Voici un test. Laquelle de ces deux déclarations date du XIe siècle, et laquelle du XXIe?
« Oh Dieu, hisse la bannière de l’Islam et de son auxiliaire et discrédite le polythéisme en ployant son échine et en brisant son emprise. Aide ceux qui font le jihad en Ton nom et qui, en T’obéissant, se sacrifient et Te vendent leur âme. (…) Puisqu’ils persistent dans l’égarement, puissent les yeux des adeptes du polythéisme devenir aveugles aux voies de la rectitude » [1]
« Nous demandons à Allah de transformer ce Ramadan en un mois de gloire, de victoire et de puissance, de hisser haut la bannière de la religion [en ce mois], de renforcer l’Islam et les Musulmans, d’humilier le polythéisme et les polythéistes, de faire flotter l’oriflamme du monothéisme, de planter fermement l’étendard du jihad et de frapper les dépravés et les entêtés. . » [2]
Le premier paragraphe est dû à l’érudit islamique du XIe siècle Ibn al-Mawsilaya. Le cheik d’al Qaida Aamer ben Abdallah composa le second en 2004.
Si vous avez échoué dans ce petit test, ne vous inquiétez pas. Après tout, les deux paragraphes sont extrêmement similaires – et ce n’est pas par accident. Les mouvements jihadistes actuels s’inspirent volontairement de l’exemple des antiques guerriers du jihad et invoquent fréquemment leur souvenir. « Pendant le mois de Ramadan », écrivait en 2001 Fouad Mukheimar, secrétaire général de l’association égyptienne de la Charia, « une importante victoire musulmane fut remportée sur les Croisés par [Salah Al-Din] Al-Ayubi (Saladin). Ses conseillers lui avaient recommandé de suspendre le jihad pendant le mois de jeûne, mais Saladin insista pour le continuer pendant le Ramadan parce qu’il savait (…) que le jeûne aide à remporter la victoire, parce que pendant le Ramadan les Musulmans se surpassent par le jeûne, et ainsi la victoire sur leurs ennemis est certaine. Le jeûne leur donne détermination, héroïsme et volonté. (…) Saladin répondit à ses conseillers : ‹ la vie est courte. › Allah apprit la loyauté [de Saladin] et celle de ses soldats, et leur donna une victoire décisive. Ils prirent la forteresse de Safed, la plus importante citadelle des croisés, au milieu du mois de jeûne. [Saladin] conquit les terres d’Al-Sham [la grande Syrie] et purgea Jérusalem de la tyrannie et de la souillure des croisés. » [3] Mukheimar fait aussi référence à la bataille de Badr et à d’autres mêlées historiques pour exhorter les Musulmans d’aujourd’hui à imiter Mahomet et Saladin et à mener eux-mêmes le jihad.
C’est l’une des principales raisons pour lesquelles les jihadistes qualifient d’ordinaire les troupes américaines de « croisés ». De leur point de vue, la guerre contre le terrorisme qui a commencé pour les Américains le 11 septembre 2001 n’est que le dernier développement d’un conflit en cours depuis plus de mille ans.
Dans quel but combattent-ils ?
Dans leur optique, ce conflit doit déboucher sur l’hégémonie de l’Islam. Pour reprendre les termes d’Oussama ben Laden, les guerriers du jihad du monde entier luttent « pour que le verbe d’Allah et sa religion règnent en maître » [4]
Ceci implique le rétablissement intégral de la loi islamique dans les pays musulmans et surtout, la restauration du califat.
Comme nous l’avons vu, le calife était (dans l’Islam sunnite) le successeur de Mahomet et le chef de la communauté musulmane; le gouvernement turc laïc mis en place par Kemal Atatürk a supprimé le califat en 1924. La théologie islamique ne fait aucune distinction entre le spirituel et le temporel et, pour les Musulmans sunnites, le calife représentait une sorte de combinaison entre un généralissime et un pape, bien qu’il n’ait jamais possédé une autorité spirituelle comparable à celle du pape. Le mécène de Michel-Ange, le pape Jules II, a ainsi l’honneur douteux de figurer dans l’Histoire en tant que l’unique « pape guerrier ». Mais en Islam, l’écrasante majorité des successeurs du prophète furent des califes guerriers.
