Milliere Guy - mardi 06 novembre 2007
ecologie
Je me suis gardé jusqu’à présent de critiquer Nicolas Sarkozy et son gouvernement. Bien que je pense que les réformes mises en œuvre soient bien trop lentes, voire parfois proches de la pusillanimité, qu’elles seront insuffisantes pour tirer le pays de l’ornière en laquelle il s’enlise inexorablement, je voulais me dire que dans l’ensemble, cela allait dans la bonne direction.
Je pensais aussi, et je pense toujours, qu’avec la cruche du Poitou, et les bureaucrates rouges, roses et vert sombre tapis dans son ombre, cela aurait été bien pire. Je pensais, et je pense toujours, que les nouvelles orientations de la politique étrangère de la France, permettant de sortir de la honteuse infamie antiaméricaine, quasi antisémite et pro-islamique de ces dernières années, valaient bien qu’on fasse preuve de mansuétude sur d’autres dossiers. Mais il vient un moment où il est difficile de se taire et où le rôle des amis est de dire les périls que peuvent représenter des propensions à l’égarement.
L’accord européen passé à Lisbonne et qui prend la forme d’un « traité modificatif » équivaut à faire revenir par la fenêtre un texte que les électeurs avaient jeté par la porte : la quasi-totalité du projet constitutionnel refusé voici deux ans s’y retrouve, dilué dans un langage encore plus abscons, et présenté sous un nouvel habillage. Je m’y attendais. C’était, d’une certaine manière, inéluctable. Ce n’en est pas moins consternant. Le déficit démocratique et le déficit de droit inhérents à l’Union européenne vont s’en trouver renforcés.
Le fonctionnement pyramidal, absolutiste, rigide, inhérent aux phases précédentes de ce qui s’appelle à juste titre une « construction », se trouve gravé dans le marbre. C’est à Lisbonne, déjà, qu’il avait été question, voici sept ans, de faire de l’Europe, la puissance prédominante de l’économie de la connaissance : celle-ci implique des changements de paradigme qui supposent précisément de briser ce qu’au contraire, ils cherchent sans cesse à renforcer. Personne n’a expliqué aux hiérarques européens pourquoi, sept ans après Lisbonne 2000, l’Europe n’est qu’une puissance très secondaire dans un secteur dont elle prétendait devenir le phare.
Personne ne l’a expliqué à Nicolas Sarkozy qui, sur ce plan, écoute trop des gens qui n’ont cessé de se tromper sur tout, tels que Jacques Attali ou Hubert Védrine. C’est consternant, et cela constitue un très mauvais présage pour l’avenir. Je ferai mettre, sur le site de l’Institut Turgot, des textes éclairants de John Blundell, de l’Institute of Economic Affairs, consacrés à ce sujet.
Le résultat du « Grenelle de l’Environnement », enfin, constitue bien le pire auquel je m’attendais. Certes, on n’y trouve pas des proclamations antinucléaires débiles, des propos ouvertement malthusiens, des éloges crétinisants de la décroissance : c’est là le minimum de la part d’un gouvernement qui n’est pas censé être à la gauche d’Olivier Besancenot. Mais pour le reste ! Le très stérile et très stérilisant principe de précaution se trouve quasiment sacralisé. La phobie maniaque envers les biotechnologies agricoles se trouve cauteleusement flattée. Les producteurs de pesticides se trouvent montrés du doigt comme s’ils étaient des empoisonneurs professionnels.
La « taxe carbone » se trouve pour ainsi dire programmée, sous le prétexte de taxer la « pollution », pas le travail. Des taxes envers les produits importés de pays ne respectant pas certaines normes « écologiques » se trouvent proposées, dans une pure logique protectionniste dont les principales victimes seront des pays pauvres qu’on prétendra ensuite « aider ». Un projet gouvernemental pour les « énergies du futur » sera doté d’un budget confortable : on réunira des chercheurs comme au temps du « plan calcul », et on décrétera qu’ils doivent trouver…
Les industries chimiques sont un secteur économique essentiel. Les biotechnologies sont au cœur de la nouvelle économie. Toute vie « pollue » et, a fortiori, tout travail. Le protectionnisme est toujours désastreux, comme le planisme et le dirigisme. Je baptiserais plutôt l’ensemble « Grenelle du suicide collectif ».
