
(...) Bush se tourna, au début de cette année, vers un officier qui n’est pas l’un de des généraux-bureaucrates, généraux-CNN, - généraux politiquement corrects -, mais un soldat pragmatique, qui a tiré les leçons des échecs (...) (en photo, le général Dave Petraeus)
La courbe d’apprentissage est lente et ardue. Les Etats-Unis, assoupis dans la vulgarité clintonienne des années 90, « dividendes de la paix », « fin de l’histoire », « c’est l’économie stupide », furent réveillés en sursaut le 11 septembre 2001. Nous avions gagné la Guerre froide, endormons-nous sur nos lauriers ! Vieillissants et détériorés, les structures institutionnelles, les cadres intellectuels, la vie politique, dataient, sans parler de l’arme de guerre et des services de renseignement, engraissés dans l’autosatisfaction. Le coup de tonnerre de Manhattan frappa un dormeur abasourdi.
Tous les pays et toutes les institutions connaissent ce genre de cycle. Mais la rapidité et l’efficacité du réveil et des réorganisations sont variables. Pendant la Grande Guerre, en France, on écarta tant de généraux, que la ville où l’on envoyait les officiers renvoyés, en attendant leur réaffectation, Limoges, accoucha d’un vocable nouveau : limoger. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l’armée américaine congédia et destitua des généraux, colonels et autres officiers par centaines. En 1943, au lendemain de l’humiliante défaite subie à Kasserine, en Tunisie, première bataille contre Rommel, Eisenhower renvoya les généraux britanniques et américains qui avaient failli, et fit appel à l’impétueux George Patton, génie de l’audace et de l’offensive éclair, qui montra bientôt à Rommel que son mépris du soldat américain était fort mal placé. Les Américains apprirent vite.
Or, depuis le début de la bataille d’Irak, pas un officier général américain n’a été révoqué, comme si l’armée américaine n’était qu’une vulgaire fonction publique, protégée par des syndicats à la française et où la pérennité de l’emploi est sacro-sainte. Ceci, alors que les opérations ont révélé, chez les officiers généraux bien plus que dans les rangs inférieurs, de très graves carences. Pis, le summum de l’incompétence complaisante et prétentieuse, l’ancien patron de la CIA, George Tenet, aux responsabilités accablante dans la non prévention des attentats du 11 septembre, fut non seulement maintenu à son poste, mais quand il le quitta de son plein gré, il reçut, des mains mêmes du président, la Médaille de la Liberté, la plus haute décoration civile des Etats-Unis. C’est là un signe irréfutable d’une absence de capacité d’adaptation : on ne change pas institutions et doctrines en profondeur sans écarter les hommes qui en sont les porteurs. Leur maintien empêche précisément le changement.
Bush s’est largement entouré d’opposants à sa propre politique ou de sycophantes à la compétence douteuse. Au département d’Etat, Condoleezza Rice présente bien, mais ses options, celles du « réalisme », qui préfère toujours la stabilité à court terme, quel qu’en soit le prix, même si elle consiste à abandonner nos meilleurs amis et à pactiser avec nos pires ennemis, se situent aux antipodes des instincts politiques de Bush.
La liste est interminable - et je ne la répéterai pas ici - des opposants farouches qui sapent de l’intérieur la politique présidentielle, sans que Bush ne s’en offusque. La logique aurait voulu que Bush purge avec énergie les secteurs de l’Etat qui, non seulement refusaient d’appliquer sa politique, mais la sabotaient sans même s’en cacher – diplomatie, services de renseignement au premier chef -. Bush laissa faire, quand bien même ces opposants de l’intérieur affaiblissaient et dénaturaient sa politique. C’est dire que la courbe d’apprentissage est plombée par ceux qui savent déjà tout, mais à l’envers.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le grand patron du Pentagone, qu’il venait de faire construire, le général George Marshall, était d’une férocité sans concession quand il fallait faire sauter les officiers nuls. Ce n’est donc pas du tout le modèle suivi pendant la Deuxième Guerre mondiale qui est actuellement appliqué. Bush suit plutôt – alors qu’il aurait les moyens de s’en passer – le « modèle » que dut nolens volens adopter le président Lincoln pendant la Guerre civile de 1861-1865.
