Montréal, 21 janvier 2007 • No 209 | MOT POUR MOT |
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« Rien à craindre sauf la peur elle-même »
Le directeur du Bureau of the Budget, Lewis W. Douglas, frustré et en colère du fait que Roosevelt abandonne aussi promptement et complètement la plate-forme en vertu de laquelle il avait été élu, démissionna après seulement un an à son poste. En mai 1935, à la Harvard University, Douglas affirma clairement que les États-Unis se trouvaient à la croisée des chemins: « Allons-nous choisir de nous soumettre – ce grand pays – au despotisme de la bureaucratie, qui contrôle nos moindres gestes, détruisant l’égalité que nous avions atteinte, nous réduisant éventuellement au statut d'esclaves appauvris de l’État? Ou allons-nous nous accrocher aux libertés pour lesquelles l’Homme a lutté pendant plus d’un millénaire? Il est important de comprendre l’ampleur du problème qui est devant nous. […] Si nous choisissons de ne pas laisser une bureaucratie tyrannique et oppressive gouverner nos vies, détruire le progrès, diminuer notre niveau de vie […] alors le gouvernement fédéral dans une démocratie ne devrait-il pas limiter ses activités à celles dont une démocratie peut s’occuper adéquatement, c’est-à-dire par exemple la défense nationale, le maintien de la loi et de l’ordre, la protection de la vie et de la propriété, la prévention de la fraude, et […] la préservation du public contre […] les intérêts de groupes particuliers(18)? »
Washington et sa banque centrale imprudente n’avaient déjà fait qu’une bouchée de l’étalon-or au début des années 1930. Son rejet par Roosevelt retira la plupart des entraves restantes à une expansion illimitée de la masse monétaire et du crédit, pour laquelle le pays paierait le prix fort dans les années suivantes sous forme d’une monnaie en dévaluation. Le sénateur Carter Glass l’a bien exprimé lorsqu’il a mis Roosevelt en garde au début de l’année 1933: « C’est un déshonneur, monsieur. Ce grand gouvernement, riche en or, est en train de briser sa promesse de rembourser la veuve et l’orphelin auxquels il a vendu des obligations d’épargne avec l’engagement de s’acquitter de ses dettes avec des pièces d’or à la valeur actuelle. Il brise sa promesse de racheter son papier-monnaie en pièces d’or à la valeur actuelle. C’est un déshonneur, monsieur(22). »
Roosevelt assura le passage de l’Agricultural Adjusment Act, qui imposait une nouvelle taxe aux transformateurs agricoles et utilisait les revenus pour organiser la destruction à grande échelle de récoltes et de bétail. Des agents fédéraux supervisaient le spectacle désolant de champs de coton, de blé et de maïs parfaitement adéquats détruits sous les sabots (on dut convaincre les mules de piétiner les récoltes, on leur avait appris, évidemment, à marcher entre les rangées). Du bétail, des moutons et des cochons en santé furent abattus et enterrés dans des charniers. Henry Wallace, le secrétaire de l’Agriculture, donna personnellement l’ordre d’abattre six millions de porcelets avant qu’ils atteignent une taille adulte. L’administration paya aussi les fermiers pour la première fois afin de ne pas travailler du tout. Même si l’AAA aida les fermiers en restreignant l’offre et en augmentant les prix, il ne put l’accomplir qu’aux dépens de millions d’autres personnes qui durent payer ces prix ou se contenter de manger moins.
