des Espagnols. Herrera, Historia general, déc. 5, liv. 6, ch. 5; liv. 10, ch. 1. – Anello Oliva, Histoire du Pérou. Trad. franç., p. 114.

24 On sait que chez beaucoup de peuples anciens l'acceptation du cadeau du souverain était une reconnaissance d'autorité et liait les parties comme un contrat (V. Moret et Davy, Des Clans aux Empires. Paris, 1923, p. 108).

25 La préoccupation constante du roi de ne pas verser le sang inutilement est indiquée à plusieurs reprises dans l'ancien drame kičua : Ol'antay (Scènes III et XIV). Mais il est arrivé que des chefs ennemis ont préféré se suicider plutôt que de se soumettre, tel le cacique Pintak dans l'Antisana,au nord de l'Équateur (Suárez, Historia general, t. I, p. 193). Parfois l'Inka choisissait pour chef l'Indien qui était venu lui offrir la soumission de sa tribu (Ondegardo, Copia de carla, p. 446).

26 Las Casas, Apologética, ch. CCLVI. Dans la grande bataille livrée aux Čanka, le fils de l'Inka lui-même marcha il la tête de ses troupes et engagea le combat (Garcilaso, Comentarios, liv. V, ch. 18. – Montesinos, Memorias, ch. 21).

27 Lorente, Historia antigua, p. 268. – Markham, The Incas of Peru, ch. 12 – Montesinos, Memorias, chap. 21. Les Indiens interrompaient les opérations militaires les jours de nouvelle lune pour célébrer des cérémonies religieuses. Les Espagnols profitèrent à maintes reprises de cette coutume, qui leur permettait de se reposer et de se réorganiser (Helps, The spanish conquest, t. 4, p. 33). Aujourd'hui encore les travaux des champs sont suspendus pendant les 3 premiers jours de la nouvelle lune en plusieurs régions du plateau andin.

28 Les habitants d'une région de la côte équatorienne furent condamnés à avoir des dents cassées (Zarate, Historia, ch. 6). Deux chefs de révoltés furent tués et leurs peaux servirent à faire des tambours (Balboa, Histoire du Pérou. Trad. fr., ch. 8).

29 C. de Castro, Relación, p. 207.

30 Garcilaso a conté l'histoire de la guerre des Inka et des Kara. Comentarios, Jiv. 8, ch. 7. – Balboa, Histoire du Pérou. Tr. fr., ch. XI.

31 Cieza de León, Crónica. Segunda parte, ch. 31.

32 Sarmiento, Geschichte, p. 72. Les peuples de la sierra semblent avoir été toujours plus difficiles à soumettre que ceux de la côte. Suivant Fernand Pizarre, les premiers sont plus intelligents que les seconds (Carta. Trad. angl. citée) et aussi plus vaillants, suivant las Casas (Apologética, ch. CCL VII).

33 Sarmiento, Geschichte..., p. 61 – Herrera, Historia general, déc. 5., Iiv. 3, ch. 10.

34 Die soziale Verfassung, p. 50.

35 Hanstein remarque avec raison que si les Espagnols étaient arrivés quelques années plus tôt, au moment où régnait Huayna-Kapak, ils n'auraient pas aussi facilement conquis le Pérou (Die Welt des Inka, p. 134), Ajoutons que, sans l'aide des Indiens de Cuzco, jamais les Espagnols n'auraient pu, avec les faibles effectifs dont ils disposaient, soumettre le royaume de Quito.

36 Oviedo y Valdés, Historia general, t. 4, liv. XLVI, ch. 4.

37 Chez les Čibča par exemple (Restrepo, Los Chibchas..., ch. 19). Il y eut là un effet de terreur mystique ; les blancs furent regardés comme des divinités, mais cela ne dura que fort peu de temps. Qu'on se rappelle seulement cet épisode d'une attaque d'un détachement de cavaliers par des Indiens de la côte colombienne. Les Espagnols étaient en grand péril lorsque l'un d'eux, désarçonné, fut jeté à terre. Il se releva pour combattre à pied, mais les Indiens, qui avaient pris les conquérants et leurs montures pour des centaures, voyant les deux parties d'un seul et même être continuer de vivre séparément, furent saisis de crainte et s'enfuirent. Les Espagnols, dit Balboa, parurent aux Péruviens armés de sarbacanes qui lançaient du feu avec un bruit de tonnerre et montés sur de grands lamas (Histoire du Pérou. Trad. franç., ch. 22). « Ceux qui ont accusé les Indiens d'une timidité puérile, auraient dû faire attention que les Romains tremblèrent devant des éléphants. » (Marmontel, Les Incas, op. cit., p. 18). Les compagnons .de Pizarre eurent parfois très peur, eux aussi, par exemple à Cajamarca lorsqu'ils aperçurent l'armée de l'Inka ; F. de Jerez et Pedro Pizarro l'attestent en termes fort expressifs.

38 Herrera, Historia general, déc. 5, liv. 4, ch. 12. – Gómara, Historia general, ch. CXXVIII. – Markham, The Incas of Peru, ch. 12. – Velasco, Historia, t. I, p. 222.

39 Relación del sitio del Cuzco (1535-1539). Colección de libros españoles raros ó curiosos, t. XIII, p. l et suiv.

40 Aujourd'hui encore les révolutions sont malheureusement loin d'être toujours des révolutions d'opérettes, comme l'imaginent volontiers les Européens. Lors de la dernière guerre civile équatorienne de 1911-1912, dans la seule rencontre de Yaguachi, 1 500 hommes restèrent sur le champ de bataille (L. Baudin, La révolution de 1911-1912 en Equateur, Revue des études historiques, janvier 1925, p. 11).

41 Estado del Catolicismo, ch. 2, Par; 58. N'oublions pas que les Indiens ont toujours supporté avec une grande fermeté les pires épreuves, la torture et la mort ; plusieurs auteurs ont rendu hommage à leur « courage passif ».

42 Essai sur les mœurs, t. 2, ch. CXLVIII.

43 L'État inka a disparu, non point parce qu'il n'existait pas, comme le dit Cunow, mais bien plutôt parce qu'il existait trop.

44 Histoire. Trad. franç., t. I, p. 94.

45 Velasco dit bien que les Inka ont fait parfois la guerre par ambition (Historia, t. 2, p. 47). Lorente remarque que des conquêtes ont eu lieu pour « satisfaire une noblesse belliqueuse » (Historia antigua, p. 264).

46 Historia antigua, p. 264.

47 Nous mentionnons ici pour mémoire l'opinion de Robertson, difficilement soutenable, que les Inka ont fait la guerre pour diffuser leur civilisation et faire connaître leurs arts aux peuples barbares (The history of America, p. 308 de l'éd. angl. Paris, 1828).

48 Ainsi à la suite d'une attaque des Guarani, Huayna Kapak ,fit construire des forts d'arrêts (Nordenskiöld, The Guarani invasion, op. cit., p. 103).

49 History of America before Columbus. Philadelphie, 1900, t. 2, p. 179.

50 Garcilaso, Comentarios, liv. 7, ch. 27. Le sévère Sarmiento lui-même assure que c'était là « une chose fort admirable à voir » (Geschichte, p. 100).

