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| Gallia Aquitania |
| Aquitaine |
Nous avons régroupé dans cette rubrique tous les peuples plus pu moins celtisés dits "Aquitains". Selon César et Strabon, l'Aquitaine correspond aux territoires compris entre l'océan, la Garonne et les Pyrénées; Strabon, les décrit comme des gens forts différents des Celtes qui habitent dans le reste de la Gaule; par leur langue et leur physique, les Aquitains se rapprocheraient des Ibères.
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La conquête de l'Aquitaine par les Romains
Lumières Landaises n° 70.
N.B. Si passionnantes soient-elles, ces quelques notes ne rendent compte que de manière imparfaite de la richesse de l'exposé de J.P. Brethes, qui était agrémenté de nombreuses projections.
En 58 avant JC. L'empire romain n'est pas encore un empire. C'est une république qui ne contrôle guère que la Gaule Cisalpine, la Provincia Romana, qui s'étend jusqu'à Vienne - et non pas Lyon - et une partie de l'Espagne. La Gaule Cisalpine n'est autre que l'actuelle Italie du Nord, à l'époque peuplée de Gaulois. Ainsi, Tite Live et Virgile sont nés gaulois, en Gaule Cisalpine. Au-delà des Alpes, la Gaule dite chevelue n'est pas encore romanisée.
César fait une carrière à ses frais comme tous les aristocrates romains, et, dans son cas, à crédit. Crassus lui prête l'équivalent de centaines de millions d'euros actuels. En effet, les hommes politiques romains ne sont pas payés pendant leur carrière, et, au contraire, elle leur coûte très cher. Ils offrent à Rome des jeux et des spectacles – ceux que César a donnés à la plèbe coûtent tellement que, par la suite, on interdit d’en faire d’aussi chers -, et ils se remboursent ensuite sur les provinces. Ainsi, une poignée de familles romaines exploite les immenses provinces sur lesquelles Rome étend sa domination. A l’issue de son consulat, César obtient un mandat qu'on appelle un proconsulat, lequel donne les pleins pouvoirs sur un territoire étendu, pour lui la Gaule et l’Illyricum (Côte Dalmate).
Le premier projet de César était de conquérir les terres qui s’étendent à partir de la province Dalmate jusqu’au Danube, mais le roi Burebistas, contre lequel il envisageait de faire campagne, abandonne ses projets belliqueux contre Rome l'année du consulat de César, c'est-à-dire en 59. Le proconsul tourne alors ses regards vers la Gaule, qui offre d'immenses possibilités financières, au point que, dès la première année, il a remboursé la totalité de ses frais de campagne. Plutarque estime que César a vendu un million de têtes (humaines) au cours de la campagne. Dans la première année, il en vend deux ou trois cent mille
C'est dans ce cadre là que César lance ses légions dans la conquête des provinces voisines. Il prend prétexte de l'immigration des Helvètes pour les vaincre et, par la suite, entraîner ses légionnaires dans une véritable guerre de conquête. Ce n'est pas si facile, car dès la première année il doit faire face à une grève des officiers de ses légions. Il parvient à les convaincre de le suivre.
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L'Aquitaine est la mal-aimée des Gaules. César nous dit qu'elle ne fait que le tiers de la Gaulle, et il situe ses limites aux Pyrénées et à la Garonne. Pour les Aquitains, la Garonne est effectivement une limite – même si Bordeaux et Toulouse ne sont pas aquitaines - mais pas les Pyrénées dont les Aquitains peuplent les deux versants.
Strabon, un géographe grec postérieur à César, parle d'un « peuple petit et obscur » et quelque cent vingt ans plus tard Pline l'Ancien, (qui commandait la flotte impériale lors du désastre du Vésuve) cite une trentaine de peuples, mais il ne parle pas de la même Aquitaine.
D'autre part, Napoléon III, dans l’Histoire de Jules César, qu'il a signée, en 1865, ne consacre qu'une page à l’Aquitaine. Quant à Mommsen, dans son Histoire Romaine publiée à Berlin en 1857, il l’expédie en dix lignes seulement. Il faut aller lire la monumentale Histoire de la Gaule de Camille Jullian pour trouver trois pages.