Le suicide sera lent et doux, comme l’euthanasie que proposent certaines cliniques. Il y a même des suicidés heureux et fiers de l’être, je sais. Puisqu’on leur dit que c’est pour la « nature »…
L’oxygène se trouve de l’autre côté de l’Atlantique
Je viens de passer quelques jours aux Etats-Unis. J’y étais pour des raisons de travail. Mon emploi du temps a été très rempli. J’ai dû limiter mon séjour à la ville de New York. Cela n’en a pas moins été, une fois encore, un véritable bain d’oxygène. Certes, le politiquement correct est très largement représenté, mais, à la différence de ce qui se rencontre à Paris, il n’est pas hégémonique, et celui qui ne pense pas « correctement » n’est pas seul de son espèce et n’a pas un sentiment d’isolement, de dissidence et de déréliction.
Certes, dans les librairies, on trouve des livres nauséeux, tels « The Israeli Lobby and U.S. Foreign Policy » (le lobby israélien et la politique étrangère américaine) de John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt. Une expansion, sur près de cinq cent pages, d’un article infâme, paru un plus tôt dans la London Review of Books (la Revue londonienne des livres). Les auteurs y développent que le soutien accordé par les Etats-Unis à Israël ne peut s’expliquer par des raisons « stratégiques ou morales » et repose, « bien évidemment », sur l’action de « forces occultes ».
Certes, il existe, sur les écrans de télévision américains, des reportages très orientés. On y voit des entretiens révoltants avec des abrutis malfaisants, tel Jimmy Carter, auteur de « Peace, not Apartheid » (La Paix, pas l’Apartheid), et, très souvent, les dirigeants du Parti démocrate ; mais, grâce à une simple pression sur sa télécommande, on switche sur Foxnews, pour y regarder les programmes de Sean Hannity ou Bill O’Reilly. En France, on peut recevoir CNN, où Carter et les dirigeants démocrates passent nuit et jour, on peut aussi recevoir Al Jazeera et d’autres chaînes du même genre, mais absolument pas Foxnews.
La presse américaine inclut, naturellement, son lot de journaux et de magazines de gauche ou très à gauche : il en existe tout un éventail, qui va du New York Times à The Nation, en passant par Newsweek. Mais ils ne constituent pas, loin s’en faut, le seul recours pour qui veut s’informer : on peut aussi acheter, dans les kiosks, le Washington Times, le Weekly Standard, la National Review ou le remarquable magazine Commentary, dirigé si longtemps par Norman Podhoretz, que je tiens pour l’un des grands penseurs de ce temps. Quiconque vit en France et ne lit que le français se trouve confronté à une forme d’asphyxie de l’intelligence. Quiconque lit l’anglais est contraint de souscrire à des abonnements internationaux ou à passer du temps, chaque jour, à chercher de quoi alimenter ses réflexions, en utilisant cet outil de liberté que les frontières ne peuvent arrêter : Internet. Mais évoluer dans une société où les lecteurs d’une presse vraiment pluraliste se comptent par millions n’est pas du tout pareil, intellectuellement et au sens des libertés, que se trouver dans un pays où ils se comptent sur les doigts des deux mains.
On me dira, bien sûr, que la France est en train de changer. Ce qui est exact est que la politique étrangère française est devenue moins malsaine depuis que Nicolas Sarkozy est Président et que Bernard Kouchner est aux Affaires Etrangères, et il y a là, effectivement, de quoi se réjouir. On peut discerner aussi chez les nouveaux dirigeants du pays une volonté de redresser une situation intérieure gravement compromise sur divers plans. On doit, néanmoins, si on veut rester lucide, faire preuve de scepticisme. Il est fort loin d’être certain que l’ensemble des dirigeants politiques au pouvoir discernent pleinement les enjeux géopolitiques et stratégiques auxquels nous sommes confrontés. Les médias, en leur écrasante majorité, font preuve, vis-à-vis des nouveaux dirigeants, d’une hostilité pratiquement avouée, et les vieux réflexes anti-américains, anti-israéliens, anti-occidentaux, marxisants, sont prompts à refaire surface à chaque occasion. Le traitement infligé à des ministres proches de Sarkozy, telle Rachida Dati, me semble souvent frôler le racisme ou la vindicte envers une fille de l’immigration, qui aurait « mal » choisi son camp, et qui aurait l’impudence de vouloir réformer un appareil judiciaire longtemps abandonné aux dérives les plus diverses. Et puis la France est en Europe, et l’Europe ne va, elle-même, pas très bien. Et Nicolas Sarkozy a contribué à renforcer les dérives absolutistes de l’Europe en « débloquant » le projet constitutionnel rejeté voici deux ans par les électeurs français et néerlandais.