51 Squier, Peru , p. 520. – Wiener, Pérou et Bolivie, p. 374.

52 Squier, Peru, p. 493. – Bingham, In the Wonderland of Peru, p. 401. – Markham, The Incas of Peru, ch. 10. – Wiener, Pérou et Bolivie, p. 336 et suiv. – Grandidier, Voyage, op. cit., p. 93. O. Schmieder a décrit une des forteresses inka les plus méridionales de l'Empire, Condor Huasi, au sud de la Bolivie (Eine befestigte Siedelung der Inkas in südlichen Bolivien. Petermanns Mitteilungen, 1924, Heft 910, p. 229).

53 Bingham, In the Wonderland of Peru, p. 416 et suiv.

54 Wolf, Ecuador, p. 41-52.

55 Joyce, South-American Archaeology, p. 221.

56 Nordenskiöld, Deductions suggested..., op. cit. – De Morgan, La notion innée du progrès dans l'esprit humain. Revue de synthèse historique, juin 1923, p. 29.

57 M. Uhle, Las relaciones prehistóricas entre el Perú y la Argentina, op. cit. – Boman, Los ensayos de establecer una cronología prehispánica .en la región diaguita. Boletín de la Academia nacional de historia. Quito, l923. Les Inka allèrent peut-être jusqu'à Tarija et à Tucuman (du verbe kičua tucuy = finir, la province de Tucuman étant le Finisterre ou le Land's End des Péruviens. Cúneo-Vidal, El Tucuman de los Incas. Boletín de la sociedad geográfica de Lima, 1920, p. 85. – Ambro­setti, Notas de arqueologia calchaqui. Boletín del Instituto geográfico argentino, 1896, p. l77. – R. Levillier, El Perú y el Tucuman, op. cit., p. 10)

58 Le kičua était une des onze langues utilisées par les missionnaires dans ce pays.

59 Le nom de Cundinamarca est péruvien et probablement les Čibča tenaient du Pérou l'usage de la coca (Uhle, La estera..., op. cit,). Seler prétend que la culture inka s'étendait loin au sud, mais qu'au nord elle se heurtait à l'influence mexicaine (Gesammelte Abhandlungen zur Ameri­kanischen Srrach und. Alterthumskunde, Berlin, 1902-l904, t. 2, p. 13).


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13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 22:57
L'Empire socialiste des Inka

Université de Paris — Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie — V (1928)

par Louis Baudin
Professeur à la faculté de Droit de Dijon

Chapitre XI — L'instrument d'unification : la route


« A coup sûr cet ouvrage (la construction des routes) fut le plus grand que le monde ait jamais vu, car il dépassa sans aucun doute tous les ouvrages des Romains. »


(Gutiérrez de Santa Clara, Historia de las guerras civiles del Perú, t. 3, p. 539.)

 

S'il est vrai, comme on l'a prétendu, que la route crée le, type social, la société péruvienne a dû être fort civilisée, car jamais nation ne disposa avant le XIXe siècle d'un pareil réseau de voies de communication. Les routes des Inka ont surpassé les fameuses voies romaines en longueur et en solidité.

Contrairement aux enseignements de l'histoire des peuples méditerranéens, l'eau n'a joué autrefois dans les régions sud-américaines du Pacifique qu'un rôle effacé. Alors qu'aujourd'hui les voyageurs et surtout les marchandises se servent du bateau pour se rendre d'un point à un autre de la c6te, les anciens habitants suivaient les chemins tracés le long du littoral.

Et pourtant quels obstacles ces chemins n'avaient-ils pas à franchir ! Il faut avoir voyagé en Amérique pour comprendre l'étonnement des conquérants à la vue de ces voies pavées tendant leurs longues lignes à travers les solitudes des punas, les pentes humides et glissantes des Andes, les sables de la côte et les boues des forêts tropicales. Les Indiens ont vaincu toutes les difficultés : ils ont élevé des murs de soutènement au flanc des collines, creusé la roche, canalisé les eaux d'écoulement, construit des chaussées remblayées dans les régions humides. Les routes qu'ils traçaient étaient vraiment ces « monuments de l'obéissance et de l'industrie humaine » dont parle Voltaire 1. Elles allaient, droites autant que possible, franchissant les obstacles plutôt que cherchant à les éviter, escaladant les montagnes par de grands escaliers, car à quoi bon s'ingénier à obtenir des pentes douces lorsque la roue est inconnue et l'important pour les soldats comme pour les courriers n'est-il pas d'aller vite ? 2 Dans la sierra, elles étaient construites en pirka 3 ; dans les régions fertiles, elles étaient bordées de petits murs pour éviter que les soldats en marche ne vinssent par mégarde piétiner les terres ensemencées ; elles avaient cinq à huit mètres de largeur dans les plaines : « Six cavaliers, dit Jerez, peuvent galoper de front » 4 ; mais Cobo remarque qu'elles se rétrécissaient beaucoup dans les vallées, où deux à trois hommes seulement pouvaient chevaucher dans ces conditions 5. Aux endroits escarpés, des plates-formes avec des escaliers d'accès en pierre permettaient aux porteurs de la litière royale de se reposer, « tandis que le souverain jouissait d'une vue merveilleuse » 6. Parfois des bornes indiquaient les distances 7.

Sur la côte, les chemins étaient bordés d'arbres, qui donnaient au passant leur ombre et leurs fruits, et de canaux qui lui permettaient de se désaltérer. Dans les régions où les sables risquaient. de tout recouvrir sous leur flot mouvant, des poteaux fichés en terre indiquaient la direction à suivre, poteaux que les Espagnols arrachèrent pour en faire du feu 8.

L'Inka exigeait que toutes les voies fussent absolument planes, sans une dénivellation, sans un caillou, sans un obstacle qui pût faire buter le voyageur, car les Indiennes filaient souvent en marchant et ne pouvaient regarder leurs pieds 9.

Le tracé des routes était simple : deux grandes voies couraient l'une sur le plateau, l'autre le long du rivage ; les conquérants les ont appelées respectivement chemin de la sierra et chemin des llanos. La première descendait de Pasto par Quito, Latacunga, Tomebamba, s'infléchissait vers le littoral dans la région d'Ayavaca, passait ensuite à Cajamarca, Huamachuco, Huánuco, Jauja, Cuzco, traversait le nœud de Vilcañota, longeait la rive occidentale du lac Titicaca et, laissant à l'est Chuquiabo, se terminait vers Chuquisaca ; la deuxième venait de Túmbez, desservait les villes de la côte, Chimu, Pachacamac, Nazca, gagnait Cuzco par Vilcas, redescendait sur les bords du Pacifique par Arequipa, Arica, Tarapacá et atteignait le désert d'Atacama 10.

Une série de chemins secondaires reliaient entre eux ces grandes voies en traversant la Cordillère, d'autres enfin s'en détachaient pour atteindre les régions éloignées. Quelques-uns se dirigeaient à l'est vers des agglomérations aujourd'hui disparues, reconquises par la forêt.

En certaines contrées populeuses; une seconde route avait été con truite pour un nouvel Inka à côté de la première, quand le souverain avait décidé d'entreprendre quelque expédition considérable ; c'était là d'ailleurs chose exceptionnelle ; on en cite un exemple près de Vilcas, où étaient tracés trois ou quatre chemins les uns à côté des autres, chacun portant le nom d'un souverain 11.