Beaucoup de groupes jihadistes modernes font remonter le début de tous les maux du monde islamique à la désintégration de l’unité musulmane qui résulta, selon eux, de la suppression du califat.
Le début de nos peines…
Cette harangue du groupe musulman international Hizb ut-Tahrir montre la profondeur de l’anxiété que les jihadistes ressentent face à la perte du califat, dont ils attribuent la responsabilité à Kemal Atatürk, « un agent des Anglais » :
C’était un jour comme celui-ci, il y a 79 ans, et plus précisément le 3 mars 1924, que les kouffars [incroyants] purent récolter les fruits des efforts qu’ils déployèrent inlassablement durant plus de cent ans, complotant et planifiant sans relâche. Cela se produisit lorsqu’un agent anglais criminel, Mustafa Kemal (soit disant Atatürk, le « Père des Turcs » !) annonça que l’Assemblée Nationale avait consenti à abolir le Califat, et qu’il proclama l’établissement d’une république turque laïque, irréligieuse, après s’être lavé les mains de toute responsabilité quant au reste des contrées islamiques occupées par les kouffars durant la première guerre mondiale.
Depuis ce jour, la oumma islamique a connu des calamités sans nombre ; elle a été fractionnée en petits États totalement contrôlés par les ennemis de l’islam. Les Musulmans ont été opprimés et sont devenus l’objet du mépris des kouffars au Cachemire, aux Philippines, en Thaïlande, en Tchétchénie, en Irak, en Bosnie-Herzégovine, en Afghanistan, en Palestine et en d’autres territoires appartenant aux Musulmans, jusqu’à ce que le sort des Musulmans soit devenu un sujet d’études et de statistiques. Entre autres désastres, des milliers d’entre eux ont été tués, des millions spoliés, et l’honneur de dizaines de milliers d’entre eux a été sali. En lisant la presse ou en écoutant les nouvelles, on découvre toujours les Musulmans victimes de l’oppression, de l’humiliation et de massacres ; cet aspect domine tous les récits.
La oumma [la communauté musulmane, au sens large] n’est plus dans la même situation que lorsque flottait sur elle la bannière de l’Islam, lorsqu’elle était gouvernée par le système du califat qui unissait les Musulmans. Elle n’était pas divisée comme aujourd’hui par des frontières dessinées par les colonialistes kouffars, ni dispersée par des lois d’établissement oppressives. Le Musulman d’alors voyageait d’un coin à l’autre des territoires musulmans sans que personne ne lui demande son identité, ou le considère comme un étranger. Lorsque le califat existait, les Musulmans étaient témoins de la puissance de l’Islam au travers de celle du califat. Ils dirigeaient le monde sous la bannière du califat qui appliquait l’Islam et en transmettait le message – guide et lumière pour le monde. Et maintenant, où est le califat ? Il existait autrefois, mais il a été détruit et aboli en tant que système.
Ce furent des nuits cruciales que celles pendant lesquelles l’entité politique des Musulmans fut détruite. Alors, la oumma islamique aurait dû lever son glaive face à cet agent renégat qui changea le Dar-al-Islam en Dar-al-Kufr et concrétisa pour les kouffars un rêve qu’ils caressaient depuis longtemps. Mais la oumma islamique était accablée, au plus profond du déclin. C’est ainsi que le crime put avoir lieu ; les kouffars resserrèrent leur emprise sur les territoires islamiques et les mirent en pièces. Ils sectionnèrent la oumma unique en nationalités, ethnies et tribus ; ils démembrèrent le pays unique en patries et régions qu’ils séparèrent par des frontières et des barrières. Au lieu d’un seul État, le califat, ils établirent des nations artificielles, et y installèrent comme dirigeants des agents chargés d’exécuter les ordres de leurs maîtres kouffars. Ils évacuèrent la charia islamique du domaine de la politique, de l’économie, des relations internationales, des affaires domestiques et de la justice. Ils dissocièrent le deen [la foi islamique] de l’État et le cantonnèrent à certains rituels, comme ceux du Christianisme. Ils s’attachèrent à détruire la culture islamique, à exclure les idées islamiques, pour les remplacer par la culture et la pensée occidentales.