Lincoln avait été élu dans le cadre d’une élection triangulaire, c’est-à-dire sans majorité. Contesté au sein même de son cabinet et surveillé de près par un Congrès peu amène. Menacé, sur sa gauche, par les « abolitionnistes radicaux », insoucieux, au nom de leur objectif intransigeant, de maintenir une coalition capable de poursuivre la guerre. Sur sa droite, Lincoln se trouvait harcelé par ceux qui voulaient traiter avec les confédérés sécessionnistes – ce qui aurait irréparablement miné l’Union et maintenu l’esclavage sur son territoire –. Lincoln trouva, à Washington, un pays et des structures inadaptés à la situation nouvelle, celle de la guerre, dont les Sudistes avaient pris l’initiative. L’Armée de l’Union avait, peu auparavant, battu à plate couture l’armée mexicaine – mais elle faisait désormais face à une « vraie » armée, conduite par deux des génies stratégiques les plus éminents du siècle, Robert E. Lee et ‘Stonewall’ Jackson. Avec sagesse, ayant de loin dépassé toutes les limites d’âge, le commandant en chef des forces de l’Union, le général Winfield Scott, démissionna immédiatement, et Lincoln dut accepter la nomination du général George McClellan ; d’abord à la tête de la formation centrale des armées nordistes, l’ « Armée du Potomac », puis au poste de chef suprême.
McClellan, grand logisticien, n’avait pas son pareil pour former, préparer, doter et équiper une armée. En campagne, toutefois, il était timoré, hésitant, balourd. Face à un adversaire tel que Lee, féroce artiste de la guerre, il était l’ours maladroit et inepte. Une phrase de Lincoln est restée célèbre : « Si le général McClellan ne fait pas usage de l’Armée, peut-être pourrait-il me la prêter quelque temps ! ». C’est que le général tenait avant tout à préserver son armée, fût-ce au prix de l’inaction. Mais, populaire chez les soldats, fermement soutenu à Washington par tous ceux qui voulaient brider Lincoln, il fit preuve d’insubordination autant que d’incompétence : la guerre piétinait, les pertes s’amoncelaient – par dizaines de milliers. Il fallut à Lincoln plusieurs années pour s’en débarrasser et pour trouver « ses » généraux, ceux qui voulaient en découdre, vaincre et terminer la guerre : le général Ulysses S. Grant et le général William Tecumseh Sherman. L’un et l’autre avaient acquis leur puissance en s’illustrant au cours des opérations des années précédentes. Une fois libérés de la tutelle de McClellan, ils écrasèrent les forces confédérées, et la guerre prit fin sur la préservation de l’Union et l’abolition de l’esclavage.
Différence essentielle entre Bush et Lincoln, ce dernier savait qu’il devait se défaire des poids morts qui entravaient son action, alors que Bush semble attacher un grand prix à la conservation de boulets en tous genres à ses chevilles. Cependant, à bout de souffle, assiégé à Washington par les défaites politiques, déserté par un électorat qui est moins anti-guerre qu’anti-défaite, Bush se tourna, au début de cette année, vers un officier qui n’est pas l’un de des généraux-bureaucrates, généraux-CNN, - généraux politiquement corrects -, mais un soldat pragmatique, qui a tiré les leçons des échecs – y compris ceux de la stratégie Rumsfeld – et lancé une guerre contre-insurrectionnelle.
Comme on le sait depuis quelque mois, boostée par l’application du Surge, la stratégie montée par Dave Petraeus est efficace, et a réussi à renverser la vapeur. L’avantage tactique, l’initiative, sont désormais du côté des forces coalisées. C’est sur le terrain, en Irak, qu’a commencé le changement politique à Washington.
