En collaboration avec l'Institut Coppet, nous vous proposons à la lecture l’introduction de Liberty Defined (2011), récent livre du libertarien Ron Paul, candidat à l'investiture du Parti républicain pour l'élection présidentielle américaine de 2012.
Introduction
L’histoire et les idées politiques dominantes de l’Amérique s’identifient à la liberté. La Déclaration d’Indépendance affirme que la vie, la liberté et la recherche du bonheur sont des droits inaliénables, mais je pense que la vie et la recherche du bonheur dépendent également de la liberté, socle fondamental de notre pays. Nous employons le mot presque comme un cliché. Mais savons-nous ce que cela signifie ? Sommes-nous capables de la reconnaître lorsque nous la rencontrons ? Plus fondamentalement, sommes-nous capables de reconnaître l’opposé de la liberté lorsqu’il nous est vendu comme une forme de liberté ?
La liberté signifie exercer les droits humains de n’importe quelle manière aussi longtemps que cela n’interfère pas avec l’exercice des droits des autres. Cela signifie avant tout d’exclure le gouvernement de nos vies. Ce chemin seul conduit à la libération des énergies humaines qui construit les civilisations, procure la sécurité, génère la richesse, et protège le peuple des violations systématiques des droits. Dans ce sens seule la liberté peut réellement écarter la tyrannie, le grand et éternel ennemi de l’humanité.
La définition de la liberté que j’utilise est la même que celle admise par Thomas Jefferson et sa génération. Son acception découle de la grande tradition de la liberté, car Jefferson lui-même s’est nourri à la source de John Locke (1632-1704). J’utilise le terme « libéral » sans ironie ni mépris, car la tradition libérale dans son véritable sens, du Moyen Age tardif au début du vingtième siècle, avait pour but de libérer la société des chaînes de l’État. Voilà un objectif que je me fixe et que devraient, je pense, se fixer tous les Américains.
Croire en la liberté n’est pas croire en un résultat social ou économique particulier. C’est faire confiance à l’ordre spontané qui émerge lorsque l’État n’intervient pas dans la volonté et la coopération humaines. Elle permet aux gens de régler leurs problèmes et de construire leurs vies à leur manière, de prendre des risques en acceptant la responsabilité qui en découle, et de décider par eux-mêmes.
Est-ce que nos dirigeants à Washington croient en la liberté ? Ils le prétendent parfois. Je ne pense pas qu’ils disent la vérité. L’existence à Washington, DC, de l’État Léviathan pilleur de richesses, une énorme machine caricaturale que personne ne peut contrôler et que peu de gens défient sérieusement, un monstre qui se manifeste en permanence dans tous les aspects de nos vies, est la preuve suffisante que nos dirigeants n’y croient pas. Aucun des deux partis ne défend véritablement les idéaux classiques et fondamentaux qui ont donné naissance à la Révolution Américaine.
Les coûts de ce léviathan sont évidemment incommensurables. Le vingtième siècle a enduré deux guerres mondiales, une crise économique mondiale et une « Guerre Froide » de quarante cinq ans où deux superpuissances se faisaient face avec des dizaines de milliers de fusées intercontinentales armées de charges nucléaires. Et pourtant aujourd’hui la menace du gouvernement, partout dans le monde, pourrait bien représenter un plus grand danger que tout ce qui s’est produit au vingtième siècle. Nous sommes contrôlés où que nous allions : au travail, au magasin, à la maison et à l’église. Plus rien n’est privé : ni la propriété, ni la famille, ni même nos lieux de culte. Nous sommes encouragés à nous espionner mutuellement et à supporter passivement que des agents du gouvernement nous scannent, nous harassent et nous remettent à notre place jour après jour. Si vous protestez vous êtes mis sur une liste noire. Si vous vous battez pour révéler la vérité, comme l’ont fait WikiLeaks et d’autres sites, vous devenez une cible et pouvez être anéantis. Parfois nous avons l’impression de vivre littéralement dans un roman cauchemardesque comme 1984 ou Brave New World, avec de moins en moins de liberté économique. Certains diront que c’est une hyperbole ; d’autres comprendront exactement ce dont je parle.
L’enjeu est le rêve américain lui-même, qui à son tour est associé avec notre niveau de vie. Trop souvent nous sous-estimons le véritable sens de l’expression « niveau de vie ». A mon sens elle concerne directement toutes les questions qui affectent notre bien-être matériel, et par conséquent notre vision de la vie elle-même : que nous soyons pleins d’espoir ou désespérés, que nous prévoyions un progrès ou une régression, que nous pensions que nos enfants s’en sortiront mieux ou moins bien que nous-mêmes. Toutes ces considérations sont au cœur de l’idée de bonheur. L’expression « niveau de vie » recouvre presque tout ce que nous attendons de la vie sur cette terre. Il s’agit simplement de la manière dont nous pouvons définir nos vies.
Nos niveaux de vie sont rendus possibles par l’institution bénie de la liberté. Lorsque la liberté est attaquée, tout ce à quoi nous tenons est attaqué. Les gouvernements, par leur nature même, sont en concurrence notoire avec la liberté, même si l’intention proclamée pour établir un gouvernement donné est de protéger la liberté.
Prenez par exemple les États-Unis. Notre pays fut créé avec les idéaux les plus élevés jamais connus et le respect de la liberté individuelle. Et pourtant regardez où nous en sommes aujourd’hui : des dépenses et une dette incontrôlables ; une bureaucratie monstrueuse qui règle chacun de nos pas ; un mépris total pour la propriété privée, les marchés libres, une monnaie saine et la sphère privée ; et une politique étrangère d’expansion militaire. Les freins mis à notre gouvernement dans la Constitution par les Pères Fondateurs n’ont pas fonctionné. De puissants intérêts particuliers gouvernent et il semble qu’il n’y ait aucun moyen pour les combattre. Alors que la classe moyenne est détruite, les pauvres souffrent, les riches légitimes sont pillés et les riches illégitimes s’enrichissent. La richesse du pays est tombée entre les mains de quelques uns au détriment de tous les autres. Certains disent que c’est à cause d’un manque de réglementations à Wall Street, mais ce n’est pas exact. La racine du problème est bien plus profonde que cela.
La menace à la liberté ne se limite pas aux États-Unis. L’hégémonie du dollar a globalisé la crise. Rien de pareil ne s’est jamais produit avant. Toutes les économies sont liées et dépendantes de la capacité du dollar à maintenir sa valeur, alors qu’en même temps la production illimitée de dollars est censée sauver tout le monde.
