Transports, universités, fonctionnaires …
A lire, dans Libération de mercredi, le coup de gueule du sociologue Gérard Mermet contre “le pouvoir de nuisance de quelques-uns” qui “met en péril notre avenir commun” …
Pour leur propre dignité, pour l’avenir de leurs enfants et du pays, ils ne doivent pas laisser le monopole de l’expression à ceux qui refusent l’adaptation.
Appel aux citoyens inquiets et en colère
Gérard Mermet sociologue.
Libération
Le 14 novembre 2007
Sous divers prétextes, les bénéficiaires des régimes spéciaux défendent le maintien de ce que l’on doit appeler, en toute objectivité, des privilèges. A tous ceux qui s’efforcent de regarder la société sans prisme idéologique ou politique, mais en se réclamant du bon sens, de l’équité, de la solidarité, de la responsabilité, leur attitude paraît irresponsable, voire indécente.
Rappels.
Les bénéficiaires des cent vingt-huit régimes concernés partent à la retraite bien avant ceux du régime général. Exemples : 50 ans pour les agents de conduite SNCF ou RATP ; 53 ans pour les sénateurs, 55 pour les députés, qui auraient dû montrer l’exemple. La durée moyenne de leur retraite est pour beaucoup supérieure à celle de leur vie active, et ils percevront ainsi plus de pensions qu’ils n’ont reçu de salaires !
Le montant de leur retraite est calculé sur les six derniers mois de salaire (comme pour les fonctionnaires, qui bénéficient encore à ce titre d’un régime spécial), soit un écart considérable par rapport aux vingt-cinq années du régime général. Leur taux de cotisation est en outre souvent inférieur (7,8 % contre 10 à 11 %). La plupart bénéficient par ailleurs d’un autre privilège important : la garantie de l’emploi. Dans l’immense majorité des cas, l’existence de ces «exceptions» n’est plus justifiée par une pénibilité particulière du travail.
Le coût de ces régimes (qui concernent 1,2 million de retraités pour seulement 560 000 actifs) représente 15 milliards d’euros pour 2007, dont la moitié payée par la collectivité. La France est le seul pays développé au monde où demeurent de telles inégalités. La réforme de ces régimes est souhaitée par 82 % des Français (sondage Metro-Ifop, 11 octobre 2007), y compris par une majorité des agents de la fonction publique. On estime à 300 milliards d’euros les engagements de retraite des sept principaux régimes spéciaux au cours des six prochaines décennies : une charge injuste et insupportable pour les générations futures.
Un constat semblable peut être fait pour les autres réformes jugées nécessaires par la grande majorité des experts : université, recherche, fonction publique, système de santé, droit du travail, justice, dialogue social… Réalisées dans les autres pays depuis des années, elles sont chez nous sans cesse bloquées par des minorités fortement politisées, incapables d’appréhender la réalité du monde et la nécessité de s’y adapter (ce qui n’interdit pas de chercher à l’améliorer).
La réforme des régimes spéciaux était a priori la plus «facile» et consensuelle, d’autant qu’elle a été comme d’habitude proposée aux intéressés avec des aménagements et un étalement dans le temps. Un recul du gouvernement rendrait donc presque impossible la mise en œuvre des réformes plus «difficiles». Il démontrerait une fois encore que des individus et organisations se réclamant des principes d’égalité et de solidarité défendent en réalité des corporatismes, des égoïsmes, des privilèges injustifiables ou un statu quo insupportable. Comme en 1995, ils peuvent (souhaitent peut-être, pour certains) paralyser le pays et l’enfoncer un peu plus dans la crise économique et morale. Cette attitude est irresponsable et dangereuse. De plus, la conjoncture économique actuelle ne permet pas de différer plus longtemps les réformes, sous peine d’un nouveau décrochage national, avec de graves conséquences sur le pouvoir d’achat, la cohésion sociale, la place de la France dans le monde.
Rappelons enfin que les grèves occasionnent une gêne considérable pour les particuliers, coûtent très cher à la collectivité (150 millions d’euros pour celle du 18 octobre dans les transports pour la seule région Ile-de-France), affectent la compétitivité déjà réduite de la France, son attractivité et son image à l’extérieur, donc son avenir.
