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L'État, Règne de la Magie Noire - Des lois du Chaos & La science de la Catallaxie

L'État, Règne de la Magie Noire

  Des lois du Chaos & La science de la Catallaxie  


   5 La magie de l'action humaine 

5.1 Le bien, la connaissance du bien, et l'action en vue du bien 

Dans la section précédente, nous avons identifiées les attitudes fondamentales que sont la Magie Blanche et la Magie Noire comme deux mèmes concurrents (ou comme une famille de paires de mèmes concurrents). Nous les avons étudiés du point de vue mémotypique [58], nous procéderons avec le point de vue phénotypique: comment ces attitudes se traduisent en termes de comportement individuel dynamique.

Une étape cruciale de rétroaction entre la compréhension qu'une personne a du monde et l'action de cette personne a sur le monde réside dans la façon dont cette personne décide ce qui est bon et de ce qui est mal, quelles actions préférer et quelles actions éviter, quels buts poursuivre activement et quels buts éviter activement. Ces questions définissent non seulement la moralité d'une personne, non seulement ses goûts, mais sa vie. Ainsi la première question de l'éthique est: y a-t-il en ce monde quoique ce soit de supérieur, de sacré, de bien ou quelqu'en soit le nom? La seconde question de l'éthique est: comment pouvons-nous identifier cette supériorité, ce sacré, ce bien, cette qualité dont le nom importe peu, avec assez de précision pour la distinguer de ce qui est inférieur, blasphématoire, mauvais, ou peu qualifié selon-ce-nom-peu-important? Et la troisième question de l'éthique est: une fois identifié ces buts valables, comment pouvons nous au mieux les promouvoir [59]?

La première question de l'éthique trouve facilement sa réponse: le fait même de poser la question, de respirer de l'air, suppose que la vie vaut pour celui qui le fait; nous savons que certaines choses valent mieux que d'autres, nous le ressentons, et c'est bien pourquoi nous agissons [60]. Voilà qui exorcise le nihilisme moral.

Avec la seconde et la troisième questions, la Magie Noire et la Magie Blanche impliquent des approches opposées, des épistémologies opposées. Les magiciens noirs ont une vision statique du monde; ils voient l'information s'écoulant à sens unique, de l'Autorité vers vous, et de vous vers ceux qui sont plus éloignés encore de l'autorité. Les magiciens blancs par contre ont une vision dynamique du monde; l'information n'est pas totalement connaissable à l'avance, et la façon dont nous interagissons avec le monde est déterminante non seulement pour la façon de faire progresser le bien mais aussi pour la découverte même de ce en quoi consiste ce bien.

D'où des structures très différentes de l'organisation sociale: la structure type après laquelle les magiciens noirs modélisent les interactions sociales est la hiérarchie; la structure type après laquelle les magiciens blancs modélisent les interactions sociales est l'entreprise.

Avec la Magie Noire, chaque homme est une « fin en soi », distincte de chaque autre homme et opposée à toutes les autres. La lutte interne est la condition naturelle mutuelle des hommes, et seul un ordre imposé de l'extérieur peut les faire coopérer; et cette coopération même ne peut avoir lieu que pour une seule fin commune possible: combattre des ennemis extérieurs communs, que ce soient des ennemis effectifs (animaux sauvages qui peuvent être prédateurs ou proies, étrangers qui peuvent soit « nous » envahir et « nous » asservir soit être envahis et asservis par « nous »), ou des ennemis symboliques (qui peuvent être des envahisseurs comme le chômage, la pauvreté, la maladie, ou des esclaves potentiels comme les processus commerciaux, l'électricité, l'espace). Cet ordre imposé de l'extérieur prend la forme d'une structure de commandement au-dessus des hommes; cette structure de commandement est maintenue en place par des hommes qui doivent eux-mêmes être coordonnés par un commandement au-dessus d'eux, et ainsi de suite, dans une hiérarchie, jusqu'à ce qu'un seul homme détienne le commandement ultime, et obtienne son Autorité directement du principe d'autorité officiel ultime de la Magie Noire: le Droit de Conquête, la Classe Dirigeante, la Race Supérieure, l'Ordre Naturel des Choses, Dieu, la Religion, le Peuple, la Nation, la République Une et Indivisible, la Démocratie, etc. La nature est vue comme une lutte à plusieurs niveaux, depuis le Cosmique jusqu'au trivial, et l'organisation sociale correspond à la structure de la nature, en étant divisée selon une hiérarchie imbriquée de groupes avec des ennemis extérieurs communs et sinon des conflits internes qui sont résolus de force par une autorité qui empêche les sous-groupes d'interagir librement. La figure prototypique de la Magie Noire est un administrateur gestionnaire d'hommes, qui commande à ceux en-dessous de lui et reçoit ses ordres d'au-dessus.

Avec la Magie Blanche, chaque homme a ses propres fins, mais les fins des hommes ne sont pas intrinsèquement incompatibles ou opposées: les hommes peuvent tirer bénéfice de la coopération, et leurs fins peuvent ainsi être vues comme harmoniques. Chaque homme est donc un moyen légitime pour les fins de chaque autre homme, la coopération étant obtenue par l'aide mutuelle en vue des fins de chacun, chacun étant à la fois utilisé et utilisateur dans une exploitation mutuelle mutuellement bénéfique [61]. La condition naturelle de la société est donc un ordre émergent de coopération; et cette coopération a lieu parce que chaque homme poursuit ses propres buts, et utilise comme moyens d'autres hommes coopérant volontairement. Ensemble, les gens peuvent construire, améliorer, remplacer et abandonner des structures rationnelles, aussi bien mécaniques que sociales, pour maîtriser la nature, la mettre en mouvement, réagir à ses événements, s'adapter à ses changements, etc. Nous produisons les satisfactions des buts que nous nous fixons pour nos vies par l'ingénierie des processus naturels en vue de servir nos fins; nous réalisons les structures qui nous satisfont avec les ressources disponibles [62]. L'organisation de la défense contre les agresseurs n'est qu'un cas particulier de l'effort de préservation des structures que nous créons contre la destruction par des forces extérieures; et la prise en compte des forces adverses qui dégradent et détruisent les structures que nous créons fait elle-même partie de notre ingénierie de ces structures dynamiques. Comme pour tous les autres problèmes de la vie, le danger d'une agression doit être résolu par la libre coopération pour maximiser son résultat et minimiser ses coûts. L'organisation de la société est une structure adaptative dynamique d'individus coopérant et se coordonnant à travers des contrats volontaires tissés sur le marché libre. Pour les magiciens blancs, la Vie est une Entreprise Créatrice. La figure prototypique de la Magie Blanche est l'ingénieur entrepreneur, qui maîtrise une technique et recherche la coopération d'autres hommes pour l'utiliser à la construction de structures qui apporteront les plus grandes satisfactions à partir des moindres ressources [63].

