L'État, Règne de la Magie Noire
Des théories de la praxéologie
4 Magie Noire contre Magie Blanche
4.1 Deux attitudes opposées
Comme toutes les maladies, la Magie Noire peut être caractérisée par ses symptômes. Nous trouvons un bon résumé, précis et concis de ces symptômes dans une entrée du Dictionnaire du Diable d'Ambrose Bierce:
Prier, v.: demander que les lois de l'univers soient annulées en faveur d'un unique pétitionnaire qui confesse en être indigne.
La meilleure façon de mettre en évidence la Magie Noire est de la contraster avec l'attitude opposée de la Magie Blanche, qui est adoptée par les esprits sains [46].
Tout un chacun cherche le bonheur, le succès ou la rédemption; mais nous pouvons distinguer deux chemins radicalement opposés à suivre dans cette recherche. Un servant de la Magie Noire mendie des dons, il s'humilie, se soumet à des forces supérieures. Un pratiquant de la Magie Blanche mérite des récompenses, il développe la fierté de soi et la maîtrise de la nature (dans un sens non-hiérarchique). Un servant de la Magie Noire tente d'obtenir des faveurs de forces supérieures en faisant des sacrifices, en détruisant des objets et des personnes, en affichant bruyamment ses intentions amicales, voire en s'humiliant dans des actes de soumission abjecte. Un pratiquant de la Magie Blanche tente d'extraire des satisfactions des personnes et des choses terrestres (dans une relation non-hiérarchique [47]), en s'améliorant lui-même et en améliorant sa propriété, en créant des biens et des services, en faisant un travail effectif, en développant fièrement ses propres compétences. Les servants de la Magie Noire sont ignorants de la nature et de la façon dont elle fonctionne, et se rebellent contre elle quand elle ne satisfait pas leurs désirs. Les pratiquants de la Magie Blanche tentent de comprendre la nature et ses mécanismes, ils l'acceptent comme elle est, et utilisent leur connaissance de la nature pour obtenir des satisfactions. Pour un servant de la Magie Noire, les Dieux sont des êtres surnaturels au-dessus de nous; leur nature est Sacrée et ne souffre aucune mise en doute. Pour les pratiquants de la Magie Blanche, en tant que les choses peuvent être expliquées en terme de Dieux, les Dieux ne sont pas autre chose que des aspects de la Nature elle-même. Pour les servants de la Magie Noire, le but ultime est l'accomplissement des désirs les plus débridés, l'impossibilité en étant vaincue dans un paradis surréel qui sera accordé aux adorateurs dans un futur lointain ou après la mort. Pour les pratiquants de la Magie Blanche, le but ultime est d'obtenir des satisfactions appréciées avant la mort, avec la sagesse de réévaluer ses propres désirs pour qu'ils entrent dans le domaine du possible.
Voilà ce que j'appelle la Magie Noire — la croyance et la pratique de la recherche de bonnes choses comme autant de miracles accordés par un certain type de Dieux jaloux et vénaux: des Dieux qui exigent que vous vous humiliiez devant eux; des Dieux qui récompensent les sacrifices qui prouvent votre servilité; des Dieux qui jouissent de l'abjection de leurs croyants et de l'assujettissement des incroyants; des Dieux qui se complaisent de la destruction ou de la dégradation de soi-même et des autres; des Dieux aux pouvoirs illimités et aux désirs arbitraires, qui ne sont tenus par aucune loi connaissable par la raison, mais sont censés être influencés par l'affichage d'une obéissance servile de la part de leurs adorateurs. Bien sûr, des dieux abjects qui peuvent être achetés par une telle attitude ne méritent absolument pas d'être adorés. Ils sont des monstruosités contre lesquelles tout humain qui se respecte ne peut que se révolter. Ceux qui se prosternent aux pieds de tels dieux sont des esclaves, des pourceaux; ce sont des créatures indignes de leur libre arbitre, et qui d'ailleurs s'empressent de l'abandonner.
