
Si Israël avait des dirigeants dignes de leurs prédécesseurs, ces dirigeants n’auraient pas signé le texte d’Annapolis
Je n’attendais rien de la rencontre d'Annapolis, sinon le pire. Je ne suis donc pas déçu. Il ne s’est rien passé, et ce rien, comme je le prévoyais, peut conduire au pire.
Ce que George W. Bush souhaitait semble évident : une réunion du monde arabe destinée à montrer aux dirigeants de celui-ci que les Etats-Unis ne se désintéressent pas du conflit israélo-palestinien. Et qu’un front peut exister, unissant les Etats-Unis et le monde arabe face au danger principal dans la région : le régime des mollahs en Iran, dont il est absolument impératif qu’il ne se dote pas de l’arme nucléaire. Le monde arabe est venu. Il a vu. Il a entendu. En déduire qu’il a reçu le message serait néanmoins très hasardeux. D'autant plus que la perspective d'une action militaire américaine contre l'Iran semble désormais écartée.
Ce que Condoleezza Rice et le Département d’Etat américain souhaitaient semble plus évident encore : une relance du tristement célèbre et meurtrier « processus de paix », et un retour du « conflit israélo-palestinien au centre des débats sur le Proche-Orient », de façon à ce que le monde arabe comprenne que les Etats-Unis ne sont pas leur ennemi. Le « processus de paix » semble effectivement relancé, pour la plus grande joie de tous les ennemis implicites ou explicites d’Israël, qui, les uns et les autres, se demandent déjà ce qu’ils vont pouvoir extorquer à l’Etat hébreu.
Le replacement du conflit israélo-palestinien au centre des débats permet d’oublier une multitude d’autres données, telle l’absence de développement humain dans l’essentiel du Proche-Orient musulman, par exemple. Les Etats-Unis n’apparaîtront pas davantage comme des « amis » du monde arabe : il leur faudrait, pour ce faire, produire bien davantage encore, ne pas en rester à l’antisionisme soft, dont madame Rice a fait preuve ces derniers jours, et passer à un antisionisme hard. Mais une conjoncture de facteurs, politiques, traditionnels et de valeurs, interdira toujours à un gouvernement américain d’aller jusque là, quoi que puissent penser les « réalistes » façon James Baker et Brent Scowcroft.
Les souhaits de Mahmoud Abbas et d’Ehoud Olmert semblent avoir été plus limités, plus médiocres, plus cyniques encore.
Abbas n’est presque plus rien. Un parrain déchu, qui règne sur un territoire en ruines dont la superficie ne cesse de se rétrécir, assiégée qu’elle est par des maffieux plus cruels, meurtriers et fanatiques que lui. Il existe encore grâce à la perfusion internationale et israélienne qu’il reçoit. Peut-il espérer s’entendre avec les crapules du Hamas ? J’en doute. Disons qu’il tente de durer, de maintenir la perfusion. Peut-être, se dit-il qu’à la faveur d’une aide internationale massive, il pourra changer la donne et reprendre la main : cela ne fera ni de lui ni de sa clique des « modérés ». Un totalitaire « modéré » est un homme qui peut cacher son jeu et passer des compromis provisoires en attendant son heure. En écoutant Abbas à Annapolis, j’ai très bien vu le totalitaire. J’ai eu bien plus de mal à voir le « modéré », sauf sur un point, que les antisémites du monde entier lui pardonneront difficilement : Abbas a serré la main d’un Juif, ce que ses collègues saoudiens et syriens se sont bien gardés de faire.
Olmert est fort peu de chose, lui aussi : un Premier ministre qui a perdu toute légitimité, à qui la justice demande des comptes, et vis-à-vis de qui il est vraisemblable que l’histoire ne se montrera pas tendre. Veut-il durer et retarder l’échéance lui aussi ? Croit-il qu’il va faire la « paix » et sauver ainsi in extremis un mandat, qui, sur tous les plans, a aujourd’hui les apparences d’un désastre ? Je ne peux le dire.