 

5.2 La hiérarchie contre l'entreprise 

Pour les magiciens noirs, certaines connaissances s'écoulent de l'Autorité vers les simples mortels. La société idéale de la Magie Noire est donc organisée hiérarchiquement autour de l'Autorité, dans une division en castes: au sommet, il y a les prêtres, les sages hommes, les brahmanes, les membres du parti intérieur, les intellectuels officiels, les politiciens, ou quelque soit leur nom, desquels s'écoule l'ordre de la société. Après viennent les militaires, les guerriers, les policiers, les employés de l'administration, les fonctionnaires, les enseignants et autres commissaires politiques, qui disséminent et font respecter l'ordre supérieur auprès de la société. En dessous vient la masse des producteurs, travailleurs, paysans, artisans, techniciens, ingénieurs et autres esclaves, qui effectuent le travail physique; bien qu'une minorité d'entre eux puisse avoir des compétences avancées concernant la maîtrise de la nature, ils sont eux-mêmes considérés socialement comme des outils dans les mains de l'élite; et bien que ces travailleurs qualifiés dussent être payés davantage (ou sinon, ils abandonneraient leurs qualifications et se contenteraient des corvées communes), l'idéologie officielle les déclare inférieurs aux travailleurs physiques. Tout en bas de l'échelle sociale, à peine tolérés si tant est qu'on leur permet d'exister, il y a les commerçants, les marchands, les prêteurs, les spéculateurs, qui font un travail méprisable, qui est au mieux compris comme la récupération des déchets laissés par une administration ordonnée, comme le fait de profiter de la misère humaine d'une façon mystérieuse, de faire les sales besognes qui sont en dessous des soucis de la Hiérarchie.

Aussi caricatural qu'il paraisse, ce modèle est repris à l'identique par toutes les utopies totalitaires: c'est l'idéal suivi par les antiques empires d'Égypte, de Chine [64]ou des Andes; c'est le modèle proposé par Platon dans sa République, et dans les théories des brahmanes indiens ou des légistes européens; c'est la vision du communisme et de ses versions social-démocrates adoucies. Le fait qu'il y ait à peine la moindre variation parmi tous les idéaux totalitaires de tant d'époques différentes et de lieux différents, même en absence de communication intellectuelle entre ces lieux et époques, est un indice fort de l'existence d'un même Mal derrière eux: le Principe d'Autorité, la Magie Noire.

De plus, nous voyons pourquoi un magicien noir vénérera le Pouvoir en lui-même, tout en détestant quiconque détient le Pouvoir, si ce détenteur du Pouvoir ne suit pas l'Unique Vraie Autorité telle que comprise par ledit magicien noir: le monde dans son état actuel est une sacrée dystopie pour le magicien noir qui ne s'identifie pas pleinement avec l'État; en même temps, au rythme où le monde change en général et où les États changent en particulier, et avec le grand nombre de variantes de la Magie Noire, une identification complète de personnes avec leur État est forcément rare. Les magiciens noirs qui s'identifient assez avec leur État chercheront à s'en emparer, et à le réformer pour qu'il corresponde mieux à leurs idéaux. Les magiciens noirs horrifiés par une trop grande divergence entre leur conception du Bien et l'autorité actuellement régnante qu'ils rejettent, chercheront à faire une révolution, ou, s'ils sont trop faibles, à s'échapper, ou sinon, ils vivront comme des parasites antisociaux vandalisant une société qu'ils abhorrent.

Un mythe essentiel sur lequel repose le Principe d'Autorité est le mythe de la connaissance objective, qu'elle soit justifiée comme découlant de la « religion vraie », ou, de nos jours, de la « science établie »: autant de croyances qui doivent être acceptées sans possibilité de dissidence par les gens qui les reçoivent de la bouche des grands prêtres; des connaissances dont l'investigation n'est bonne que si elle est effectuée par l'élite officielle, et mauvaise si elle est effectuée par d'autres. Cette connaissance objective doit être mis en contraste avec le relativisme proclamé des magiciens noirs récents à propos de la réalité quand ils justifient la variété des choix arbitraires des nombreuses tyrannies qu'ils défendent: si la réalité contredit leurs théories, alors c'est la réalité qui a tort, ou encore elle est « plurielle », de telle sorte qu'ils sont exempts du besoin rationnel de cohérence logique.

La Magie Blanche, au contraire, rejette la prémisse d'une connaissance objective à propos d'une réalité relative, mais se fonde en lieu et place sur une connaissance relative d'une réalité objective. Toute connaissance est conjecture, mais la réalité fournit un cadre solide contre lequel tester et améliorer notre connaissance; quoiqu'il soit plus correct de renverser la direction de la phrase précédente: la réalité n'existe pas pour tester notre connaissance et discriminer la vérité divinement donnée de l'erreur inspirée par le diable; bien au contraire, nous développons des connaissances pour organiser notre comportement au sein de la réalité, pour ajuster ce comportement dans le but de réaliser les buts intérieurs qui sont nôtres.

Remarquez qu'en considérant le fait que toute connaissance est conjecture depuis le point de vue statique de la Magie Noire, on en arrive précisément au sophisme du relativisme, à la négation de la raison, et à la prééminence de la force brutale comme critère ultime de « vérité ». Au contraire, en considérant ce fait du point de vue dynamique de la Magie Blanche nous arrivons à voir toute connaissance comme un pari et à réaliser que chaque acte de notre vie est un choix d'entrepreneur [65]. Dans le paradigme de la Magie Noire, la Vie est un Combat, chaque homme combattant pour sa propre personne dans un monde absurde. Dans le paradigme de la Magie Blanche, la Vie est une Entreprise, chaque homme construisant sa propre vie dans un monde de sens.

