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samedi 30 octobre 2004.
En octobre s’est tenue à Montréal une conférence internationale portant sur les mutilations génitales. À cette occasion, la Presse avait publié un long article au sujet de l’excision, et qui, dans sa dernière parie, « Un village libre », montre que l’espoir est possible, et que ce n’est pas à coups de condamnations sans appel et d’anathèmes qu’il sera résolu, mais par une approche toute simple d’éducation. Mais cela est peut-être beaucoup plus difficile...
En 2004, sur le seul continent africain DEUX MILLIONS DE FILLETTES EXCISÉES.
La Presse, Montréal, dimanche 3 octobre Michèle Ouimet, envoyée spéciale
Il suffit de cinq minutes et d’une simple lame de rasoir pour mutiler une jeune fille pour la vie. « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »
Déclaration universelle des droits de l’homme, article 5.
« Laissez-moi, laissez-moi, vous me tuez ! »
Kati, Mali - Ba Traoré ne se doutait de rien lorsque sa tante est venue la chercher dans son village pour l’amener à Kati, une ville située à quelques kilomètres de la capitale, Bamako. Ba a franchi d’un coeur léger les 200 kilomètres qui séparent Kati de son village, Tioribougou. Sa tante, qu’elle connaît à peine, lui avait expliqué qu’elle l’amenait à la foire où, tous les jeudis, hommes et femmes étalent leurs marchandises dans la rue. Ba rêvait déjà aux cadeaux que sa tante, Chéba, allait sûrement lui donner. Jeudi matin, à l’aube, sa tante la prend par la main. Sous un ciel rempli de nuages, elles traversent la rue pour se rendre chez une voisine. Lorsque Ba entre dans la cour en terre battue, elle voit des petites filles de son âge et des bébés dans les bras de leurs mères. Que des filles. Au milieu de la cour, elle aperçoit une femme, l’exciseuse, qui noue des morceaux de tissu autour de la taille des filles après avoir craché dessus en marmonnant des incantations. Inquiète, elle s’assoit à l’écart sans dire un mot. Elle réalise qu’il se passe quelque chose de grave lorsque les filles, à tour de rôle, disparaissent dans les toilettes à ciel ouvert situées dans le fond de la cour, puis poussent des hurlements au bout de quelques minutes.
Kati, Mali Lorsque l’exciseuse a coupé son clitoris, Fanta s’est débattue. La lame a glissé et sectionné le nerf urinaire. Les dégâts ont été immédiats : l’urine s’est mêlée au sang. Pendant une semaine, Fanta a été clouée au lit, brûlante de fièvre. Les plantes de l’exciseuse n’ont pas réussi à calmer la douleur. Les parents se sont rendus au dispensaire le plus proche. En vain. Fanta avait 6 ans. Aujourd’hui, elle en a 12. Depuis 6 ans, elle supporte douleurs et humiliations. Fanta est incontinente. L’urine coule à tout moment, brûlant ses organes mal cicatrisés. Elle a souvent des infections et des maux de ventre. Son appareil génital est sérieusement endommagé, elle ne pourra jamais avoir d’enfants, ni de relations sexuelles. « Elle pleure quand ses urines coulent, dit sa soeur de 17 ans, Rokia. Elle pense à son avenir. Si elle ne guérit pas, jamais elle ne pourra se marier. » Une odeur d’urine flotte autour de Fanta. Au début, elle était la risée de ses petits camarades. Incapable d’endurer leurs moqueries, elle a quitté l’école. Elle passe une bonne partie de ses journées à laver son linge intime et son matelas souillé. Pour calmer ses douleurs, elle prend des médicaments qui ruinent sa famille. Les parents de Fanta ont dû vendre une chèvre et un boeuf. Fanta vit à Dangassa, un village situé à 90 kilomètres de la capitale du Mali, Bamako. Pour s’y rendre, il faut rouler 45 kilomètres sur une piste étroite qui s’enfonce dans la brousse. L’exciseuse vit toujours dans le village, mais depuis qu’elle a blessé Fanta, elle a déposé son couteau et renoncé à l’excision. Tout le village d’ailleurs a laissé tomber cette pratique qui est, pourtant, inscrite dans la tradition africaine depuis la nuit des temps. « Quand l’exciseuse se trompe, le village ne lui en veut pas, explique la mère de Fanta, Masaran Camara. Il met la faute sur le dos de la fatalité. »
Des histoires d’horreur