Ainsi se trouvait constitué un vaste réseau routier, toile d'araignée qui emprisonnait les tribus les plus lointaines et dont le centre était Cuzco. C'était là le lien visible qui unissait les parties si dissemblables de cet immense Empire : c'était l'arme la plus puissante du chef, l'instrument le plus sûr d'unification.

Stratégiques avant tout, comme les voies romaines, les routes péruviennes répondaient, aussi à des buts politiques et économiques, car elles facilitaient les déplacements rapides de l'Inka de ses fonctionnaires, de ses courriers et le transport des marchandises.

Le parallélisme des deux artères principales sur une grande étendue permettait une ingénieuse combinaison à chaque province de la sierra correspondait une province des llanos. Chaque fois que l'Inka cheminait sur la route de la montagne, les hauts fonctionnaires de la province traversée et ceux de la province correspondante de la plaine se réunissaient en n lieu convenu sur le passage du souverain, et inversement, lorsque l'Inka prenait le chemin des llanos les grands personnages de la montagne descendaient le trouver 12.

Les provinces elles-mêmes devaient construire et entretenir les tronçons de route qui les traversaient. Si l'entretien était une tâche relativement légère, car les seuls passants, piétons et bétail, n'endommageaient guère la voie, la construction par contre était une entreprise gigantesque. Qu'on n'oublie pas en effet que les Indiens faisaient tout à la force des bras, avec des cordes, des pierres et des leviers, sans l'aide de chars ni d'animaux autres que les lamas.

En maints endroits du Pérou et de l'Équateur des vestiges de chaussée sont visibles aujourd'hui, vers Huamachuco, près de Huánuco et de Cajabamba 13, entre Cuenca et Loja 14, entre Quito et Riobamba 15, près de Lima 16, et ailleurs encore.

 

Ce n'était pas assez de créer la route, il fallait encore offrir ail voyageur des facilités de ravitaillement. C'est pourquoi, de distance en distance, s'échelonnaient les tampu, appelés par les Espagnols tambos 17. C'étaient de vastes édifices, tantôt n'ayant qu'une seule grande pièce, « sans aucune division en appartements, avec trois portes du même côté, placées à distance égale les unes des autres » 18, tantôt composés de salles pour les hommes et de cours pour les lamas ; sur les salles donnaient des pièces plus petites qui étaient sans doute réservées à des personnes de distinction 19. Des ruines d'une tambo de ce genre existent à Paredones entre les vallées d'Alausí et de Cañar, à plus de 4 000 mètres d'altitude, d'autres entre Cuenca et Deleg, d'autres encore entre Cuenca et Pucara 20.

Ces tambos renfermaient des approvisionnements souvent abondants et constituaient des places de refuge ; ainsi s'explique que l'on ait découvert des vestiges considérables dans des contrées désertiques, comme les régions de Jubones ou de l'Azuay 21. Des troupes nombreuses pouvaient s'abriter alors dans leurs murs et y trouver nourriture, vêtements et armes. Montaigne exagère à peine lorsqu'il écrit : « Au chef de chaque journée, il y a de beaux palais fournis de vivres, de vêtements et d'armes, tant pour les voyageurs que pour les années qui ont à y passer 22. »

Le préposé indien au service du tambo, fourni à titre de tribut par la province où ce tambo était situé, devait procurer la nourriture et la boisson à tout fonctionnaire, envoyé du souverain ou personne travaillant pour .!e compte du souverain, mais il n'était pas tenu de ravitailler gratuitement les autres voyageurs. Ceux-ci devaient toujours avoir sur eux des vivres-venant de leurs propres terres, ou des objets qu'ils troquaient dans les tambos contre les denrées qui leur étaient indispensables 23.

Les Espagnols avaient .pris l'habitude au début dé la conquête d'exiger pour eux le ravitaillement gratuit, aussi les tambos ne désemplissaient-ils plus 24. C'est pour mettre fin aux abus que furent édictées les Ordenanzas de tambos du 31 mai 1543. Aux termes de ces textes, les tambos devaient être placés sous la garde de préposés et pourvus de nourriture, de bois, d'eau et d'herbe ; nul ,ne pouvait y passer plus d'une nuit, les marchandises devaient être vendues d'après les tarifs fixés par le corregidor et des inspecteurs assuraient la stricte observance de ces dispositions 25.

 

Les travaux d'art les plus remarquables que nécessitait la construction des routes étaient les ponts. Il est vrai que la plupart des chemins étaient tracés de manière à passer au delà des sources en montant le long des pentes andines et en traversant les nœuds ou les plateaux froids et élevés, comme celui de l'Azuay en Équateur 26. Mais il n'était pas toujours possible cependant d'éviter le passage des rivières.

Pour les torrents au cours rapide et aux bords escarpés on se servait souvent du pont de bois ordinaire, en poutres et branchages liés, que le temps a fait disparaître 27, ou, si le lit du fleuve était extrêmement resserré, de dalles de pierre : tel était le pont de Chavin, formé de trois énormes monolithes de six mètres de longueur posés sur des piliers de maçonnerie 28.

Le procédé le plus commun était celui de la oroya que nous décrit Garcilaso : un câble était jeté d'une rive à l'autre et solidement assujetti à des arbres, à des rochers ou à des pylônes de pierre ; à ce câble était suspendu par une anse de bois un grand pallier capable de contenir trois ou quatre personnes et relié à la rive opposée par une corde que tirait un Indien de service. De chaque côté de la rivière, il fallait donc que se tînt en permanence un préposé, fourni par la province 29. Certains voyageurs arrivaient cependant à passer seuls en saisissant le câble à deux mains, en se mettant debout dans'!le panier et en le faisant glisser le long du câble par un déplacement progressif des mains 30. Plus simple encore était le procédé connu actuellement sous le nom de tarabita ; le voyageur ne disposait d'aucune corbeille, il était ficelé comme une volaille, suspendu au câble et tiré par l'Indien de service, ou bien il passait seul en s'aidant des pieds et des mains 31. Nous avons vu encore une tarabita de ce genre sur un des affluents du Pastaza, dans la Cordillère orientale de l'Équateur. On s'en tenait à ces modes sommaires de passage là où l'on craignait que des ponts trop bien faits fussent utilisés par des envahisseurs.

Plus rares étaient les ponts suspendus ou « ponts de hamac », comme disaient les Espagnols. Garcilaso parle de celui de l'Apurimac, Cieza de León et Cobo de celui du Vilcas, Calancha et Humboldt de celui de Penipe 32. De tels ponts se composaient de deux puissants câbles parallèles, en fibre d'agave, jetés au-dessus du torrent et attachés aux deux rives à des rochers ou à des piliers de maçonnerie. Des cordes verticales pendaient le long de ces câbles et supportaient un tablier fait de branches recouvertes de claies en bois. Ces ponts devaient être refaits tous les ans, certains atteignaient une longueur de 60 m 33 et leur solidité était grande puisque les chevaux des Espagnols passaient dessus, quoiqu'avec difficulté 34, mais le fléchissement du tablier sous le poids des passagers et sa perpétuelle oscillation n'étaient pas sans faire naître quelques craintes, même chez les téméraires conquérants : « Ce n'est pas sans inquiétude que l'on passe pour la première fois sur ces ponts, avoue Estete, quoiqu'il n'y ait aucun danger 35. » Le mouvement oscillatoire du moins pouvait être diminué en attachant des cordes au milieu du pontet en les fixant aux rives, diagonalement, après les avoir bien tendues.