Cette mondialisation du dollar est rendue plus dangereuse par presque tous les gouvernements qui agissent de manière irresponsable en étendant leurs pouvoirs et en vivant au delà de leurs moyens. La dette mondiale est un problème qui va s’amplifier si nous continuons sur cette voie. Et pourtant tous les gouvernements ; et surtout le nôtre, n’hésitent pas à accroître leurs pouvoirs au détriment de la liberté dans un effort futile de nous imposer leur vision. Ils croissent et s’enfoncent davantage dans la dette.
Dans notre effort pour remonter la pente, il est essentiel de comprendre comment les gouvernements sont toujours en concurrence avec la liberté et détruisent le progrès, la créativité et la prospérité. La compétition entre le pouvoir abusif du gouvernement et la liberté individuelle est un problème vieux comme le monde. Le concept de liberté, reconnu comme un droit naturel, a pris de milliers d’années pour être compris par les masses en réaction à la tyrannie imposée par ceux dont le seul désire est de régner sur les autres et de vivre de leur assujettissement.
Ce conflit était compris par les défenseurs de la République Romaine, les israélites de l’Ancien Testament, les barons rebelles de 1215 qui réclamaient le droit d’habeas corpus, et certainement par les fondateurs de ce pays, qui imaginèrent la possibilité d’une société sans rois ni despotes et définirent ainsi le cadre qui a inspiré tous les mouvements de libération depuis lors. Il est compris par un nombre croissant d’Américains qui réclament des réponses et exigent la fin de l’hégémonie de Washington sur le pays et le monde.
Et pourtant, même parmi les amis de la liberté, il y a beaucoup de gens qui ont été trompés à croire que le gouvernement peut les protéger du tout risque, leur procurer une sécurité économique équitablement répartie et améliorer leur comportement moral individuel. Si le gouvernement se voit attribuer le monopole de la coercition pour atteindre ces buts, l’histoire montre que cette force conduit toujours à des abus. Sans aucune exception.
Au cours des siècles des progrès ont été réalisés dans la compréhension du concept de liberté individuelle et de la nécessité de rester vigilants en permanence pour limiter l’abus de pouvoir du gouvernement. Malgré des progrès constants, des périodes de recul et de stagnation ont eu lieu. Au cours des derniers cent ans les États-Unis et la plus grande partie du monde ont connu un recul de la cause de la liberté. En dépit de toutes les avancées technologiques, en dépit d’une compréhension plus raffinée des droits des minorités, en dépit de toutes les avancées économiques, l’individu jouit d’une bien moindre protection contre l’État qu’il y a un siècle.
Depuis le début du siècle dernier, de nombreuses graines de destruction ont été plantées qui ont maintenant grandi pour permettre un assaut systématique contre nos libertés. Avec une terrible crise financière et monétaire sur nous et qui menace l’avenir aussi loin que le regard porte, il est devenu bien visible que la dette nationale est insoutenable, que la liberté est menacée et que la colère et les craintes des gens augmentent. Plus fondamentalement, il est maintenant clair que les promesses et panacées du gouvernement sont sans valeur. Le gouvernement a une fois de plus échoué et l’exigence d’un changement s’amplifie de jour en jour. Il suffit d’observer les violentes variations de majorité des partis au pouvoir.
Le seul résultat des promesses gouvernementales fut d’amener les gens par la tromperie à croire en un faux sens de sécurité. L’autosatisfaction et le manque de confiance ont produit un énorme hasard moral, conduisant un grand nombre de gens à des comportements dangereux. L’autonomie et la responsabilité individuelle ont été remplacées par des bandes organisées qui ont réussi à se faufiler par la ruse dans la position de contrôle du système qui distribue la richesse pillée du pays.
L’alternative qui s’offre maintenant à nous est : de nouveaux pas vers l’autoritarisme ou un effort renouvelé pour promouvoir la cause de la liberté. Il n’y a pas de troisième option. Cet effort doit incorporer une compréhension plus moderne et plus sophistiquée de la merveille de l’économie de marché et en particulier de l’urgence morale et pratique de la réforme monétaire. La faute abyssale d’un gouvernement qui sape le génie créateur d’esprits libres et la propriété privée doit être pleinement comprise.
Ce conflit entre gouvernement et liberté, amené au point d’ébullition par la plus grosse faillite de l’histoire, a généré les protestations coléreuses qui se sont produites spontanément dans le pays et le monde. Les producteurs se révoltent et les bénéficiaires des largesses sont furieux et agités.
La crise exige une révolution intellectuelle. Heureusement cette révolution est en marche et si on la cherche sérieusement on peut la trouver. N’importe qui peut y participer. Nos idées sur la liberté ne se sont pas seulement développées au cours des siècles, elles font actuellement l’objet de débats attendus et une compréhension moderne, améliorée du concept est en vue. La Révolution est vivante et se porte bien.
L’idée de ce livre n’est pas de produire un plan pour l’avenir ni une défense complète d’un programme libéral. Ce que j’offre ici sont des opinions sur une série de sujets controversés qui ont tendance à déconcerter les gens et qui sont éclairées par ma propre expérience et ma réflexion. Je n’offre pas de réponses finales mais plutôt des balises pour réfléchir sérieusement à ces questions. Je ne m’attends certainement pas à ce chaque lecteur soit d’accord avec mes opinions, mais j’espère vraiment pouvoir inspirer des pensées et des débats sérieux, fondamentaux et indépendants à leur sujet.
Par dessus tout, le thème est la liberté. Le but est la liberté. Les produits de la liberté sont toutes les choses que nous aimons et dont aucune ne peut être fournie par le gouvernement. Nous devons avoir la possibilité de nous les procurer par nous-mêmes en tant qu’individus, familles, en tant que société ou pays. C’est parti : de A à Z.
Ron Paul, Liberty Defined, 2011, Appendice :
Les dix principes d’une société libre :
- Les droits appartiennent aux individus, pas à des groupes ; ils découlent de notre nature et ne peuvent être ni accordés ni supprimés par le gouvernement.
Toutes les associations pacifiques et volontaires de nature économique ou sociale sont autorisées ; le consentement est la base de l’ordre économique et social.