Dans son livre The Roosevelt Myth, l’historien John T. Flynn décrit comment les partisans de la NRA conduisaient parfois leurs « affaires »:
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« La première année du New Deal, Roosevelt proposa de dépenser 10 milliards de dollars alors que les revenus se situaient seulement à 3 milliards. Entre 1933 et 1936, les dépenses de l’État augmentèrent de plus de 83%. La dette fédérale monta en flèche de 73%. » | ![]() |
« Une cohue sidérante de moins que rien effrontés »
Des signes de vie
Le National Labor Relations Act de 1935 – mieux connu sous le nom de Wagner Act et de « Magna Carta » des syndicats – avait préparé le terrain pour un effondrement économique. Citons Sennholz encore une fois:
Les syndicats, armés de ces nouveaux pouvoirs étendus, débutèrent une frénésie d’organisation militante. Menaces, boycotts, grèves, occupations d’usines et violence omniprésente poussèrent gravement la productivité à la baisse et le chômage à la hausse. Le nombre de membres des syndicats du pays explosa. En 1941, il y avait deux fois et demie plus d’Américains membres d’un syndicat qu’en 1935. L’historien William E. Leuchtenberg, lui-même peu favorable à la libre entreprise, remarqua: « Les citoyens respectueux de la propriété étaient effrayés par les occupations d’usines, outrés lorsque des grévistes empêchaient la livraison du courrier, contrariés par l’intimidation à l’encontre des personnes non membres d’un syndicat et alarmés par les équipes mobiles de travailleurs qui manifestaient, ou menaçaient de le faire, de ville en ville(35). »
Encore piqué de ses défaites préalables à la Cour suprême, Roosevelt tenta en 1937 d'en prendre le contrôle en proposant que le président puisse nommer un juge supplémentaire pour chaque juge de plus de 70 ans encore en fonction et n’ayant pas pris sa retraite. Si cette proposition avait été adoptée, Roosevelt aurait pu nommer six nouveaux juges favorables à ses opinions, augmentant le nombre de juges à la Cour de 9 à 15. Son plan échoua au Congrès, mais la Cour commença bientôt à approuver ses politiques suite à la retraite de quelques juges qui s’y opposaient. Toutefois, jusqu'à ce que le Congrès fasse échouer le plan de Roosevelt, les craintes du monde des affaires à l’effet qu’une Cour favorable aux objectifs présidentiels appuie davantage le New Deal empêcha le retour des investissements et de la confiance.
Plusieurs historiens modernes ont tendance à être instinctivement anticapitalistes et méfiants envers le libre marché; ils sont impressionnés par la façon, constitutionnelle ou non, dont Roosevelt a utilisé son pouvoir et la trouvent historiquement « intéressante ». Lors de sondages, une majorité d’historiens placent invariablement FDR près de la première place sur le plan de la grandeur présidentielle. Il n’est donc pas surprenant qu’ils rejettent l’idée voulant que le New Deal soit responsable d’avoir prolongé la Grande Dépression. Pourtant, lorsqu’un sondage représentatif à l’échelle nationale effectué par l’American Institute of Public Opinion au printemps 1939 demanda « Pensez-vous que l’attitude de l’administration Roosevelt envers le monde des affaires retarde le redressement de l’économie? », le peuple américain répondit « oui » dans une proportion de plus de deux contre un. Cette proportion fut encore plus importante dans la communauté des affaires(44).
Les États-Unis ont réussi à survivre autant à l’activisme de Hoover qu’au charlatanisme du New Deal de Roosevelt. Désormais, la tradition américaine de liberté attend d’être redécouverte par une nouvelle génération de citoyens. Cette fois-ci nous n’avons rien à craindre sauf les faussetés et les idées reçues. |
16. “FDR’s Disputed Legacy”, p. 24.
17. Sennholz, p. 210.
18. Lewis W. Douglas, The Liberal Tradition: A Free People and a Free Economy, tel que cité dans “Monetary Central Planning and the State, Part XIV: The New Deal and Its Critics”, par Richard M. Ebeling dans Freedom Daily, février 1998, p. 12.
19. Friedman et Schwartz, p. 330.
20. Jim Powell, FDR’s Folly: How Roosevelt and His New Deal Prolonged the Great Depression, New York, Crown Forum, 2003, p. 32.
21. John Morton Blum, From the Morgenthau Diaries: Years of Crisis, 1928-1938, Boston, Houghton Mifflin Company, 1959, p. 70.
22. Anderson, p. 315.
23. “FDR’s Disputed Legacy”, p. 24.
24. Anderson, p. 336.
25. Ibid., p. 332-334.
26. “FDR’s Disputed Legacy”, p. 30.
27. John T. Flynn, The Roosevelt Myth, Garden City (NY), Garden City Publishing, 1949, p. 45.
28. C. David Tompkins, Senator Arthur H. Vandenberg: The Evolution of a Modern Republican, 1884-1945, East Lansing (MI), Michigan State University Press, 1970, p. 157.