À l'opposé, la Magie Blanche est un ensemble de croyances complètement différent, qui implique un type complètement différent de Dieux incorruptibles mais bienveillants: des Dieux qui demandent qu'une personne s'améliore elle-même; des Dieux qui récompensent la création qui prouve la maîtrise d'une personne par les fruits mêmes de la création; des Dieux qui font leurs délices de l'estime de soi des croyants, et de l'élévation des non-croyants au rang de partenaires; des Dieux qui se réjouissent de l'autonomie et de la fierté des pratiquants; des Dieux aux pouvoirs limités, dont le comportement est circonscrit par les lois connaissables de la nature, qui ne sont émus que par l'ingénierie adaptée de leurs fiers contemplateurs. Ces Dieux n'ont pas à être adorés, mais compris. Ils sont des faits de la nature que les humains doivent apprendre à connaître et à accepter. Ceux qui maîtrisent ces Dieux deviennent de meilleurs humains; ce sont des êtres moraux exerçant leur moralité en faisant des choix, et qui recherchent effectivement la liberté et sa face duale, la responsabilité, comme la mère de toutes les vertus.
4.2 La couleur magique de la vie
La Magie Noire et la Magie Blanche sont deux pôles opposés dans l'univers des attitudes que les humains peuvent avoir vis-à-vis de la Vie. Dans le comportement humain réel, dans les croyances, les religions et les discours réels des humains, dans la complexité de l'esprit de chaque personne, ces deux attitudes opposées peuvent être simultanément présentes, et leur nombreuses instances imbriquées, combinées, mélangées. La réalité du comportement humain oscille entre ces deux extrêmes, et le plus souvent donne des teintes de gris. Mais ce gris ne veut pas dire que le noir et le blanc n'existent pas: la notion même de teintes de gris présuppose que le noir et le blanc existent, qu'ils peuvent être séparé et que l'on peut être plus près de l'un que de l'autre.
Séparer le blanc du noir n'est pas facile. Effectivement, ces deux aspects sont simultanément présents dans les cultures et religions traditionnelles; des mots identiques auront plusieurs sens de couleur radicalement différentes; et la plupart des gens confondront ces sens dans un concept vague et mou qui les empêchera de distinguer l'opposition entre ces sens. Ainsi, des personnes confuses ou trompeuses feront souvent appel à des motifs récurrents de pensée qui sauteront d'un sens à l'autre sans que la plupart des auditeurs ne s'aperçoivent de l'erreur ou de l'imposture. Et cette confusion permanente n'est pas un simple jeu de malchance: la Magie Noire développe systématiquement des apparences trompeuses: elle se fera passer pour de la magie blanche pour revendiquer les créations de cette dernière, et pour usurper ainsi pouvoir et légitimité. Les magiciens noirs, ces grands destructeurs qui dominent la société, se grimeront de blanc, et prétendront être les grands créateurs, tandis qu'ils habilleront en noir les magiciens blancs asservis qui sont les véritables créateurs.
Ainsi, ceux qui croient ce qu'ils ont appris à l'école et dans les médias de masse auront une idée inversée de ce que sont la magie blanche et la magie noire, de qui sont les exploités et les exploiteurs, de ce que sont les principes de création et de destruction. Les personnes les plus crédules inverseront effectivement le noir et le blanc sur un grand nombre de sujets, partout où la propagande officielle est efficace. Les personnes moins crédules seront troublées au point de voir du gris partout. Bien sûr, les personnes n'ont généralement aucun mal à distinguer ce qui est constructif et ce qui est destructif en ce qui les concerne directement, de façon que la propagande de la magie noire peut rarement tromper les gens concernant leur intérêt personnel immédiat; mais elle peut les tromper concernant leur intérêt personnel à long terme, et concernant l'intérêt personnel de personnes qu'elles ne connaissent pas bien. Elle inverse la vision morale à longue portée des personnes crédules, et induit une myopie morale sur les personnes moins crédules. Cette inversion occasionne de nombreuses confusions; elle crée pour chaque croyant une zone intermédiaire où tout est flou ou auto-contradictoire, entre leur entendement correct à courte portée et leur entendement inversé à longue portée; cela à son tour induit un sentiment d'absurdité quant à la vie. En fin de compte, ce phénomène mène à une forme de schizophrénie parmi ceux qui acceptent des théories aussi éloignées de la pratique quotidienne [48], à une auto-destruction de ceux qui refusent d'adopter des pratiques opposées à leurs théories; et à une atrophie des esprits de ceux qui cherchent à éviter un conflit mental en rejetant indifféremment toute théorie.