Tout bien justement acquis est la propriété privée d’individus ou de groupes volontairement constitués, et cette propriété ne peut être arbitrairement supprimée par les gouvernements.
Le gouvernement ne peut redistribuer les avoirs privés ni consentir des privilèges particuliers à tout individu ou groupe.
Les individus sont responsables de leurs actes ; le gouvernement ne peut et ne doit pas nous protéger de nous-mêmes.
Le gouvernement ne doit pas s’arroger de monopole sur l’argent d’un peuple et il ne doit jamais s’adonner à la fausse monnaie, même au nom de la stabilité macroéconomique.
Les guerres d’agression, même si elles sont qualifiées de préventives, et même si elles ne concernent que des relations commerciales, sont interdites.
Le pouvoir législatif du jury, c’est à dire le droit des jurés de juger la loi aussi bien que les faits, est un droit du peuple et la norme des tribunaux.
Toutes formes de servitude involontaire sont interdites, pas seulement l’esclavage mais aussi la conscription, l’association forcée et la distribution imposée de subsides.
Le gouvernement doit respecter la loi qu’il demande aux autres de respecter et par conséquent il ne doit jamais faire usage de la force pour inciter à des comportements, manipuler des arrangements sociaux, gérer l’économie, ou dire à d’autres pays comment ils devraient se comporter.
Traduction de l’introduction du récent livre de Ron Paul : Liberty Defined, 2011
Par Jacques Peter, Institut Coppet
Nous inaugurons ici une série qui sera consacrée à une Amérique profonde dont nos médias bien-pensants, en France ou en Suisse, ne parlent jamais ou alors de manière aussi condescendante et caricaturale que possible, une Amérique éloignée, très éloignée même des bobos de la Côte Est, de toutes les côtes en fait, cette Amérique qui n’est pas celle de Wall Street ou de Berkeley, mais bien celle qui demeure attachée aux principes et aux valeurs nationales authentiques, cette Amérique du bon sens, libertarienne, paléoconservatrice (contraire de néoconservatrice), patriote, qui défend sa Constitution — amendements compris —, cette Amérique de Main Street qui achète de l’or plutôt que des actions de Wall Street, qui compte sur son épargne (en métaux précieux ou autres actifs tangibles) plutôt que sur les plans fédéraux gravement déficitaires pour financer et garantir ses vieux jours, cette Amérique qui défend surtout le pouvoir local, la primauté de l’individu contre les tentacules de la pieuvre fédérale.
Nous commençons cette série par la traduction française d’un discours certes vieux de cinq ans, mais qui n’a pas perdu une once de sa pertinence, un discours fortement d’actualité à l’heure où le dollar creuse chaque jour davantage sa tombe, un discours prononcé devant le Congrès des Etats-Unis par le représentant républicain du Texas et ancien candidat à l’élection présidentielle, le docteur Ron Paul (que nous présenterons plus en détail dans le cadre de cette série).
Depuis les années 70, ce dernier avertit que le dollar et l’économie des États-Unis courent à leur perte, que le monstre qu’est devenu l’État fédéral, avec des dépenses hors de contrôle et des pouvoirs exorbitants, menace à la fois la prospérité et la liberté du citoyen lambda. L’État fédéral, aux yeux d’un nombre croissant de citoyens de l’Amérique profonde, c’est Big Government, Big Brother, Big Gun, Big Business, etc. Toute ressemblance avec les dictatures bureaucratiques de Moscou (durant la guerre froide) ou de Bruxelles (actuellement) ne relève évidemment pas, vous l’aurez compris, d’une coïncidence fortuite.
Ceux qui ont lu Tocqueville savent mieux que quiconque comment l’Amérique s’est construite, de bas en haut, et non inversement, avec un pouvoir local (communes, états) fort et un état fédéral plutôt faible. C’est l’individu et non le pouvoir fédéral distant qui constituait, dans l’esprit des Pères fondateurs, le plus haut niveau de décision. En fait, l’Amérique s’est bâtie sur le même esprit que la Confédération helvétique… un bon sens qui subit depuis quelques décennies et ce des deux côtés de l’Atlantique, l’assaut ininterrompu de celles et ceux, bien pensants de tout poil, qui veulent renverser le système, pour le plus grand malheur du citoyen.
C’est en effet l’inversion survenue progressivement à partir de la fin du XIXe siècle (en fait depuis la fin de la guerre de Sécession) qui a petit à petit amené la République américaine dans la situation monstrueuse et insoutenable dans laquelle elle se trouve actuellement, celle d’un ogre qui accable sa propre population d’impôts, de lois liberticides, la maintien sous le joug de Wall Street et autres lobbies malfaisants et envoie ses enfants se faire trouer la peau aux quatre coins du monde sous de fallacieux prétextes humanitaires. Car en effet, cet ogre tentaculaire, en plus d’asservir sa population, menace également le monde de ses canons. Malheur à ceux qui tenteront d’échapper à ses griffes impériales. Comment croire les discours des administrations successives selon lesquels quand l’Amérique se déploie militairement à travers le monde, c’est bien sûr toujours pour promouvoir la démocratie et la paix universelle… quand on voit la manière dont l’état fédéral écrase ses propres administrés ? Ça nous fait penser à Noam Chomsky qui dit dans un de ses ouvrages que si on devait juger sur les critères du tribunal de Nuremberg les présidents qui se sont succédé à la Maison Blanche depuis 1945, aucun n’échapperait à la potence. C’est tout dire.
Le discours de Ron Paul, que nous vous proposons ci-après, est un excellent moyen d’aborder cette problématique importante. Le Texan a raison depuis des décennies. Il faut croire que sa nouvelle candidature présidentielle en vue de 2012, après sa campagne de 1988 pour le compte du parti libertarien et celle de 2008 (dans le cadre des primaires républicaines, avec quelques beaux résultats comme une deuxième place dans l’état du Nevada et plusieurs délégués) sonne un peu comme la dernière chance de sauver la nation américaine qui ne peut plus continuer sur la voie qui est la sienne depuis plus de cinquante ans et dont le cap doit être changé au plus vite.