Une seule chose résoudra ce problème…
Un nouveau calife et la restauration de l’unité islamique sont les seules choses qui peuvent soigner ces maux. Allah désire, dit le document d’Hizb ut-Tahrir, « que la oumma islamique se réveille, stoppe son déclin et se rende compte que son salut ne viendra que du rétablissement du califat. » [5]
Quand les combattants jihadistes affluèrent en Irak en 2003, désireux d’en découdre avec les troupes américaines, le mollah Mustapha Krekar, guide spirituel du groupe terroriste Ansar al-Islam réfugié en Norvège [6], situa leur lutte dans un contexte religieux plus vaste : « La résistance est non seulement une réaction à l’invasion américaine, mais fait aussi partie de la lutte islamique permanente depuis l’effondrement du califat. Toutes les luttes islamiques engagées depuis lors s’inscrivent dans un effort organisé pour rétablir le califat. » [7]
Le père spirituel de tous les radicaux musulmans d’aujourd’hui, l’Égyptien Hasan al-Banna (1906-1949), dénonça la fin du califat parce qu’il séparait « l’État de la religion dans une contrée qui était jusque récemment le lieu de résidence du commandeur des croyants. » Al-Banna voyait dans la fin du califat un élément d’une plus grande « invasion occidentale, armée de toutes [les] influences destructrices de l’argent, de la richesse, du prestige, de l’ostentation, du pouvoir et de la propagande. » [8] Al-Banna mit sur pied la première association jihadiste moderne, l’organisation des Frères Musulmans.
Un autre théoricien musulman influent, Sayyid Abul Ala Maududi (1903-1979), fondateur du parti pakistanais pur et dur Jamaat-e-Islami [Parti Musulman], envisageait la création d’un État islamique unifié qui s’étendrait progressivement à tout le sous-continent indien et au-delà: «Le Parti Musulman ne manquera pas d’apporter aux citoyens d’autres pays l’appel à embrasser la foi qui contient pour eux la promesse du véritable salut et d’un authentique bonheur. Même s’il n’en est pas ainsi, dès que le Parti Musulman disposera des ressources appropriées, il éliminera les régimes non islamiques et établira un gouvernement islamique à leur place.» C’est, selon Mawdudi, exactement ce que firent Mahomet et les premiers califes. « C’est la même politique qui a été appliquée par le Saint Prophète (que la paix d’Allah soit sur lui) et ses successeurs, les illustres califes (puisse Allah être satisfait d’eux). L’Arabie, où le Parti Musulman fut fondé, fut le premier pays soumis et placé sous l’autorité de l’Islam. » [9]
La restauration du califat ainsi que l’expansion de la domination de l’Islam et de sa loi étaient également les buts visés par Oussama Ben Laden et les talibans. En 1996, le mollah Omar était drapé dans la cape de Mahomet, conservée dans un sanctuaire d’Afghanistan, pendant que les talibans le proclamaient « nouveau calife » et « Emir ul-Momineen » (« commandeur des croyants). En mai 2002, un fonctionnaire des États-Unis indiquait que leur plan consistait à « prendre le contrôle de tout le pays » afghan, puis à « étendre le califat ». [10]
Des rêves de califat en Grande-Bretagne et aux États-Unis
De telles idées circulent déjà depuis longtemps en Occident. En 1999, Abu Hamza al-Masri, alors imam de la mosquée de Finsbury Park à Londres, prit la parole lors d’une conférence consacrée à déplorer le 75e anniversaire de la destruction du califat. « L’Islam a besoin de l’épée », affirma-t-il aux 400 Musulmans présents, criant « Allahou Akbar » [Allah est le plus grand]. « Celui qui a l’épée, il aura la Terre ». [11]