Effectivement, toute connaissance que nous avons à propos du futur ne peut être obtenue que de l'expérience passée par induction. David Hume a montré que l'induction ne pouvait jamais mener à une connaissance certaine, mais seulement à des conjectures, car toute règle générale que nous pourrions induire de l'expérience passée peut toujours être invalidée par une expérience future [66]. Il y a une infinité de façons de digérer des données en un ensemble de règles. Cependant, parmi ces façons, certaines sont plus simples, étant donné les connaissances déjà acquises qui varient avec les individus et au cours du temps; et c'est dans un sens fort une stratégie optimale d'accorder exponentiellement plus de crédit aux explications plus simples qu'aux explications plus complexes: une telle stratégie minimise la quantité de temps et d'énergie employés tout en laissant le moins d'ouvertures pour une manipulation par des mèmes qui voudraient nous parasiter en s'insérant dans les explications [67].

Maintenant, bien que la même stratégie, indépendamment des connaissances initiales, mènera ultimement au même comportement asymptotique confrontée à la même séquence d'événements (et cela constitue son critère faible de cohérence) en pratique, nous partons tous de connaissances initiales différentes, nous avons tous des intellects différents, nous sommes tous confrontés à des séquences d'événements différentes, et notre vie est trop courte pour jamais s'approcher de l'asymptote. C'est pourquoi, en fin de compte, la connaissance est quelque chose de subjectif et de personnel: elle est basée sur une expérience qui ne peut jamais être complètement partagée; elle est adaptée à chacune de nos vies; elle n'est jamais adaptée à la vie de quiconque d'autre; elle s'améliore avec la rétroaction des décisions prises basées sur elle; elle part dans tous les sens sans rétroaction appropriée.

Le modèle social proposé par la Magie Blanche n'est donc pas une hiérarchie, mais une interaction, où chaque individu prend des décisions intrinsèquement personnelles, dans un paradigme qui mène simultanément à l'amélioration de soi et au respect des autres: liberté, responsabilité, propriété.

Pour les magiciens noirs, la connaissance est sacrée; elle est objectivement acquise en suivant l'Autorité. Pour les magiciens blancs, le processus de vie-apprentissage est sacré; la connaissance subjective naît du respect de la Liberté. Pour les magiciens noirs, la connaissance préexiste et doit être suivie. Pour les magiciens blancs, la connaissance est un type de bien parmi tant d'autres, que nous pouvons obtenir, en en payant le prix, quand nous faisons le pari qu'elle sera pertinente pour améliorer nos décisions futures et que cette amélioration vaudra son prix [68]; la connaissance n'est jamais parfaite, mais elle n'a jamais besoin d'être parfaite, elle a juste besoin d'être suffisamment bonne — ou plutôt, elle ne constitue qu'une des nombreuses parties de notre capital entrepreneurial individuel.

 

5.3 Statistique contre cybernétique 

La Magie Noire et la Magie Blanche ont des approches opposées de la connaissance. Nous avons vu comme cela les menait à des approches complètement différentes pour l'organisation de la société. Mais cela implique aussi des approches opposées sur la façon d'obtenir la connaissance sociale. En effet, en Magie Noire, les personnes qui détiennent le pouvoir social ont quand même besoin de fonder leurs décisions sur quelque information; tandis que dans une société rigide simple une hiérarchie fixe peut être suffisante pour que les ordres soient transmis sans discussion du sommet à la base, lorsque la société victime du parasitisme de la Magie Noire grandit en complexité, une telle hiérarchie rigide ne peut plus convenir; aussi, les institutions de la Magie Noire développent des outils propres, pour produire l'information sur laquelle les magiciens noirs pourront s'accorder en vue de prendre des décisions sur la façon de se nourrir de la société parasitée. À l'opposé, en Magie Blanche, la liberté d'acquérir et d'utiliser la connaissance et de fournir à autrui des services autour de la connaissance implique que différentes gens se spécialiseront dans différentes formes de connaissance, de façon que ceux qui n'ont pas ces connaissances puissent quand même en profiter; aucun des spécialistes n'aura aucune autorité a priori, au lieu de quoi chacun pourra vendre ses services sur un marché libre; cependant, des méthodes seront développées par les spécialistes pour acquérir des connaissances et par les béotiens pour détecter les bons spécialistes, dans un environnement de coopération concurrentielle.

L'approche de la Magie Noire pour comprendre le monde est statique. Elle tente de décrire le monde en termes de paramètres, dont la pertinence est mesurée par la résonance émotionnelle de sa valeur, plutôt que par aucune théorie rationnelle en terme de chaînes de causation parmi les événements qui affectent ces paramètres (quoique comme nous l'avons vu dans le cas des justifications des biens publics, un semblant d'explication rationnelle peut être donné pour satisfaire les surgissements contenus de la magie blanche dans la population parasitée). Ces paramètres sont à leur tour mesurés, et ces mesures et leur science, la statistique, sont au cœur l'approche de la connaissance par la Magie Noire; elles servent à justifier les politiques étatistes, où l'État, considéré comme un entité extérieure à la société, prend des mesures pour modifier magiquement les paramètres en direction d'une valeur plus désirable (proclamée telle par les statisticiens).

Toutefois, puisqu'il existe une infinité de paramètres qui pourraient être affectés par une infinité d'événements, le point de vue statistique donne toujours une image partielle, fausse, et en fin de compte trompeuse du monde. Étant donné un ensemble statique de mesures statistiques, on peut toujours inventer une intervention étatique qui leur fera produire des chiffres meilleurs en apparence, en « cachant la poussière sous le tapis »: c'est-à-dire qu'on améliorera les aspects mesurés au prix d'une évolution défavorable des aspects non mesurés; et ces aspects non mesurés comprennent d'ailleurs les préconditions indispensables à ce que les mesures effectuées conservent d'une fois à l'autre un même sens; de sorte que même une éventuelle variation positive des mesures consécutives à l'intervention ne signifie aucune amélioration même partielle. Ainsi, quand les mesures statistiques sont utilisées comme buts (comme dans le cas ces « critères de convergence », ou celui des rodomontades de tel gouvernement à propos de la réduction ou de l'augmentation de tel chiffre) le résultat est que les États interviendront de telle façon que les choses non mesurées empireront continuellement et que les mesures elles-mêmes se videront de leur sens [69][70].