Soit cette nation élit Ron Paul en 2012 (mais ça risque déjà d’être trop tard, l’Amérique va-t-elle s’effondrer avant la prochaine élection ?) et la transition vers plus de modestie se fera de la manière la moins chaotique possible (retrait de tous les soldats déployés à l’étranger, fin de l’ingérence dans les affaires des nations souveraines, suppression de la Fed et de sa planche à billets, régulation draconienne voir suppression également de Wall Street, retour à l’hégémonie des états de l’union au détriment de celle de l’état fédéral, etc.) soit cette nation continue sur sa voie destructrice actuelle avec un Barack Obama ou un néoconservateur républicain, et là c’est dans le chaos de l’effondrement de Wall Street comme de l’état fédéral que nous assisterons — à coup d’émeutes et de guerre civile — à la dislocation de ce qui aura été, ces soixante dernières années, la première puissance mondiale.
Ce que disait Ron Paul en 2006 devant le Congrès des États-Unis restera alors comme autant de prophéties et d’avertissements que les élites auront sciemment négligés.
Le Zèbre pour fouthese.com
14.07.11
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RON PAUL
Député du Texas à la Chambre des représentants des États-Unis d’Amérique
15 février 2006
La fin de l’hégémonie du dollar des États-Unis
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Salvador
Traduit et publié avec l’autorisation expresse de l’équipe de campagne de Ron Paul (2007)
Il y a un siècle, on parlait de « diplomatie du dollar ». En 1989, après la chute de l’Union soviétique, cette politique a évolué en « hégémonie du dollar ». Cependant, après toutes ces années de grande réussite, la domination de notre dollar touche à sa fin.
On a dit à juste titre que celui qui détenait l’or faisait la loi. Autrefois, on considérait qu’un commerce équitable et honnête se faisait sur la base d’un échange de biens de valeur réelle.
À l’origine, il ne s’agissait que de troc. On s’est ensuite rendu compte que l’or revêtait une attraction universelle, capable de se substituer à une méthode de troc mal commode. Non seulement l’or facilitait les échanges de biens et de services, mais encore il pouvait constituer une réserve de valeurs pour ceux qui désiraient épargner en prévision de temps plus durs.
Les gouvernements, au fur et à mesure de leur expansion, se sont octroyé le monopole du contrôle de la monnaie, au détriment des marchés. En principe, les gouvernements parvenaient à garantir la qualité et la pureté de l’or, mais il arrivait qu’ils dépensent davantage que ce que leurs rentrées autorisaient. Au lieu de courir le risque de se heurter à la désapprobation de la population avec de nouveaux impôts ou la hausse de ces derniers, les rois et les Césars n’ont pas mis longtemps à gonfler leur monnaie en réduisant la quantité d’or contenue dans chaque pièce, en espérant que leurs sujets ne découvriraient pas la supercherie, ce qui ne manquait pas de finir par susciter de vives protestations de la part d’une population loin d’être naïve.
De ce fait, les dirigeants ont été poussés à partir à la conquête d’autres nations pour chercher de l’or. Les populations ont pris l’habitude de vivre au-dessus de leurs moyens, avec du pain et du cirque. Le financement d’extravagances par la conquête de terres étrangères devenait l’alternative logique au dur labeur et à la croissance de la production. La conquête ramenait non seulement de l’or, mais encore des esclaves. Lever l’impôt sur les territoires envahis était un encouragement à la construction d’empires. Le système a bien fonctionné un certain temps, mais le déclin moral des populations a affaibli le désir de produire pour ses propres besoins. Le nombre limité de pays pouvant être potentiellement mis à sac pour leurs richesses finissait par diminuer, ce qui avait raison des empires. Lorsqu’il n’était plus possible d’obtenir de l’or, les puissances militaires s’écroulaient. En ces temps-là, ce sont bien ceux qui détenaient l’or qui faisaient la loi et sortaient leur épingle du jeu.
Cette règle générale s’est perpétuée au cours du temps. Lorsque l’or était utilisé et que des règles protégeaient un commerce honnête, les nations productives prospéraient. Dès lors que les nations riches – celles qui possèdent des armées puissantes et de l’or – ont porté exclusivement leur effort sur l’obtention d’un empire et sur une fortune facile pour garantir le bien-être de leur population, elles ont échoué.
Aujourd’hui, si le principe n’a pas changé, la situation est bien différente. Le papier, et non plus l’or, est la monnaie de l’empire. La règle, du moins pour l’instant, est la suivante : « C’est celui qui imprime la monnaie qui fait la loi. » Bien que l’or ne soit plus utilisé, l’objectif demeure : il s’agit de contraindre les pays étrangers à produire et à alimenter le pays qui détient la puissance militaire et les commandes de la « planche à billets ».
La monnaie de papier n’étant pas à l’abri des contrefaçons, il faut toujours que l’émetteur de la devise internationale soit doté d’une puissance militaire suffisante pour garder la mainmise sur le système. On semble avoir trouvé là le schéma parfait pour permettre au pays émetteur de ce qui est de facto la devise mondiale de s’enrichir de manière perpétuelle. Toutefois, le seul problème est que, à l’instar de ceux qui détenaient l’or par la conquête, un tel système détruit le caractère même de la population de la nation qui contrefait. En effet, ce système décourage l’épargne et la production des Américains, tout en les incitant au surendettement, faisant ainsi disparaître le bien-être social.
Ceux qui bénéficient de ce bien-être social et ceux qui demandent des compensations ou des indemnisations pour préjudices font pression pour gonfler la devise. Dans tous les cas, le principe de responsabilisation personnelle du citoyen est rejeté.
Lorsque la monnaie de papier n’est plus acceptée, ou lorsque l’or vient à manquer, ce sont la richesse et la stabilité politique du pays qui sont perdues. Au lieu de vivre au-dessus de ses moyens, le pays est, du coup, contraint de vivre au-dessous de ses moyens, jusqu’à ce que les systèmes politiques et économiques se conforment aux nouvelles règles, règles qui ne sont plus dictées par ceux qui contrôlent une « planche à billets » désormais hors service.
La « diplomatie du dollar », une politique mise en place par William Howard Taft et son secrétaire d’État Philander C. Knox, avait pour but de renforcer les investissements commerciaux américains en Amérique latine et en Extrême-Orient. En 1898, McKinley devait fomenter une guerre contre l’Espagne, et le corollaire de Théodore Roosevelt à la doctrine Monroe devait précéder l’entreprise agressive de Taft qui consistait à utiliser le dollar et l’influence diplomatique des États-Unis pour garantir les investissements américains à l’étranger. Voilà donc l’origine du terme « diplomatie du dollar ». L’entreprise de Roosevelt est importante en ce qu’elle a permis de justifier les interventions américaines par le simple fait qu’un pays entrant dans la sphère des intérêts américains risquait, d’un point de vue politique ou budgétaire, de passer sous contrôle européen. Désormais, le gouvernement des États-Unis revendiquerait non seulement le droit, mais encore le devoir, de préserver les intérêts commerciaux américains de l’influence européenne.
