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Le mythe andalou nous vient des romantiques : Chateaubriand, avec « le Dernier Abancérage », Victor Hugo avec « les Orientales » et surtout les merveilleux « Contes de l'Alhambra » de Washington Irving. Depuis, il a prospéré sur la croyance bien établie, mais fausse, qu'une civilisation brillante ne peut apparaître que dans une société tolérante et pacifiée.
La réalité historique est cependant bien différente. Très tôt les Juifs et les chrétiens ont dû subir la condition des dhimmis : quartiers réservés, tenues vestimentaires distinctives, interdiction de pratiquer certaines professions. Voici comment est décrite la situation des minorités dans un ouvrage rédigé à Séville au 12ème siècle, cité par Bernard Lewis :
« Il n'est pas permis à un musulman de masser un juif ou un chrétien, de ramasser ses ordures, ni de nettoyer ses latrines. Ce genre de métier convient mieux aux Juifs et aux chrétiens car ce sont des êtres vils. Un musulman ne soignera pas l'animal d'un Juif ou d'un chrétien, ne lui servira pas de muletier, ni lui tiendra l'étrier . S'il s'avère qu'un musulman le fait, il convient de le dénoncer sans retard.».
L'époque almohade, que tous les touristes apprennent à connaître, fut particulièrement difficile :
« Le règne des Almohades, en dépit d'un verset coranique interdisant la conversion forcée des « gens du livre », sera terrible pour les juifs et les chrétiens qui devront désormais choisir entre la conversion à l'islam, l'exil ou la mort. Pour les juifs du Maghreb, l'épisode almohade est resté comme une des pages les plus noires de leur histoire. Un véritable désastre s'est abattu sur ces communauté où conversions forcées et massacres systématiques des récalcitrants ont affecté l'ensemble de l'Afrique du nord et de l'Espagne musulmane. Après le massacre des communautés de Séville et de Cordoue, la grande majorité des juifs d'Andalousie décidera d'échapper aux persécutions en se réfugiant dans les royaumes catholiques du nord et du centre de la péninsule ». (J.P. Camus, «Les relations entre juifs et arabes au Moyen Age », Les Temps médiévaux, juin-juillet 2003)
Le grand philosophe juif Maïmonide, qui naquit à Cordoue, fut contraint à l'exil par les persécutions. Du Caire, où il avait trouvé refuge, il écrivit en 1172 une lettre aux Juifs du Yémen qui résume parfaitement la situation des Juifs au 12ème siècle dans le Dar al-Islam. On ne peut que conseiller cette lecture à ceux qui croient naïvement que l'antisémitisme musulman est apparu brusquement avec la création de l'Etat d'Israël:
« Comme vous le savez, mes frères, c'est parce que nous avons péché que Dieu nous a jetés au milieu de ce peuple, de cette nation d'Ismaël qui nous persécute et trouve toujours de nouveaux moyens de nous nuire... Aucune nation n'a causé plus de torts à Israël. Aucune ne nous a autant rabaissés et avilis. Aucune n'est parvenue à nous réduire comme elle l'a fait ».
Le sort des chrétiens n'était pas plus enviable, pour une raison évidente : à mesure que la Reconquête progressait, ils étaient de plus en plus considérés comme une « cinquième colonne », même si Franco n'avait pas encore inventé l'expression. Quand les troupes chrétiennes approchaient, on n'hésitait pas à les déporter en masse en Afrique du Nord. N'y eu-t-il pas cependant des échanges féconds entre les trois religions ? Ce n'est pas l'avis d'Adeline Rucquoi:
« Clercs chrétiens, rabbins et oulémas, tentent d'inculquer à leurs fidèles les articles de leur foi, en excluant et parfois en dénigrant les autres. Ces perspectives facilitent la cohésion de chaque communauté ; elles donnent aussi lieu, de façon épisodique ou endémique, à des conflits, à des accès de violence, et même à des massacres ».