Les justifications statistiques de l'État consistent donc toujours en (1) se concentrer sur un « problème » qui soit un ensemble particulier de paramètres mesurés, en déconnectant ces paramètres d'autres paramètres nécessaires à ce que la mesure ait un sens. (2) appliquer une instance du Sophisme de ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas pour montrer comment tel plan permettrait d'améliorer les mesures, sans considérations pour le fait que cette intervention en fait empire les paramètres non mesurés au point d'être nocive (3) poser la coercition étatique comme la solution magique au problème d'imposer le plan conçu, puisque ce plan ne fonctionne pas tant que règne la liberté.

L'attitude statistique n'a pas besoin de chiffres pour se tromper: le fait de porter son attention sur un ensemble de paramètres statiques, de déconnecter les modifications apportées à ces paramètres des conséquences dynamiques des moyens employés pour les modifier, l'invocation de l'État comme un dieu magique capable d'intervenir gratuitement — tout cela définit le point de vue statistique, et explique en quoi il s'agit d'une imposture intellectuelle. Les chiffres ne sont qu'un moyen de donner une façade pseudo-scientifique à l'attitude statistique. Ils ne sont qu'un ornement rituel destiné à inspirer l'humilité, une mise en scène religieuse de la religion étatiste de Magie Noire [71].

Bien sûr, plus élaborée est la couverture de mesures statistiques, plus complexe est l'appareil technocratique nécessaire pour intervenir d'une manière qui améliore les chiffres mesurés (au détriment du public en général). Quand les buts statistiques sont employés comme guides pour développer les administrations publiques, le poids, le coût, et l'inefficacité des ces agences gouvernementales augmentera, produisant de nouvelles statistiques et des interventions plus complexes, jusqu'au point où même de telles nouvelles mesures ne peuvent plus améliorer les chiffres; au-delà de ce point, l'État est dans une atmosphère de crise permanente, où il travaille dur sans résultat positif, même selon ses propres normes falsifiées [72]. Les statistiques sont l'outil par excellence par lequel les États jouent au sophisme de ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas. Certains essaient d'utiliser les outils mêmes de l'État pour repousser l'intervention étatique loin d'eux: ils produisent des contre-statistiques, etc. Mais il leur coûte fort cher de tenir à jour ces statistiques, qui seront disputées par l'État, et en fin de compte, le mieux qu'ils puissent accomplir est que l'État inclura de nouveaux paramètres dans ses statistiques, ce qui mènera à davantage d'interventions avec davantage de complexité et de subtilité. Les contre-statistiques peuvent être un moyen efficace de faire pression sur l'État en faveur d'une intervention à votre avantage, si vous arrivez à faire adopter votre arsenal statistique par l'État, ou si vous arrivez à vendre à l'État votre ralliement aux thèses officielles. Mais les contre-statistiques ne peuvent pas être employées comme moyen de réduire l'intervention globale de l'État.

En fait, les statistiques sont nées comme un outil de comptabilité fiscale; effectivement, ils sont une manière pour l'État de garder une trace de ses avoirs. Le calcul « économique » de la Magie Noire est bien basé sur la comptabilité et les statistiques, se focalisant sur la question de savoir qui possède quelles richesses, et qui les échange quoi avec qui, de façon à taxer tout ce beau monde [73]. Les citoyens sont forcés de déclarer tout ce qu'ils possèdent et tout ce qu'ils gagnent, pour que l'État puisse leur en prélever une partie; l'État de son côté promet représailles et confiscation à tout citoyen qui ne déclarerait pas tout proprement à l'administration. L'emploi des statistiques comme paradigme pour l'imposture intellectuelle est un développement secondaire de ce but comptable originel; c'est une adaptation évolutionnaire de l'État, confronté à une société technique où il est indispensable de diffuser une certaine rationalité dans la population, de telle sorte que la force brute ne peut plus être employée sans arborer une apparence trompeuse lui donnant un semblant de raison.

La Magie Blanche est fondée sur une épistémologie complètement différente. Elle a une approche dynamique de la compréhension du monde en termes de causation, de décisions prises sur la foi d'informations, sur le flux dynamique d'information et d'énergie, etc. C'est une approche cybernétique. Les notions fondamentales qu'elle considère sont les décisions, les événements, les choix, chacun avec ses implications dynamiques, plutôt que des agrégats qui donneraient des chiffres statiques indépendamment de toute chaîne causale. Autrement dit, la vision du monde de la Magie Blanche n'est pas moins partielle, mais elle s'intéresse aux moyens compréhensibles plutôt qu'aux fins incompréhensibles. Elle nous permet de prendre des décisions qui ne sont pas flouées par le biais systématique (qu'il soit volontaire ou involontaire) du processus de fabrication des statistiques. Et en effet, les informations que nous traitons ne peuvent en fin de compte influencer le monde qu'à travers les décisions que nous prenons. Ces décisions sont donc l'élément de base à partir duquel la vie humaine est construite. Elles sont le tissu même de la vie: non pas des joies et peines statiques, mais des décisions responsables et leurs effets en retour.

Les sophismes comptables de la Magie Noire comparent le présent au passé (dans le cadre de quelques paramètres, tandis que d'autres sont cachés); ils créditent les uns et débitent les autres (en pratique, les privilégiés sont créditeurs, et les exploités paient); la comptabilité enregistre les transferts de propriété; elle donne de l'information sur ce qui s'est passé, mais ne peut d'aucune façon prédire ce qui arrivera pour l'adaptation aux changements inévitables de la vie. Cependant, quand une personne fait un choix, cette personne n'a jamais, ô grand jamais à choisir entre le futur et le passé; le temps s'écoule, qu'on le veuille ou non. Une personne a toujours, et à jamais à choisir entre de multiples futurs. C'est pourquoi la morale et l'économie (et en fait, l'économie est la même chose que la moralité) n'est jamais concernée par les coûts comptables; bien plutôt, elle est est toujours concernée par les coûts d'opportunité, c'est-à-dire, la différence attendue de résultat entre les diverses opportunités. Les coûts comptables sont non pertinents; les seules personnes qui ne se soucient jamais des coûts comptables sont les fonctionnaires du fisc — autrement dit, les voleurs [74].