Cette nouvelle politique, qui succédait à celle dite de la « diplomatie de la canonnière » de la fin du XIXe siècle, consistait à acheter notre influence, avant d’avoir recours à la menace de l’emploi de la force. En articulant la « diplomatie du dollar » de William Taft, on semait la graine de l’empire américain, graine destinée à croître dans le sol politique fertile qui avait perdu amour et respect pour la république léguée par les auteurs de la Constitution américaine. De fait, cet amour et ce respect avaient bien disparu. Il n’a pas fallu longtemps avant que, vers la moitié du XXe siècle, la « diplomatie du dollar » se mue en « hégémonie du dollar ».
Mais cette transition ne pouvait s’opérer que par un changement radical de la politique monétaire du pays, voire de la nature même du dollar.
En 1913, le Congrès américain devait créer la Réserve fédérale, communément appelée la Fed. Entre cette date et 1971, tous les principes de saine gestion monétaire ont été systématiquement bafoués. En effet, durant cette époque, la Fed a trouvé bien plus facile de faire fonctionner la « planche à billets » pour financer les guerres ou pour manipuler l’économie, le tout en rencontrant peu de résistance du Congrès, et au bénéfice des groupes de pression qui influençaient le gouvernement.
La domination du billet vert a véritablement trouvé son plein essor après la Seconde Guerre mondiale. Le pays n’a pas subi les destructions dont les autres nations ont souffert. En outre, les coffres étaient pleins de tout l’or de la planète. Mais le monde, avec l’assentiment des politiciens, a fait le choix de ne pas revenir à une discipline financière basée sur l’or. Imprimer des billets pour payer les factures était bien plus populaire que taxer ou restreindre des dépenses non indispensables. Pour des avantages à court terme, on a institutionnalisé pour des décennies un système de déficits publics.
L’accord de Bretton Woods de 1944 a consolidé le dollar dans son rôle prééminent de valeur de réserve au niveau mondial, remplaçant dans ce rôle la livre sterling. La force politique et militaire des États-Unis aidant, à quoi il faut ajouter nos énormes réserves en or, le monde a accepté bien volontiers notre dollar (sur la base de 1/35 l’once) comme devise de réserve. Le dollar, convertible au taux susmentionné dans toutes les banques centrales étrangères, était considéré comme « aussi bon que l’or ». Un métal que les citoyens américains n’avaient toutefois pas le droit de détenir. Ce système de change basé sur l’or était dès le départ voué à l’échec.
Les États-Unis ont fait ce que beaucoup avaient prédit, à savoir, imprimer plus de billets verts que l’or ne pouvait en garantir. Trop content, le monde entier a accepté cette manne de dollars pendant plus d’un quart de siècle, jusqu’à ce que les Français et d’autres exigent des États-Unis qu’ils tiennent leur promesse, à savoir, rendre une once pour 35 dollars versés au Trésor américain. La conséquence fut une énorme déperdition d’or qui mit fin à un système de change bien mal calculé.
C’est le 15 août 1971 que le président Nixon devait fermer le robinet en interdisant la sortie de la moindre des 280 millions d’onces d’or restantes dans les coffres du Trésor. Ce ne fut rien d’autre qu’une déclaration d’insolvabilité des États-Unis. Chacun, dès lors, était forcé de reconnaître qu’un nouveau système monétaire devait être mis en place pour garantir la stabilité des marchés.
Étonnamment, le nouveau système mis en place laissait aux États-Unis le contrôle exclusif de la presse à imprimer les billets de la devise de réserve mondiale, et ce sans aucune restriction, pas même un semblant de convertibilité en or, rien ! Bien que la nouvelle politique était encore plus bancale que la précédente, elle ouvrait la porte à l’hégémonie du dollar.
Réalisant que le monde s’embarquait dans quelque chose d’inconnu et de risqué, l’élite des gestionnaires monétaires, avec le soutien sans faille des autorités américaines, a mis au point un accord avec l’OPEP pour fixer dans le monde entier le prix du pétrole exclusivement en dollar des États-Unis, et ce pour toutes les transactions. Cela faisait du dollar une devise à part, de fait garantie par le pétrole. En échange, les États-Unis promirent à tous les royaumes pétroliers du golfe Persique une protection contre une éventuelle invasion ou un éventuel coup d’État. Cet accord a contribué à exacerber les mouvements islamiques radicaux contre la présence et l’influence américaine dans la région. Cet accord a renforcé le dollar de manière artificielle, générant d’impressionnants bénéfices pour les États-Unis. L’influence florissante du dollar nous a permis d’exporter notre inflation monétaire en achetant du pétrole et d’autres marchandises à moindre coût.
Ce système post-Bretton Woods était bien plus fragile que celui qui avait prévalu entre 1945 et 1971. Bien que l’accord « pétrodollar » était utile, il s’est avéré encore moins stable que le prétendu cours du dollar basé sur l’or de Bretton Woods. Il était certainement bien moins stable que le système d’étalon-or qui prévalait à la fin du XIXe siècle.
Dans les années 1970, alors que le dollar s’effondrait presque, les prix du pétrole flambaient et l’or atteignait 800 dollars l’once. En 1979, il a fallu des taux d’intérêt de 21 % pour sauver le système. La pression sur le dollar des années 1970, nonobstant les profits qui s’accumulaient sur cette monnaie, n’était que le résultat du déficit budgétaire abyssal et de l’inflation monétaire des années 1960. En dépit des déclarations du président Johnson selon lesquelles les États-Unis auraient les moyens de s’offrir le beurre, l’argent du beurre ainsi que des canons, les marchés n’ont pas été dupes.
Une fois encore, le billet vert était sauvé, ce qui a conduit à une véritable hégémonie du dollar qui dure depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Avec l’extraordinaire collaboration des banques, aussi bien centrales que commerciales, du monde entier, le dollar a été accepté comme valant de l’or.