Face à cette situation, les citoyens inquiets et en colère ne peuvent rester silencieux. Pour leur propre dignité, pour l’avenir de leurs enfants et du pays, ils ne doivent pas laisser le monopole de l’expression à ceux qui refusent l’adaptation. Nous ne pouvons accepter que le pouvoir de nuisance de quelques-uns mette en péril notre avenir commun.
Protection sociale: Quand méfiance n’est pas mère de sûreté (French-style welfare: Like foxes guarding the henhouse)
C’est son mode de fonctionnement spécifiquement français, fondé sur une logique corporatiste et peu transparente, qui désolidarise et conduit, en fin de compte, à un manque plutôt qu’à un excès de sécurité sociale. (…) Une protection sociale efficace, fondée sur des règles transparentes et équitables, peut entretenir le civisme et la confiance, comme l’illustrent les pays du nord de l’Europe. Yann Algan et Pierre Cahuc Corporatisme, étatisme, opacité, inéquité, incivisme, défiance …
A la veille d’une nouvelle semaine où, avec l’aide des “jeunes professionnels de l’agit-prop”, la fraction la plus privilégiée de nos 8% de syndiqués s’apprête à prendre à nouveau un pays entier en otage …
Retour sur le récent ouvrage de deux économistes qui montre que, contrairement à celui du nord de l’Europe, le fameux modèle français de protection sociale dont nous sommes si fiers “désolidarise et conduit, en fin de compte, à un manque plutôt qu’à un excès de sécurité sociale”.
Après la Seconde Guerre mondiale, le modèle social français s’est construit sur des bases corporatiste et étatiste. Le corporatisme, qui consiste à octroyer des droits sociaux associés au statut et à la profession de chacun, segmente la société, opacifie les relations sociales, favorise la recherche de rentes, entretient la suspicion mutuelle et mine les mécanismes de solidarité. Il conduit à un éclatement des régimes de retraite, de santé, de sécurisation des parcours professionnels, qui empêche la mise en place d’une Sécurité sociale transparente et efficace. L’étatisme, qui consiste à réglementer l’ensemble des domaines de la société civile dans leurs moindres détails, vide le dialogue social de son contenu, entrave la concurrence et favorise la corruption. Le mélange de corporatisme et d’étatisme est au coeur du cercle vicieux de la défiance actuelle et des dysfonctionnements du modèle social.
PROTECTION SOCIALE
Le modèle social français entretient la défiance
Yann Algan et Pierre Cahuc
Les Echos
25/09/07
La Sécurité sociale fabrique-t-elle de la solidarité… ou la détruit-elle ? Dans une chronique publiée dans « Les Echos » du 18 septembre 2007, intitulée « Pour une protection sociale durable », François Ewald affirme que « certains, comme Yann Algan et Pierre Cahuc, en viennent à soutenir que, loin de produire plus de solidarité et de confiance, la Sécurité sociale est au principe d’une société de défiance. En d’autres mots, la Sécurité sociale désolidarise. Elle engendre une sorte d’individualisme méfiant et jaloux. » Nous remercions François Ewald de faire référence à notre ouvrage, « La Société de défiance - Comment le modèle social français s’autodétruit », à paraître aux Editions de la rue d’Ulm le 8 octobre. Néanmoins, loin de suggérer que la Sécurité sociale désolidarise en soi, nous montrons que c’est son mode de fonctionnement spécifiquement français, fondé sur une logique corporatiste et peu transparente, qui désolidarise et conduit, en fin de compte, à un manque plutôt qu’à un excès de sécurité sociale. Nous soutenons aussi que le modèle social des pays scandinaves, fondé sur des règles transparentes et égalitaires, explique une grande partie de la confiance mutuelle des citoyens de ces pays.