Ce qui me semble clair est qu’un gouvernement israélien fort aurait pu accorder à George W. Bush le « geste » minimal qu’il souhaitait, sans céder quoi que ce soit sur l’essentiel, et sans se plier aux exigences de madame Rice et du Département d’Etat ; quand, comme Israël, on a la vérité pour soi et qu’on fait face à des terroristes sans scrupules, on le dit haut et fort. On ne signe pas un document flou et relativiste, qui parle de « propager une culture de paix et de non violence, de faire face au terrorisme et aux incitations à la violence, que les actes répréhensibles soient commis par des Israéliens ou des Palestiniens ». Si Madame Rice et le Département d’Etat ne comprennent pas que ce ne sont pas les Israéliens qui recourent au terrorisme et aux incitations à la violence, ce serait le rôle minimal d’un gouvernement israélien de leur expliquer ce qui doit l’être.
Ce qui me semble clair, également, est que le gouvernement israélien a accepté l’inacceptable, en admettant de discuter d’un tracé des frontières qui pourrait permettre d’en revenir aux tracés de 1967, d’un éventuel partage de Jérusalem, susceptible d’impliquer l’abandon des lieux saints, et, même, du « problème » du « retour des réfugiés ». Olmert et Tzipi Livni ont-ils abandonné tout reste de principes, ou jouent-ils un jeu, et, en ce cas lequel ? Ont-il délaissé les plus essentiels de leurs devoirs : préserver des frontières compatibles avec la sécurité d’Israël, préserver Jérusalem et les lieux saints, maintenir le caractère juif d’Israël ? Rien ne dit que des concessions majeures seront faites, mais il est certains engrenages dans lesquels il ne faut pas mettre le doigt sans risquer de se trouver entièrement avalé. La position d’Israël, jusque là, avait été, de surcroît, qu’il n’était pas question de discuter des « points essentiels » tant que la partie arabe n’aurait pas, au préalable, fait ce qu’il fallait pour en finir avec la violence et le terrorisme. Le préalable semble désormais avoir été jeté par dessus bord.
Que dire, dans ce contexte, d’une phrase comme celle-ci : « Je sais que cette douleur et cette humiliation sont la fondation sur laquelle a été fomentée la haine contre nous » ? Israël a infligé douleur et humiliation aux Arabes palestiniens ? C’est là, précisément, le fondement de la haine antijuive des Arabes palestiniens ! En maintenant des gens dans des camps de réfugiés, plusieurs décennies durant, les pays arabes de la région n’ont-ils créé, quant à eux, aucune humiliation ? La corruption des « dirigeants palestiniens » et l’extrême pauvreté des populations ne sont-elles pour rien dans la douleur ? La haine qui est disséminée dans tout le monde arabe et qui existait déjà il y a soixante ans, n’a-t-elle rien à voir avec les impasses idéologiques dans lesquelles s’est enfermé le monde arabe ?
Que dire des propos où Olmert a parlé tel un lecteur du dernier livre de Jimmy Carter ? « Si le jour vient où la solution de deux Etats s’effondre, et que nous nous retrouvons dans une lutte à la Sud-africaine pour des droits de vote égaux, …c’en est fini de l’Etat d’Israël ». Il n’y aurait donc de choix que la création d’un Etat palestinien, avec les restes de l’OLP, ou l’Apartheid ? Olmert ferait mieux de laisser des raisonnements aussi triviaux et biaisés aux antisémites qui se cachent derrière le masque de « l’antisionisme ».
Après avoir insisté sur la nécessité impérative que ses interlocuteurs reconnaissent Israël en tant qu’Etat juif, Olmert a non seulement cédé sur ce point, mais semble avoir accepté de renoncer à toute opération militaire contre ceux qui bombardent Sderot depuis des mois. En revanche, ni Mahmoud Abbas, ni Saëb Erekat, ni quiconque du côté des « dirigeants palestiniens » n’a reconnu le caractère juif d’Israël, ce qui signifie que les « dirigeants palestiniens » ne reconnaissent même pas la résolution de l’Onu de 1947, qui a abouti à la création d’Israël. Dans son discours à Annapolis, Mahmoud Abbas a parlé, sur un mode obscène, de ce que vivaient les Arabes palestiniens comme d’un « holocauste ». Il a repris ce qu’on a trouvé, des décennies durant, dans toutes les déclarations d’Arafat. Il a déclaré, depuis, que l’Autorité Palestinienne serait au côté du Hamas si Israël s’en prenait aux terroristes retranchés à Gaza. Qu’ajouter de plus ?