Le président de la Fed, M. Alan Greenspan, a, à diverses occasions, répondu à mes injonctions devant la commission bancaire de la Chambre des représentants concernant ses opinions antérieures favorables à l’or, en disant que lui et d’autres dirigeants de banques centrales avaient fait de leur monnaie papier (le dollar) une devise dont ils pouvaient répondre comme si c’était de l’or.
J’objectais en soulignant qu’une telle prouesse constituait un défi à des siècles d’histoire économique qui avaient montré qu’une monnaie devait correspondre à une valeur réelle. D’un air suffisant, il répondait en disant que ces dernières années, les banques et les institutions financières avaient intérêt à entretenir un dollar fiable, et qu’elles ne cachaient pas qu’elles vendaient ou prêtaient sur le marché de grandes quantités d’or, même lorsque la chute du cours de cette matière première soulevait de sérieuses questions sur la sagesse d’une telle politique. Ces institutions n’ont jamais admis avoir voulu contrôler le cours de l’or, mais il est abondamment prouvé qu’elles croyaient que si le prix de ce métal précieux chutait, le marché prendrait confiance, confiance qu’elles avaient canalisée de façon étonnante en changeant du papier en or.
L’augmentation des cours de l’or est historiquement considérée comme un signe de méfiance dans la monnaie papier. Ce récent effort n’est pas vraiment différent de celui du Trésor américain consistant à vendre de l’or à 35 dollars l’once dans les années 1960, dans le but de convaincre le monde que le billet vert était aussi solide que le métal jaune. Même durant la Dépression, l’un des premiers actes de Roosevelt fut d’empêcher la cotation libre de l’or, cachant ainsi un système monétaire vicié en rendant illégale la détention d’or par les citoyens américains. Les lois de l’économie ont fini par limiter cet effort, comme elles l’ont fait dans les années 1970, lorsque le Trésor américain, la Banque mondiale et le FMI ont tenté de contenir le cours de l’or en déversant sur les marchés des tonnes de ce métal précieux, dans le but de briser les velléités de ceux qui, lorsque la détention d’or fut à nouveau légalisée, cherchaient dans cette matière première un refuge pour se prémunir de la chute du dollar.
Entre 1980 et 2000, l’effort pour tromper les marchés sur la véritable valeur du dollar a une fois de plus échoué. Ces cinq dernières années, le dollar s’est déprécié de plus de 50 % par rapport à l’or. Il est impossible de flouer tout le temps tout le monde, même lorsque l’on contrôle la « planche à billets » de la Réserve fédérale.
Malgré tous les inconvénients du système de monnaie fiduciaire, l’influence du dollar n’a pas diminué. Les résultats semblaient positifs, mais les vices du système perduraient. Indécrottables, les politiciens de Washington n’ont eu qu’une idée en tête, sauver les apparences, tout en refusant de comprendre et de changer de politique. Les seules solutions à des problèmes artificiellement créés par une politique et un système monétaire profondément corrompu furent le protectionnisme, la fixation arbitraire des taux de change, les droits de douane punitifs, les sanctions fondées sur des motifs politiques, les subventions aux entreprises, la gestion du commerce international, les contrôles des prix, des taux d’intérêt et des salaires, les sentiments ultranationalistes, la menace de l’emploi de la force et, enfin, la guerre.
À court terme, les émetteurs de la devise de réserve peuvent engranger de juteux bénéfices. Mais à long terme, cela fait peser une menace sur le pays émetteur de la devise mondiale, en l’espèce les États-Unis. Tant qu’à l’étranger, on prend nos dollars en échange de marchandises réelles, nous nous en sortons. C’est là un avantage que beaucoup au Congrès refusent de reconnaître, tout en fustigeant la Chine pour qu’elle maintienne une balance commerciale positive à notre égard. Mais cela conduit à une perte d’emplois dans le domaine des produits manufacturés d’exportation, ce qui nous rend de plus en plus dépendants de l’étranger, et donc moins autosuffisants. Grâce à leurs taux d’épargne élevés, les pays étrangers accumulent du dollar qu’ils nous prêtent ensuite « généreusement » à des taux peu élevés, pour nous permettre de financer notre consommation excessive.
C’est une bonne affaire pour tout le monde, jusqu’à ce que l’enthousiasme pour notre dollar faiblisse, voire que notre monnaie ne soit plus acceptée. Cela pourrait changer la donne et nous obliger à assumer le coût réel de notre vie au-dessus de nos moyens et au-delà de ce que permet notre production. La lune de miel planétaire avec notre dollar commence déjà à pâlir, mais le pire est à venir.
L’accord des années 1970 avec l’OPEP pour l’établissement du prix du pétrole en dollars à beaucoup renforcé artificiellement celui-ci en tant que principale devise de réserve, ce qui a créé une demande universelle qui a permis d’absorber l’énorme quantité de billets verts générée chaque année. Pour la seule année dernière [2005], l’indice M3, celui qui mesure la masse monétaire totale de billets verts en circulation dans le monde, a augmenté de plus de 700 milliards de dollars.
La demande artificielle de dollars et la puissance militaire des États-Unis mettent ces derniers en position de « faire la loi » dans le monde sans aucun travail productif, sans épargne et sans limites à la consommation ou aux déficits. Le seul problème est que cela ne peut durer.
La hausse des prix montre le bout de son vilain nez, et la bulle du NASDAQ, générée par l’argent facile, a éclaté. De même, la bulle immobilière est en train de se dégonfler. Les prix de l’or ont doublé et les dépenses fédérales sont effrénées, sans aucune volonté politique de les maîtriser. Le déficit commercial s’élevait, pour l’année dernière (2005), à plus de 728 milliards de dollars. Une guerre qui coûte 2000 milliards de dollars fait rage, et on prévoit de l’étendre à l’Iran et, pourquoi pas, à la Syrie. Le seul élément limitatif serait le rejet du dollar par le monde. C’est inéluctable, et les conditions seront pires que celles de 1979-1980, où il a fallu des taux d’intérêt à 21 % pour y faire face. En attendant, tout sera fait pour protéger le dollar. Avec ceux qui détiennent des dollars, nous avons intérêt à faire perdurer le système.
Dans son premier, discours après avoir quitté la Réserve fédérale, Greenspan justifiait la hausse du cours de l’or par des inquiétudes relatives au terrorisme, et non par des inquiétudes d’ordre monétaire causées par la fabrication d’une quantité excessive de billets verts lorsqu’il était en fonction. Il faut redorer le blason du dollar, au détriment de l’or qu’il faut discréditer. Même lorsque la devise américaine sera sérieusement attaquée par les marchés, les banques centrales et le FMI feront tout ce qui est concevable pour absorber les dollars, dans l’espoir de restaurer la stabilité monétaire. En définitive, ils échoueront.