Le calcul économique dans le paradigme de Magie Blanche est donc le raisonnement praxéologique: il considère les coûts d'opportunité des diverses décisions, plutôt que les coûts comptables dénués de pertinence. Il compare le présent aux multiples futurs possibles, tels qu'indexés par les divers choix auxquels une personne est effectivement confrontée, plutôt que par quelques changements miraculeux dans des paramètres externes. Il tente d'évaluer quelle sera la différence entre les divers résultats qu'apportent chacune des alternatives disponibles (cette différence est le coût économique de l'alternative considéré, aussi connu sous le nom de coût d'opportunité). Il donne de l'information sur ce qui pourrait arriver, il est un outil pour la prise de décision. Il sert de guide dans l'allocation de chacune des ressources à un projet plutôt qu'à un autre.

Étant donné la connaissance des divers coûts d'opportunité, et les préférences des individus, le praxéologue peut déterminer quelles décisions seront préférées et prises. Bien sûr, la connaissance de divers coûts d'opportunité ne peut être que partielle, et ces coûts seront évalués différemment par divers individus selon leurs connaissances et leurs préférences. Mais cela en soi constitue une opportunité: cela signifie qu'un échange d'information entre personnes peut les aider à prendre de meilleures décisions, en leur donnant de meilleurs modèles l'un de l'autre quant à leurs préférences et opportunités, de façon à s'adapter non seulement à ce que la nature peut faire mais aussi à ce que l'un et l'autre fera. Ainsi, bien que cette information sur les opportunités et préférences [75] peut dépendre d'un grand nombre de facteurs inconnus ou non maîtrisés, il est possible de faire des prédictions utiles; de plus, la coopération entre personnes permet en fait de diminuer les risques et de réduire les effets des facteurs non maîtrisés en partageant l'information, en construisant des stratégies élaborées basées sur l'action coordonnée, en distribuant les responsabilités sur chaque sujet à ceux qui connaissent le mieux le domaine, etc.

La prédiction précise du résultat d'une combinaison de tous les choix humains, étant considérées toutes les conditions particulières dans lesquelles ces choix sont faits, est hors de portée de quiconque, ou d'une quelconque combinaison de personnes — ne fût-ce que parce que la connaissance sur laquelle fonder une telle prédiction n'est elle-même pas disponible. Nous ne pouvons jamais savoir à coup sûr lequel de deux choix une autre personne préférera, à moins de lui proposer effectivement ce choix et de voir ce qu'elle choisira, à quel moment il est trop tard pour faire une prédiction. Et cela ne concerne qu'un seul choix, tandis que la combinaison de toutes les actions humaines est bien plus complexe. Ainsi, la compréhension complète de la société humaine est au-delà de la porté de quiconque. Mais cela ne veut pas dire qu'il est impossible d'obtenir des formes d'entendement partiel, ni qu'aucune prescription utile ne soit possible. En effet, il est possible de discerner des lois générales immuables du comportement humain, qui ne sont pas moins des lois de la nature que les lois de l'électromagnétisme; et par la connaissance de ces lois, il est possible de déduire des principes généraux du comportement, et une ingénierie du comportement, de même qu'il y a des règles générales de sûreté pour l'utilisation d'appareils électromagnétiques et un art du génie électrique.

À partir des règles que les gens reconnaissent explicitement ou suivent implicitement, un ordre émerge dans la société. Cette ordre est rarement voire jamais utilisé comme une explication pour justifier les règles à suivre — ce qui compte, cependant, est que l'ordre en question est en fait une conséquence inévitable de l'acceptation de ces règles. Les cybernéticiens s'intéressent à ces règles, ce qu'elles sont, ce qu'elles peuvent être, comment elles affectent l'ordre émergent, comment les modifier, dans quelles limites elles peuvent être modifiées, quelles recettes peuvent être suivies pour construire un meilleur comportement, etc. En étudiant les règles de comportement, les cybernéticiens feront particulièrement attention aux variants et aux invariants: quels potentiels et quelle information sont conservés par quels événements, et lesquels sont consommés de façon irréversible; quels phénomènes sont le lieu d'une rétroaction positive, et conduisent à des forces évolutionnaires; quels phénomènes sont le lieu d'une rétroaction négative, et conduisent à des équilibres partiels; quels événements modifient les opportunités disponibles, etc. Avec une telle analyse, il devient possible de détecter systématiquement les sophismes tels que ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas qui défient les lois naturelles fondamentales de conservation, et de concentrer son énergie et son attention sur des plans qui marchent réellement.

 

5.4 La loi d'escalade éristique 

La Magie Blanche et la Magie Noire diffèrent non seulement dans la façon dont elles nous encouragent à collecter de l'information et à déterminer ce qui est bien, mais aussi dans la façon qu'elles nous font agir en vue de ce que nous croyons être le bien. Alors que la pensée statique de la Magie Noire implique une théorie de l'action morale orientée vers les buts poursuivis, la pensée dynamique de la Magie Blanche implique une théorie de la justice orientée vers les moyens employés.

Selon le Principe d'Autorité, certaines personnes savent ce qui est bien, certaines personnes ont l'autorité de déterminer ce qui est bien. En conséquence, pour les autoritaristes, les personnes qui vont à l'encontre des opinions exprimées par cette autorité agissent de façon mauvaise, et devraient être empêchées de le faire; la coercition est donc considérée comme un moyen légitime d'imposer aux dissidents les opinions de l'autorité dans le domaine qui est reconnu comme sien.