Dans un entretien accordé à Wolf Blitzer, diffusé dimanche dernier sur CNN, George Bush vient de redire explicitement qu’il n’attend aucun résultat précis d’Annapolis. Il a réitéré son souhait de voir émerger un Etat palestinien libre, démocratique et à même de vivre en paix avec Israël. Il a réaffirmé clairement qu’il défendrait la sécurité d’Israël et qu’il reconnaissait la légitimité de la volonté d’Israël de lutter contre le terrorisme. Bush n’est pas sur la ligne de Condi Rice et du Département d’Etat. Il demande clairement, et sans circonlocutions, aux « dirigeants palestiniens » de montrer qu’ils peuvent être des partenaires, qu’ils peuvent se plier aux règles du droit et de la démocratie et qu’ils peuvent renoncer totalement au terrorisme. Je pense qu’ils ne montreront rien du tout et qu’ils ne se plieront à rien. Le serpent change de peau, disait un dissident russe que je cite quelquefois, mais il n’en reste pas moins un serpent.
Si Israël avait des dirigeants dignes de leurs prédécesseurs, ces dirigeants n’auraient pas signé le texte d’Annapolis. Ils ne cèderaient rien, et resteraient fermement campés sur leurs principes. Je remarque, avec une infinie tristesse, qu’Israël a, actuellement, des dirigeants qui ont failli à leur mission. Je souhaite, comme une grande majorité des Israéliens, depuis des mois, que la page Olmert soit tournée. Cela devient extrêmement urgent. Cela n’a jamais été aussi urgent.
Il est des engrenages dans lesquels il ne faut pas mettre le doigt, disais-je. Olmert a mis le doigt dans l’engrenage. Si ce comportement suicidaire ne concernait que lui, cela le regarderait : chacun fait ce qu’il veut de sa vie. Mais Olmert, en ayant mis le doigt dans l’engrenage, engage toute la société israélienne, et même la région. Quand Israël est faible, les criminels se sentent revigorés et, aussi, les alliés des criminels. Au Liban, la Syrie est en train de reprendre le pays en main. Le Hamas continue à se trouver armé impunément. Ahmadinejad vocifère ses menaces de génocide. Aux Etats-Unis, nombre de gens, à Washington notamment, espèrent que, dans quatorze mois, ce sera l’après Bush, et qu’il sera alors temps d’appliquer une politique plus « conciliante » vis-à-vis du monde arabe et de l’Iran. Condi Rice et le Département d’Etat ne sont pas parvenus à leurs fins, mais ils ne désespèrent pas de l’engrenage mis en route. En Europe, on espère qu’une attitude américaine plus « conciliante » et plus « islamo-compatible », après Bush, permettra un rapprochement américano-européen, dont, à l’évidence, Israël ferait les frais. Une forme de compte à rebours aux implications multiples semble enclenché. Il faut un gouvernement israélien à la hauteur de ses responsabilités, très vite, oui. Je le dis au nom de l’amitié profonde que j’ai pour Israël et pour son peuple.
Par Guy Millière
Milliere Guy - mercredi 05 décembre 2007
sarkozyJ’espère encore me tromper, mais plus le temps passe, et plus je me demande si Nicolas Sarkozy va être très différent de Jacques Chirac. Sur un plan intérieur, la cause semble entendue. Replâtrages, effets cosmétiques en tout genre sont au nouveau programme. La façon de faire semble éprouvée. On fait voter une loi. On dit qu’on restera ferme à l’attention du grand public. Et puis, on négocie avec les syndicats de façon à rendre d’une main ce qu’on a fait mine de prendre de l’autre. Ceux qui croient qu’avec cette façon de faire, le pays va retrouver une croissance forte et le plein-emploi tout en s’adaptant à l’économie de la connaissance, découvriront assez vite qu’ils s’égarent.