Mais ce qui est plus important encore, c’est la nécessité de conserver la relation entre dollar et pétrole, pour permettre au billet vert de conserver sa position dominante. Toute mise en cause du système des pétrodollars sera combattue par la force, comme cela s’est déjà produit.
En novembre 2000, Saddam Hussein s’est mis à exiger des euros en échange de son pétrole. Son arrogance constituait une menace pour le dollar, mais sa faiblesse militaire n’en constituait pas une. Le secrétaire au Trésor, Paul O’Neill, rapporte qu’à la première réunion de l’administration Bush, en 2001, le principal sujet abordé fut « comment se débarrasser de Saddam Hussein », bien qu’aucune preuve n’existait selon laquelle celui-ci constituait une menace pour les États-Unis. M. O’Neill fut étonné et choqué par une si vive préoccupation au sujet de Saddam Hussein.
Comme chacun le sait désormais, la réaction immédiate au sein de l’administration américaine après les attentats du 11 septembre fut de s’interroger sur la façon de faire porter le chapeau à Saddam Hussein, histoire de justifier l’invasion de l’Irak et le renversement de son gouvernement. Même sans preuves de toute implication de ce gouvernement dans les attentats du 11 septembre ou de la présence d’armes de destruction massive en Irak, la désinformation et l’interprétation spécieuse des faits justifiant un renversement du gouvernement de Saddam Hussein a généré un large soutien auprès du Congrès et du public américains.
Nul n’a jamais avoué publiquement que la vraie raison du renversement de Saddam Hussein était son attaque, par le fait de vendre son pétrole en euros, contre l’intégrité du dollar en tant que devise de réserve. Nombreux sont ceux qui pensent que cela fut la source de notre obsession anti-irakienne. Pour ma part, je doute que ce fût la seule raison, mais je pense que cela a joué un rôle important. Très peu de temps après le succès militaire, les ventes de pétrole irakien étaient intégralement rétablies en dollars. L’euro fut abandonné.
En 2001, l’ambassadeur du Venezuela en Russie mentionna l’intention du Venezuela de réaliser les ventes de son pétrole en devises européennes. Dans l’année qui suivit, un coup d’État fut tenté contre le président Chavez, avec, semble-t-il, l’aide de la CIA.
Les tentatives de l’euro pour se faire une place en vue de devenir la devise de réserve du monde ayant rencontré quelque résistance, la chute du dollar contre l’euro a été momentanément inversée. Ces événements ont certainement joué un rôle dans le maintien de la domination du dollar.
Les sympathies des États-Unis envers ceux qui avaient comploté pour renverser Chavez sont avérées. Du reste, le gouvernement américain fut mis dans l’embarras par l’échec de cette tentative. Le fait que Chavez ait été élu démocratiquement n’a d’ailleurs pas exercé une très grande influence quant au parti que nous avons pris.
À présent, quelque chose de nouveau est tenté contre le pétrodollar. L’Iran, qui lui aussi fait partie de l’axe du mal, a annoncé son projet de créer une Bourse du pétrole en mars de cette année. Et devinez quoi… les cours seront fixés en euros !
La majorité des Américains a oublié comment, au cours des années, nous avons systématiquement et sans raison cherché à nous mettre les Iraniens à dos. En 1953, c’est la CIA qui a aidé à renverser le leader démocratiquement élu, Mohammed Mossadegh, pour installer à sa place le régime autoritaire du shah, mieux disposé à l’égard des États-Unis. Les Iraniens écumaient encore contre cet événement lors de la prise d’otages de 1979. Notre alliance avec Saddam Hussein, lorsque celui-ci a envahi l’Iran au début des années 1980, n’a pas amélioré les relations avec l’État perse, pas plus qu’avec Saddam Hussein lui-même. L’annonce, en 2001, par le gouvernement américain que l’Iran faisait partie de l’axe du mal n’était pas pour améliorer les relations diplomatiques entre nos deux pays. Les récentes menaces relatives au nucléaire sans tenir compte que l’Iran est entouré de pays dotés d’armes de ce type ne semblent pas tenir compte des multiples provocations qui continuent à l’égard de l’Iran. Avec cette dernière histoire et ce que de nombreux musulmans perçoivent, être de notre part une guerre contre l’islam, il n’est pas étonnant que l’Iran choisisse de nuire aux intérêts américains en s’attaquant au dollar. À l’instar de l’Irak, l’Iran n’est aucunement en mesure d’attaquer les États-Unis. Cependant, cela ne nous a nullement empêchés de faire de Saddam Hussein un nouvel Hitler prêt à dominer le monde. L’Iran, depuis qu’elle a mentionné ses projets de fixer les cours de son pétrole en euros, fait l’objet d’une guerre de propagande semblable à celle qui fut menée contre l’Irak avant l’invasion.
Le maintien de la suprématie du dollar n’est probablement pas la seule raison de la guerre contre l’Irak ou de l’agitation à l’encontre de l’Iran. Bien que les véritables raisons de la guerre sont complexes, nous savons maintenant que les arguments qui ont motivé la guerre, comme celui de la présence des armes de destruction massive en Irak ou celui de l’implication de Saddam Hussein dans les attentats du 11 septembre, étaient fallacieux. L’importance du dollar est évidente, mais l’influence du projet des néoconservateurs de refonte du Moyen-Orient n’en est pas moins importante. L’influence d’Israël et des chrétiens sionistes a joué un rôle tout aussi déterminant dans l’entreprise de cette guerre. La protection de « notre » approvisionnement en pétrole a défini notre politique au Moyen-Orient depuis des décennies.
Mais la vérité est que le paiement de l’addition de cette intervention agressive n’est plus possible au moyen de la méthode classique, c’est-à-dire par plus d’impôts, plus d’épargne et plus de production de la part des Américains. Une grande partie des coûts engendrés par la guerre du Golfe de 1991 avaient été, de plein gré, pris en charge par nos alliés. Il n’en est pas de même aujourd’hui. Plus que jamais, c’est l’hégémonie du dollar, sa prééminence comme devise mondiale de réserve qui, aujourd’hui, est indispensable pour financer nos énormes dépenses militaires. Les 2000 milliards de dollars au titre d’une guerre qui n’en finit pas devront, d’une manière ou d’une autre, être payés. C’est à cela, et à cela seulement, que sert l’hégémonie mondiale du dollar.
