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Histoire du libéralisme : « De l'Ancien Régime à la Démocratie libérale »

L’Ancien Régime et la Révolution

Nous avons tous une vision grandiose des règnes des derniers Bourbon – de Louis XIII à Louis XVI – et de l’action de leurs ministres – Richelieu, Mazarin, Colbert [1] et Fleury. L’Histoire (avec un H majuscule) a retenu les fastes de Versailles, les victoires militaires et le luxe de la cour mais ce que l’histoire (avec un petit h, celle du commun des mortels) nous apprend, c’est que la vie de la grande majorité des Français de l’époque se résumait à une misère abyssale. Une épigramme fameuse, du temps de Louis XV, résumait assez bien le sentiment du peuple : « La France est un malade que, depuis cent ans, trois médecins de rouge vêtus, ont successivement traité. Le premier (Richelieu) l’a saigné ; le second (Mazarin) l’a purgé ; et le troisième (Fleury) l’a mis à la diète ».

Une anecdote rapportée dans ses Mémoires par René Louis d’Argenson, ministre des Affaires étrangères de Louis XV, rapporte que le duc d’Orléans porta au conseil un morceau de pain de fougère et, à l’ouverture de la séance, le posa sur la table du roi en disant : « Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent » alors même que monsieur Orry [2] vante la régularité avec laquelle les impôts alimentent le trésor royal. Cet épisode résume assez bien les informations qu’on tire de la lecture des auteurs de l’époque : les Français sont écrasés d’impôts [3] et de corvées, l’administration est partout, une réglementation tentaculaire et arbitraire brise toute activité commerciale ou industrielle, tout est centralisé à Paris qui festoie dans l’insouciance la plus totale tandis que, jusqu’aux abords de Versailles, les gens meurent – littéralement –de faim. « Si les peuples étaient à l'aise, écrit Richelieu dans son testament politique, difficilement resteraient-ils dans les règles ». Tout est dit.

Or, comme le rapporte notamment Tocqueville, le règne de Louis XVI fut certainement le plus prospère de tous – pour les Français s’entend. L’auteur de L’ancien régime et la Révolution note (L3, IV) qu’environ 30 ou 40 ans avant la révolution, l’économie française se met progressivement à croître : pour la première fois depuis plus d’un siècle la condition des gens ordinaires s’améliore, le commerce se développe, les industries fleurissent un peu partout et la population augmente. Les sources de l’époque sont sans ambigüités : le prix des fermages ne cesse d’augmenter, le bail de 1786 donne 14 millions de plus que celui de 1780, Arthur Young, dans ses Voyages en France, s’émerveille de la prospérité retrouvée de Bordeaux qui surpasse, selon lui, Liverpool… Partout les gens s’enrichissent dans des proportions jusqu’ici jamais vues. Malgré le poids encore écrasant de l’État et la gestion calamiteuse des finances, les tentatives de libéralisation de l’économie française – en particulier par Turgot [4] – permettent enfin à la France de ressentir les premiers effets de la révolution industrielle venue d’Angleterre.

Mais alors pourquoi les Français, qui vivent désormais de mieux en mieux, vont-ils faire leur révolution ? Tocqueville propose une réponse qui, je crois, résonne parfaitement avec les évènements auxquels nous assistons aujourd’hui en Afrique du nord, au Moyen-Orient et un peu partout dans le monde. Ce que cette période de croissance et d’enrichissement a implanté dans le cœur de nos ancêtres c’est l’espoir. Pour la première fois, les Français goûtent aux effets de la liberté, connaissent la prospérité et commencent à y croire. Avec leur bien être matériel désormais mieux assuré, ils commencent à rêver de libertés politiques. Là où, quelques décennies plus tôt rien ne pouvait se faire hors l’État, hors le roi, c’est un peuple entier qui ose enfin rêver de prendre son destin en main. Tocqueville résume son idée en une phrase : « Vingt ans auparavant, on n'espérait rien de l'avenir ; maintenant, on n'en redoute rien ».