En effet, depuis plus de vingt ans, des enquêtes menées dans tous les pays développés montrent que les Français, plus souvent que les habitants des autres pays, se méfient de leurs concitoyens, des pouvoirs publics et du marché. Cette défiance va de pair avec un incivisme plus fréquent. Ce sont dans les pays scandinaves, dont les systèmes de protection sociale sont les plus généreux, que les citoyens sont les moins méfiants et les plus civiques. Or, en France, défiance mutuelle et incivisme persistent depuis plusieurs décennies. Grâce à une étude détaillée de l’évolution des attitudes sociales sur la longue période, nous constatons que le civisme et la confiance mutuelle des Français se sont dégradés après la Seconde Guerre mondiale. Nous montrons que cette dégradation est intimement liée au fonctionnement de leur Etat et de leur modèle social. Après la Seconde Guerre mondiale, le modèle social français s’est construit sur des bases corporatiste et étatiste. Le corporatisme, qui consiste à octroyer des droits sociaux associés au statut et à la profession de chacun, segmente la société, opacifie les relations sociales, favorise la recherche de rentes, entretient la suspicion mutuelle et mine les mécanismes de solidarité. Il conduit à un éclatement des régimes de retraite, de santé, de sécurisation des parcours professionnels, qui empêche la mise en place d’une Sécurité sociale transparente et efficace. L’étatisme, qui consiste à réglementer l’ensemble des domaines de la société civile dans leurs moindres détails, vide le dialogue social de son contenu, entrave la concurrence et favorise la corruption. Le mélange de corporatisme et d’étatisme est au coeur du cercle vicieux de la défiance actuelle et des dysfonctionnements du modèle social.
La faiblesse du dialogue social rend nécessaire l’intervention de l’Etat. Mais selon une logique dirigiste et corporatiste, l’intervention de l’Etat français aboutit généralement à accorder des avantages particuliers aux groupes qui en font la demande, souvent au détriment du dialogue social, du respect des règles de la concurrence et de la transparence. Ce type d’intervention entretient la défiance mutuelle et favorise, en retour, l’expansion du corporatisme et de l’étatisme. C’est cette spirale de la défiance qui rend si difficile l’évolution du modèle social français vers un système socio-démocrate que nous envions tant aux Scandinaves et qui assure une protection sociale efficace.
Ainsi, loin d’affirmer que la protection sociale mine la solidarité, comme semble l’avoir compris François Ewald, nous montrons au contraire qu’une protection sociale efficace, fondée sur des règles transparentes et équitables, peut entretenir le civisme et la confiance, comme l’illustrent les pays du nord de l’Europe. C’est bien parce que notre modèle social est corporatiste, opaque et inéquitable qu’il entretient l’incivisme et la défiance.
YANN ALGAN est professeur à l’Université Paris-Est et à l’Ecole d’économie de Paris. PIERRE CAHUC est professeur à l’Ecole Polytechnique et chercheur au CREST-Insee.
Réforme des régimes spéciaux: Et les parlementaires? (French economists uncover new link between taxation and representation)
Plus les représentants sont nombreux, plus ils votent de lois, interférent avec le fonctionnement des marchés, multiplient les réglementations et les opportunités de trafic d’influence et de corruption. Emmanuelle Auriol et Robert Gary-Bobo
Une fois et demie de plus de parlementaires que les Etats-Unis pour le cinquième de la population (898 contre 535 pour 63 millions contre 300 - soit 1/70 000 contre 1/560 000), dont trois fois et demie de plus de sénateurs (346 contre 100 - mais qui ont quand même par ailleurs 9 ambassadeurs de plus: 166 contre 157!) …
Mais une fois et demie de moins que le Royaume-Uni (1377 pour 60 millions: 646 pour les Communes et 731 pour les Lords) soit 1/43 000 …
A l’heure où la polémique est lancée sur la toute récente augmentation, en pleine réforme des régimes spéciaux, du salaire présidentiel (140% suite apparemment à une réévaluation par rapport à celui du premier ministre et une refonte des pensions et retraites présidentielles, mais restant encore inférieur à ceux de nombre de ses homologues étrangers, notamment allemand, irlandais, américain et britannique) …
Et où, réforme desdits régimes spéciaux oblige, une nouvelle prise d’otages des usagers des transports publics est annoncée pour le 13 novembre prochain …
Intéressant article de deux économètres de Télos sur les “frais de représentation” de la France.