Il y aura, même si on lui donne un autre nom, un ministre des Affaires Etrangères européen, et celui-ci reflétera l’état spirituel et mental dans lequel se trouve toute l’Europe aujourd’hui. Des livres existent, aux Etats-Unis, qui décrivent cet état, le dernier en date étant « The Last Days of Europe » (les derniers jours de l’Europe), de Walter Laqueur, auteur déjà de nombreux ouvrages d’une immense lucidité. Ces livres n’ont pas d’équivalents européens. En Europe, on glisse vers l’agonie, mais nul ne semble vouloir en parler. Nul ne semble autorisé à en parler. Cela fait partie des sujets tabous. Il en est d’autres : on évoque beaucoup la Résistance au nazisme en France, beaucoup moins la collaboration. Nul ou presque n’a dit que le jeune Guy Môquet, dont il a été beaucoup question récemment, a été arrêté pour propagande communiste en un temps où le parti communiste français campait sur une ligne collaborationniste, qu’il n’a abandonnée qu’au moment de la rupture du pacte germano-soviétique. On reconstruit le passé, et cela se fait aussi en Allemagne, où la dérive en vogue est que le peuple allemand a été la principale victime du nazisme.
L’une des raisons pour lesquelles mon dernier livre publié, Houdna [1], n’est paru que deux ans après sa rédaction est que j’y rappelle la vérité sur l’histoire d’Israël et du Proche-Orient. Or, quand bien même on serait prêt, en France, à faire preuve de davantage de mansuétude envers Israël, on n’ira pas jusqu’à remettre en cause la vision officielle arabe du monde, qui fait du « conflit israélo-palestinien » le problème essentiel, grâce à la résolution duquel, tout le reste redeviendra le paradis terrestre. Dire la vérité sur le nationalisme arabe et sur l’islamisme est désormais presque impossible. Reparler du mufti de Jérusalem, arrêté dans les décombres du nazisme, prisonnier en France, et exfiltré grâce à un vrai faux passeport aux fins de reprendre ses activités antijuives est très malséant…
L’autre raison pour laquelle Houdna paraît si tard est que j’y parle de l’antisémitisme ancré dans la culture française, jusque chez Alphonse Daudet. Et il semble que cela ne se fait pas. Houdna ne sera donc pas disponible en librairie : il y a, en France, aujourd’hui, deux catégories de livres qui ne peuvent être en devanture : les livres pornographiques et les livres comme Houdna. Ecrire des livres pornographiques reste une activité plus lucrative et plus honorable. Houdna a été publié par un éditeur américain dont le siège social est dans le Delaware. L’éditeur lui-même est de New York. Ce n’est pas seulement physiquement et mentalement que New York m’apporte de l’oxygène.
En des temps qu’on pourrait penser révolus, des livres qu’on ne pouvait éditer en France étaient édités aux Pays-Bas ou en Suisse et rentraient sous le manteau. Nous n’en sommes pas tout à fait là. Mais il faut parfois un éditeur venu de la libre Amérique pour que des livres en langue française pas très « politiquement corrects » existent. Cela en dit long sur la situation présente. Cela explique mon scepticisme.
Celui-ci ne me fait pas renoncer à me battre pour la liberté d’agir et de penser, pour les droits de la personne humaine et pour la compréhension des enjeux auxquels nous sommes confrontés. Mais ne pas renoncer à se battre n’empêche pas d’ouvrir les yeux. Le sous-titre du livre de Walter Laqueur (sur lequel je reviendrai longuement) est : « Epitaphe pour un vieux continent ». Laqueur pense que nous en sommes au moment de graver l’inscription funéraire. Pour tenter de retarder ce moment, pour garder des forces, il me faut, souvent, de plus en plus souvent, l’oxygène que je trouve de l’autre côté de l’Atlantique.
Guy Millière Pour Metula News Agency le 06 novembre 2007
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