A partir du IIIème siècle avant JC, les Celtes ont migré vers la Gaule et vers l'Espagne, mais n'ont pas peuplé l'Aquitaine, à l'exception des Bituriges Vivisci , navigateurs et commerçants celtes, à Bordeaux et des Volces Tectosages à Toulouse, mais ils ne sont déjà plus en Aquitaine, où vivent des populations qui ne sont celtes ni par la langue ni par les usages.
En 58 av JC, César livre sa première campagne contre les Helvètes, puis en 57, va combattre les Belges et le pseudo germain Arioviste. A ce moment, les grands peuples gaulois de la Gaule centrale soutiennent César, notamment les Héduens, "frères de sang du peuple romain" et les Arvernes. Vercingétorix, comme beaucoup d’aristocrates de son peuple, est alors officier de la cavalerie de Jules César, essentiellement composée d'aristocrates gaulois.
Les Romains n'avaient pas de carte et s'en passaient donc pour se déplacer. Le croquis de la page suivante était fait à partir de ce que les Romains savaient en Géographie et que César avait appris de son maître Posidonius - qui avait été également le professeur de Cicéron - et peut être aussi de son rhéteur gaulois Gnipho. Pour les Romains, la Gaule est un pays entièrement tourné vers le nord et barré par des fleuves parallèles, la Garonne et la Seine. A l’ouest (au sud pour nous) de la Garonne se trouvent les Aquitains. En 56, c'est par les peuples qui bordent l’Océan que le proconsul commence véritablement la conquête, car au centre de la Gaule, les Héduens et les Arvernes sont ses alliés.
Comment est peuplée l'Aquitaine? Mommsen parle de « tribus ibériques ». On connaît l'existence de diverses peuplades, mais on ne connaît pas leurs frontières de manière fiable, car ces populations nomades occupaient de vastes étendues mal délimitées et ignoraient sans doute la notion de frontière, au sens actuel du terme. Ainsi il règne quelque incertitude sur les Tarusates, le peuple le plus puissant, dont nous descendons vraisemblablement et que l'on rattache tantôt au cours moyen de l’Adour et à Tartas, tantôt au Tursan. On sait aussi que Dax, Aquae Tarbellicae, est, comme son nom l’indique, une ville des Tarbelles,. Le seul endroit que l'on connaisse avec précision, c'est Sos dont le peuple, les Sotiates est le seul d’Aquitaine à avoir un roi et un oppidum (hauteur fortifiée). Ils sont peut-être celtes, en tout cas, ce sont les seuls qui se battent comme des Gaulois et les Aquitains les laissent se battre tout seuls contre les Romains. Tous les autres Aquitains se coalisent pour former une grande armée confédérée. Il existe aussi d'autres peuplades, comme les Gates ou les Ptianes que personne ne sait situer avec précision. Enfin, contrairement à ce que disent parfois certains historiens, à la suite de César, les Pyrénées n'étaient pas la frontière de l'Aquitaine.
On peut se demander pourquoi César vient conquérir le territoire de ces petits peuples nomades. Quelle est l'importance économique de l'Aquitaine ? A la différence de plaines comme la vallée du Rhône et la vallée de la Seine, l'Aquitaine ne constitue pas un enjeu économique majeur et les Romains ne sont pas inquiétés pour commercer sur la vallée de la Garonne. On a avancé l’attrait de l'or des Tarbelles, dont Strabon écrit, un demisiècle plus tard, que l'on trouve dans la région des plaques grandes comme la main. Mais il s'agit vraisemblablement d'un mythe, même si l’affaire de « l’or de Toulouse », soixante ans auparavant et la disparition d’un convoi d’or prouvent la présence de quantités importantes de ce minerai.
La lecture des amphores permet de mieux comprendre les flux économiques et montre clairement que la Garonne constitue un axe important. En 1972, la découverte des amphores de Cauna (des amphores de type espagnol), a contribué à montrer que les peuples de l'Adour commerçaient avec l'Espagne. Dès le IIIème siècle avant JC, l'Adour relie les provinces du nord-est de l'Espagne et les Aquitains par le Golfe de Gascogne et la Côte Cantabrique, entre autres. Mais surtout, il est un minerai stratégique important dans l'Antiquité : l'étain qui, allié au cuivre, donne le bronze. Si le cuivre est omniprésent, l’étain, bien plus rare, se trouve essentiellement en Bretagne (Grande-Bretagne). Pour Rome, son importation se fait par deux axes stratégiques : le premier, depuis la Méditerranée emprunte la Garonne, puis par cabotage rejoint le puissant peuple maritime des Vénètes, qui contrôlent, avec leur puissante flotte de haute-mer, le commerce avec la Bretagne. Les Vénètes sont de ces rares peuples celtes qui font du commerce comme les Bituriges Vivisci - qui ne sont pas des Aquitains - tournés vers l'Océan, jamais en guerre avec personne, et toujours du côté du vainqueur.