29. Ibid., p. 121.
30. Albert J. Nock, “Our Enemy, the State”, Chapitre 1, Section IV (disponible à www.barefootsworld.net/nockets1.html).
31. Martin Morse Wooster, “Bring Back the WPA? It Also Had A Seamy Side”, The Wall Street Journal, 3 septembre 1986, p. A26.
32. Ibid.
33. Johnson, p. 762.
34. Sennholz, p. 212-213.
35. William E. Leuchtenburg, Franklin D. Roosevelt and the New Deal, 1932-1940, New York, Harper and Row, 1963, p. 242.
36. Ibid., p. 183-184.
37. Robert Higgs, “Regime Uncertainty: Why the Great Depression Lasted So Long and Why Prosperity Resumed After the War”, The Independent Review, vol. I, no 4, Printemps 1997, p. 573.
38. Gary Dean Best, The Critical Press and the New Deal: The Press Versus Presidential Power, 1933-1938, Westport (CT), Praeger Publishers, 1993, p. 130.
39. Ibid., p. 136.
40. Burton Folsom, “What’s Wrong With The Progressive Income Tax?”, Viewpoint on Public Issues, no 99-18, 3 mai 1999, Mackinac Center for Public Policy, Midland (MI).
41. Ibid.
42. Higgs, p. 564.

43. Cité dans Herman E. Krooss, Executive Opinion: What Business Leaders Said and Thought on Economic Issues, 1920s-1960s, Garden City (NY), Doubleday, 1970, p. 200.

44. Higgs, p. 577.

45. Blum, p. 24-25.

Crédits des photographies: e) Roosevelt, Library of Congress, Prints and Photographs Division [LC-USZ62-117121 DLC]. f) Roosevelt, Franklin D. Roosevelt Library and Museum. h) Bridge, Library of Congress, Prints and Photographs Division, Historic American Buildings Survey or Historic American Engineering Record, Reproduction Number [HAER, TEX, 42-VOS. V, 4-]. j) Steel Mill, Library of Congress, Prints and Photographs Division, Theodor Horydczak Collection [LC-H814-T-0601 DLC]. k) Supreme Court Building, Library of Congress, Prints & Photographs Division, FSAOWI Collection, [LC-USF34-005615-E DLC]. l) Strikers, Archives of Labor and Urban Affairs, Wayne State University.
Le mythe du New Deal |
Par Florin Aftalion | |
28 janvier 2009 | |
![]() LE FIGARO — Le New Deal a-t-il mis fin à la Grande Dépression des années 1930? Contrairement à un mythe largement répandu, la réponse est non. L’évolution du chômage au cours des années 1930 le prouve. Alors qu’il avait frisé les 25% en 1933, première année de présidence de Franklin D. Roosevelt, il était encore de 15% à la fin de son premier mandat. Puis 1937 connaît une rechute brutale des conditions économiques – une crise dans la crise – le chômage remontant à 19%. En 1940 il est encore supérieur à 10%. Force est donc de constater que la dépression s’est prolongée durant des années malgré, ou à cause pensent aujourd’hui de nombreux économistes, de la politique du New Deal. En annonçant dans l’enthousiasme du congrès démocrate de l’été 1932 son New Deal, le candidat Roosevelt ne savait pas en quoi celui-ci pouvait bien consister. Une fois élu, il chercha des idées auprès de ceux qu’il considérait comme les “meilleurs” experts. Des opinions de ce Brain Trust (l’expression date de cette époque) le nouveau Président tira la conviction, qui avait déjà était celle de son prédécesseur Hoover, que l’Amérique faisait face à un problème de surproduction, lui-même dû à un excès de concurrence. Pour sortir de la crise, il fallait, toujours selon les mêmes experts, que l’Etat force les prix, en particulier ceux des produits agricoles, et les salaires à augmenter. Afin d’atteindre cet objectif, l’industrie fut cartellisée, des prix et des salaires minimum imposés, des récoltes détruites, des millions de bestiaux abattus, des agriculteurs payés à ne rien faire. Dans cette logique absurde, les biens produits aux Etats-Unis devenant, pensait-on, trop chers par rapport à ceux provenant de l’étranger il était nécessaire de les “protéger”. Aussi les hauts tarifs douaniers votés sous Hoover, l’une des causes