Pour comprendre le monde, nous devons donc apprendre à démêler l'arbre de la magie blanche des lianes parasites de la magie noire qui l'enserrent. Pour pouvoir estimer les effets des différentes attitudes et actions, nous devons étudier les influences respectives de la Magie Noire et de la Magie Blanche sur le comportement humain. La Magie Noire gagne toujours dans l'apparence; vous la verrez toujours dominer les institutions établies, glorifiée par des rites formels et des spectacles bouleversants. Mais c'est la magie blanche qui fait vraiment tourner le monde, même s'il faut du discernement pour s'en apercevoir. Les magiciens noirs sont experts en vœux pieux, imprécations oisives, et tromperie d'eux-mêmes et des autres; mais seul le travail assidu des magiciens blancs fait effectivement progresser le monde. Toute la création découle des principes de la Magie Blanche. La Magie Blanche sert de fondement à la civilisation même. Et la Magie Noire elle-même ne peut survivre que comme parasite de la Magie Blanche, — car s'il n'y a pas de création, il ne restera bientôt plus rien à détruire.
4.3 Tableau comparatif
Murray Rothbard, dans la conclusion de son livre Power and Market, a dressé un petit tableau comparatif entre les conséquences de ce qu'il a appelé « le principe du marché » (The Market Principle) et « le principe hégémonique » (The Hegemonic Principle). Nous pourrions très bien étendre ce tableau pour résumer l'opposition entre ces principes plus larges que sont la Magie Blanche et la Magie Noire. En fait, en considérant ce tableau, nous pourrions également appeler ces principes respectivement le principe libertaire et le principe autoritaire, ou encore le principe libéral et le principe étatiste, le principe de liberté et le principe de contrainte, le principe marchand et le principe guerrier, le principe économique et le principe politique, le principe volontariste et le principe coercitif, etc.
Quelques conséquences de ces deux principes opposés | |
Le principe du marché | Le principe hégémonique |
liberté individuelle | coercition |
bénéfice mutuel général (utilité sociale maximisée) | exploitation — bénéfice d'un groupe aux dépens d'un autre |
harmonie mutuelle | conflit de caste: guerre de tous contre tous |
paix | guerre |
pouvoir de l'homme sur la nature | pouvoir de l'homme sur l'homme |
satisfaction la plus efficace des désirs des consommateurs | satisfaction des désirs des dirigeants au détriment de ceux des citoyens |
calcul économique | chaos calculationnel |
incitations à la production et à l'avancement des standards de vie | destruction des incitations: consommation du capital et régression dans les standards de vie |
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La magie blanche | La magie noire |
Praxéologie — pensée rationnelle sur les choix dynamiques | Pensée magique — pensée votive sur des paramètres statiques |
Science comme processus de libre questionnement | Superstition sous l'autorité des dogmes officiels |
Règles universelles simples | Affirmations ad hoc complexes |
Démonstrations logiques | Paradoxes |
Cohérence interne — la raison comme filtre incontournable des croyances | Double pensée — suspendre la raison pour préserver les croyances |
Comprendre la nature | Élever un culte à l'ignorance |
Accepter les faits | Se révolter contre la nature |
Réaliser des potentiels effectifs | Poursuivre des fantaisies irréelles |
L'économie comme un point de vue sur l'action humaine | L'économie comme traitant de paiement monétaires, en vue de taxation par l'État |
Ceux qui peuvent effectivement faire des prédictions utiles récoltent leur récompense sur le marché | Ceux qui font des statistiques inutiles sont payés par l'État pour justifier sa spoliation |
Gagner sa vie, par son travail productif | Devoir sa vie au bon vouloir d'autrui |
Production: exploitation mutuelle pour bénéfice mutuel | Prédation: exploitation unilatérale au bénéfice de l'un et pour la perte de l'autre |
Intérêts harmoniques, jeux gagnant-gagnant à somme positive | Intérêts antagoniques, jeux gagnant-perdant à somme négative |
Convaincre par la persuasion | Contraindre par la force |
Création | Destruction |
Vie | Mort |
Discipline interne d'autonomie personnelle et d'exercices | Rituels externes de mendicité plaintive et démunie |
Arguments rationnels | Arguments émotionnels |
Causalité | Corrélation |
Cybernétique | Statistique |
Droit de dissidence | Obligation d'obéissance |
Consentement | Compulsion |