Notamment le surnombre de nos parlementaires (dont les propres régimes très spéciaux sont justement étrangement absents des discussions en cours?).
Et surtout les coûts sociaux directs et indirects que cela implique: multiplication de la réglementation économique, d’ingérence de la puissance publique dans le fonctionnement des marchés et possibilités de trafic d’influence et de corruption.
Faisant apparaître une disparité entre d’un côté un groupe de pays (plutôt “latins”) sur-représentés (France, Italie et Espagne), mis à part l’exception britannique (pour le calcul de laquelle ils excluent, on ne sait pourquoi, les Lords ?).
Et à l’autre extrémité, un groupe de pays plutôt du nord et plutôt sous-représentés (Autriche, Australie, Belgique, Danemark, Norvège et surtout Israël, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas et Etats-Unis).
Avec entre les deux un groupe de pays qu’ils qualifient d’optimalement représentés (soit à peu près proportionnel à la racine carrée de sa population): Canada, Allemagne, Finlande, Inde, Japon, Portugal, Russie et Suède.
Mais frustrant article qui, mis à part l’impasse sur les Lords, nous indique le coût moyen d’un parlementaire américain (8 millions de dollars, soit 210 fois le PNB par tête contre la moitié pour leurs homologues australiens, qui n’ont certes pas la chance de voter leurs propres salaires et augmentations), omet de nous donner les chiffres français.
Et … finit, on ne sait trop pourquoi, par prôner l’abolition du Sénat (dont le nombre de membres s’approcherait de celui de parlementaires excédentaires, 350 pour un total optimal de 545)?
Un parlementaire sur deux de trop en France ?
Emmanuelle Auriol et Robert Gary-Bobo
Telos
11 Oct 2007
Dans le monde contemporain, le recours à la démocratie directe est relativement rare. La plupart des décisions publiques sont prises par un nombre restreint d’individus : les représentants. La question de leur nombre est cruciale. Peut-on concevoir des institutions avec un nombre optimal de parlementaires ?
Ce problème a été discuté il y a déjà longtemps. Par exemple, un des pères fondateurs de la Constitution américaine, James Madison, écrit dans un passage fameux des Federalist papers : « However small the Republic may be, the Representatives must be raised to a certain number, in order to guard against the cabals of a few ; and however large it may be, they must be divided to certain number, in order to guard against the confusion of a multitude. » (Federalist paper n°10).
Dans un article récent, nous établissons une « formule » qui permet de calculer le nombre optimal de représentants en fonction de la taille de la population et d’autres variables. Nous étudions comment cette formule s’ajuste aux données concernant les populations et les parlements sur un échantillon de plus de 100 pays. Encouragés par le fait que la théorie fournit un ajustement de bonne qualité, nous nous penchons ensuite sur les « points aberrants », c’est-à-dire les pays pour lesquels notre formule rend mal compte de la réalité. Nous avons ainsi pu montrer que l’excès de représentants, au sens de notre formule, est corrélé avec plus de réglementation économique, plus d’ingérence de la puissance publique dans le fonctionnement des marchés, et plus de corruption.
Un Parlement possédant trop peu de représentants n’est pas assez démocratique. Il conduit à un système politique potentiellement instable dans lequel des formes d’expression indésirables ou violentes risquent de se développer. Mais un excès de représentation engendre des coûts sociaux directs et indirects importants. Plus les représentants sont nombreux, plus ils votent de lois, interférent avec le fonctionnement des marchés, multiplient les réglementations et les opportunités de trafic d’influence et de corruption.