Au contraire, selon le Principe de Liberté, le bien en général et la connaissance utile en particulier émergent du fait que chaque personne est libre de ses choix et responsable vis-à-vis de ses choix, dans la limite de la propriété que ladite personne crée et acquiert. Pour paraphraser Hayek, nous libéraux ne nions pas qu'il existe des personnes supérieures, des choix meilleurs, des actions morales et immorales, etc. Ce que nous nions c'est que quiconque ait l'autorité de décider qui sont ces personnes supérieures, quels sont ces choix meilleurs, quelles actions sont morales ou immorales, etc. [76]

En effet, en supposant que certaines personnes sachent mieux que d'autres, comment établirons-nous qui sont ces personnes? L'autorité ne résout pas le problème de la connaissance de ce qui est bien; elle ne fait que repousser ce problème, pour le cacher sous le tapis de l'irrationalité. En fin de compte, chaque individu, pour déterminer à quelle autorité se confier, devra toujours utiliser sa propre raison, sa propre expérience, ses propres traditions (qui ne sont que l'expérience accumulée à travers les siècles). Le propre esprit d'une personne est irréductiblement le critère ultime pour les choix que fera cette personne, même si elle choisit de les déléguer; une certaine liberté et responsabilité personnelle ne peut être annulée, même dans le cadre le plus autoritariste.

Car même si vous acceptez quelqu'autorité, même si Dieu vous parle directement et que vous le savez, il se peut que les autres personnes ne le sachent pas. Elles n'ont aucun moyen de s'assurer de vos prétentions, et n'ont donc aucune raison a priori de vous croire, de suivre à l'identique la même autorité, etc. Elles ne peuvent d'aucune façon raisonnable prendre votre mot pour dit. Et même si elles sont d'accord avec vous d'une façon formelle, acquiesçant à votre opinion, utilisant à l'identique les mêmes mots que vous en provenance de la même autorité, elles peuvent en fait faire une interprétation différente de ces mots, elles peuvent les comprendre avec un sens différent, avec des différences subtiles mais essentielles. Ainsi même avec un accord formel sur une autorité commune, il reste la question de communiquer les idées que l'on a de ce qu'est le Bien, pour qu'elles l'emportent contre les idées opposées. En supposant qu'une personne sache ce qu'est le bien, comment peut-elle faire en sorte que d'autres personnes le sache aussi? En supposant que l'idée de bien d'une personne a potentiellement un sens pour d'autres personnes à qui elle veut la transmettre, quelles sont les manières légitimes ou efficaces d'accomplir cette transmission?

Voilà une autre façon de laquelle le Principe d'Autorité ne peut pas esquiver la nécessité pratique de convaincre des gens de façon pacifique: chaque candidat à l'autorité n'a de ressources individuelles directes pour ne contraindre au plus que quelques autres personnes pour exécuter les ordres de ce candidat; ce n'est qu'en acquérant la coopération de séides, d'hommes de mains, de suivants et de complices qu'une personne peut étendre sa prise sur des individus non consentants. Et tous ces servants et complices doivent être convaincus, séduits ou autrement persuadés, non pas par une autorité préexistante, mais par des moyens non autoritaires. Or, dans le cas de la Magie Noire, ces façons non-autoritaires comprennent l'imposture et la tromperie, la culture de la superstition et de l'irrationalité, autant que les gangs de brigands consentants s'en prenant à des tierces parties non consentantes.

À l'opposé, le Principe de Liberté, puisqu'il rejette l'autorité, la coercition, l'imposture, la tromperie, et quelque sorte d'agression que ce soit, induit le développement de moyens très particuliers d'acquérir la coopération d'autrui: la discussion rationnelle, ou du moins la séduction d'une façon compatible avec la critique rationnelle. On peut même dire que le raisonnement rationnel ou sinon logique en général est né de la liberté de négocier les termes sous lesquels coopérer, et en fin de compte de choisir s'il faut ou non coopérer. Et c'est pourquoi ce n'est pas une surprise que les mathématiques axiomatiques soient nées dans les plus libres des cités de Grèce. En effet, quand des personnes libres doivent gagner l'acceptation volontaire d'autres personnes libres, y compris des étrangers d'autres cités, pour coopérer, elles doivent convaincre d'autres personnes qu'il est de leur intérêt à coopérer, et en même temps ne pas se laisser imprudemment convaincre contre leur propre intérêt. Ainsi, dans une société d'individus mutuellement libres, chacun développe à un certain degré des compétences aussi bien en communication (rhétorique, dialectique) qu'en analyse des communications (logique, politique). Et ces compétences ne se sont développées que dans de telles sociétés de personnes libres et responsables: car il n'y a aucun intérêt pour une personne à investir dans la raison quand cette personne ne va pas prendre de décision ou quand elle ne va pas souffrir des conséquences de ses décisions, cependant qu'une personne doit bien décider quand elle est libre et tenue comptable de ses actes. Ainsi la coercition rend les gens plus irresponsables et irrationnels, tandis que la liberté rend les gens plus responsables et rationnels. Que la séduction irrationnelle se développe et prospère est le signe sûr que les principes de liberté et de responsabilité ne sont pas respectés.

Examinons maintenant la quintessence du Principe d'Autorité: la coercition comme moyen légitime d'action. La coercition ne convainc pas — elle ne le peut pas. Le principe même en est de se passer de convaincre les parties soumises à la contrainte. Elle peut obtenir que des personnes fassent ce que vous désirez — mais seulement si vous êtes le plus fort — et seulement pour un moment, après quoi les choses sont pires qu'avant. Car non seulement les personnes seront demeurées non convaincues, mais elles auront abandonné les outils mentaux maintenant superflus de la rationalité et la responsabilité nécessaires au développement d'une conviction profonde. C'est pourquoi la coercition ne peut jamais être employée pour rendre des personnes morales, selon quelqu'idée de morale que ce soit: ces personnes resteront aussi immorales qu'avant, et davantage encore pour accepter les ordres de leurs maîtres, cependant que ces maîtres eux-mêmes seront devenus des monstres. Elle rend les sujets hypocrites et les maîtres hautains. Dans un cas, ceux-ci sont sous la coupe de la volonté d'autrui, et perdent leur sens de la responsabilité. Dans l'autre cas, ceux-là ne sont plus comptables de leurs décisions tant qu'ils restent au pouvoir, et deviennent prisonniers des moyens violents qu'ils emploient pour vivre. Dans les deux cas, les deux parties finissent par n'être plus ni libres ni responsables.