Liberté, Mère de l'Ordre | Ordre, Prétexte pour l'Oppression |
Ordre émergent | Chaos imposé |
Moralité fondée sur les bonnes actions, non pertinence des intentions derrière les actions | Moralité fondée sur les bonnes intentions, non pertinence des résultats des actions |
Justice fondée sur le respect et la restauration des droits de propriété de chaque individu | Justice fondée sur la coercition des individus pour qu'ils entrent dans le moule de l'utopie collective |
Choix dynamiques | Vœux statiques |
4.4 Formules magiques
La Magie Blanche et la Magie Noire sont des attitudes qui colorient tout ce qu'elles touchent. En effet, c'est en structurant la façon dont les gens pensent qu'elles influencent la façon dont les gens agissent. Comme tous les mèmes auto-reproducteurs, elles se répandent et survivent si et seulement si les actes qui en découlent contribuent à leur tour au succès du mème. Une cible majeure pour ces mèmes est donc le centre du langage, le mécanisme par lequel les individus associent un sens aux mots et relient les mots les uns aux autres et aux émotions, la façon dont les gens comprennent le monde.
George Orwell, dans son fameux roman 1984, décrit comment les régimes totalitaires tentent de limiter la façon dont les gens peuvent penser, s'exprimer et échanger des idées potentiellement subversives pour le pouvoir en place, en remodelant le langage pour en faire ce qu'il appelle le novlang: le vocabulaire est réduit; les termes sont redéfinis pour ne vouloir dire que ce que le parti veut bien; et pour avoir les connotations en accord avec la ligne de l'idéologie du parti; les mots et sens subversifs sont éliminés, etc. [49]Quand les ennemis de la liberté ne disposent pas d'un pouvoir totalitaire, ils ne peuvent pas manipuler le langage à volonté; toutefois, ils peuvent toujours répandre leurs connotations dans les mots, ajouter juste assez de sens secondaires à des mots existants pour les rendre inutiles (ou tout du moins bien moins utiles) pour exprimer des idées opposées aux leurs, ou quelqu'idée précise que ce soit. En effet, Friedrich Hayek a bien observé comme l'adjectif « social », employé comme suffixe de termes comme « justice », « contrat », « responsabilité », etc., leur faisait dire le contraire diamétral de ce pour quoi les libéraux auraient employé ces mots. Des philosophes comme Henry Hazlitt ou Ayn Rand ont aussi observé comment les mots « égoïsme » et « altruisme » étaient utilisés par les ennemis de la liberté avec des sens grossièrement incohérents, et promus comme incompatibles et opposés l'un à l'autre, l'égoïsme étant présenté comme mal et l'altruisme comme bien, justifiant ainsi le sacrifice de l'individu à la collectivité, incarnée dans son État [50].
Nous pouvons relever un cas où les magiciens noirs ont fortement biaisé un mot dans notre tableau comparatif précédent: le mot « exploitation ». L'exploitation signifie la réalisation d'un potentiel d'utilité; extraire un bien de quelque chose ou de quelqu'un. Ainsi, l'exploitation mutuelle est quelque chose de profondément bien, qui permet à chacun de s'en sortir mieux, avec comme résultat net la création de richesse pour tous — l'exploitation mutuelle est la source de tout ce qu'il y a de bien dans la société [51]. Mais les magiciens noirs ont chargé le mot « exploitation » pour vouloir dire spécifiquement une exploitation unilatérale de l'un au bénéfice de l'autre, avec pour résultat net la destruction de richesses. Encore une fois, ils veulent que chacun admette implicitement que la société est fondée non pas sur des relations de production, mais sur des relations de prédation. Les magiciens noirs pensent en termes de prédation; ils reprochent alors à l'exploitation d'être un mal quand d'autres qu'eux s'y livrent, et prétendent que c'est un bien quand eux s'y livrent (quoiqu'ils ne prononceront pas le mot maudit d'« exploitation » dans ce cas). En fait, puisqu'une société fondée exclusivement sur la prédation est impossible, en fin de compte, la Magie Noire sera fondée sur une imposture par laquelle la plupart des servants de la Magie Noire seront eux-mêmes des producteurs asservis, victimes de la prédation, mais complètement trompés au sujet de ce que sont la production et la prédation. La croyance en la Magie Noire est donc un parasite infestant des gens qui vivent vraiment grâce aux règles créatrices de la Magie Blanche; elle permet à quelques véritables magiciens noirs de vivre aux dépens de ces gens; mais elle peut même survivre sans bénéficier vraiment à quiconque.