Le grand orientaliste Louis Gardet, quant à lui, n'hésite pas à écrire que la tolérance intellectuelle en Andalousie était bien inférieure à ce qu'on pouvait observer dans d'autres parties du monde islamique :
« Les milieux de vie et de pensée qui étaient ceux de Farabi et d'Ibn Sina [Avicenne] acceptaient sans grande difficulté que les textes scripturaires devinssent objet de glose sapientiale. Il en allait sans doute différemment de l'Andalousie et du Maghrib almohades, soumis à la censure des fuqaha (juristes) malikites.»
Mais, dira-t-on, Averroès (Ibn Rushd) n'est-il pas une lumineuse exception ? Son activité philosophique était pratiquement inconnue de ses contemporains, qui ne voyaient en lui que le juge suprême en exercice à Cordoue, puis à Séville. En tant que tel, il était naturellement d'une parfaite orthodoxie, au point que son grand traité de droit est toujours enseigné aujourd'hui à l'Université Al-Ahzar. Si Averroès est « l'inventeur de la laïcité », alors Al-Azhar est un temple de la laïcité. Voici ce qu'en dit Dominique Urvoy, qui a consacré un ouvrage à notre philosophe :
« Il suffit de se rappeler que Averroès est un cadi et que le droit musulman a toujours et partout condamné à mort l'hérétique manifeste. L'inverse serait étonnant de la part de notre penseur. Le hasard voudra que, huit siècles plus tard , un quasi-homonyme, le musulman indien Salman Rushdie soit accusé d'insulte au Prophète et à ses épouses , dans ses versets sataniques. La condamnation à mort qui s'est ensuivie, signée par l'ayatollah Khomeniny, a bouleversé le monde entier. Mais ce n'est pas prendre parti pour ce dernier que de dire qu'en tant que faqîh il n'aurait pu se prononcer autrement. Ibn Rushd lui-même aurait porté une condamnation identique contre Rushdie.»
Alain de Libera, le grand spécialiste de la philosophie médiévale, semble maintenant plus réservé sur la philosophie andalouse qu'il ne le fut autrefois. Au cours d'un forum organisé par «Le Monde », il a déclaré:
« Terrible conclusion, que la réalité historique de l'islam occidental va bientôt confirmer : la philosophie telle que l'entend Ibn Rushd disparaît avec lui, suivie de peu par l'empire almohade. « Averroès » aura des disciples chez les juifs jusqu'à la fin du XVème siècle et chez les chrétiens jusqu'à la fin du XVIème. Il n'y en aura plus pendant longtemps chez les musulmans » .
Et interrogé sur la traduction des textes grecs à partir des versions arabes, qui semblait passionner l'auditoire, il a répondu : « Je crois qu'il ne faut pas transformer une politique culturelle catholique en un tableau idyllique de la convivialité des religions ».(in Roger-Pol Droit, « Jusqu'où tolérer », p.90).
Laissons la conclusion à Pierre Guichard, auteur du livre le plus complet sur al-Andalus:
«On a trop souvent mythifié l'histoire d'al-Andalus, ou l'on a voulu voir, aussi bien en Occident que dans l'imaginaire arabe, à la fois un paradis perdu et le modèle des possibles « Andalousies » consensuelles du futur ».
Le mythe andalou peut encore nous donner de beaux films, comme celui de Youssef Chahine, mais il est en perte de vitesse. Son grand prêtre, Jean Daniel, reconnaît aujourd'hui que « l'esprit de Cordoue » n'a vraiment soufflé que pendant soixante années (sans d'ailleurs nous dire lesquelles). C'est bien peu pour un paradis qui a duré huit siècles. Et même Guy Sorman, qui professe à l'égard de l'Islam un optimisme que nous aimerions partager, a soigneusement évité de tomber dans le piège (Cf. «Les enfants de Rifaa », p.97).
L'Europe du 21ème siècle réussira-t-elle à organiser la cohabitation harmonieuse des trois religions, sans oublier les incroyants ? Il n'est pas interdit de l'espérer. Mais ne nous dissimulons pas par des rêveries l'énormité de la tâche : si elle y parvient, ce sera une innovation absolue.
