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La liberté académique bridée

Par Pieter W. Van der Horst
Wall Street Journal, 30 juin 2006
Traduction: Pistache

Au début de ce mois, après 37 années consacrées à enseigner, j’ai pris ma retraite et quitté la chaire des Études Judéo-chrétiennes Anciennes que j’occupais à l’Université d’Utrecht. Dans mon discours d’adieu intitulé « Le Mythe du Cannibalisme Juif », j’avais l’intention de passer en rétrospective l’accusation de consommation de chair humaine par les Juifs à travers les âges, depuis les origines gréco-romaines [du mythe] jusqu’au monde musulman contemporain, en passant par le Moyen Âge chrétien et la période nazie. Une bonne partie des calomnies islamiques concernant les Juifs trouvent leurs racines dans le fascisme germanique. Le « Mein Kampf » d’Hitler a fait partie de la liste des best-sellers dans de nombreux pays du Moyen-Orient. La sympathie pour le nazisme y remonte à l’époque du Führer. Le leader palestinien Hadj Amin al-Husseini, le Grand Mufti de Jérusalem, coopéra même étroitement avec Hitler. Il se trouvait à Berlin pendant les années de guerre et visita Auschwitz, ce qui lui inspira l’idée de construire un camp de concentration en Palestine.

Dans le Moyen-Orient d’aujourd’hui, la diabolisation des Juifs a atteint des niveaux sans précédents. Les Juifs sont accusés de tous les maux de la terre, depuis le cannibalisme jusqu’aux attentats des Twin Towers en passant par le déclenchement de tsunamis, la création de la grippe aviaire, du SIDA et cetera. À la fin de mon exposé, je voulais faire remarquer qu’il était de notre devoir à tous de combattre cette forme de propagande antisémite dans le monde musulman. Rien qui ne soit trop sujet à controverse pour un discours tenu dans une université européenne – c’est du moins ce que je croyais.

Cependant, à ma grande surprise, le Doyen de la faculté me demanda de supprimer les passages ayant trait à l’antisémitisme islamique. Devant mon refus, elle soumit la question à la plus haute autorité universitaire, au rector magnificus, qui me convoqua dans son bureau pour comparaître devant quatre professeurs (dont le recteur lui-même). Le comité présenta trois raisons justifiant l’élimination des passages « musulmans ».

Ils affirmèrent qu’il était trop dangereux de présenter l’exposé complet parce qu’il pourrait déclencher des réactions violentes de la part de « groupes d’étudiants musulmans bien organisés », dont le recteur ne pouvait endosser la responsabilité. Le comité déclara également qu’il craignait que mon discours ne contrarie les efforts déployés pour rapprocher musulmans et non-musulmans à l’université. Enfin, ils prétendirent que mon exposé était bien en-deçà des normes scientifiques de l’université, en particulier à cause de certains sarcasmes dont des personnalités néerlandaises faisaient l’objet (en raison de leurs positions antisémites). « Nous avons le sentiment qu’il nous faut vous protéger de vous-même », me dit-on. Le recteur m’expliqua que j’avais 24 heures pour abandonner le passage contesté. Sinon, il aurait à assumer « ses responsabilités rectorales ». Je n’étais pas trop certain de ce que cela signifiait, mais cela semblait très menaçant.

Je rentrai chez moi dans un état de complète perplexité. Je sentais que le comité avait exagéré le danger, pour me faire rentrer dans le rang de la rectitude morale. En même temps, je ne pouvais évaluer les risques par moi-même. Et je décidai donc de remettre une version expurgée de mon texte, parce que je ne voulais pas m’exposer ni exposer autrui à un danger potentiel.

Mais puisque le comité avait également mis en cause ma réputation universitaire, je décidai de demander l’opinion de plusieurs spécialistes, dont trois professeurs d’Études islamiques, d’Histoire et de Philosophie. Tous louèrent l’exposé comme étant un excellent travail, bien documenté et tout à fait pertinent. Ils reconnurent que mes remarques polémiques sur la ténacité de ce mythe antisémite étaient totalement fondées et ne diminuaient aucunement la valeur académique de mon travail. Et, ce qui est des plus importants, ils conclurent que le texte ne devrait pas rendre les musulmans furieux, parce que je n’y disais rien d’insultant sur l’islam lui-même, le prophète ou le Coran. Lorsque j’informai le recteur des conclusions de mes pairs, sa seule réponse fut: « Néanmoins, ma solution est la meilleure. »

Un jour à peine après avoir donné mon discours d’adieu dans sa forme amputée, ce cas de censure académique fit la une de nombreux journaux hollandais ainsi que d’émissions de radio et de télévision. Sans que je le sache, les collègues qui avaient revu mon exposé avaient contactés les médias.

L’Université lança bientôt une contre-attaque. Le recteur suggéra d’abord qu’il n’y avait pas eu censure et que mon récit était faux, que nul n’avait exercé la moindre pression et que j’avais suivi les conseils de l’Université de mon plein gré. Lorsque j’insistai sur le fait que la réunion dont j’avais souvenir était d’une nature bien plus cauchemardesque que la discussion amicale dépeinte par l’Université, l’approche de celle-ci se fit plus désobligeante. Je fus soudain présenté comme quelqu’un qui aurait pu déshonorer l’université par une allocution soi-disant inadmissible. Entre-temps cependant, plusieurs journaux avaient publié le texte non censuré de l’exposé, de sorte que tout un chacun pouvait se faire son opinion. Je reçus des marques de soutien et de gratitude de la part de nombreux intellectuels des universités hollandaises et de membres éminents de la communauté juive des Pays-Bas. Je n’ai reçu aucune réaction négative, sans parler de menaces, de la part de musulmans, bien que certains aient déclaré que j’aurai pu parler en termes moins généraux, ce qui est possible.

Heureusement, il y a quelques signes montrant que la discussion s’éloigne peu à peu de mon incident pour se tourner vers les vrais problèmes en jeu: la liberté académique et l’antisémitisme islamique. Si, par crainte de la violence, réelle ou imaginaire, la liberté académique se voit rognée, c’est de mauvais augure pour nos universités. Si quelque chose d’aussi grave que la haine antisémite islamique ne peut faire l’objet d’un débat public, c’est de mauvais augure pour notre société dans son ensemble.

Mr. van der Horst est professeur honoraire d’Études Judéo-chrétiennes Anciennes à l’Université d’Utrecht.


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