À quoi d’autre assistons nous aujourd’hui ? Les 50 dernières années ont été, dans le monde entier et dans les pays dits émergents en particulier, la plus formidable période de croissance et de recul de la pauvreté que l’humanité n’ait jamais connu. Jugez plutôt : en 2005, on estimait le nombre de gens vivant avec moins de $1,25 par jour à 1,337,8 millions (25,7% de la population mondiale). D’après une mise à jour publiée récemment par Laurence Chandy et Geoffrey Gertz, deux chercheurs de la Brookings Institution, ce chiffre est tombé à 878,2 millions (15,8%) en 2010. Un dixième de l’Humanité qui sort de la misère extrême en 5 ans ! Partout, de l’Asie du sud-est à l’Afrique du nord, des milliards de gens vivent mieux aujourd’hui qu’hier et, comme nos français du 18e siècle, se prennent à rêver de liberté politique.

Après les régimes tunisien et égyptien, ce sont pratiquement tous les régimes autocratiques de la planète qui sentent passer ce formidable souffle de liberté. Alors que Kadhafi tente désespérément de sauver son régime, les autorités chinoises viennent de couper l’accès à certains réseaux sociaux sur lesquels commençaient à s’organiser la contestation. Ce que nous renvoient ces millions de gens n’est rien d’autre que notre propre image, il y a un peu plus de deux siècles.

La liberté, écrivait Tocqueville, « certains peuples la poursuivent obstinément à travers toutes sortes de périls et de misères. Ce ne sont pas les biens matériels qu'elle leur donne que ceux-ci aiment alors en elle ; ils la considèrent elle-même comme un bien si précieux et si nécessaire, qu'aucun autre ne pourrait les consoler de sa perte et qu'ils se consolent de tout en la goûtant. D'autres se fatiguent d'elle au milieu de leurs prospérités, ils se la laissent arracher des mains sans résistance, de peur de compromettre par un effort ce même bien-être qu'ils lui doivent. Que manque-t-il à ceux-là pour rester libres ? Quoi ? Le goût même de l'être. »

Que rajouter à ça ?

Notes :

[1] Qui était contrôleur général des finances pour être précis.
[2] Philibert Orry, contrôleur général des finances de 1730 à 1745
[3] On prélevait 1,2 millions de livres de taille sous Charles VII contre 80 millions sous Louis XVI
[4] Dont Tocqueville dit, à juste titre, « que la grandeur de son âme et les rares qualités de son génie doivent faire mettre à part de tous les autres ».


Le droit de vote, un glorieux acquis de la Révolution française ? L’Ancien Régime meurt en organisant pour la première fois des élections au suffrage universel masculin : cette première fois devait être aussi la dernière avant longtemps. Loin d’établir le suffrage universel, la Révolution le réduit, le contrôle, le dénature ou le manipule au gré des changements chaotiques de gouvernements en une petite décennie.

Par Gérard-Michel Thermeau.

En 1789, les élections aux États généraux assez confuses dans leurs modalités pratiques, à l’image de la complexité des structures d’Ancien Régime, se sont faites avec une participation massive de la population, du moins dans sa composante masculine.

Tous les nobles possédant fief, tous les membres du clergé séculier et des représentants du clergé séculier étaient amenés à désigner au chef-lieu du baillage ou de la sénéchaussée leurs députés. Les électeurs du Tiers étaient tous des hommes majeurs, c’est-à-dire pages d’au moins 25 ans, domiciliés et contribuables. Ils vont désigner dans un climat très libre des délégués qui élisent à l’assemblée de baillage les députés.

