Le WEB Résistant est le seul site francophone présentant toutes les références sur les sites de réinformation. Faites-le connaître autour de vous ! Ne restez pas seul, nous sommes nombreux.
La liberté de parole et de pensée se porte mal en France. J’en sais quelque chose. J’écris des livres et des articles. Mes convictions fondamentales n’ont pas changé depuis ma jeunesse. Elles pourraient se résumer en quelques mots simples : défense des droits naturels de la personne humaine, défense de la liberté économique, politique et culturelle. Je n’aurais jamais pensé qu’être attaché à ce que ces mots représentent pour moi m’auraient valu d’être traité comme un dissident, c’est pourtant le cas. Pour quelles raisons ?
Parce que je me suis battu sans merci contre toute forme de racisme et contre l’antisémitisme, et parce qu’il y a des professionnels de l’antiracisme qui savent mieux que les autres de quelle façon précise il faut se battre contre le racisme et contre l’antisémitisme. Quand ces gens parlent de liberté, j’ai l’impression de me retrouver plongé dans le 1984 de George Orwell, là où les mots signifient en fait l’inverse de ce qu’ils sont censés signifier.
Pour quelles raisons, disais-je ? Parce qu’à l’époque où l’Union Soviétique était gouvernée par Brejnev, je pensais que c’était un pays totalitaire, parce que je pense, depuis longtemps, que les Etats-Unis n’ont cessé d’être, selon la belle expression d’Yves Roucaute, la « puissance de la liberté » et que je n’ai jamais versé un seul instant, y compris sous la présidence de George Walker Bush, dans l’antiaméricanisme.
Parce que je sais qu’Israël est une démocratie menacée et que je sais aussi, pour avoir lu les textes et regardé les images, mais aussi pour m’être rendu parmi ceux qui sont les ennemis d’Israël. Parce que, parmi les êtres que je considère comme mes frères, il y a des survivants de la Shoah, et parce que je pense que soixante années après, il existe une propension à oublier et à relativiser, et que cela m’indigne, ce qui est, en France, très malséant.
Parce que je pense que les peuples arabes ont le droit de vivre libres et de n’être pas traités dédaigneusement comme une chair dont on fait les « bourbiers », comme on dit à Paris. Parce que je pense que l’islamisme est un totalitarisme.
Il paraîtrait que tout cela fait de moi un fasciste, un sale type d’extrême-droite. Il paraîtrait que je n’ai pas le droit d’utiliser certains mots : le mot salaud, précisément. Je l’ai pourtant vu imprimer dans des livres de philosophie au temps où j’étais au lycée et où j’étudiais l’existentialisme. Si Jean-Paul Sartre publiait L’être et le néant ou L’existentialisme est un humanisme aujourd’hui, il se trouverait sans doute traîné au tribunal. Je m’en tiens à la définition de Sartre néanmoins. Un salaud est un être de mauvaise foi. Je persiste, je signe, et je continuerai à lire de temps à autres L’être et le néant ou L’existentialisme est un humanisme, même si cela devait me valoir les foudres d’un stalinien, désireux d’instrumentaliser les tribunaux. Il paraîtrait, ô crime atroce, que je n’ai pas le droit de dire qu’il « existe des juifs antisémites » : il est vrai que je n’écris pas dans Le monde diplomatique où, en septembre 2005, est paru un article de Lionel Richard, se demandant si Karl Marx était un juif antisémite. Ce qui est autorisé dans Le monde diplomatique n’est peut-être pas autorisé ailleurs ? Je poserai la question, si j’en ai encore le droit, et si le Parlement n’a pas fait voter une nouvelle loi qui l’interdit.
Gilles Karmasyn a créé, voici une décennie, un site de lutte contre le négationnisme, et on y trouve une analyse des textes d’Israël Shamir, défini comme « juif antisémite ». Israël Shamir va-t-il l’attaquer en justice ? Ce serait intéressant, au point où nous en sommes. Gilles Karmasyn a-t-il le droit de dénoncer Israël Shamir ? A-t-il même le droit de fustiger Robert Faurisson ?
Quand je regarde la plupart des débats télévisés en France, et que je les compare avec des débats du même genre, que je puis voir dans des pays où on parle anglais, j’ai le sentiment très net que la France n’a plus, pour l’essentiel, que des débats mutilés. Lorsqu’on n’a pas connaissance d’autre chose, on me dit qu’on ne s’en aperçoit pas. Mon malheur est sans doute de connaître des pays où la liberté de parole existe encore, où des lois n’ont pas été votées pour que des suppôts d’un totalitarisme ou d’un autre puissent tenter d’instrumentaliser les tribunaux afin d’obtenir, par voie de justice, un dernier mot qu’ils seraient absolument incapables d’obtenir par le biais du débat, de la vérifiabilité, de la falsifiabilité.