Notre théorie est essentiellement statistique. Les représentants du peuple, réunis au Parlement, sont vus comme un échantillon de la population, dotée de préférences potentiellement contradictoires. Ils forment une image réduite de la société dont la fonction essentielle est de se prononcer en lieu et place du peuple sur les décisions publiques. Cet échantillon se doit d’être représentatif si on veut éviter des erreurs dans l’appréciation des préférences de la population relativement aux projets publics. Simultanément, chaque représentant engendre des coûts directs et d’opportunité. Le nombre optimal de représentants devrait donc être tel que la valeur sociale d’un siège supplémentaire au Parlement, qui découle de la réduction des erreurs faites dans l’estimation des préférences inconnues des citoyens, est égale au coût social de ce siège supplémentaire.
Le calcul est compliqué par le fait qu’il faut s’assurer que les représentants ne manipulent pas leurs préférences à des fins stratégiques. En effet, nous ne supposons pas que les élus soient bienveillants. Sous ces hypothèses, le nombre optimal de représentants d’un pays est proportionnel à la racine carrée de sa population. Le facteur de proportionnalité décroît lorsque les coûts de représentation augmentent, et croît lorsque la dispersion (l’hétérogénéité) des préférences augmente.
A ce stade, il est bon de souligner que notre « théorie de la racine carrée » n’a pas de rapport avec la loi de Penrose de la représentation équitable, défendue par la Pologne et la Suède, au moment des débats concernant le traité de Nice et la constitution européenne. Cette « loi de Penrose » est une manière de résoudre la question du poids d’un pays dans une institution multinationale comme par exemple le Conseil des ministres de l’Union Européenne. Notre théorie donne tout simplement le nombre total de sièges d’une institution représentative nationale, en fonction de la population du pays.
Pour apprécier la validité de notre théorie, nous avons réalisé un certain nombre de tests à l’aide d’un échantillon de 111 pays pour l’année 1995. La formule qui s’ajuste le mieux aux données mondiales est celle où le nombre total de sièges au Parlement est proportionnel à la population du pays élevée à la puissance 0,4. Nous obtenons que le meilleur ajustement n’est donc pas la racine carrée, qui revient à élever la population à la puissance 0,5, mais une puissance un peu plus faible. La courbe ne s’ajuste pas exactement aux données du monde réel parce qu’il y a d’autres facteurs, qui affectent la proportionnalité entre le nombre de représentants et la racine carrée de la population, et qui ne sont pas observés par l’économètre. Cela dit, les différents tests de robustesse menés suggèrent que la précision de nos résultats est tout à fait satisfaisante.
Nous avons donc trouvé que le nombre de sièges au Parlement est donné par une courbe croissante, concave, « en forme de banane », et qui varie en fonction de la taille de la population. Si on prend le modèle N0,4 au sérieux, on trouve des pays de part et d’autre de cette courbe estimée, soit au dessus, soit en dessous, mais en général à faible distance de cette dernière. Ces pays sont en accord avec la théorie qui ne doit pas être prise au pied de la lettre. L’écart existant entre le nombre prédit et la réalité n’est pas suffisamment grand pour être significatif. En revanche il existe d’autres cas qui constituent des points aberrants. Ce sont des pays dont le nombre de représentants nationaux est anormalement bas, ou au contraire, anormalement élevé par rapport à la prédiction. On distingue ainsi 5 groupes.
Premièrement, les pays qui ont un nombre anormalement élevé de représentants : la France, l’Italie et l’Espagne. Avec 898 sièges dans l’ensemble regroupant Assemblée Nationale et Sénat (en 1995), la France a plus de représentants que les Etats-Unis (en additionnant ici encore le Sénat et la Chambre des Représentants) ! D’après nos calculs le nombre optimal de représentants français est 545 ; il y aurait donc 350 représentants de trop : c’est à peine plus que la taille du Sénat (qui devrait compter 346 membres en 2010). Cela donne un relief particulier à la loi de juillet 2003 qui a accru le nombre des sénateurs. Par ailleurs, le nombre optimal pour l’Italie est 570, mais nos voisins ont en fait 945 représentants.
En deuxième lieu, on trouve un groupe de pays avec un peu trop de sièges au Parlement. Ce deuxième groupe comprend la Grèce, la Suisse, l’Irlande et le Royaume-Uni (mais à condition de ne pas compter les Lords dans le cas de ce dernier pays, sinon on trouverait qu’Albion est un point aberrant). Au centre, il y a le groupe des bons élèves, qui sont très près de la courbe en banane ; ce groupe comprend certains des « poids lourds » mondiaux : Canada, Allemagne, Finlande, Inde, Japon, Portugal, Russie et Suède.
