Dans une situation qualifiée de "quasi-guérilla urbaine" par une autre source policière, les forces de l'ordre ont fait usage de leurs Flash-Ball à 46 reprises pour repousser les groupes d'agresseurs. Ils ont également tiré 25 grenades lacrymogènes pour disperser la foule ou protéger des employés municipaux et d'autres policiers. "Le panel complet des armes anti-émeutes a été utilisé", explique une source syndicale. Quelque 120 fonctionnaires de police ont été mobilisés pendant cette nuit sur la commune, y compris des CRS.
Les premiers incidents graves ont débuté dimanche, vers 21 heures, au cours d'un concert de rap rassemblant 10000 personnes venues de toute l'Ile-de-France pour la quatrième édition du festival. Plusieurs dizaines à plusieurs centaines de personnes, selon les sources, issues de bandes rivales, ont commencé à s'affronter à proximité de la scène. Une courte vidéo diffusée sur YouTube montre des jeunes gens, dissimulés sous des capuches, parfois armés de bâtons, jeter des bouteilles et charger un autre groupe à proximité des spectateurs. Ces règlements de comptes entre bandes se sont multipliés ces derniers mois dans l'agglomération de Cergy, y compris dans les jours qui ont précédé le festival.
"On a été prévenus par des habitants que des bandes armées, encagoulées, arrivaient sur le site. Puis une trentaine de voyous ont commencé à s'en prendre à une trentaine d'autres voyous", raconte Joël Motyl, adjoint au maire (PS) chargé de la jeunesse, présent sur place. L'élu affirme avoir aperçu des individus avec des barres de fer, des manches de pioche et même une hache et un pistolet. Un autre témoin, Youssef Kabouche, responsable d'une des associations partenaires du festival, affirme aussi avoir vu une hache ainsi que des couteaux. Il dit avoir entendu des détonations et évoque la présence d'"au moins 200 personnes venues pour se battre". Une estimation également avancée par d'autres témoins qui souhaitent rester anonymes.
Face à ces actes de violence, la vingtaine de policiers municipaux et la cinquantaine de vigiles d'une société privée, employés pour l'occasion, ont rapidement été débordés. Les organisateurs du festival – gratuit et sans fouille à l'entrée, ce que critique la préfecture – ont alors décidé de mettre fin au concert et de demander des renforts policiers. "Les choses se sont visiblement dégradées après l'annulation du concert", souligne le préfet du Val-d'Oise, Christian Leyrit.
Les groupes de jeunes se sont dirigés vers la gare où ils ont commencé par dégrader le mobilier urbain. Une vidéo, diffusée sur DailyMotion, montre, pendant un peu plus d'une minute, des personnes détruisant des cabines téléphoniques et un panneau publicitaire avec, en fond sonore, des cris et la sonnerie d'une alarme.
Des commerces et la gare ont été visés. "Les dégâts sont très importants, témoigne le pharmacien, Jean-Fabrice Desens, installé depuis une dizaine d'années dans le quartier. Le stock de marchandises, l'informatique, le mobilier et les vitrines ont été détruits." De son côté, la SNCF a recensé des "dégâts significatifs" avec des vitres brisées, des appareils distributeurs de billets dégradés et des guichets inutilisables pendant plusieurs jours. La ligne de train a été coupée pendant 45 minutes.
Une source syndicale policière affirme que les bandes se sont alliées pour attaquer les forces de l'ordre, jusque vers minuit, blessant légèrement deux agents. Un témoignage, publié jeudi 21juin sur le site alternatif Indymedia, fait état de slogans antipoliciers et antisarkozy lancés par des "centaines de personnes". "Dans ce type de manifestations, si les CRS interviennent dans la foule, il n'est jamais certain qu'il n'y ait pas beaucoup plus de dégâts", relève le préfet. Aucun blessé sérieux n'a été signalé du côté des manifestants.
Les policiers ont procédé à huit interpellations pendant les incidents. Mais, faute de preuves, toujours délicates à rassembler dans ce type de situation, six personnes ont été rapidement relâchées. Deux jeunes hommes ont été jugés, en comparution immédiate, mardi 19 et mercredi 20 : le premier, qui a reconnu les faits, a été condamné à dix mois de prison ferme pour des dégradations, commises en réunion, dans la gare; le second, qui nie sa participation aux violences, a été condamné à trois ans de prison, dont deux ans ferme, pour avoir caillassé puis incendié un véhicule de la police municipale. "L'enquête préliminaire se poursuit", ajoute Bernard Farret, procureur de la République adjoint, pour souligner que d'autres interpellations sont possibles.
La préfecture et l'opposition municipale critiquent l'organisation du festival et la programmation de groupes de rap jugés "hard". De son côté, la mairie accuse la police nationale de ne pas avoir prévu des moyens suffisants. "On a le sentiment d'avoir été abandonnés par la police. On a eu entre 40000 et 45000 participants pendant trois jours, soit l'équivalent d'un match au Parc des Princes. Et pour tout ça, quelques dizaines de policiers nationaux présents le soir pendant le concert, à comparer aux centaines d'hommes mobilisés pour un match de foot", s'indigne Joël Motyl, adjoint au maire. Selon la mairie, les CRS appelés en renfort ont mis 40 minutes pour arriver, après s'être perdus dans Cergy. Sollicitée par Le Monde, la direction générale de la police nationale n'a pas souhaité répondre.
A l'exception du Parisien, les médias traditionnels n'ont pas relayé l'information sur les violences qui ont éclaté à l'issue du festival 100 Contests de Cergy. L'article du quotidien, dans sa déclinaison locale du Val-d'Oise, est daté du mardi 19 juin. Ce texte se base sur le témoignage d'une jeune habitante de Cergy. Il a été repris de nombreuses fois. Des blogs d'extrême droite [ndlr : de réinformation ] s'en sont saisis, en changeant le titre qui évoque les "scènes d'émeutes banales, cachées par les médias".
Dès lundi 18 au matin, le mensuel étudiant Contrepoint avait lui aussi traité l'information sur son site. Cet article précise le déroulement des événements de la soirée, depuis le "premier mouvement de foule lié à une petite échauffourée" jusqu'aux "pistolets à grenaille, hache, barres de fer". Son auteur regrette qu'un "festival gratuit" ait "pris cher". Ce lien vers ce texte se retrouve dans plusieurs sites d'information locale, comme Cergyrama ou encore sur des blogs. L'opposition municipale, regroupant les "non-inscrits, l'UDF et l'UMP", s'est elle aussi émue, sur son site Internet Cergy ensemble, des "désordres prémédités" de cette manifestation culturelle.