Parfois, la Magie Blanche gagne la bataille du vocabulaire. Mon témoin préféré en est le mot « to earn », — un mot typiquement anglais et américain, qui n'a pas d'équivalent véritable en français. Il implique une relation dynamique entre un résultat et les moyens de l'obtenir: à travers un dur labeur, vous obtenez une chose de valeur que vous méritez. Toute une morale de création, de productivité, d'honnêteté, de propriété individuelle, de responsabilité personnelle, et de liberté se trouve derrière ce mot. Cependant, même en tentant de décrire le sens de ce mot libéral, je dois utiliser des mots qui peuvent prêter à confusion, et que les autoritaristes prendront allègrement d'assaut: dur labeur, productivité. Les magiciens noirs, qui n'entendent rien aux relations de causation, déconnecteront le travail de son résultat, et ou bien rejetteront le travail comme mauvais en soi [52], ou autrement feront l'éloge des vertus du travail comme bon en soi [53]. Les magicien blancs ont de l'estime pour le « dur labeur », non pas en rapport avec l'intensité des efforts, mais en rapport avec l'intensité des résultats [54]. Il est compris comme une loi de la nature que les gains faciles seront vite récoltés et considérés comme acquis sans effort particulier (tout effort requis impliquant que le gain n'était pas si facile après tout). Ainsi, tout travail productif qui porte des fruits valables de façon prévisible demandera probablement quelqu'effort intense ou quelque pénétration rare. Et c'est précisément la propension à sacrifier des plaisirs immédiats pour un résultat éloigné a priori peu évident qui mérite éloge — en tant que ce résultat éloigné est effectivement un gain. Toutefois, ce qui est apprécié est la capacité à voir et agir au-delà des gains immédiats — le bien ultimement supérieur rendu possible par le sacrifice immédiat; ce n'est pas le mal du sacrifice immédiat lui-même [55]! L'éloge ou l'absence d'éloge que mérite le dur labeur peut être mis en relation avec l'éloge ou l'absence d'éloge que mérite la réflexion intense: ce qui compte n'est pas l'effort dépensé à penser en soi, c'est le résultat en terme de profondeur de la pensée atteinte. Et cette profondeur même ne doit être évaluée qu'à travers les améliorations qu'elle apporte aux comportements; lesquels comportements à leur tour doivent être évalués par les satisfactions personnelles qu'elles suscitent (y compris les satisfactions indirectes obtenues par la coopération avec d'autres personnes qui peuvent être plus directement satisfaites grâce à cette pensée). Le but est « moins de pensée, plus de résultats », et non pas le contraire [56]; une pensée profonde n'est bonne que si l'un dans l'autre elle ouvre la voie à de nouvelles stratégies de comportement qui économisent le besoin de penser dans le futur tout en permettant d'obtenir un résultat équivalent ou meilleur — c'est un investissement en capital.
La Magie Noire, Principe d'Autorité, est un mème qui déforme profondément la façon dont ses victimes voient le monde, par opposition à la vue correcte qu'offre la Magie Blanche, Principe de Liberté. Si nous autres libéraux voulons guérir les malades du mème de la Magie Noire, nous devons pleinement saisir les conséquences de la façon dont la Magie Noire déforme l'entendement de ses victimes. Car nous ne pouvons les soigner qu'en les convainquant, et en communicant avec eux, nous devrons franchir le fossé sémantique entre les mots tels que nous les comprenons, et les mêmes mots tels que ces victimes les comprennent — chaque victime ayant son ensemble subtilement différent de distorsions dans le sens des mots [57].
[46]: J'ai originellement introduit et expliqué cet usage des locutions « Magie Noire » et « la Magie Blanche » dans un article, Magie blanche contre magie noire.