Ensuite, nous trouvons le groupe des pays qui ont trop peu de représentants : Autriche, Australie, Belgique, Danemark et Norvège. Nous laissons au lecteur le soin d’apprécier si ces pays ont autre chose en commun. Enfin, il existe un groupe où la représentation nationale est anormalement basse : Israël, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas et enfin et surtout, les Etats-Unis.
Les nations de ce dernier groupe ont un taux de représentation qui est d’environ 65% de leur taux optimal. Les Etats-Unis ont 535 représentants et sénateurs, alors que notre modèle prédit qu’ils devraient en avoir un total de 807. On ne peut guère jouer sur le nombre de sénateurs à moins de remettre en cause le principe d’égalité de représentation des petits et grands états. Il faudrait donc augmenter substantiellement la taille de la chambre des représentants.
Puisque certains pays semblent avoir trop, et d’autre pas assez, de représentants, il est légitime de se demander quelles sont les conséquences d’un nombre inadéquat de parlementaires (c’est-à-dire un nombre qui s’écarte de manière significative de la norme mondiale N0,4 que nous avons mise en lumière) ? Notre étude montre que l’excès de représentants dans un pays est significativement corrélé avec une mesure des coûts directs pour établir une nouvelle entreprise, avec plus d’intervention étatique (avec un indice mesurant en quoi l’intervention publique freine le développement économique), et avec une plus grande perception de la corruption (mesurée par l’indice de corruption de Transparency International).
Nous ne connaissons pas de théorie qui pourrait expliquer ces différentes corrélations. Cependant nous suggérons un simple impact mécanique de la quantité des élus. Plus ils sont nombreux, plus ils travaillent, et plus leur production de normes est importante. Ces nouvelles règles tendent à créer des interférences, pas toujours heureuses ni cohérentes, avec le fonctionnement des marchés. En particulier ces règles peuvent être motivées par le désir de servir les intérêts de divers groupes de pression, en général en atténuant pour ces groupes la rigueur de la concurrence. Mais du même coup, ces règles créent diverses tentations et occasions pour des activités d’influence, de favoritisme, voire de pots-de-vin.
Au delà de ces coûts indirects, il y a le problème du financement des assemblées et de leur coût direct que l’on ne peut négliger. La représentation nationale coûte très cher aux citoyens-contribuables ; son caractère sacré n’interdit pas de réfléchir à « l’économie des parlements ».
Un représentant des Etats-Unis coûte ainsi en moyenne 8 millions de dollars en 2006, soit 210 fois le PNB américain par tête. En Australie, en comparaison, le représentant fédéral coûte 100 fois le PNB par tête Australien. Cette différence du simple au double s’explique sans doute par le fait qu’en Australie, les salaires des députés sont fixés par une juridiction indépendante, alors que les élus américains votent leurs propres salaires et augmentations.
Peut-on tirer de ces diverses considérations des conclusions relatives aux institutions politiques françaises ? En particulier, en admettant qu’on veuille réduire de 350 le nombre de nos parlementaires, il est possible d’envisager une réduction, proportionnelle ou non, de la taille des deux chambres. Il est aussi possible de conclure que l’excédent de représentants français mis en évidence par notre étude pourrait être résorbé en supprimant tout simplement le Sénat. Les ennemis et les projets de réforme de la seconde chambre qui se sont succédé au cours du temps, sont en effet nombreux. Ainsi Victor Hugo a-t-il écrit en 1848 : « Défense de déposer un Sénat le long de la Constitution !», pour finalement devenir sénateur en 1876. Georges Clemenceau était dans son jeune temps un farouche adversaire du Sénat, ce qui lui a sans doute coûté de n’arriver au pouvoir qu’après l’âge de 65 ans. Le président de la République de l’époque, Jules Grévy, ne voulait pas de lui comme chef du gouvernement : « je n’irai pas à Clemenceau » a-t-il dit « il a un programme impossible : impôt progressif sur le revenu, séparation de l’Eglise et de l’Etat, pas de Sénat ! ». L’histoire a donné raison au « tombeur de ministères », de son vivant, sur les deux premiers points, pas sur le troisième. Et en 1902, Clemenceau a lui aussi été élu sénateur ! En 1969, le général de Gaulle a mis fin à sa carrière après l’échec d’un référendum proposant une réforme du Sénat.