Donc, si le contrôle de la Garonne et de son estuaire présente une importance économique certaine, celui de l'Aquitaine profonde ne semble guère présenter d’intérêt, d’autant que la Côte Cantabrique n'est pas encore pacifiée.
Quel est alors le poids militaire de l'Aquitaine? Mommsen parle de « milices considérables par le nombre et le courage ». Effectivement les Aquitains ont remporté des succès militaires antérieurs. Le légat romain Valerius Praeconinus a été vaincu et tué, sans doute à l'occasion de la guerre contre Sertorius. La région compte aussi le puissant peuple sotiate dont nous avons parlé plus haut. Les autres sont de petits peuples dispersés, liés par ce que nous appellerions des accords de défense. César appelle l'Aquitaine le « pays des Vocates et des Tarusates ».
A propos des Aquitains, Camille Julian écrit ce panégyrique : "Ils montraient une bravoure à la fois plus habile, plus prudente et plus têtue. Rusés, habitués aux travaux les plus divers des champs, des mines et de l'élevage, ils montraient cette variété d'aptitudes qui faisait l'excellence du légionnaire romain ». Mais c'est de la poésie pure.
En tout cas, cinquante mille Aquitains et Cantabres sont rassemblés pour arrêter Crassus, le légat de César, et ses douze cohortes (quinze mille hommes dont six à sept mille fantassins). La réputation militaire des Espagnols, en revanche, n'est plus à faire depuis que Sertorius avait fondé une république libre d'Espagne. Les forces militaires qui comptent sont à la périphérie de l'Aquitaine, du côté de la Gaule, et, à la différence de tant d'autres peuples, ceux de l'Aquitaine ne sont pas nommés ailleurs dans La Guerre des Gaules, même pas dans la liste des peuples soulevés en 52, où figurent presque tous les peuples de Gaule. Cette conquête n'est donc essentielle ni économiquement ni militairement, même si Mommsen dit qu'il s'agit d'établir « une ligne de communication avec l'Espagne », car, de l'autre côté des Pyrénées, ce n'est pas l'Espagne romaine. Donc, notre fierté régionale dût-elle en souffrir, l'Aquitaine, la moins gauloise, la moins riche, la moins peuplée des Gaules, ne constitue pas un enjeu majeur pour César, tout au plus un objectif secondaire
La bataille d'Aquitaine a été menée par Publius Licinius Crassus, fils puîné de Marcus Licinius Crassus qui constitue avec César et Pompée l’alliance d’intérêts que l’on a appelé improprement le premier triumvirat, en fait une alliance de coquins pour se partager l'empire. De même que César a donné sa fille en mariage à Pompée, de même il a pris sous son aile le fils de Crassus (comme, d’ailleurs le frère de Cicéron) et il lui a donné un peu plus d'une légion : douze cohortes. Chose très originale, face à cette légion qui se bat évidemment « à la romaine », les Aquitains se battent aussi « à la romaine », en utilisant des camps retranchés. Le camp romain est une pure merveille, qui explique que les Romains n'aient jamais été battus dans cet abri inexpugnable. Il ne s’agit pas ici des camps permanents, mais des camps construits chaque jour, à l’étape, par les corps expéditionnaires. Celui de Crassus est composé d'environ 6000 à 7000 légionnaires, à peu près autant d'auxiliaires gaulois, et de 1000 à 2000 cavaliers. Tous les soirs, après 30 km avec 30 kg sur le dos, les légionnaires installent leur camp sur une dizaine d'hectares. Un tiers environ de la troupe forme une ligne de défense en construisant un parapet et en posant des piquets qu'ils ont porté sur leur dos tout le jour. Ce corps consomme environ 20 tonnes de blé par jour et cet approvisionnement est aussi vital que le carburant pour une armée actuelle ; or, la logistique est entièrement gauloise