[47]: Pour un magicien noir, la relation à la nature et aux autres personnes est hiérarchique: il y a des inférieurs et des supérieurs; les magiciens noirs se montrent violents envers les inférieurs et serviles envers les supérieurs. Pour un magicien blanc, la relation à la nature et aux autres personnes n'est pas hiérarchique: il n'y a aucun raison d'établir des catégories de « supérieur » et d'« inférieur »; ce qui compte est de reconnaître les différents traits des nombreuses forces autres, d'apprendre à les respecter, et de maîtriser leur utilisation en vue de meilleurs résultats.
[48]: La schizophrénie est inhérente à toute théorie qui ne correspond pas à la pratique. Effectivement, quand une théorie décrit un monde différent du monde réel. elle est fausse, et n'est donc pas soutenable, et la pratique ne peut pas suivre cette théorie de façon complète et permanente. La pratique contredira donc la théorie, et il y aura un point de rupture dans l'esprit de chaque croyant en cette théorie entre la théorie acceptée et la pratique effectuée. Ainsi, la schizophrénie est le compagnon assuré de toute théorie fausse qui dure. Un symptôme typique pour diagnostiquer cette sorte de schizophrénie est la perle suivante de pseudo-sagesse, qu'un magicien noir pourra souvent ressortir avec un sentiment de fierté et d'intelligence: « En théorie il n'y a pas de différence entre la théorie et la pratique, en pratique si ». Les magiciens noirs acceptent en tant que paradoxe empreint de sagesse ce qui en toute raison est le signe sûr que leur théorie est fausse et devrait être amendée. Bien sûr leur magie noire consiste précisément à ne pas développer les théories par raisonnement individuel, mais en lieu et place de se soumettre à une autorité collective pour adopter une théorie.
[49]: Cette manipulation du langage à fins de contrôle de la pensée est cohérente avec ce qui est connu sous le nom d'hypothèse (faible) de Sapir-Whorf: que le langage a une influence structurelle majeure sur la façon dont nous pensons.
[50]: Nous avons déjà vu dans notre section sur les sophismes des biens publics que c'était une imposture que de prétendre que l'État pouvait être la source d'un altruisme extérieur aux citoyens eux-mêmes, et que la seule chose qu'il apportait vraiment était la coercition. Nous pouvons pousser notre analyse plus loin, avec Henry Hazlitt, et voir que l'égoïsme comme souci de soi est non seulement compatible avec l'altruisme comme souci d'autrui, mais un prérequis pour le souci d'autrui: quiconque n'a aucun souci de soi, aucun goût pour des satisfactions personnelles, ne peut se voir offrir aucunes satisfactions personnelles; un tel résultat serait impossible et il serait stupide d'essayer. Et en effet, les « altruistes » magiciens noirs de cherchent pas les satisfactions personnelles, mais leur abolition, et leur remplacement par des « satisfactions collectives » ainsi que révélées par leurs statistiques croissantes et la satisfaction des élites politiques concernant leurs prouesses à diriger une société soumise d'esclaves.
En fait, l'égoïsme, souci de soi, même sans souci d'autrui, est un bien et est le véritable moteur social, comme Bastiat l'a montré. Il est ce qui donne à chaque homme l'envie d'apprendre, de s'améliorer, de coopérer avec d'autres personnes, etc. Le sophisme consiste à faire croire que les intérêts personnels seraient intrinsèquement antagoniques les uns aux autres, alors qu'en fait ils sont en harmonie les uns avec les autres, dans ce que Hazlitt appelle le mutualisme. Bien au contraire, l'« altruisme » sans égoïsme est le mal; ceux qui ne se respectent pas eux-mêmes ne seront pas capables de respecter autrui; ceux qui pensent que les autres personnes ont tort de rechercher des satisfactions personnelles priveront avec joie ces autres personnes de leurs satisfactions, et penseront avoir bien fait. En fait, l'altruisme n'est qu'un prétexte pour l'élite politique pour rechercher ses propres satisfactions personnelles, et pour sacrifier en toute quiétude les personnes soumises aux fins « altruistes » officielles.