La vanité inéluctable de la coercition comme principe d'action a été joliment résumé par les discordiens. Le discordisme est une religion du genre « ha ha, c'était juste sérieux » fabriquée par un genre particulier de libéraux: le genre marrant. Dans un site ouèbe discordien remarquable, Hyperdiscordia, on peut trouver la divine « Loi d'escalade éristique » (Law of Eristic Escalation), originellement tirée des Principia Discordia, et commentée comme suit (les caractères gras sont miens, la traduction aussi):

Cette Loi (originellement trouvée dans le Livre Sincère de la Vérité, l'Évangile selon Fred, 1:6) s'applique à toute imposition arbitraire ou coercitive d'ordre. Elle dit:

Imposition d'Ordre = Escalade du Chaos

L'Amendement de Fenderson ajoute que le plus strictement l'ordre en question est maintenu, le plus longtemps le chaos met à escalader, MAIS le plus il escalade quand il escalade!
[L'Addendum de Thudthwacker à l'Amendement de Fenderson tend à prouver que la présence d'un terme non-linéaire qui apparaît dans les calculs de Fenderson contribue à faire en sorte que l'escalade du chaos soit complètement imprévisible à partir de l'imposition d'ordre originelle — Ed.]

Armé de la Loi d'escalade éristique et de l'Amendement de Fenderson [et de l'Addendum de Thudthwacker — Ed.] n'importe quel imbécile — et pas seulement un sociologue — peut comprendre la politique.[77]

Notes

[58]: De même que Richard Dawkins a construit le mot « mème » par analogie avec « gène », le mot « mémotype » est construit par analogie avec « génotype ». Voir le projet Principia Cybernetica pour plus d'information sur la mémétique.

[59]: Le lecteur pourra comparer ces trois questions aux trois questions d'Ayn Rand dans La philosophie: qui en a besoin: « Qui suis-je? Comment puis-je le découvrir? Que dois-je faire? », par lesquelles elle caractérise respectivement la métaphysique, l'épistémologie et l'éthique.

Bien sûr notre thèse consiste précisément en ce que bien qu'on puisse insister séparément sur chacun de ces aspects, ils sont inséparables les uns des autres dans nos stratégies de comportement. Les magiciens noirs hiérarchisent la métaphysique puis l'épistémologie puis l'éthique, où l'univers serait un ensemble donné sur lequel se renseigner avant d'agir. Nous les magiciens blancs savons que nous ne pouvons obtenir de l'information sur l'univers qu'en interagissant avec lui, ce qui le modifie à son tour, de façon que l'information circule dans les deux sens, d'éthique vers épistémologie et métaphysique aussi bien qu'en sens inverse.

[60]: On pourra avancer que certaines personnes ne le savent pas, qu'elles ne le ressentent pas, qu'elles n'agissent pas. De telles personnes meurent. Génétiquement, mémétiquement, elles sont des voies de garage, qui sont vite balayées par la vie. Les relativistes auront beau jeu de prétendre que la mort n'est pas moins « bonne » que la survie, et qu'exister ne vaut pas mieux que ne pas exister. Peut-être. Mais ceux qui sont morts, ceux qui n'existent pas, les choses qui ne sont pas réelles, n'ont aucune pertinence. Ils ne viennent pas changer ce qui advient de nos vies (toutefois les idées bien réelles sur des choses irréelles, si). Nous vivons. Si vous ne vivez pas, vous êtes hors de notre horizon. Si vous ne voulez pas vivre, allez donc mourir; vous perdrez toute pertinence tandis que nous nous concentrerons sur les choses qui comptent pour nos vies. La vie est une prémisse à toute discussion rationnelle, car toute négation de la vie est une contradiction performative.

Une réponse plus faible est que même si rien ne vaut mieux qu'autre chose, alors la réponse que nous donnons ne vaut pas moins qu'aucune autre réponse. Dans tous les cas, l'argument comme quoi tout se vaut est auto-contradictoire. Certains magiciens noirs y feront appel malgré tout, comme moyen d'inhiber la rationalité d'autrui et de faire prévaloir leur force, en lieu et place d'un argument rationnel.

[61]: Au sujet de l'homme comme moyen pour d'autres hommes, voir de Norbert Wiener The Human Use Of Human Beings: Cybernetics And Society de même que de Henry Hazlitt The Foundations of Morality.

[62]: La vie consiste à métaboliser des ressources extérieures. Cela n'a pas lieu seulement à l'échelle de la biochimie, mais aussi à l'échelle de la société. Nos meilleurs gènes et mèmes survivent si et seulement s'ils répandent leur structure. Ces structures doivent être efficacement réalisées dans un environnement concurrentiel, en utilisant des ressources qui sont extérieures et qui sont organisées si elles le sont de façon différentes; ces ressources sont utilisées en les imprégnant avec une partie appropriée de l'ordre interne de la forme de vie qui les absorbe. La transformation localement anentropique (certains diraient « extropique ») de l'organisation inconnue, incomprise et peut-être inconnaissable d'une ressource en un motif connu, compris et amical est l'activité caractéristique de la vie: la métabolisation.

Au niveau biochimique, il existe des membranes (membrane cellulaire, peau, etc.) qui séparent le monde intérieur constitué des ressources ayant été transformées ou réservées pour une métabolisation prochaine, du monde extérieur constitué des ressources soumises à un ordre extérieur. Mais même ces membranes ne sont pas des frontières absolues, absolument précises, infranchissables, incassables. Ce sont plutôt des limites adaptatives et auto-réparatrices qui fournissent une tentative de séparation de l'intérieur vis-à-vis de l'extérieur en un compromis productif entre efficacité et coût. À l'échelle sociale, les droits de propriété sont aussi de telles membranes, qui identifient les ressources qui ont été métabolisées par certaines personnes qui les ont transformées ou les ont réservées pour transformation prochaine. La règle d'appropriation d'une ressource par celui qui les met en valeur en premier (homesteading, en anglais), n'est que la reconnaissance du processus de la vie à l'échelle de la société.