de l’aggravation de la Grande dépression, au lieu d’être supprimés furent maintenus. En réalité, contrairement aux prévisions, les salaires artificiellement élevés aggravèrent le chômage, les dépenses des ménages diminuèrent et les agriculteurs virent leurs revenus fondre. Les subventions versées généreusement aux “victimes de la crise” et les grands travaux publics (qui avaient déjà été lancés par l’administration Hoover, sans sortir l’Amérique de la crise) grevèrent lourdement le budget de l’Etat: ses dépenses doublèrent. Comme le Président Roosevelt aurait voulu équilibrer ses budgets, des impôts nouveaux furent créés, les anciens alourdis. Au total les charges fiscales furent triplées, le taux marginal sur le revenu passant à 90%. Mais les déficits ne purent être évités tant les dépenses de l’Etat étaient gigantesques. Ils restaient cependant beaucoup trop faibles aux yeux de Keynes qui en critiqua l’insuffisance (Roosevelt, qui le considérait comme un mathématicien et non comme un économiste, ne l’écouta pas). Un mythe dans le mythe consiste à croire que le New Deal fut d’inspiration keynésienne. Nous venons de voir de que cela est inexact. La politique de Roosevelt consista en fait en une série de réformes improvisées et désordonnées s’appuyant sur une rhétorique anti-business et des interventions législatives brutales que la Cour suprême finit par déclarer inconstitutionnelles. Il en résulta un climat d’incertitude telle que les entreprises arrêtèrent d’investir. L’économie qui était répartie au début de l’année 1933 stagna en 1934 et 1935 sous l’effet du New Deal. Puis, la FED ayant laissé croître la masse monétaire gonflée surtout par les mouvements de capitaux internationaux, l’économie américaine repartit vigoureusement en 1936. Ce qui fit craindre une poussée inflationniste et incita la Banque Centrale à freiner la croissance monétaire. D’où la crise dans la crise mentionnée plus haut. Finalement, ce fut sans doute la guerre qui mit fin à la Grande dépression. D’une part en créant une pénurie de main d’œuvre par la mobilisation de dix millions de GI's et d’autre part en chargeant le secteur privé de produire le matériel de guerre, ses dirigeants revenant à cette occasion conduire la politique économique du pays à la place des idéologues des années précédentes. Nous voyons que loin d’avoir sorti l’Amérique de la dépression la politique du New Deal l’y a enfoncée! Pour sept ans d’après une étude récente. Espérons que Barak Obama que certains se plaisent à comparer à son illustre prédécesseur démocrate n’en suivra pas les errements. Florin Aftalion, professeur émerite à l'ESSEC, est Fellow à l'Atlantis Institute |
Qui a déclaré : « Nous avons essayé de dépenser de l’argent. Nous dépensons plus que nous n’avons jamais dépensé et ça ne marche pas…Nous n’avons jamais tenu nos promesses…Après huit années au pouvoir nous avons autant de chômeurs que lorsque nous avons commencé…Et une dette gigantesque en plus ! » . Réponse : Henry Morgenthau, le secrétaire d'état au Trésor du Président Roosevelt, en 1939. A l'heure où les dirigeants politiques du monde entier replongent avec délices dans les excès d'une politique keynésienne, ils feraient bien de méditer sur cet aveu d'échec de celui qui fut l'un des grands architectes du New Deal américain de l'entre-deux-guerre. Ils pourraient ainsi faire sans doute l'économie de bien des déceptions.
Le 30 mars dernier, le Professeur Florin Aftalion était l'invité de l'Institut Turgot, dans ses locaux du 35 avenue Mac Mahon. Au cours d'une intervention passionnante, très iconoclaste et fort bien documentée, il nous a expliqué que, contrairement à des idées largement répandues, le New Deal du Président Roosevelt, non seulement n'a pas mis fin à la Grande Dépression, mais l'a gravement prolongée.