[51]: Les magiciens noirs n'arrivent à voir la coopération dans aucun échange dissymétrique; ils insistent qu'une des deux parties exploite forcément l'autre unilatéralement. Or un échange purement symétrique où chacun reçoit exactement la même chose qu'elle a donné, n'est un gain pour personne, seulement une perte inutile de temps à échanger. C'est pourquoi l'idéal des magiciens noirs est l'autarcie individuelle — la dissolution de la société. Et c'est en effet là la conclusion logique du fait de concevoir toute interaction humaine comme une prédation.
Bien au contraire, la coopération naît de l'échange dissymétrique, où chaque personne, étant spécialisée, offre ce qu'elle sait faire avec comparativement plus de facilité et reçoit ce qu'elle ne peut faire qu'avec comparativement plus de difficulté. Dans la coopération, les gens aident à accomplir le potentiel les uns des autres. Un artiste possède un talent utile pour une certaine partie de quelque attraction, mais aucun pour la prospection, le marketing et la vente, il cherche un imprésario — le meilleur qu'il puisse trouver, pour faire cette corvée à sa place. Cet imprésario de son côté cherche les meilleurs acteurs qu'il puisse promouvoir, et vend leurs talents au meilleur producteur qu'il puisse trouver. Un producteur rassemble un ensemble des meilleurs talents, chacun inutile s'il reste isolé, pour produire le meilleur spectacle possible et le vendre aux meilleurs clients qu'il puisse trouver. Et le public à son tour est prêt à payer pour quelque distraction qui suscitera des satisfactions telles qu'il ne trouvera pas mieux et moins cher ailleurs. Tout le monde profite de toute le monde. Chaque personne exploite chaque autre personne. Et tout le monde en est heureux — l'exploitation c'est bien. La liberté de se retirer et de choisir avec qui coopérer, en d'autres mots, un marché de libre concurrence, est exactement ce qui garantit que chacun sera servi du mieux qu'il puisse trouver, dans cette exploitation mutuelle dont le nom est coopération sociale.
[52]: Un exemple de tels magiciens noirs sont les défenseurs d'un « droit à la paresse », par lesquels des parasites qui refusent ostensiblement de travailler exigent que la force politique soit utilisée pour prélever de l'argent sur ceux qui travaillent pour leur accorder argent, satisfactions diverses, et autres privilèges.
[53]: C'est le cas de tous les « altruistes » qui font l'éloge du sacrifice à la collectivité sans satisfaction mesurable.
[54]: Ceci peut être résumé par cette citation de James J. Ling: « Ne me raconte pas à quel point tu travailles dur. Raconte-moi tout ce que tu arrives à accomplir. »
[55]: Lire le chapitre de Hazlitt sur le Sacrifice. Pour illustrer ce propos, vous pouvez considérer la notion de « gambit » dans le jeu d'Échecs, par lequel une pièce valable est sacrifiée pour obtenir un meilleur développement positionnel, ou quelqu'avantage qui en fin de compte contribuera positivement à la victoire finale. Ce n'est clairement pas la perte d'une pièce en elle-même qui est considéré comme un bien, mais l'astuce qui permet d'obtenir via un sacrifice temporaire un bénéfice net qui n'aurait pas été obtenu sinon.
[56]: C'est l'essence de ce qu'Alfred North Whitehead voulait dire dans sa phrase connue sur le progrès de la la civilisation:
C'est un truisme profondément erroné, répété par tous les manuels et par des personnes éminentes dans leurs discours, que nous devrions cultiver l'habitude de penser à ce que nous faisons. La vérité est diamétralement opposée. La civilisation avance en étendant le nombre d'opérations importantes que nous effectuons sans avoir à y penser. Les opérations de la pensée sont comme les charges de cavalerie dans une bataille — elles doivent être strictement limitées en nombre, elles requièrent des chevaux frais, et ne doivent être déclenchées qu'aux moments décisifs.
[57]: Nous avons précédemment discuté le problème de convaincre des gens dans notre discours à la conférence de printemps 2002, à Paris, de Libertarian International: Reason And Passion: How To Be A Convincing Libertarian. Nous sommes malheureusement loin d'avoir des solutions toutes faites à proposer, et nous sommes très intéressés d'entendre des méthodes qui marchent pour guérir cette maladie mentale qu'est le Principe Autoritaire.