La seule vue du pont suspendu que fit construire l'Inka sur l'Apurimac remplit les tribus voisines de tant de crainte qu'elles se soumirent sans combat au maître de Cuzco 36.

Les ponts à piles étaient rares ; on voit encore les restes de l'un d'eux près d'Ollantaytampo sur l'Urubamba ; trois blocs roulés en amont du fleuve empêchaient l'eau de miner la maçonnerie de la pile 37.

Enfin, il existait toutes sorte de ponts rustiques, plus ou moins rassurants, faits de cordes et de lianes, où il rrivait fréquemment des accidents à l'époque coloniale 38.

Sur les rivières calmes, on utilisait le pont flottant. Le tablier de celui qui traversait le Desaguadero, canal naturel, situé au sud du lac Titicaca reposait sur des flotteurs en jonc et en chaume et devait être reconstruit tous les six mois, car il pourrissait 39.

On se servait aussi, soit d'un radeau composé de plusieurs troncs assemblés avec des cordes et que l'on tirait vers la rive opposée à l'aide d'un câble, soit d'une petite barque de jonc individuelle que le passager étendu à plat ventre dirigeait avec les bras comme avec des rames ou qu'il enfourchait en laissant pendre ses jambes dans l'eau et en pagayant.

Les chroniqueurs parlent encore de calebasses assemblées sur lesquelles étaient placés passagers et marchandises et que les Indiens en nageant tiraient avec des cordes, tandis que d'autres les poussaient par derrière, ou montés sur le radeau le faisaient avancer en appuyant sur le fond du lit de la rivière avec une perche 40.

A l'entrée des ponts, des Indiens de garde étaient chargés non seulement d'e percevoir des droits, comme nous l'avons vu, mais encore de s'assurer que les passants étaient autorisés à circuler et qu'ils ne transportaient aucun objet dérobé. Ces Indiens devaient toujours avoir à leur disposition du bois et des cordes, pour effectuer les petites réparations.

Le sens de la hiérarchie était tel qu'en plusieurs endroits il existait un double pont, l'un d'eux étant réservé à l'Inka seul, ou à l'élite, ou à l'élite et à l'armée ; les avis diffèrent sur ce point 41.

 

Les routes étaient parcourues par des courriers dont l'organisation était remarquable, mais ne saurait être comparée à celle de notre service postal, car elle était établie au profit de l'Inka seul 42.

Les courriers ou časki étaient depuis leur plus jeune âge nourris avec du maïs grillé et entraînés à boire une fois par jour seulement 43 ; ils assuraient un service continu d'un mois par roulement ; ils habitaient des abris nommés par les Espagnols chozas ou également tambos, disposés le long des routes à des distances variables les uns des autres suivant la topographie des lieux et construits sur des hauteurs, de telle manière que de l'un quelconque d'entre eux on pût voir les environs immédiats de l'abri précédent et de l'abri suivant, sinon ces abris eux-mêmes 44.

Ces habitations primitives, simples cabanes, étaient généralement groupées deux par deux et dans chacune d'elles vivaient deux Indiens. Chaque couple assurait le service dans une direction 45. Les messages étaient transmis de la manière suivante : un courrier partait en courant aussi vite que possible sur la route ; un des courriers de l'abri suivant devait faire le guet devant son poste et observer cette route, dès qu'il apercevait l'Indien courant de la sorte, il allait à sa rencontre, puis, étant arrivé auprès de lui, revenait sur ses pas en l'accompagnant et en recevant le message, sans cesser de courir, après quoi il continuait seul sa course vers le poste suivant où la même scène se renouvelait, Ces courriers s'appelaient časki, parce qu'au moment où deux d'entre eux se joignaient, l'un criait à l'autre : časki, c'est-à-dire: reçois (le message). Tout était ainsi combiné pour ne pas perdre une seconde. Comme il y avait deux Indiens par abri, un deuxième message pouvait arriver immédiatement après le premier et être aussi transmis de suite 46.

Grâce, à cette organisation, les messages ordinaires mettaient pour aller de Quito à Cuzco 15 jours suivant Morua, 10 suivant Ondegardo. Ce dernier auteur a vu lui-même des ordres transmis en quatre jours de Lima à Cuzco, de son temps, par une route particulièrement difficile 47.

 

En prenant comme moyenne de distance entre 2 tambos 5 kilomètres et en supposant une route dont les 2/3 ou les 3/4 sont en palier, on peut estimer la vitesse d'un coureur entraîné à 18 minutes sur 5 kilomètres. Nurmi, champion du monde, couvre cette distance en 14 minutes 30 secondes, et Guillemot, champion de France, en 15 minutes 8 secondes. Etant donné que la route de Quito à Cuzco devait mesurer environ 2 400 kilomètres, et tenant compte de ce fait qu'elle faisait des détours, et en prenant pour base de calcul 18 minutes aux 5 kilomètres, on trouve qu'un message pouvait aller en 6 jours de l'une à l'autre de ces villes. Si l'on remarque d'une part que la route franchissait les nœuds et les contreforts de la Cordillère et d'autre part que la vitesse devait être moins grande de nuit que de jour, on voit que le chiffre de 6 jours est un minimum et que celui de 10 indiqué par Ondegardo est vraisemblable 48.

 

Les messages étaient oraux ou consistaient en kipu, accompagnés quelquefois d'un signe de reconnaissance tel qu'un fil rouge de la borla de l'Inka ou un bâton portant certaines rnarques 49. Les courriers, comme nos agents des Postes, étaient tenus au secret 50.

En outre, à côté de chaque abri, était dressé un bûcher prêt à être enflammé et qui devait être visible de l'abri suivant. En cas de rébellion, la nouvelle était transmise par le signal de feu avec une incroyable rapidité, et l'Inka préparait immédiatement l'expédition de répression, avant même d'avoir reçu des informations détaillées.

Parfois des marchandises empruntaient la voie des courriers : pierres ou métaux précieux, tissus, vases, fruits des tropiques et même poisson de mer. Ce dernier mettait deux ou trois jours pour aller de la côte à Cuzco 51. Un des dessins du manuscrit de Poma de Ayala, découvert à Copenhague, représenté un časki soufflant de la trompette et portant un panier de poissons pour l'Inka 52.

 

Il est difficile de se faire une idée de l'importance de là' circulation sur les routes péruviennes. Sans doute aux abords des marchés locaux devait régner une grande animation, mais sur les voies immenses qui traversaient des régions désolées les voyageurs devaient être rares : courriers, commerçants, pèlerins en petit nombre, autorisés à s'absenter quand leur travail n'était plus nécessaire à la communauté, mitimaes se rendant à leur nouveau domicile, armées en campagne, fonctionnaires surtout, soit allant à Cuzco trouver le souverain, soit effectuant des tournées en province, enfin l'Inka et son escorte. Le monarque voyageait dans une litière d'or massif, il demeurait constamment caché aux yeux du vulgaire par des tentures et cheminait lentement et majestueusement, ne couvrant pas plus de 4 lieues par jour 53 ;les porteurs, choisis parmi les Indiens de certaines tribus et spécialement entraînés à cet effet, devaient éviter de buter et de tomber, car c'était là un mauvais présage, et la mort punissait toute chute ; aussi les gouverneurs des provinces que le cortège devait traverser faisaient-ils niveler la route avec le plus grand soin 54.