Les ennemis et les projets de réforme de la seconde chambre sont toujours bien vivants. Notre étude du nombre optimal de représentants d’un pays démocratique, vient à l’appui, sinon d’une suppression pure et simple du Sénat français, au moins d’une réforme en profondeur. Quelle que soit la solution adoptée, il est probable qu’une réforme aussi importante du nombre et de la distribution des sièges entre les assemblées ne puisse se faire que par referendum, avec tous les risques politiques que cela comporte.
Voir aussi:
Les régimes très spéciaux des députés
Cyriel Martin
Le Point
26/10/2007
“L’oubli” a vite été réparé. Les retraites des députés, qui ne sont pas concernées par la réforme des régimes spéciaux, seront, elles aussi, modifiées. Ce sera la troisième fois depuis leur création en 1904.
Le régime en vigueur depuis 2003
La réforme menée par François Fillon, alors ministre des Affaires sociales dans le gouvernement Raffarin, traite des régimes généraux. Seule modification pour les députés, leurs retraites s’alignent en partie sur le régime général. Les années de cotisations requises passent de 37,5 à 40 ; l’âge de départ à la retraite passe, lui, de 55 à 60 ans.
Mais les plus grandes particularités du régime demeurent. La fonction de député étant par nature temporaire, chaque année cotisée par un député équivaut à deux années du régime normal (ce qui leur coûte environ 1200 euros par mois, pour une indemnité de près de 7000 euros). En d’autres termes, au bout d’une législature (5 ans), un député a cotisé deux fois plus qu’un salarié du privé, et peut prétendre à 1 500 euros de retraite mensuelle.
Les privilégiés de la République ?
1 500 euros après une législature, le double pour deux mandats, 4 500 au bout de quinze ans… Les députés cotisent ainsi doublement pendant quinze ans, puis 1,5 fois pendant cinq ans, et acquittent une cotisation simple les 2,5 années suivantes. En théorie, la pension d’un député atteint donc son plafond au bout de vingt-deux ans et demi. Encore faut-il être élu aussi longtemps. Statistiquement, un député garde son siège sept ans et touche donc une pension moyenne de 2 400 euros brut par mois. Ils ne sont que 5 % à toucher une retraite à taux plein.
Plus problématique, en revanche, la possibilité de cumuler cette pension avec une autre caisse de retraite. Avant d’être élus, en effet, les députés exercent un autre métier. Qu’ils soient fonctionnaires ou salariés du privé, ils cotisent donc déjà à une caisse de retraite. Arrivés à 60 ans, ils peuvent donc cumuler les deux pensions.
Les modifications envisagées
Désormais, pour les fonctionnaires, et pour eux seuls, ce “cumul des retraites” sera impossible. Le 25 octobre, l’Assemblée nationale a adopté un amendement interdisant aux députés fonctionnaires de continuer de cotiser à leur régime de retraite d’origine. Cela ne concerne pas les autres professions.
L’autre spécificité menacée est l’impossibilité de partir à la retraite avant 60 ans. En effet, les députés peuvent actuellement faire valoir leurs droits à partir de 55 ans, avec une décote (une pension moins importante). Les trois questeurs de l’Assemblée (seuls habilités à réformer le système des retraites des parlementaires), Richard Mallié (UMP), Philippe Briand (UMP) et Marylise Lebranchu (PS), ainsi que Patrick Devedjian (secrétaire général de l’UMP) se sont exprimés favorablement pour une modification de cette disposition.
Ces propositions seront présentées au bureau de l’Assemblée nationale le 31 octobre.