Quand la pensée se fait indigente, on recourt, dit-on, à la police de la pensée. Quand Goebbels entendait le mot culture, il sortait son revolver. Quand certains, aujourd’hui, entendent une défense intransigeante de la liberté, ils sortent leur assignation en justice. Dois-je dire et souligner que je ne désigne ainsi personne, strictement personne ? Oui, je pense que je le dois. Je deviens paranoïaque. J’imagine que l’ennemi me lit. Quelle idée !
La liberté de parole et de pensée se porte mal en France. J’en sais quelque chose. Oui, j’enseigne le droit, et très précisément le droit de l’information, et je sais à quel degré existent en ce pays des lois liberticides. Voici une vingtaine d’années, nombre d’entre elles n’existaient pas. Celles qui existaient étaient peu appliquées. Aujourd’hui, les lois se sont ajoutées aux lois, des gens saisissent les tribunaux pour tenter d’anéantir ceux qui ont le malheur de ne pas penser comme eux, de manière unique et uniforme. Ils ne veulent voir qu’une seule tête, comme à l’armée, comme dans les fasci italiani di combatimento que créa, voici plus de huit décennies, Benito Mussolini, lui-même fervent partisan de la police de la pensée… Toute ressemblance entre ce que je viens d’écrire et toute personne physique, comme le disent les mentions légales, serait fortuite et involontaire.
Ai-je encore le droit de le dire ? Je me sens l’âme antifasciste. Et je le dis tant que je peux encore.
Je sais. Je devrais clamer que si un journaliste se présente à moi comme un juif victime de l’antisémitisme, et se targue ensuite de m’avoir rencontré pour me faire passer pour un antisémite, ce n’est pas du tout un salaud au sens sartrien du terme, non, absolument pas : c’est un journaliste honnête. Vous me le copierez cent fois.
Je sais. Si quelqu’un vous diffame, vous insulte, vous traîne mensongèrement dans la fange, et si ce quelqu’un est « politiquement correct », comme on dit, vous devez baisser la tête et avoir honte de ne pas vous être encore suicidé. Ce quelqu’un est un être d’une intégrité exceptionnelle. Dois-je penser que c’est cela l’intégrité aujourd’hui en France ?
Il semble que oui.
Je sais aussi. Si quelqu’un dit que des juifs sont vendus et que d’autres juifs essaient de les acheter, - je plaide non coupable devant la police de la pensée, ce n’est pas moi qui ferais des choses pareilles -, ce quelqu’un ne pratique rien qui puisse, même de très loin, inciter des gens à penser sur un mode antisémite. C’est, au contraire, un antiraciste, surtout s’il a sa carte du parti. Quel parti ? Si nous étions en Union soviétique, sous Brejnev, vous ne poseriez pas la question.
S’il y a effectivement une pensée unique, il n’y a pas de parti unique en France. Au train où vont les choses, il m’arrive de me demander si cela ne viendra pas un jour. Quand je me le demande, c’est pour un instant seulement : plusieurs partis, c’est mieux ; l’illusion de la liberté vaut mieux que la suppression totale de la liberté. L’époque n’est plus au totalitarisme brutal : des progrès en termes de raffinement ont vu le jour depuis.
Quand j’écrivais sur les Etats-Unis, sur la pensée libérale, sur l’Union Soviétique, sur l’Afrique, la Chine ou sur n’importe quel autre sujet, je n’étais pas attaqué, et encore moins attaqué bassement.
Je dois le constater, pour finir cet article, depuis que j’ai mis l’accent sur la lutte contre l’antisémitisme et sur la défense d’Israël, les attaques ne cessent pas. Je ne peux qu’en tirer des conclusions qui me rendent infiniment triste. La lutte contre l’antisémitisme et la défense d’Israël sont, apparemment, l’activité intellectuelle la plus dangereuse en France aujourd’hui. Voir que, parmi ceux qui m’attaquent avec une méchanceté féroce, depuis que je lutte contre l’antisémitisme et que je défends Israël, il y a des juifs qui se disent de gauche et antiracistes me consterne absolument et me conduit parfois à douter de l’humanité et à avoir envie de changer d’activité.
Faut-il donc que certains, six décennies après Auschwitz, n’aient rien appris et rien compris…. Faut-il désespérer ? De gauche et antiracistes, disent-ils ? Mieux vaut entendre çà que d’être sourd, dit une vieille expression. Mieux vaut lire cela que d’être aveugle. Il y a des moments où je me demande s’il ne vaut mieux pas être sourd et aveugle. Je ne vise encore une fois personne : je dirai seulement que nous vivons un temps où il est des êtres sans honneur et sans scrupules. N’avoir ni honneur ni scrupules permet quelquefois d’aller loin. J’ai le sens de l’honneur et des scrupules, et je me demande, ces jours-ci, à quoi cela peut bien servir…
Milliere Guy - mercredi 23 janvier 2008