Le Dr Moustapha Touré connaît Fanta, il l’a déjà examinée. Son verdict est sans appel : les médecins maliens ne peuvent rien pour elle. Le Dr Touré se passionne pour l’excision depuis trois ans, c’est-à-dire depuis qu’une femme est arrivée à sa clinique dans un état critique. Elle avait à peine 16 ans et son accouchement, qui s’est déroulé dans un village reculé, a tourné à la catastrophe. Le bébé a été incapable de sortir du ventre parce que la mère avait été excisée et cousue. Pendant trois jours, la mère a poussé, mais, coincé dans le vagin, le bébé a fini par suffoquer. « L’enfant est mort-né, dit le Dr Touré. La mère a subi des dégâts importants : vessie et rectum éclatés. Elle est restée un mois à l’hôpital et fait une psychose. » Depuis l’histoire tragique de cette jeune fille, le Dr Touré essaye de réparer les dégâts provoqués par les couteaux des exciseuses. En trois ans, il a examiné 120 femmes. Ses classeurs débordent d’histoires d’horreur : des menstruations qui ne s’écoulent pas et des ventres qui gonflent parce que les femmes sont cousues trop serrées, des boules de pus qui s’accumulent dans le vagin, des maris qui divorcent parce que leurs femmes sont devenues stériles à la suite de l’excision. Toutes les excisions ne se terminent pas en séance de boucherie. Mais elles se déroulent toutes dans des conditions sanitaires désastreuses, sans anesthésie. Les instruments, couteaux ou lames de rasoir, ne sont pas stérilisés. Selon Fatouma Cissé Diakité, militante qui lutte contre l’excision depuis des années, le gouvernement et les hôpitaux ignorent combien d’opérations tournent au cauchemar. Chose certaine, la pratique est très répandue. Selon une enquête menée par le Mali en 2001, 91,6 % des femmes âgées de 15 à 49 ans ont été excisées. Une trentaine de pays africains pratiquent l’excision. Selon l’ONU, 130 millions de femmes ont été « mutilées ». Cette année, deux millions de petites filles seront excisées, soit 6000 par jour.
Un long combat
Pas facile de combattre l’excision au Mali. Fatouma Cissé Diakité en sait quelque chose. « On a lancé des fatwah (décret religieux) contre moi, une femme voilée m’a craché au visage et ma maison a été gardée par la police pendant des mois parce qu’on avait menacé de la brûler. » Fatouma Cissé Diakité rejette l’excision en bloc. « C’Est une violation de l’intégrité physique de la femme », tranche-t-elle. Elle doit se battre non seulement contre une poignée d’intégristes qui s’agitent à Bamako, mais aussi contre le poids des traditions. Selon un sondage mené par le gouvernement, 75 % des femmes souhaitent que l’excision soit maintenue. Ces chiffres n’étonnent pas le Dr Moustapha Touré. « Les hommes ne veulent pas d’une femme non excisée. Elles sont exclues, mises au ban de la communauté. Une femme non excisée, par exemple, ne peut pas préparer le repas d’un homme parce qu’elle n’est pas propre. » Les hommes aussi y tiennent, à l’excision. Dans la salle de rédaction d’« Info-Matin », la conversation glisse sur l’excision. Les quatre Journalistes présents, qui se considèrent comme des intellectuels, sont unanimes : jamais ils n’épouseraient une femme non excisée. « Je suis en faveur de l’excision mais il faut qu’elle se déroule dans des conditions cliniques acceptables pour éviter les dégâts, explique le directeur d’Info-Matin, Sambi Touré. L’excision fait partie de ma culture. Il y a des écervelées qui disent qu’il faut cesser, je ne suis pas d’accord ! » Fatouma Cissé Diakité n’est pas la seule « écervelée » à combattre l’excision. Le Dr Mariam Diakité, gynécologue, condamne cette pratique. « Pourquoi excise-t-on, pourquoi enlever un organe sensible à une femme ? demande-t-elle. Il n’y a aucune raison valable. C’est un geste agressif. On nous bourre le crâne depuis des années avec la tradition et on nous ressort toujours le même argument pour justifier l’excision : ça s’est toujours fait. > « Avant, on excisait à 12 ans, ajoute le Dr Moustapha Traoré. C’était un rite de passage, de l’enfance à l’âge adulte. Aujourd’hui, 80 % des fillettes sont excisées avant l’âge de 5 ans. L’excision ne signifie plus rien. » Même si le Dr Mariam Diakité condamne l’excision, elle tient à balayer quelques clichés solidement entretenus par les Occidentaux. « Les femmes excisées ont une vie sexuelle. Je suis excisée et je jouis. Mes amies aussi ! C’est en arrivant en France que j’ai "appris" que j’étais frigide. Mais je n’ai jamais eu de problème sexuel ! » Le Mali devrait-il adopter une loi pour interdire l’excision ? Le Dr Diakité hésite. « Il faut d’abord éduquer », nuance-t-elle. en 1996, le Burkina Faso, un état voisin, a déclaré cette pratique illégale. Fin septembre, un tribunal a condamné