La plupart des véritables victimes ne savent pas comment elles paient l’addition. Le permis de battre monnaie à partir de rien se répercute sur les prix, qui augmentent. Le citoyen américain lambda, ainsi que celui du Japon, de la Chine et de partout dans le monde, subit une inflation qui fait office d’« impôt » destiné à payer nos campagnes militaires aventureuses. Cela marchera tant que la supercherie ne sera pas découverte et tant que les producteurs étrangers continueront d’accepter des billets verts ou d’en détenir en échange de leur production. Tout est fait pour empêcher que cette escroquerie soit mise au jour et portée à la connaissance de ceux qui la subissent. Si les marchés du pétrole remplacent le dollar par l’euro, cela mettra fin, à terme, à notre capacité à imprimer sans restriction la monnaie de réserve du monde.
Importer des marchandises de valeurs et exporter un dollar en pleine dépréciation représente un avantage absolument considérable. La croissance économique des pays exportateurs est devenue dépendante de nos achats. Cette dépendance les fait demeurer complices de l’escroquerie, ce qui maintient le dollar à un cours artificiellement élevé. Si ce système était viable à long terme, les Américains n’auraient plus besoin de travailler. À notre tour, comme ce fut le cas pour les Romains, nous pourrions profiter « du pain et du cirque ». Malheureusement pour Rome, la source d’or a fini par se tarir, et son incapacité à poursuivre le pillage des nations conquises a mis fin à son empire.
C’est ce qui nous arrivera si nous ne changeons pas de système. Bien sûr, nous n’occupons pas de pays étrangers que nous pouvons piller directement, mais nous avons des troupes déployées dans 130 nations. Nos efforts intenses pour étendre notre domination dans un Moyen-Orient riche en ressources pétrolières ne sont pas un hasard. Cependant, désormais, nous ne revendiquons plus la possession directe des ressources ; nous nous bornons à insister sur le fait que nous pouvons nous les procurer à notre guise, au moyen de notre monnaie de papier. Et tout pays qui remet en question notre autorité le fait à ses risques et périls.
Une nouvelle fois, le Congrès s’est lancé dans une propagande en faveur de la guerre contre l’Iran, comme il avait fait pour l’Irak. Il ne s’agit pas d’attaquer l’Iran économiquement, mais militairement si nécessaire. Ces arguments s’appuient sur les mêmes raisons fallacieuses qui ont justifié l’occupation de l’Irak, avec les conséquences que l’on connaît.
Tout notre système économique dépend du schéma monétaire actuel, ce qui signifie que le recyclage du dollar est indispensable. Aujourd’hui, nous empruntons annuellement plus de 700 milliards de dollars à nos généreux bienfaiteurs, qui travaillent dur et acceptent de nous céder leurs marchandises contre du papier. Ensuite, nous devrons emprunter pour consolider l’empire tant et plus (le budget du Département de la défense s’élève à 450 milliards de dollars). La puissance militaire dont nous jouissons devient le garant de notre devise. Peu de pays peuvent rivaliser militairement avec nous. En conséquence, ils sont contraints d’accepter notre dollar, que nous revendiquons comme étant l’« or d’aujourd’hui ». Voilà pourquoi des nations qui contestent ce système, l’Irak, l’Iran et le Venezuela, s’attirent nos foudres et font l’objet de projets de changements de régime.
Paradoxalement, la supériorité du dollar dépend de notre supériorité militaire, et notre supériorité militaire dépend du dollar. Tant que les étrangers acceptent de nous livrer des marchandises en échange de dollars et sont prêts à financer aussi bien notre consommation effrénée que notre militarisme extravagant, le statu quo se poursuivra, quelle que soit l’énormité future de la dette extérieure et du déficit budgétaire.
Toutefois, le danger est bien réel que ceux qui contestent notre politique sans être en mesure de nous défier militairement le fassent économiquement. C’est pourquoi la menace iranienne est prise très au sérieux. L’argument selon lequel l’Iran constituerait une menace imminente pour la sécurité des États-Unis est aussi fallacieux que les accusations à l’encontre de l’Irak. Pourtant, on constate actuellement peu de résistance à cette marche forcée vers la confrontation de la part de ceux qui avançaient des raisons politiques pour s’opposer à une guerre contre l’Irak.
La population et le Congrès semblent se laisser facilement convaincre par le chauvinisme des partisans de la guerre préventive. C’est seulement une fois les comptes faits en vies humaines et en espèces sonnantes et trébuchantes que la population s’insurge contre un militarisme peu sage.
Étrangement, alors que l’échec en Irak est une évidence pour une écrasante majorité d’Américains, ceux-ci, de chœur avec le Congrès, semblent opiner du chef à l’appel à une confrontation aussi inutile que dangereuse avec l’Iran.
Là encore, notre incapacité à se saisir de Ben Laden et à détruire son réseau ne nous a pas dissuadés de nous en prendre aux Irakiens dans une guerre qui n’avait rien à voir avec le 11 septembre.
Seule la préoccupation de maintenir le cours du pétrole en dollars permet d’expliquer la volonté des États-Unis de tout laisser tomber et de donner une leçon à Saddam Hussein pour son outrecuidance à vouloir vendre son pétrole en euros.
Une fois encore, un appel urgent aux sanctions est lancé et on menace de recourir à la force contre l’Iran, au moment précis où ce dernier ouvre une Bourse du pétrole en euros.
Faire usage de la force pour obliger des gens à accepter de l’argent sans réelle valeur ne fonctionnera qu’un temps. Cela ne fera qu’aboutir à une dislocation économique aussi bien domestique qu’internationale, et cela se paiera cher.
La loi économique selon laquelle un commerce honnête ne se fait qu’avec des valeurs réelles comme monnaie d’échange ne saurait être contournée. Le chaos auquel aboutira une expérience de trente-cinq années de fabrication d’une monnaie fiduciaire mondiale exigera que l’on retourne à une monnaie à valeur réelle. Nous saurons que ce jour est proche lorsque les pays producteurs de pétrole exigeront de l’or ou son équivalent en lieu et place des dollars ou des euros. Le plus tôt sera le mieux.