Abu Hamza était proche d’Omar Bakri et de l’organisation musulmane britannique maintenant démantelée Al-Muhajiroun. Bakri proclamait son désir de voir « le drapeau noir de l’Islam » – c’est-à-dire l’étendard de bataille du jihad – « flotter au-dessus de Downing Street ». Comme Bakri et Al-Muhajiroun en Grande-Bretagne, Shaker Assem et le Parti de la Libération Islamique (Hizb ut-Tahrir) œuvrent en Allemagne au rétablissement du califat et à l’instauration de la charia. Comme le déclare Assem, « les gens qui disent qu’il y a antagonisme entre la charia et la démocratie occidentale ont raison ». [12]
Et en Amérique ? Recueillons donc l’avis du principal lobby musulman d’Amérique, le Conseil des relations américano-islamiques (Council on American-Islamic Relations, CAIR). Son président Omar Ahmad tint ce discours à une assistance musulmane en 1998 : « l’Islam n’est pas en Amérique pour y devenir l’égal des autres confessions, mais pour y devenir la foi dominante. Le Coran (…) doit devenir la plus haute autorité en Amérique, et l’Islam la seule religion tolérée sur terre. » [13] Ahmad a depuis lors prétendu avoir été mal cité, ce que réfute la journaliste qui l’a entendu.[14] Le porte-parole du CAIR, Ibrahim Hooper, fut presque aussi direct qu’Ahmad, indiquant au Minneapolis Star Tribune : « Je ne voudrais pas donner l’impression que je ne souhaite pas que le gouvernement des États-Unis devienne islamique un jour ou l’autre. Mais je ne ferai rien de violent pour encourager cela. J’agirai par l’éducation. » [15]
Par l’éducation, pas par la violence, dites-vous, M. Hooper? Merci, nous voilà soulagés.
Khomeiny à Dearborn et Dallas
En novembre 2004, à Dearborn, Michigan, des Musulmans organisèrent une manifestation anti-américaine et anti-israélienne. Les manifestants promenèrent une grande maquette de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, et arborèrent des pancartes ornées de slogans tels que « États-Unis, pas touche aux terres musulmanes. » Mais l’image la plus interpellante était celle de deux Musulmanes portant un grand portrait de l’ayatollah Rouhollah Khomeiny.
Le mois suivant, l’Organisation des Musulmans de Metroplex [16], au nord du Texas, rendit un « hommage au grand visionnaire islamique », l’ayatollah Khomeiny, à Irving, un faubourg de Dallas, au Texas. [17]
Khomeiny, un héros ? Aux États-Unis? Que des Musulmans vivant en Amérique le vénèrent est révélateur, car la victoire de Khomeiny en Iran en 1979 incarna l’idée que la loi islamique est supérieure à toute autre et doit être imposée par la force. Selon les mots de Khomeiny lui-même, « de par l’Islam, il incombe à tous les mâles adultes, s’ils ne sont pas handicapés ou invalides, de se préparer à la conquête, de sorte que le mandat de l’Islam soit respecté dans chaque pays du monde. Ceux qui étudient la guerre sainte islamique comprendront pourquoi l’Islam veut conquérir le monde entier. » Le but de cette conquête serait d’établir l’hégémonie de la loi islamique. Comme Khomeiny le dit : « Quel bien cela ferait-il que nous (c.-à-d. les Mollah) demandions que la main du voleur soit coupée, ou que la femme adultère soit lapidée, si nous (les mollah) ne pouvons que conseiller de telles punitions et n’avons pas le pouvoir de les mettre en application ? »
Puis il infligea un démenti flagrant à la foule des partisans bêlant de l’Islam-religion-de-paix : « Ceux qui ne connaissent rien à l’Islam prétendent que l’Islam déconseille de faire la guerre. Ceux [qui disent cela] sont des sots. L’Islam dit : Tuez tous les infidèles tout comme ils vous tueraient tous ! Cela signifie-t-il que les Musulmans devraient attendre d’être submergés [par les Infidèles]? L’Islam dit : Tuez-les, passez-les par le fil de l’épée et dispersez [leurs armées] (…) L’Islam dit : Quelque bien qui soit existe grâce à l’épée et à l’ombre de l’épée ! On ne peut faire obéir les gens qu’avec l’épée ! L’épée est la clef du paradis, qui ne peut être ouvert que pour les guerriers saints ! Il y a des centaines d’autres versets [coraniques] et de hadiths [paroles du prophète] invitant les Musulmans à tenir la guerre en estime et à combattre. Tout ceci signifie-t-il que l’Islam est une religion qui empêche les hommes de faire la guerre? Je crache sur les âmes stupides qui font pareille allégation. » [18]