une exciseuse à 3 ans de prison. Selon l’ONU, la moitié des pays africains ont adopté des lois qui protègent les jeunes filles. Fatouma Cissé Diakité, elle, n’a aucun doute. Ça prend une loi, et vite. Le président du Mali, Amadou Toumani Touré, est contre l’excision, ses deux filles qui ont étudié à Montréal ne sont d’ailleurs pas excisées. Mais tout en reconnaissant la nécessité d’une loi, il tergiverse. « Une loi ne suffit pas, dit-il, il faut aussi éduquer la population. » Et cette éducation, cette lutte, ce sont les Africaines qui doivent la mener, affirme Aminata Traoré, militante de gauche et ex-ministre de la culture dans les années 90. « L’Occident ne devrait pas en parler, dit-elle. C’est du voyeurisme et ça s’ajoute au mépris et au racisme. L’excision est devenue un fond de commerce pour beaucoup d’organisations féminines. Si l’excision disparaissait, elles seraient toutes au chômage. »
Les trois types d’excision 1 - L’ablation du clitoris (clitoridectomie). 2 - L’ablation du clitoris et des petites lèvres. 3 - L’ablation de toutes les parties génitales (clitoris, petites et grandes lèvres). Les bords de la vulve sont cousus pour ne laisser qu’un petit orifice par où s’écoulent l’urine et le sang menstruel (infibulation).
Depuis cinq ans, le village de Makono a abandonné l’excision. Au début, les gens ont résisté, les femmes autant que les hommes. Aujourd’hui, plus personne ne souhaite voir une exciseuse reprendre le chemin de leur hameau. C’est l’Association malienne pour le suivi et l’orientation des pratiques traditionnelles (AMSOPT) qui a réussi à convaincre les villageois de Makono d’abandonner l’excision. Tout a commencé en 1995 lorsque la présidente de l’association s’est rendue à Makono pour rencontrer le chef du village. Elle lui a patiemment expliqué son opposition à l’excision, puis elle lui a demandé s’il accepterait de lui fournir deux hommes et trois femmes, alphabétisés et respectés, pour qu’ils suivent une formation dans la ville la plus proche, Sanankoroba, située à 45 kilomètres de Makono. Le chef a accepté. Pendant six jours, les cinq villageois ont suivi une formation sur l’excision. Tout y a passé : les complications cliniques, les hémorragies, les accouchements difficiles, les jeunes filles marquées, blessées ou malades. Mansa Doumbia faisait partie des cinq personnes choisies par le chef du village. « Le premier jour, raconte-t-il, je n’ai rien compris, le troisième jour, j’ai commencé à comprendre et le sixième jour, j’avais vraiment tout compris. » Lorsque la petite équipe formée par l’AMSOPT est retournée au village, gonflée à bloc, elle était prête à s’attaquer à l’excision, une pratique qui n’avait jamais été remise en question et qui était solidement ancrée dans les moeurs et le train-train quotidien. « A notre retour, on a tout raconté au chef, explique Mansa Doumbia. On lui a dit que le village devait renoncer à l’excision. Il nous a fait confiance. » Les 45 chefs de famille de Makono ont été convoqués. Au début, les résistances étaient fortes. Pendant des mois, il y a eu des débats enflammés et des palabres sans fin. L’AMSOPT est revenue plusieurs fois pour encadrer les discussions. En 1999, Makono a finalement renoncé à l’excision après quatre ans de lutte, une victoire arrachée centimètre par centimètre.
Cinq ans plus tard
Écrasés par la chaleur, 15 vieux se reposent sous les feuilles d’un immense manguier. Une brise légère souffle doucement sur les visages ridés et cuits par le soleil. Les vieux expliquent pourquoi leur village a tourné le dos à l’excision depuis cinq ans. « On a abandonné quand on a compris tout le mal que l’excision pouvait faire » note le chef, Kanigue Traoré. Jamais les gens de Makono n’avaient établi de lien entre l’excision et les accouchements difficiles, les bébés en détresse et les jeunes filles malades ou traumatisées. « On mettait ça sur le dos de la fatalité », dit le chef Traoré. Lorsqu’ils ont mis définitivement fin à cette pratique, ils ont convoqué les villages environnants. Certains ont pris contact avec l’AMSOPT, d’autres ont écouté poliment. Les gens de Makono n’on aucun regret. Au contraire. « C’est un salut pour nous, dit un vieux, Bourama Traoré. Les excisions coûtaient cher (3 $ par enfant plus des céréales et du savon). Une fois par année, on organisait une grande fête et on abattait les animaux. Aujourd’hui, c’est fini. On est libre maintenant. »