[63]: Ici, nous devons réaffirmer le fait que hiérarchies et entreprises, comme la Magie Noire et la Magie Blanche, sont deux pôles, deux extrêmes, entre lesquels se développe la réalité. Dans nos sociétés de magie grise, les compagnies et institutions sont typiquement quelque chose d'intermédiaire entre les idéaux de la hiérarchie et de l'entreprise. Même dans les administrations hautement centralisées, l'entreprise individuelle est essentielle pour que les choses se fassent; et même dans des compagnies hautement compétitives, le flux de décision sociale est ressenti par les participants et institué selon une relation hiérarchique. Ainsi, là aussi, il y a du gris, et là aussi, le gris n'a de sens que par référence au noir et au blanc.

[64]: Cette utopie est résumée dans la hiérarchie proverbiale « sĩ nông công thương » (administrateur, paysan, ouvrier, commerçant) des sociétés traditionnelles vietnamienne et chinoise.

[65]: Le mot « pari » ci-dessus ne doit pas être compris comme une mise dans un jeu à somme nulle de prédation mutuelle basé sur le pur hasard, comme dans un casino ou une course de chevaux. Bien au contraire, il doit être compris comme l'engagement de ressources dans un jeu à somme positive de production, où un choix judicieux compte. Et la preuve du caractère judicieux d'un choix se trouve précisément dans l'engagement sage ou peu sage des ressources. Ceux qui engageront leurs ressources sagement retireront un grand bénéfice de leur investissement, tandis que ceux qui prendront les mauvaises décisions perdront leur mises et au-delà. Ce que nous cherchons à exprimer par le mot « pari » n'est pas l'incertitude statique mais la nature dynamiquement évaluable de toute connaissance: comme corps statique d'information, la connaissance est radicalement incertaine et dénuée de valeur; mais comme base dynamique pour s'adapter, la connaissance a la valeur des choix adaptatifs meilleurs auxquels elle mène.

[66]: Cette idée a été plus tard formalisée longuement par Karl Popper, qui a conclut que l'induction était impossible comme un principe de raisonnement hors contexte. Cependant, Popper semble n'avoir jamais réalisé la formalisabilité d'un principe positif d'induction dans un raisonnement avec contexte évolutif, plutôt que de son principe purement négatif de « falsification ».

[67]: C'est le fameux principe inductif suivi par tous les scientifiques, souvent nommé rasoir d'Occam, et bien formalisé par Ray Solomonoff.

[68]: Les côtés clairs et sombres de la connaissance sont résumés dans les « Lois de l'information de Finagle »: « L'information que vous possédez n'est pas l'information que vous voulez. L'information que vous voulez n'est pas l'information dont vous avez besoin. L'information dont vous avez besoin n'est pas l'information que vous pouvez obtenir. L'information que vous pouvez obtenir coûte davantage que ce que vous êtes prêts à payer. » Bien sûr, de même qu'avec la Loi de Murphy, ces lois ne parlent que des échecs qui reviennent nous hanter, car nous prenons les succès pour donnés.

[69]: Pour empêcher les gens de réaliser que les paramètres mesurés deviennent vides de sens, les magiciens noirs attribueront un pouvoir magique aux mots eux-mêmes; une fois associé par une croyance magique à un sens qui se veut absolu, le mot peut alors être utilisé pour nommer un paramètre mesurable dont le sens réel dérivera jusqu'à perdre toute pertinence. La Magie Noire, une fois de plus, se fonde sur des vœux pieux.

[70]: J'ai appris depuis que parmi les économistes ce phénomène était connu sous le nom de loi de Goodhart.

[71]: Dans The Pretence of Knowledge, Hayek démasque la pseudo-science cachée derrière l'approche statistique en économie. Mais il ne se rend pas compte du motif récurrent plus général que constitue la pensée statique, et pour lequel l'irrationalité n'est pas un accident, mais une caractéristique essentielle.

[72]: C'est ce qu'Anthony de Jasay appelle « the drudge », mot qu'on pourrait rendre en français par « la routine besogneuse ».

[73]: Remarquablement, pour les étatistes, le mot Économie est défini pour désigner très exactement tout ce qui peut être assujetti à l'impôt, et rien d'autre.

[74]: Sur la différence entre coûts comptables et coûts d'opportunité, voir notre article subséquent, Raisonnement économique contre sophismes comptables: le cas de la recherche « publique ».

[75]: Remarquez comme le « coût » d'une opportunité n'a de sens qu'à l'intérieur de l'ensemble des préférences d'un individu. Remarquez aussi que les préférences sont ordinales plutôt que cardinales; c'est-à-dire, elles permettent de choisir entre des alternatives, de les trier par ordre de préférence, mais pas de les placer sur une échelle numérique — et encore moins sur une échelle commune à de nombreuses personnes. C'est pourquoi toute forme de calcul utilitariste collectiviste est une imposture intellectuelle.

[76]: La citation originale suit:

« The [classical] liberal, of course, does not deny that there are some superior people — he is not an egalitarian — but he denies that anyone has authority to decide who these superior people are. » — F. A. Hayek, Why I Am Not a Conservative (VF)

[77]: L'article de Hyperdiscordia  sur la « Loi d'escalade éristique » continue comme suit:

Aussi je vais les traduire dans la lingua franca du monde occidental: toute imposition d'ordre crée un déficit de chaos, qui s'accumule avec intérêts composés jusqu'à ce qu'il soit remboursé (en subissant tout le chaos dû, taux n-aire).

Bien sûr, Éris pense que tout le chaos est du tonnerre. Mais nous autres mortels trouvons que l'excès d'une bonne chose est un peu dur à supporter. Aussi flanchons-nous quand nous rencontrons un anérisme — c'est-à-dire une déclaration qui méconnaît la Loi d'escalade éristique.

Si vous entendez dire que rendre la prostitution illégale éradiquera le viol, vous entendez un anérisme — une manifestation de l'Illusion Anéristique. (Si vous lisez la Va'ch Sacré — au lieu de la parcourir en diagonale comme il est recommandé de le faire — vous comprendrez l'anamysticométaphysique de l'anéristique.)

Un anérisme entre presque toujours dans notre monde à travers la bouche d'un politicien — mais il peut s'agir de n'importe quelle figure d'autorité comme un prêtre ou un enseignant ou un parent ou un patron ou Ronald McDonald.

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