L'âge d'or de l'Andalousie musulmane : rappel historique
712 : prise de Saragosse
714 : pillage de l'Andalousie
732 : les armées du prophète commandées par Abd-el-Rahman sont arrêtées à Tours par le duc Charles-Martel, après avoir ravagé la région et pillé Poitiers
796 : répression de la révolte de convertis involontaires à Cordoue; exil de 20 000 familles.
817 : révolte de convertis forcés à Cordoue; expulsion des habitants.
829 : révolte de Tolède contre les musulmans, qui dure 8 ans.
850 : à Cordoue, le prêtre Perfectus est décapité publiquement pour blasphème, ayant voulu débattre des erreurs de l'islam.
850 : le marchand chrétien Johannes de Cordoue est torturé puis emprisonné pour avoir prononcé le nom de Mahomet pendant une vente.
851 : début du "martyre des Mozarabes" à Cordoue.
851 : décapitation du moine de Cordoue Isaac pour blasphème envers l'islam.
851 : édit d'Abd el Rahman II de Cordoue menaçant de mort tous les blasphémateurs envers l'islam.
851 : les chefs de la communauté chrétienne de Cordoue sont emprisonnés.
851 : deux exécutions de blasphémateurs chrétiens contre l'islam à Cordoue.
852 : quatre exécutions de blasphémateurs chrétiens contre l'islam à Cordoue.
852 : épuration de l'administration de Cordoue de ses éléments chrétiens.
852 : exécution du chrétien de Cordoue Fandila pour blasphème contre l'islam.
852 : destruction des églises de Cordoue datant d'après la conquête arabe.
853 : projet de l'émir de Cordoue Mohammed I de vendre comme esclaves toutes les femmes chrétiennes pour éliminer les chrétiens de sa ville; ses ministres le dissuadent.
857 : mesures anti-chrétiennes à Cordoue.
884 : début de la révolte d'Umar ben Hafsun en Espagne regroupant autour de lui chrétiens et convertis forcés.
900 : interdiction pour les chrétiens de Cordoue de construire de nouvelles églises.
918 : répression de la révolte de Ben Hafsun en Espagne.
924 : prise et destruction de Pamphona, capitale de la Navarre.
963 : le calife Al Hakam II attaque la Castille.
974 : invasion almoravide en Espagne; destruction de bibliothèques
976 : règne d'Hisham II en Espagne; destruction des bibliothèques contenant des livres de philosophie, sous l'influence de M. Ibn Abo Amir.
997 : destruction totale de Saint Jacques de Compostelle par Al Mansur.
1000 : description des opérations de castration dans l'occident musulman par le géographe Maqdessi.
1002 : mort d'Al Mansour, après 52 expéditions contre les royaumes chrétiens d'Espagne.
1010 : début de massacre de centaines de juifs autour de Cordoue => 1013.
1066 : massacre de milliers de juifs à Grenade.
1115 : attaque des Baléares.
1120 : arrestation du musicien, philosophe et poète Ibn Bajja en Espagne, pour hérésie; il est libéré grâce au père d'Averroes
1144 : révolte de soufis dans l'Andalousie occidentale et répression.
1146 : invasion de l'Espagne par les Almohades, berbères extrémistes.
1147 : prise de Tlemcen par les Almohades; persécution des juifs.
1147 : invasion des Almohades en Espagne: expulsion des juifs ou conversions forcées.
1172 : prise de Séville par les Almohades.
1184 : les Almohades imposent des signes distinctifs aux chrétiens et aux juifs en Espagne.
1195 : persécution d'Averroes à Marrakesh.
1198 : Averroes séjourne en Espagne et à Marrakesh; il est accusé d'hérésie par l'entourage du calife; ses livres de philosophie sont brûlés et lui même est banni.
1217 : début des persécutions contre le soufi andalou Ibn Sabin =>1269.
1261 : révolte des musulmans de Castille.
1270 : ségrégation généralisée des juifs en Andalousie.
via le bafweb - source, en partie : atheisme.org - on ne rigole pas !
Et n'oublions pas :
1009 : destruction du plus haut Lieu Saint du christianisme, le Saint Sépulchre de Jérusalem, par le caliphe Al-Hakim, dit "le fou"