Se déclarant Assemblée nationale constituante, les députés des anciens États vont établir le nouveau régime qui naît en 1789 sur une conception beaucoup plus restrictive du suffrage. Le cens écarte, en théorie, la grande masse de la population au profit des propriétaires les plus aisés, le suffrage étant conçu comme une "fonction publique" confiée aux plus éclairés des citoyens. D’ailleurs, l’inscription sur les listes électorales ne se fait pas d’office : elle suppose un acte volontaire de l’électeur potentiel. Néanmoins, dans les campagnes, le nombre de citoyens "actifs" est très élevé : ce sont surtout les pauvres des villes qui sont relégués dans la catégorie des citoyens "passifs".

Serment du Jeu de Paume

La démocratie représentative refuse l’exercice immédiat de la souveraineté par le peuple. Le suffrage  opère un choix sans qu’il soit question du moindre contrôle des élus par les électeurs. Les électeurs ne sont d’ailleurs pas les citoyens actifs mais élus par eux pour désigner à leur tour les députés : le suffrage à deux degrés est un obstacle supplémentaire à l’expression de la volonté populaire.

Par ailleurs, les mineurs, les domestiques et les femmes, réputés dépendre d’autrui, sont écartés de la communauté civique.

Ainsi les élections de 1791 sont sensiblement moins démocratiques que celles de 1789 et sont marqués par une très forte abstention, la désignation indirecte des députés n’étant guère mobilisatrice ainsi que les conditions concrètes du scrutin avec des assemblées électorales s’étalant sur plusieurs jours.

Les républicains après avoir renversé Louis XVI s’empressèrent de proclamer l’établissement du suffrage universel (masculin). Mais les élections de 1792 se déroulent dans un climat d’intimidation tel, le secret du scrutin n’étant guère respecté, que l’abstention est massive : 700 000 votants pour 7 millions d’électeurs. De surcroît, la Convention était élue comme la Législative selon le système compliqué à deux degrés. Le nombre d’électeurs était donc très sensiblement inférieur à celui des États Généraux et guère supérieur à celui du suffrage censitaire.

Les règles constitutionnelles étant suspendues jusqu’au retour de la paix, une dictature de Salut Public tient lieu de république en 1793-1794. La constitution jamais appliquée de juin 1793 témoigne cependant de la très grande méfiance des jacobins à l’égard des scrutins : ils maintiennent le principe d’élections à plusieurs degrés aux résultats toujours révocables au gré de la volonté du "peuple", ce dernier terme renvoyant à une notion très vague.

Ayant renversé Robespierre, les conventionnels se montrent soucieux de se maintenir au maximum au pouvoir. La nouvelle constitution prévoyant 750 législateurs, 2/3 des sièges sont réservés aux sortants et seuls 250 députés nouveaux seront élus.

Les Thermidoriens reviennent par ailleurs au suffrage censitaire mais non au cens, contribution donnant la capacité électorale. L’électeur s’identifie désormais au contribuable : tous ceux qui paient un impôt direct, quel qu’il soit, peuvent voter. Mais le suffrage n’est légitime que s’il s’opère au profit du pouvoir en place. Sous le Directoire, le peuple votant mal, notamment au profit des royalistes ou des néo-jacobins, le pouvoir casse purement et simplement les élections quand les résultats se révèlent décevants. L’armée est appelée à soutenir de ses baïonnettes la volonté directoriale.

Malheureusement pour eux, selon le mot de Talleyrand, on peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus. Aussi le général Napoléon Bonaparte devait confisquer la Révolution à son profit exclusif. Avec le dictateur corse, le suffrage universel masculin est rétabli mais uniquement pour approuver le maître du pouvoir sous forme de plébiscites où le vote est public et les erreurs de calcul fréquentes dans la comptabilisation des oui. Les élections sont supprimées : les citoyens sont amenés à désigner des "candidats" pour les diverses fonctions, la désignation revenant au Sénat.

Le suffrage universel ne devait vraiment être pratiqué qu’en 1848, vraiment libre qu’après 1870, et réellement universel qu’en 1944, soit bien après les autres pays démocratiques et plus de 150 ans après la Révolution française !

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