L’état basé sur la charia qu’envisageait Khomeiny n’était pas de ceux qui garantissent des droits égaux pour tous. En 1985, Saeed Rajai Khorassani, le délégué permanent aux Nations unies de la République islamique d’Iran, déclarait que « le concept même des droits de l’homme était “une invention Judéo-chrétienne” et inadmissible dans l’Islam. (…) selon l’ayatollah Khomeiny, le fait que l’Iran ait fait partie du groupe de nations pionnières ayant rédigé et approuvé la déclaration universelle des droits de l’homme était un ‹des plus ignobles› péchés du shah.» [19]
Les manifestations pro-Khomeiny de Dearborn et Dallas indiquent que les vues de l’ayatollah sur la société sont bien vivantes dans l’Amérique d’aujourd’hui. Et qu’il est dangereusement naïf de supposer que tous les Musulmans acceptent automatiquement et sans remise en question le pluralisme américain et l’idée d’un État qui ne soit pas régi par la loi religieuse. Où les Musulmans américains se situent-ils quant à la doctrine de Khomeiny – et combien d’entre eux y adhèrent ? Ces questions restent taboues dans les principaux médias. Mais si le vieil homme du portrait de Dearborn pouvait parler, il se pourrait qu’il dise : « Ignorez-moi à vos risques et périls. »
Une petite minorité d’extrémistes?
Donc, certains Musulmans veulent instaurer des gouvernements islamiques en Occident. Mais ils ne forment qu’une minuscule minorité ? La plupart des Musulmans vivant en Occident se plaisent dans la société occidentale… non ?
L’expert en terrorisme Daniel Pipes estime que 10 à 15% des Musulmans dans le monde approuvent les ambitions des jihadistes. [20] Mais, dans diverses régions du monde islamique, des signes indiquent que le nombre réel des défenseurs du jihad moderne pourrait être plus élevé. Le leader musulman modéré américain Kamal Nawash affirma durant l’émission « The O’Reilly Factor » en août 2004 que 50% des Musulmans dans le monde soutiennent le jihad. [21] Pendant un procès relatif au financement du terrorisme en février 2005, Bernard Haykel, professeur en recherches islamiques à l’université de New York, déclara : « Il y a plus d’un milliard de Musulmans dans le monde arabe (*), dont 90% supportent le Hamas » [22] - l’organisation islamique terroriste qui envoie des bombes humaines tuer des civils dans les autobus et les restaurants pour faire avancer la cause d’un État islamique palestinien. Imran Waheed, le porte-parole londonien du groupe international jihadiste « pacifique » Hizb ut-Tahrir avança en mai 2005 : « Je crois que 99% des Musulmans où qu’ils soient dans le monde désirent la même chose, un califat pour les diriger. » [23]
Selon un sondage effectué au Pakistan en 2004 par le Pew Research Center, « 65% des personnes interrogées sont partisans d’Oussama et une majorité relative de 47% estiment que les attentats suicides palestiniens contre les Israéliens sont justifiés. En outre, 46% pensent que les attaques d’occidentaux en Irak sont légitimes. »[24]
Rétablissement de l’unité musulmane
Un des principaux regrets de l’ Hizb ut-Tahrir est le manque d’unité des Musulmans ; à la bonne vieille époque du califat, la oumma [communauté] musulmane « n’était pas divisée comme aujourd’hui par des frontières dessinées par les colonialistes kouffars ».