Le combat contre les Sotiates est très vite réglé, mais l’affaire est beaucoup plus difficile avec le reste des Aquitains qui se battent comme des Romains. Ils laissent la légion romaine pénétrer en profondeur jusqu'à ce qu'elle atteigne le nord des actuelles Landes. Il est impératif pour eux que les troupes de Crassus ne débouchent pas sur les terres fertiles au Sud de l'Adour. Nous avons la chance d'avoir deux sources, dont une hostile à César, qui racontent exactement la même bataille. Les légionnaires romains, comme d’habitude, provoquent l'ennemi en l'appelant à monter à l'assaut, en resserrant les rangs pour paraître les moins nombreux possible. Normalement l'ennemi charge en courant et les légionnaires brisent aisément l'assaut au moyen de flèches et de javelots. Lorsque la troupe adverse est bien disloquée, ils avancent en rang compact et culbutent les survivants. Mais cette fois-là, cette tactique ne fonctionne pas parce que l'ennemi est formé « à la romaine » : il ne quitte pas l’abri invincible du camp. Alors Crassus lance une attaque frontale contre ce camp, sans succès, personne n'ayant jamais réussi à prendre un camp romain par la force. Ses hommes piétinent donc devant les retranchements aquitains, jusqu'à ce qu'on lui signale qu'une porte n'est pas gardée à l’opposé des combats. Il envoie deux cohortes sur 15 km, au pas de gymnastique, attaquer la porte dite "décumane".
Les Aquitains, pris à revers, sont battus et largement massacrés ; ils ne reprennent plus les armes contre Rome, même pas en 52, lors de l’insurrection générale. La localisation du site de cette bataille d’Aquitaine a donné lieu à plusieurs hypothèses. M. Brèthes retient deux cas : soit Crassus longe la Midouze puis l’Adour en direction de Dax, soit il oblique et emprunte un très vieux chemin qui relie les Pyrénées à l'EntreDeux Mers.
En 51, la guerre s’achève par la reddition d’un vaillant petit village, Uxellodunum, qui résiste jusqu'au bout, et César, "dans sa grande bonté", comme il le dit luimême, fit couper les mains de ceux qui avaient porté les armes et leur laissa la vie sauve, renonçant ainsi à la vente de ces milliers d’esclaves. Le Cadurque Luctérios, un des derniers chefs gaulois, se réfugie chez les Arvernes, qui le livrent à César.
Alors le proconsul, qui n'avait pas participé à la campagne de 56, vient lui-même assister à la soumission de l'Aquitaine.
A partir de là, l'Aquitaine est une conquête fidèle. Plusieurs Aquitains se battent avec César, le plus célèbre étant Pison l'Aquitain, qui est cité dans un épisode héroïque de la Guerre des Gaules. Par la suite, quelques soubresauts de montagnards indociles exigent une intervention d'Agrippa en 39 et une autre de Messala en 27. La pacification définitive est obtenue par la campagne d'Auguste chez les Cantabres en 25 av. JC, célébrée par le trophée de Lugdunum Convenarum, c'est-à-dire Saint-Bertrand de Comminges.
Les Aquitains vont alors s'employer à aménager leur statut. Très vite, Auguste crée une grande Aquitaine jusqu'à la Loire, dont la capitale est Saintes puis Bordeaux. Au troisième siècle, cette grande Aquitaine est divisée en trois parties et celle qui nous concerne prend le nom de novempopulanie, ou État des neufs peuples, un état fédéral, sans véritable capitale, même si Eauze en est le chef-lieu administratif. Les limites de cet État sont à peu près celles de la Gascogne.
Rome a apporté aux Aquitains le sens de l'État, la construction en pierres de taille, le mortier, la culture de la vigne, la mondialisation de l'économie, une langue internationale, et de nouvelles dénominations, puisque Rome a pris l'habitude d'appeler les villes du nom des peuples d’où vient leur nom actuel (mais Dax - Aquae Tarbellicae - s'est appelée Ax comme toutes les villes d'eau romaines).
Au souci de Rome de noyer dans une vaste entité administrative des populations qui avaient une identité très forte, a répondu le souci constant de ces peuples de faire reconnaître leur spécificité et peut-être leur identité polycéphale sans capitale véritable.