Seuls quelques grands seigneurs étaient autorisés par l'Inka à circuler en hamac ou en litière 55.

Au temps de la conquête, le nombre des voyageurs s'accrut prodigieusement ; les Espagnols se faisaient suivre d'un grand nombre d'hommes et de femmes qui portaient leurs bagages. Les ordenanzas de tambos spécifièrent qu'un cavalier ne pouvait exiger dans chaque tambo que 5 Indiens et un piéton 3 Indiens, que ces porteurs ne devaient pas dépasser la limite du tambo le plus voisin, que la charge de chacun d'eux devait être au plus égale à 30 livres, que tous devaient être payés. Nul enfin n'était autorisé à voyager en hamac, sauf maladie notoire 56

Au reste, malgré toutes les dispositions législatives, les routes ont beaucoup souffert à l'époque coloniale. Certaines ont été détruites pendant les guerres civiles 57, d'autres très fréquentées et endommagées n'ont pu être suffisamment réparées, les Indiens des régions voisines s'étant enfuis pour éviter ce travail qu'ils jugeaient excessif 58. Les vice-rois donnèrent en vain l'ordre de reconstruire les ponts, les routes et les tambos ; les blancs ne purent point maintenir ce que les rouges avaient fait.

Aujourd'hui les routes sont rares et mauvaises dans les États du Pacifique. Dans les vallées où le trafic est intense, il n'existe que des pistes, ailleurs il n'y a rien. Les chemins qui relient entre elles les grandes villes datent du temps des Inka 59. A la fin du siècle dernier, Squier affirmait que « les moyens de communication de l'Empire des Inka étaient infiniment meilleurs qu'ils ne sont aujourd'hui » 60, et de nos jours, P. Walle écrit à propos du Pérou : « On peut dire en principe qu'il n'y a pas de route 61. »

Il est vrai qu'actuellement des voies ferrées desservent certaines régions de l'intérieur, mais elles n'ont été établies qu'en un très petit nombre de points et c'est tout récemment que les ingénieurs ont pu vaincre la Cordillère. Il est encore moins coûteux aujourd'hui d'importer du charbon étranger au Callao par voie de mer que de faire venir du charbon péruvien de la sierra voisine 62.

Que l'on songe également à l'état des chemins en Espagne au moment où les conquérants découvraient les grandes voies péruviennes. « En vérité, écrit Fernand Pizarre à propos de ces dernières, on ne trouve pas d'aussi belles routes dans toute la Chrétienté 63. » Y a-t-il rien de plus mélancolique que l'aveu de Cieza de León, si fier cependant de ses origines : « Je crois que si l'Empereur voulait faire construire un autre chemin royal pareil à celui qui va de Quito à Cuzco ou qui part de Cuzco pour aller au Chili, malgré tout son pouvoir, il ne pourrait pas y parvenir 64 » ? A cette époque, en effet, la grande route qui reliait Madrid à Irun était difficilement praticable pendant une grande partie de l'année et il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour trouver dans la péninsule des chemins dignes de ce nom 65.

 

Si secondaire que fût jadis la route fluviale et maritime, elle eut pourtant une certaine influence sur le développement économique de l'Empire des Inka. Ici aussi, les Indiens ont réalisé des prodiges avec des moyens fort primitifs. Ils utilisaient la pirogue dans la région des forêts, la barque proprement dite en roseau (totora) sur le lac Titicaca et ailleurs presque exclusivement le radeau, tel que celui rencontré par le pilote Ruiz dont nous avons parlé. Ce radeau se composait de plusieurs troncs de bois léger, amarrés ensemble par des cordes et disposés de manière que le tronc du milieu fût le plus long, la longueur des autres allant en diminuant comme les doigts d'une main ouverte 66. Au-dessus était placé un léger plancher que surmontait parfois un abri de roseau destiné à l'équipage. Un mât était fixé sur l'embarcation et quelquefois un second plancher permettait d'éviter que les marchandises ne fussent mouillées. La voile était de coton, l'ancre consistait en une grosse pierre, attachée à un câble. Les grands radeaux' pouvaient porter 4 à 500 quintaux 67 ; Pizarre se servit d'eux pour le transport des Espagnols et grâce à la clérnence du Pacifique, les Indiens purent s'aventurer fort loin de la côte. C'est une flotte ces radeaux, sous la direction de l'Inka Tupak-Yupanki, qui découvrit les deux îles Ava­čumbi et Ninačumbi, que l'on n'a pas encore réussi à identifier 68.

Les navigateurs les plus habiles étaient à coup sûr les indigènes vivant sur les rives de l'estuaire du Guayas ; de nombreux radeaux de commerce, de pêche et de guerre sillonnaient cette vaste baie et de véritables batailles navales eurent lieu à maintes reprises entre les insulaires de Puná et les habitant de Túmbez. Le tyran de Puná, pour conserver son indépendance, tendait un piège ingénieux aux conquérants étrangers qui arrivaient sur la côte : il leur prodiguait des démonstrations d'amitié et leur proposait de faire passer leurs armées sur ses propres radeaux ; au milieu de l'estuaire les marins de Puná dénouaient les cordes qui liaient les bois de ces radeaux et tout le monde tombait à l'eau, mais les insulaires bons nageurs se sauvaient, tandis que leurs adversaires se noyaient. La première fois que l'Inka voulut soumettre Puná, il fut victime de cette trahison et perdit un grand nombre d'hommes ; mais il ne se découragea pas ; avec une admirable patience il entraîna ses Indiens à naviguer et, le temps venu, passa dans l'île et vengea sa défaite. Les Espagnols à leur tour auraient subi le sort de l'armée du premier conquérant péruvien, si Pizarre prévenu n'avait donné ordre à ses soldats d'exercer une étroite surveillance sur les Indiens pour les empêcher de délier les cordes.

Exclusivement réservée à la pêche était l'embarcation sommaire désignée par les Espagnols sous le nom de : petit cheval de roseau (caballito de totora).Elle consistait en une botte de roseaux, assemblés en forme de cigare et relevés à une extrémité. Le pêcheur l'enfourchait comme un cheval, les jambes immergées et la dirigeait avec une pagaie 69.

Enfin, les Čango uti1isaient des outres gonflées, surmontées d'une plate-forme de bois. Frézier et Durret au début du XVIIIe siècle, Stevenson et Lesson au début du XIXe siècle décrivent des embarcations qu'ils ont vues sur les côtes du Chili et qui se composaient de deux peaux de veau marin gonflées et cousues ensemble 70.

 

Notes

1 Essai sur les mœurs, t. 2, ch. CXLVIII.

2 « Les routes, dit Desjardins, gravissent les pentes les plus raides et ne sont souvent praticables que pour les piétons » (Le Pérou avant la conquête espagnole, p. 165), et pour cause ! Ricardo Cappa va plus loin dans ses Estudios críticos acerca de la dominación española en América. Il regarde comme excessive l'admiration manifestée par les chroniqueurs espagnols pour les routes péruviennes, sous prétexte que les escaliers gênaient la marche des chevaux ! (De la Riva-Agüero, Examen de los Comentarios, op. cit.).