Les jihadistes considèrent cette unité comme essentielle, en partie parce que le triomphe de Saladin sur les croisés n’eut lieu qu’après qu’il eut regroupé la majeure partie du monde musulman. Avant Saladin, les croisés avaient pu jouer sur les dissensions entre les abbassides sunnites de Bagdad et les fatimides chiites du Caire, entrant même dans de perfides alliances avec les uns contre les autres. Mais en 1171, Saladin permit que l’appel à la prière résonne à travers le Caire au nom du calife abbasside ; les fatimides furent renversés, et le monde islamique réunifié. [25] Certaines des victoires les plus retentissantes remportées sur les croisés ne furent possibles que grâce à cette unité, et les jihadistes d’aujourd’hui n’ont pas oublié cette leçon.
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[1] Cité par Carole Hillenbrand, “The Crusades: Islamic Perspectives”, Oxford: Routledge, 2000, p.165.
[2] Institut de recherche médiatique du Moyen-Orient (MEMRI), «Le magazine Internet Sawt Al-Djihad appelle à l’intensification du combat pendant le mois de Ramadan, ‹mois du djihad›», Dépêche spéciale N° 804, 22 octobre 2004. http://memri.org/bin/articles.cgi?Page=subjects&Area=jihad&ID=SP80404#_edn1
[3] Institut de recherche médiatique du Moyen-Orient (MEMRI), «Un religieux égyptien: ‹Le Ramadan, mois du djihad›», Dépêche spéciale N° 308, 5 décembre 2001. http://memri.org/bin/french/opener.cgi?Page=archives&ID=SP30801
[4] “Full text: bin Laden’s ‘letter to America,’” Guardian, 24 novembre 2002 http://observer.guardian.co.uk/worldview/story/0,11581,845725,00.html
[5] Hizb ut-Tahrir, “The Khilafah was destroyed in Turkey 79 years ago; so let the Righteous Khilafah be declared again in Turkey”, 22 février 2003.
[6] Mustapha Krekar y fait actuellement l’objet d’une procédure d’expulsion (NdT)
[7] Neil MacFarquhar, “Rising Tide of Islamic Militants See Iraq as Ultimate Battlefield,” New York Times, August 13, 2003. http://www.hvk.org/articles/0803/128.html
[8] Brynjar Lia, The Society of the Muslim Brothers in Egypt (Ithaca, NY: Ithaca Press, 1998), 28.
[9] Syed Abul Ala Maududi, “Jihad in Islam,” Discours prononcé à Lahore, 13 avril 1939
[10] Craig Pyes, Josh Meyer, and William C. Rempel, “Officials Reveal Bin Laden Plan,” Los Angeles Times, 18 mai 2002.