Humainement, Sarkozy est sympathique. Je lui fais même crédit d’être de bonne volonté, mais la sympathie et la bonne volonté ne suffisent pas. S’il demandait à l’Institut Turgot une étude sur l’économie du futur, j’aurais deux ou trois choses à lui expliquer. Je pourrais lui fournir des spécialistes d’une autre clairvoyance que les socialistes usagés et de seconde ou de troisième main dont il s’entoure : Lang, Védrine, Attali. S’ils sont encore cotés, ce n’est pas à l’argus de la clairvoyance planétaire. Il semblerait parfois que pour être un commentateur ou un expert en ce pays, il faut préalablement avoir montré qu’on s’est toujours trompé sur tout.
Ce qui vaut pour la politique intérieure semble déteindre sur la politique étrangère. L’incursion en Libye destinée à obtenir la libération des infirmières bulgares aurait pu sembler n’être qu’un incident de parcours et peser de peu de poids face au changement radical de discours de la diplomatie française concernant l’Iran, l’Irak, Israël et les États-Unis. L’attitude de Nicolas Sarkozy face à Vladimir Poutine avait été, elle aussi, tout à fait respectable.
Mais fallait-il recevoir Hugo Chavez ? Un homme qui embrasse Ahmadinejad et fait glisser son pays vers un système néo-communiste est-il fréquentable ? Surtout lorsqu’on sait que cet homme organise dans toute l’Amérique latine une « internationale bolivarienne » qui tente de déstabiliser le continent entier et de le faire régresser vers les pires impasses de son passé ? Ne serait-il pas plus intelligent et plus conforme à l’éthique de recevoir Alvaro Uribe, Président de Colombie qui, malgré l’activité persistante des narco-terroristes des FARC (amis de Chavez), et les campagnes d’enlèvements, de racket et de déstabilisation, est, lui, en train de redresser son pays ?
Ceux qui parleront d’Ingrid Betancourt devraient se souvenir que celle-ci fait partie des milliers d’otages pris par des gens qu’il faut qualifier de totalitaires sans scrupules, qu’elle s’est elle-même jetée dans la gueule du loup parce qu’elle est imprégnée d’un esprit gauchiste pacifiste et que, quelle que soit la compassion qu’on puisse éprouver pour ses enfants, ce qui est en jeu est bien plus vaste que le comportement d’une femme irresponsable. Un État démocratique, ce devrait être une règle, ne doit jamais traiter avec des totalitaires, et doit seulement les combattre.
La réception de Chavez par Nicolas Sarkozy a précédé de peu une visite officielle en Chine où il s’est agi surtout de vendre des avions et des installations nucléaires en accordant des transferts de technologie dont les conséquences pourraient être lourdes dans le moyen terme. Pour que la vente s’opère dans de « bonnes conditions », les discours tenus ont fait peu de cas de la situation au Tibet, des condamnations à mort innombrables pour délit d’opinion, et surtout du statut de Taïwan. Sans aller jusqu’à affirmer le droit du peuple taïwanais à disposer de lui-même, le Président français aurait pu s’abstenir de dire que la France reconnaît « une seule Chine » de la façon lapidaire et expéditive dont il l’a fait.
Je sais que le contexte français est très difficile, que Chavez compte en France davantage d’admirateurs que de critiques, et que les informations sur la situation réelle en Amérique latine sont édulcorées. Je sais aussi que la Chine fascine, au point que fort peu de gens veulent entendre parler des multiples cauchemars qui gisent derrière le « rêve chinois ». Un retour à la dignité et à la droiture en politique étrangère ne devrait néanmoins pas souffrir trop de dérogations à la règle sinon, ce sont les dérogations et les exceptions qui pourraient sembler devenir la règle.