3 Nous avons déjà indiqué la composition de la pirka. Velasco, parlant des restes d'un chemin qu'il a vu en Equateur, s'expriime ainsi : « Ce que j'admirai surtout, c'est que les torrents d'eau qui descendent des sommets à l'époque des pluies avaient mangé différentes parties de terrain situées en dessous de la voie, la chaussée restant en l'air comme un pont très solide d'une seule pierre, tant était grande la force de ce mélange » (Historia, t. 2, p. 59). Ces belles voies ont eu leurs détracteurs : « Les grands chemins du Pérou, dit l'abbé Raynal, n'étaient autre chose que deux rangs de pieux plantés au cordeau et uniquement destinés à guider les voyageurs. Il n'y avait que celui qui portait le nom des Inka et qui traversait tout l'Empire qui eût de la grandeur» (Histoire philosophique, t. 2, p. 147).

4 Verdadera relación, p. 326. – Wiener, Pérou et Bolivie, p. 556. – Beuchat, Manuel, p. 649. Les murs latéraux avaient été construits spécialement « 2 lieues avant l'entrée de chaque vallée et 2 lieues après la sortie », pour canaliser les troupes (C. de Molina, Relación de la conquista, p. 128).

5 Cobo, Historia, liv. 12, ch. 31.

6 Garcilaso, Comentarios, liv. 9, ch. 13.

7 Notamment au Collao. Cieza de León, Crónica. Segunda parte, ch. 15.

8 Cieza de León, Crónica. Primera parte, ch. LX. – Garcilaso, Comentarios, liv. 9, ch. 13.

9 Morua, Historia, p. 87. Les voies romaines n'atteignaient pas cette perfection et elles étaient souvent bien étroites. Voyez par exemple ce qui reste de la Voie Latine près de Rome.

10 Au début du tome 1er de la Histaria de las guerras civiles del Perú par G. de Santa-Clara, se trouvent deux curieux schémas géographiques que l'on pourrait difficilement appeler des cartes. Dans le deuxième sont tracées deux lignes doubles, exactement parallèles, qui figurent les deux grandes routes et sont encadrées par la Cordillère d'une part et par la mer Australe de l'autre. Il est certain que ce parallélisme était loin d'être rigoureux dans la réalité ; ainsi la route des llanos à son départ de Túmbez se rapprochait de la Cordillère occidentale et celle de la sierra se rapprochait de l'Océan dans la même région, au nord-ouest de Hancabamba (Cieza deLeón, Crónica, primera parte, ch. LVII). Vilcas était considéré comme le milieu géographique de l'Empire (Cieza de León. Crónica, primera parte, ch. LXXXIX). Nombreuses sont les erreurs et même les absurdités que l'on rencontre chez les auteurs, anciens ou modernes : G. de Santa-Clara prétend que les routes se composaient de trois pistes juxtaposées, l'Inka et son escorte prenaient la voie du milieu, les troupes et les serviteurs suivaient les voies latérales (Historia, t. III, p. 540). Dans la Demarca­cíón division de las Indias, il est fait mention de deux chemins, l'un venant du plateau équatorien, l'autre de la côte péruvienne et se rejoignant au Chili (s.d., Colección de documentos del Archivo de Indias, t. 15, p. 489). Anello Oliva répète cette inexactitude et fait partir de Piura, au sud de Túmbez, la route de la plaine (Histoire, trad. franç., ch. 1). D'après Las Casas, le chemin du Chili se terminait au détroit de Magellan !! (Apologética, ch. CCLIII). De nos jours, C. Cantu s'imagine que les deux grandes artères reliaient Cuzco à Quito (Histoire universelle. Trad. franç. Paris, ,1867, t. 13, p. 201). Buschan fait partir la route de la côte de Loja et descendre celle de la sierra de Cuzco au Chili par le lac Titicaca (Die Inka und ihre Kultur, op. cit., p. 425). A. Deberle enfin, dépassant toute mesure, écrit : « Les routes allaient d'une montagne à l'autre en passant par-dessus les vallées, dont il avait fallu combler les profondeurs, et ne se détournaient même pas pour franchir les lacs » ! (Histoire de l'Amérique du Sud. Paris, 1876, p. 29).

11 Cieza de León, Cronica. Segunda parte, ch. 15­.

12 Las Casas remarque que cette combinaison permettait au monarque de recevoir des produits de la côte pendant son voyage dans la montagne et inversement, et qu'elle forçait les habitants des différentes provinces à prendre contact entre eux (Apologética, ch. CCLIII).

13 Wiener, Pérou et Bolivie, p. 139.

14 Wolf, Ecuador, p. 38.

15 Means, A study, p. 462.

16 Means, A study, p. 464.

17 A 4, 5 ou 6 lieues les uns des autres, suivant les chroniqueurs. La lieue a valu successivement 3 340 mètres, puis 4 175 mètres, enfin au XIXe siècle 5 572 mètres, elle est dite alors lieue castillane (Paz Soldan, Diccionario geográfico-estadistico del Perú, op. cit. p. xxv). Les chroniqueurs se servent parfois de la lieue indienne, équivalant à deux lieues espagnoles (Montesinos, Memorias, ch. 7). Un grand nombre de villages du plateau s'appellent encore Tambo ou Tampu.

18 Cobo, Historia, liv. 2, ch. 32.

19 Squier, Peru, p. 400.

20 Verneau et Rivet, Ethnographie ancienne, p. 77, 79. Velasco prétend qu'il faut distinguer l'hôtellerie proprement dite et le grenier dont nous avons parlé plus haut, où l'on emmagasinait une partie des tributs dus au Soleil et à l'Inka (Historia, t. 2, p. 57), au contraire Gómara les confond (Historia general, ch. CXCIV) et G. de Santa Clara également (Historia, t. 3, p. 546). I1 est probable que ces deux sortes d'édifices, quoique étant constitués par des bâtiments distincts, devaient être placés sous la surveillance d'un groupe unique d'Indiens, lorsqu'ils étaient de faible importance. .Au centre de l'Empire, des ruines importantes de tambos ont été signalées à 3 lieues de Tampu, sur le Vilcamayo (L. Valcárcel, Estudios arqueológicos. Revista universitaria de Cuzco, 1926, n° 51, p. 23).

21 Il y avait deux tambos au páramo de l'Azuay, un de chaque côté du nœud (Suarez, Historia general. Deuxième partie, p. 168).

22 Essais, liv. 3, ch. 6. D'après Las Casas, les tambos étaient alternativement petits et grands (Apologélica, ch.  CLIII). Les traducteurs d'Algarotti appellent assez ridiculement ces édifices, l'un des « hôpitaux pour les voyageurs », l'autre « des espèces de caravansérails » (Saggio sopra l'imperio degl'lncas. Trad. franç., Mercure de France, p. 98, n. 2. – Lettres sur la Russie, p. 307). Brandt emploie également ce dernier terme (Südamerika, op. cit., p. 106).

23 Santillán, Relación, Par. 97 et suiv.

24 C. de Molina, Relación de la conquista y población, p. 115.

25 Ordenanza de tambos. Revista histórica de Lima, 1908. – V. la lettre du marquis de Cañete, vice-roi du Pérou, à l'Empereur, datée du 15 sept. 1556 (Colección de documentos del Archivo de Indias, t. 4, p. 109).