Bush a trouvé son général, comme Lincoln avait trouvé les siens. Le séjour à Washington qu’achève le général Petraeus a renversé la vapeur, dans ce cratère bouillonnant qu’est la capitale fédérale. Alors que l’été devait être celui de l’offensive finale des Démocrates contre l’engagement en Irak, le rapport Petraeus a paralysé leur initiative, qui voulait imposer la retraite. La stratégie actuelle continuera au moins jusqu’au printemps et à l’été 2008. Ironisons : « All we are saying, is: Give War a Chance” (tout ce que nous disons, c’est : donnez une chance à la guerre. Ndlr).
Au cours des auditions, lors desquelles il a présenté son rapport-bilan sur les opérations en Irak, le général a confondu ses détracteurs démocrates, et il les a immobilisés. Al Qaida-Irak (AQI. Ndlr) est en pleine déconfiture ; l’alliance sunnite avec les forces américaines contre AQI s’accompagne d’une vigueur redoublée contre les assassins iranophiles du nervi chiite Muqtada al-Sadr. Les conditions d’une stabilisation des dessinent. Voilà qui a déstabilisé les capitulards du Congrès.
On est cependant encore loin du compte. Car les succès militaires doivent non seulement être prolongés par une reconstruction politique en Irak, mais aussi par un recadrage de la stratégie américaine : les troubles en Irak, la guérilla, les attaques, sont très largement orchestrés par l’Iran, par la Syrie, et par l’Arabie saoudite côté sunnite. Faute de mettre les points sur les « i » avec tous ces manants, les militaires américains font face à une tâche de Sisyphes. Or Bush oscille sans fin et continue d’appliquer, en partie, les désastreuses recommandations du « Groupe d’études Irak » de MM. James Baker et Lee Hamilton : afin d’acquérir les bonnes grâces des ennemis, Iran et Syrie, et Arabie, il importe de livrer le Liban à Damas, l’Irak à Téhéran et Israël aux Arabes en général. Cela devrait permettre de se retirer d’Irak – comme on s’était éjecté du Vietnam -. On cause avec les ennemis en espérant les amadouer. Tout en même temps, on serre la vis à l’Iran avec des mesures bancaires, financières et énergétiques, qui font très mal au régime des mollahs.
En un mot, on est en pleine incohérence politico stratégique. La courbe d’apprentissage est hésitante, à l’image des montagnes russes. Les succès militaires sont admirables. Ils ne pourront néanmoins être pérennisés que si le politique prend le relais. Or on est bien loin du compte : les « McClellan » sont toujours là, Grant et Sherman viennent tout juste d’arriver. « Armée en marche – stratégie suivra ? ».
Correction du tir ?
Par Laurent Murawiec à Washington
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...mais la reprise victorieuse d’une offensive militaire et politique replacerait les cols bleus dans un sens favorable à Bush et à la guerre
Pour le leadership démocrate, dont le chef de la majorité au Sénat, Harry Reid, pour Madam Speaker, Nancy Pelosi, à la chambre des Représentants, pour les media, qui portent à gauche à concurrence de 90 pour cent, et pour les « classes baratineuses », qui font l’opinion, ou une bonne partie de celle-ci, la cause est entendue depuis longtemps : la guerre d’Irak se solde par une défaite dont il convient d’urgence de se dépêtrer. Peu leur chaut que l’Amérique perde, pour autant que Bush tombe. Si l’effondrement du Moyen-Orient doit être la rançon d’un retrait précipité des forces américaines, peu leur importe, tant que la politicaillerie intérieure peut suivre son cours. On a rarement vu une telle disproportion entre l’extraordinaire médiocrité des motifs et l’importance historique des conséquences. C’est pourquoi, collectivement, on n’hésite pas à révéler des secrets d’Etat qui affaiblissent l’effort de guerre, à priver les forces armées de moyens qui leur permettraient de mieux lutter, à entraver la collecte du renseignement en se servant du moindre prétexte, à harceler l’Administration sur le moindre détail, même au risque de faire trébucher les soldats sur le terrain.