[11] Daniel Simpson, “British Moslem radicals urge Islamic fightback”, Reuters, 6 mars 1999
[12] Steve Zwick, “The Thinker”, in “The Many Faces of Islam,” Time Europe, 16 décembre 2002. http://www.time.com/time/europe/magazine/article/0,13005,901021216-397459,00.html
[13] Lisa Gardiner, “American Muslim leader urges faithful to spread Islam’s message,” San Ramon Valley Herald, July 4, 1998 http://www.danielpipes.org/394.pdf
[14] Art Moore, “Should Muslim Quran be USA’s top authority?” World-NetDaily.com, 1er mai 2003. http://www.worldnetdaily.com/news/article.asp?ARTICLE_ID=32341
[15] John Perazzo, “Hamas and Hizzoner,” FrontPageMagazine.com, 5 mars 2003. http://www.frontpagemag.com/Articles/ReadArticle.asp?ID=6473
[16] La liaison routière entre Dallas et Fort Worth forme l’axe d’une conurbation nommée Metroplex, composée de plus de trente municipalités jointives. Dallas compte près de 1,2 million d’habitants et Fort Worth plus de 500 000, mais avec les villes voisines, Metroplex totalise plus de cinq millions deux cent mille personnes. (NdT)
[17] The Dallas News blog, 17 décembre 2004
[18] Cité par Amir Taheri, Holy Terror: Inside the World of Islamic Terrorism (New York: Adler & Adler, 1987), 241-43.
[19] Cité par Amir Taheri, The Spirit of Allah: Khomeini and the Islamic Revolution (New York: Adler and Adler, 1986), 20, 45.
[20] Daniel Pipes, “Advancing U.S. National Interests Through Effective Counterterrorism,” Testimony presented to Secretary’s Open Forum, Department of State, January 30, 2002. http://www.danielpipes.org/article/428
[21] “O’Reilly Factor Flash,” August 5, 2004, http://www.billoreilly.com/pg/jsp/general/genericpage.jsp?pageID=368
[22] William Glaberson, “Defense in Terror Trial Paints a Rosier Picture of ‘Jihad,’” New York Times, 25 février 2005 http://www.nytimes.com/2005/02/25/nyregion/25sheik.html?ex=1267074000&en=6f1459fba8b0ab1a&ei=5088&partner=rssnyt
[23] Kathy Gannon, “Radical Islamic Group Growing in Asia,” Associated Press, 1er mai 2005
[24] Khalid A-H Ansari, “65% Pakistanis support Osama, says report”, Mid-Day, 27 mars 2004. http://web.mid-day.com/news/world/2004/march/79639.htm
[25] Voir notamment Bernard Lewis, “Les Assassins” (Éditions Complexe, mai 2001)
Polémique autour du jihâd: confirmation anti-islam
Le monde musulman se sent agréssé par les paroles du Pape ? le monde musulman exige des excuses ?
Renvoyons donc au monde musulman à la véritée de sa "religion"...
Et parlons donc du mot et du sens "jihâd"....
Toujours dans une perspective d’accommodation de l’islam aux exigences de la modernité, il s’est nourri, ces dernières années, une polémique autour du sens à donner au terme jihâd. Tous s’entendent sur l’étymologie : jihâd dérive de la racine j .h .d et signifie « effort en une certaine direction ». Sans autre forme de procès, certains en déduisent que le sens primordial du mot serait « effort en vue du perfectionnement moral », d’autres allant jusqu’à conclure qu’il n’y a pas lieu de s’interroger sur le rapport du texte coranique à la violence ; chez l’un on lira que jihâd « ne comprend absolument pas la notion de sacralité de la guerre » (Ghaleb Bencheikh) ; chez un autre que cette même notion est « totalement étrangère à la mentalité musulmane » (Mohamed Talbi) ; chez un autre encore qu’elle n’a « aucune légitimité scripturaire » (Abdelwahab Meddeb) ; un dernier, enfin, signe un article intitulé « Aucune guerre n’est sainte en islam » ! (Malek Chebbel) ; cette polémique trouve sa raison d’être dans un triple manquement aux règles de la rigueur intellectuelle.
Tout d’abord , l’origine étymologique d’un mot ne suffit pas à rendre compte du sens pratique qu’il prend historiquement. Ensuite, commencer par évoquer l’effort en vue d’un perfectionnement moral pour définir le jihâd est un anachronisme. Enfin, le sens que revêt ce mot ne détermine pas à lui seul le rapport du Coran et de l’islam à la violence.