26 Humboldt, Vues des Cordillères, t. I, p. 290. – Reiss, Carla á. E. el Presidente de la República sobre sus viaje.s á las montañas del sud de la capital. Quito, 1873, p. 19.

27 Estete in Jerez, Verdadera relación, p. 342.

28 Wiener, Pérou et Bolivie, p. 561. D'après Rivero et Tschudi (Antiquités péruviennes. Trad. franç.,p. 140) il existe encore des ponts inka à la lagune de Lauricocha (Département de Junin) et à Compuerta (Département de Puno). Reclus, dans l'Homme et la Terre (t. 4, p. 409), reproduit une curieuse image du XVIe siècle indiquant différents moyens de passage des rivières au Pérou.

29 Garcilaso, Conenntarios, liv. 3, ch. 15 et 16. – Acosta, Historia natural, t. I, liv. 3, ch. 18. – Zarate, Historia, ch. XI. – Cobo, Historia, liv. 14, ch. 13. – Velasco, Historia, t. 2, p. 61.

30 Wiener croit qu'il existait un bac aérien de ce genre sur la Quebradonda (Quebrada honda), située,entre Cajabamba et Huamachuco, et il calcule l'économie de temps que ce mode de passage permettait de réaliser. Pour descendre dans la quebrada et en remonter il faut deux heures et demie ; par la oroya il fallait dix ou quinze minutes (Pérou et Bolivie, p. 139).

31 Cobo, Historia, liv. 14, ch. 13. Le passage d'une tarabita n'est pas chose aisée ; la corde fléchit sous le poids du voyageur, en sorte que la première partie du trajet, se trouvant en descente, est facile à effectuer, mais que la deuxième est souvent très pénible. Il arrive qu'au milieu du câble, en raison de ce fléchissement, le passant plonge plus ou moins dans l'eau du' torrent.

32 Garcilaso, Comentarios, liv. 3, ch. 7. – Ciezade León, Crónica. Primera parte, ch. XXXIX. – Cobo, Historia, liv. 14, ch. 13. – Calancha Córónica moralizada, t. 2, p. 186. – Humboldt, Vue des Cordillères, t. 2, p. 187. Ces ponts sont mentionnés par un grand nombre d'auteurs, Estete, Gomara, Lizárraga, Pedro Pizarro, Las Casas..., etc.

33 Rouma, La civilisation des Incas, p. 48.

34 Gómara, Historia general, ch. CXCIV.

35 In Jerez, Verdadera relación, p. 342.

36 Garcilaso, Comentarios, liv. 3, ch. 8. Plusieurs ponts suspendus ont été brûlés par les Indiens pour arrêter la marche des Espagnols. (Pedro Sancho, Relación, p. 148).

37 Wiener, Pérou et Bolivie, p. 563. – P. Chalon, Los edificios del antiguo Perú, op. cit., p. 81.

38 Relación de D. L. de Velasco, Virey del Perú, dado á su sucesor el Conde de Monterey, 28 nov. 1604. Colección de documentas del Archiva de Indias, t.,4, p. 429. – Lettres édifiantes et curieuses, éd. de 1839, t. 5, p. 228.

39 J. Raimondi, El Perú, t. I, p. 208. – Garcilaso, Comentarios, liv. 3, ch. 15.

40 Acosta, Historia natural, t. I, liv. 3, ch. 8.

41 Estete in Jerez, Verdadera relación... p. 338. – F. Pizarre, Carta. Trad. angl., p. 121. – Pedro Sancho, Relación, p. 148. – Gómara, Historia general, ch. CXCIV. – Morua, Historia, p. 182. – Román y Zamora imagine qu'il y avait un pont pour les hommes et un pour les femmes (Repu­blicas de Indias, t.2, p. 39).

42 Leadbeater fait des courriers royaux de véritables facteurs chargés « de transporter sans frais les lettres de toute personne qui réclamait leurs services » ! (Le Pérou antique, p. 373).

43 Morua, Historia, p. 175.

44 Les chroniqueurs ne sont pas d'accord sur les distances qui séparent les chozas entre elles ; l'auteur anonyme du manuscrit sans date de la collection des documents inédits tirés des Archives des Indes (t. 15,1'. 489), A. Oliva (Histoire du Pérou, trad. franç. ch. I) et Cieza de León (Crónica. Segunda parte, ch. 21) parlent d'une demi-lieue ; Garcilaso (Comentarios, liv. 6, ch. 7) et Santillán (Relación, Par. 38) d'un quart de lieue ; Montesinos (Memorias, ch. 7) d'une lieue indienne ; G. de Santa Clara (Historia, t. 3, p. 545), Acosta (Historia natural, t. 2, liv. 6. ch. 17) et Herrera (Historia general, déc. 5, liv. 4, ch. I) d'une lieue et demie ; Velasco (Historia, t. 2, p. 60) de 2 milles. D'après Las Casas (Apologética, ch. CCLIII) et Román y Zamora (Repúblicas de Indias, t. 2, p. 38) il y avait à chaque lieue 3 abris distants de mille pas l'un de l'autre, avec 2 Indiens dans chacun d'eux. Comme les courriers devaient apercevoir la route sur une grande distance et correspondre par signaux de feu, l'interprétation que nous donnons au texte nous parait la plus logique.

class="sdfootnotesym" href="http://webresistant.over-blog.com/ext/http://herve.dequengo.free.fr/Baudin/ESI/ESI_11.htm#sdfootnote45anc">45 Il est probable que sur des chemins de peu d'importance il y avait un seul abri à chaque étape avec deux Indiens, et il est possible que sur certaines fractions de grande route il y ait eu trois abris avec six Indiens, ce qui explique que Garcilaso parle de 4 ou 6 Indiens et Las Casas et Román y Zamora de 3 abris (Loc. cit.).

46 Toute proportion gardée, ce système rappelle celui des coureurs employés dans les tranchées pendant la guerre, pour permettre au chef d'unité de transmettre ses ordres aux premières lignes et de recevoir les renseignements, même lorsque les fils téléphoniques étaient coupés par le bombardement. Les coureurs étaient au nombre de deux dans chaque sape.

47 Morua, Historia, p. 26. – Ondegardo, Relación, p. 72 et 74.

48 Manifestement exagérées sont les affirmations de G. de Santa Clara et de Las Casas qui prétendent que les messages allaient de Quito à Cuzco en 3 ou 4 jours (G. de Santa Clara, Historia, t. 3, p. 545. – Las Casas, Apologética, ch. CCLIII). Ce dernier auteur parle de 1 500 courriers échelonnés entre Cuzco et Quito ; Velasco calcule que pour une seule grande artère le nombre des courriers dépassait 4 000 (Historia, t.2, p. 60), mais tous ces chiffres sont suspects. Wiener estime qu'un Indien robuste peut faire kilomètre en 4 minutes (Pérou et Bolivie, p. 559).

49 Zarate, liv. I, ch. 9. – Las Casas, Apologética, ch. CCLIII.

50 Cieza de León, Crónica. Segunda parte, ch. 21.

51 Acosta, Historia natural, t. 2, liv. 6, ch. 17. – Morua.,Historia, p. 26 et 118. Pour aller de Lima, à Cuzco, les courriers espagnols à cheval mettaient 12 à 13 jours (Cobo, Historia, liv. 12, ch. 32). Wiener calcule que le poisson péché de grand matin, dans l'océan Pacifique pouvait arriver le soir à Cajamarca pour le souper de l'Inka. Il ajoute que 5 jours sont nécessaires pour accomplir le même trajet avec de bonnes montures (Pérou et Bolivie, p. 559 n. 1).

52 Means, Some comments…, p. 350. Outre ces courriers, l'Inka se servait parfois de messagers spéciaux choisis parmi les hommes de sa garde ; ces messagers étaient nourris en cours de route par les soins des préposés aux tambos (J. de la Espada, Relaciones geográficas, t. 2, App, 1, p. x,).

53 Cobo, Historia, liv. 12, ch. 36. – C'est pourquoi, d'après Cieza de León, les tambos étaient si rapprochés les uns des autres, (Crónica. Primera parte, ch. LXXXII).

54 Les auteurs ne sont pas d'accord sur le nombre des porteurs. Montesinos parle de 8 hommes, ce qui paraît être un minimum. Ce nombre en effet devait être assez grand pour que tout faux pas demeurât inaperçu. Jerez et Fernand Pizarre rapportent tous deux que des Indiens vinrent à Cajamarca balayer le chemin que l'Inka devait suivre. Les grands personnages qui dans les défilés précédaient la litière royale ne dédaignaient pas de prendre ce soin (Jerez, Verdadera relación, p. 33. – F. Pizarre, Carta, trad. angl, p. 118. – Montesinos, Memorias, ch. XXII).

55 Morua, Historia, p. 160. – Herrera, Historia general, déc. 5, liv. 3, ch. 14.

56 Ordenanzas de tambos, op. cit., p. 468.

57 Gómara, Historia general, ch CXCIV.

58 Provehimientos generales y particulares del Pirú. Coleción de documentos del Archivo de Indias, t. XI, p. 29.

59 Stiglich, Geografía comentada del Perú, 1913. Lima, p. 85.

60 Squier, Peru, p. 400.

61 Le Pérou économique, p. 107. « Il n'y a, je pense, en aucune partie du monde d'aussi mauvaises routes que celles que l'on trouve dans toutes les provinces de l'intérieur du Pérou. » (Skinner, The present state of Peru, p. 364.) Les Gouvernements actuels font un gros effort ; d'après une statistique récente, il y aurait plus de 16 000 kilomètres de routes en construction au Pérou. En 1920, le législateur a cru remettre en vigueur une ancienne coutume en obligeant les communautés indiennes à concourir gratuitement à l'exécution des travaux publics (loi de conscription Vial), mais il a oublié que les travailleurs étaient nourris jadis aux frais de l'Inka, aussi les communautés ont-elles pro­testé contre cette mesure (1er congrès indigène de Lima, juillet 1921).

62 Peru, Statist, 33 janvier 1926.

63 Carta, Trad. angl., p. 121.

64 Cieza de León, Crónica. Segunda parte, ch. 15. « Incredibili miraculo per quingenta passuum millia perpetuam viam montani tractus aequarunt » (Levinus Apollonius, De Peruviae regionis, p. 37) .

65 « En 1706, la reine mit 18 jours pour se rendre de Madrid à Burgos. En 1740, D. Bernardo de Ulloa constatait encore que l'absence de ponts obligeait les voyageurs à de longs détours et les forçait souvent à attendre que la baisse des eaux eût rendu les rivières guéables » (Desdévises du Dézert, L'Espagne de l'Ancien Régime. La Richesse et la Civilisation. Paris, 1904, p. 128). On ne trouvait en Espagne pas plus de tambos que de ponts et sur la route de Saragosse à Barcelone des villages de 500 habitants n'avaient pas une auberge. Même dans la France du XVIIIe siècle, les grandes routes étaient coupées de fondrières, les ponts très rares et les chemins de traverse impraticables (Henri Sée. La France économique et sociale au XVIIIe siècle, Paris, 1925, p. 113 et suiv.).

66 Zarate, Historia, liv. I, ch. 6. – Humboldt, Vues des Cordillères, t. ,2, p. 334. L'Inka Huayna-Kapak avait fait transporter de Túmbez au lac de Bombón des radeaux pour se divertir (Estete in Jerez, Verdadera relación, p. 341). Ce lac est situé sur le plateau entre le lac Lauricocha et le village de Tarma.

67 Urteaga, El arte de navegar entre los antiguos peruanos. Revista histórica de Lima, 1913-1917, t.5. Un dessin de radeau à voile figure dans le troisième livre de la Historia de Benzoni.

68 Sarmiento, Geschichte, p. 91. – Pietschmann, Introduction à la Geschichte de Sarmiento, p. xxx et cx. – Balboa, Histoire du Pérou. Trad. franç., ch. 7. Plusieurs historiens modernes pensent qu'il s'agit des îles Galápagos, mais cette opinion, qui était celle de Sarmiento lui-même, n'est pas fondée, car les conquérants rapportèrent un butin qui n'était certainement pas originaire de ces îles (des hommes noirs, de l'or, un trône de cuivre, une peau et un os de cheval). Ces trophées furent conservés dans la forteresse de Cuzco jusqu'à l'époque de la conquête espagnole. La longueur du voyage, qui dura 9 à 12 mois, permet de croire que l'Inka atteignit une île de la Polynésie. Mais Sarmiento prétend que les Péruviens auraient eu connaissance de ces terres lointaines par les récits de marchands qui en venaient; y aurait-il donc eu un commerce maritime entre l'Océanie et l'Amérique du Sud

69 Urteaga. El arte de navegar, loc. cit.

70 Frézier, Relation, p. 109. L'homme qui conduit l'embarcation s'asseoit à califourchon sur l'arrière et la pousse avec une rame très large à chaque extrémité qu'il tient par le milieu (Ste­venson, Relation historique et descriptive d'un séjour de 20 ans dans l'Amérique du Sud. Trad. franç., Paris, 1826, t. 2, p. 223). Quoique les Péruviens aient été fort arriérés dans l'art de la navigation, on voit qu'on ne peut pas dire qu'ils ignoraient entièrement cet art, comme le fait Algarotti (Saggio sopra l'imperio degl' Incas. Trad. franc., p. 117). « Pour la pêche ils se servent d'une machine appelée parmi eux Barce : elle est composée de deux peaux de loups marins cousues ensemble de 9 à 10 pieds de long, qui étant soufflées deviennent de la grosseur d'un tambour ; ils en font autant de deux autres peaux qu'ils lient ensemble, en laissant un espace de l'une à l'autre d'environ 2 pieds de largeur, où ils mettent une planche couverte d'une peau de loup marin, sur laquelle ils s'asseyent, et ils nagent avec un aviron à 2 pêles. » (Durret, Voyage de Marseille à Lima, p. r90). « Deux corps placés l'un à côté de l'autre, et unis par des liens, composent l'ensemble de ce bateau ; chacun de ces corps est formé par un assemblage de peaux de loups ,marins.... Ces deux outres, allongées sont réunies par des morceaux de bois placés transversalement etattachés par de fortes courroies. Vide, cette embarcation entre à peine dans l'eau, dont elle ne fait pour ainsi dire qu'effleurer la surface ; chargée, elle y pénètre au plus de quatre à six pouces. » (P. Lesson, Voyage autour du monde entrepris par ordre du gouvernement sur la corvette La Coquille, Paris, 1838, t. l, p. 508).

 


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