Avec le temps, le sens des mots évolue. C’est là une banalité de premier ordre ; dans un contexte culturel et historique particulier, un mot peut se figer sur un sens plus restreint que sa signification étymologique première,ou, à l’inverse la déborder complètement. Lorsqu’on dit d’une armée qu’elle a pacifiée un territoire, cela ne signifie pas qu’elle y ait fait œuvre que d’actions pacifiques. Pour ce qui est du jihâd, le sens étymologique est bien celui d’effort, mais le sens spécifique qu’il a pris historiquement en islam est d’abord lié aux prescriptions guerrières du Coran. Il n’y a là nul jugement de valeur, simplement un constat. C’est ensuite seulement que fut élaborée la notion d’un jihâd spirituel, ou « grand jihâd », mais pas avant le IXème siècle.
Avant d’en arriver là, revenons au VIIème siècle. Les conquêtes (futûh) font suite aux premières expéditions lancées par Muhammad, dont le succès est interprété comme un signe divin. Ces expéditions font l’objet de récits épiques : les maghâzi (expéditions guerrières) qui, avec le Coran, et les Hadîth , sont les textes musulmans les plus anciens. Y sont enregistrées les siyar (« conduites », pluriel de sîra), qui désignent les manières dont les premiers musulmans, au premier rang desquels Muhammad, se sont conduits, dans leur façon de mener les guerres de conquête et de décider du sort des populations conquises. C’est à la fin du VIIème siècle que sous le terme jihâd seront traités de façon juridique les procédés guerriers jusque-là enregistrés sous le terme siyar. Il y a là un changement de vocabulaire, mais le thème reste le même.
Et ce n’est donc qu’à partir du IXème siècle, dans le cadre de la mystique, que fut introduit et développé le thème du grand jihâd, conçu cette fois-ci comme un effort en vue d’un perfectionnement moral, une lutte intérieure contre les mauvais penchants, l’acceptation précédente de jihâd guerrier n’étant pas reniée mais requalifiée de « petit jihâd ». la création au IXème siècle de la notion de grand jihâd, ou jihâd majeur, est donc liée à l’avènement de la mystique musulmane, elle-même provenant de la fréquentation de la mystique chrétienne dont elle reprend certains aspects.
En outre, même si le terme jihâd avait désigné primordialement un effort en vue du perfectionnement moral, ce qui n’est donc pas le cas, la question des prescriptions violentes du Coran ne serait pas dissoute pour autant. Ces prescriptions emploient d’autres termes. Le vocable utilisé le plus souvent est celui de combat (qitâl). Le combat en question n’a rien d’abstrait, bien au contraire, puisque le verbe qâtala est une forme du verbe signifiant « tuer ». il s’agit d’un combat sans merci, à mort, jusqu’à la totale domination de l’islam sur le reste du monde. Alferd Morabia dresse la liste des verbes arabes utilisés. Ils signifient « combattre, tuer, razzier, attaquer, guerroyer, marquer de l’hostilité, frapper l’adversaire, partir en campagne ».
Notons à propos des versets coraniques exhortant au combat que le contexte de leur formation, selon l’histoire sainte musulmane elle-même, est bien celui d’une guerre offensive lancée par l’islam naissant contre ce qui est en dehors de lui. La réalité décrite par le Coran est celle de razzias et de batailles lancées contre les non-musulmans, au prétexte qu’ils ne sont pas musulmans, à l’occasion desquelles sont tués des hommes, sont enlevées des femmes et des enfants pour être réduits en esclavages et partagés en butin. Et il est assez indifférent, finalement, de savoir si les injonctions guerrières du Coran y sont inscrites sous le terme jihâd ou sous un autre, puisqu’elles y sont inscrites. Qu’importe le mot puisque l’idée s’y trouve.
Tiré de l’ouvrage collectif : Enquêtes sur l’Islam, co-dirigé par Anne-Marie Delcambre, Joseph Bosshard et alii, aux Editions Desclée de Brouwer.