Le respect de la personne et des biens d’autrui nous est dicté par la raison, tandis que la générosité vient du cœur. Cette vérité a quelque chose d’anodin, mais les socialistes la foulent au pied quand ils proclament leurs idéaux coercitifs. À partir d'une justification du principe libertarien de non-agression, l'objet de cet article est de montrer que la liberté est une valeur qui ne tolère pas d’exception et qui ne saurait s’incliner devant les revendications socialistes.
Par Grégoire Canlorbe.
Il est de bon ton de reprocher aux libertariens leur « extrémisme » dans la défense de la liberté. Nous aurions tort de défendre sans concession l’intégrité physique de la personne et la propriété privée. Nous éclipserions cette autre valeur qu’est la solidarité, à laquelle la liberté doit savoir s’assujettir. En d’autres termes, les libertariens ne devraient pas tolérer une solidarité strictement volontaire mais reconnaître qu’il est parfois justifié, précisément au nom de la solidarité, d’obliger un individu à prêter assistance aux autres.
Quiconque a compris l’économie et lu Bastiat, Mises ou Rothbard sait les conséquences néfastes de toute solidarité forcée et les effets pervers de l’État Providence. Les arguments économiques, cependant, ne peuvent pas suffire à rallier l’opinion aux libertariens. Pour la plupart des gens, la solidarité généralisée que l’État Providence établit par la contrainte, est bénéfique mais surtout morale. La solidarité est une valeur qui ne se discute pas et qui mérite, à ce titre, l’appui de la force physique. La gauche radicale va jusqu’à nier que la liberté soit une valeur et à ne reconnaître aucune limite au socialisme.
Mon objet ici sera de montrer ce qui fait que la liberté est une valeur, et de surcroît une valeur qui ne tolère pas d’exception et qui ne saurait s’incliner devant les revendications socialistes.
Le principe de non-agression
Toute morale consiste en un principe général pour guider l’action. Un comportement est moral dans la mesure où il est conforme à un principe posant comment je dois agir dans ma vie d’une façon générale. Ce principe est ce qu’on appelle proprement une valeur morale.
Les libertariens défendent la valeur selon laquelle nul ne peut porter atteinte à la vie et aux biens d’autrui. Il s’agit du principe de non-agression. On peut le formuler de la façon suivante : « agis toujours en sorte de ne pas agresser autrui en sa personne ou en ses biens ». Chacun doit pouvoir disposer comme il le veut de sa vie et de ses biens, pourvu qu’il ne commette aucun acte coercitif à l’égard de la vie et des biens d’autrui. Le corollaire en est qu’un individu peut disposer comme il le veut de ses biens, pourvu qu’il n’ait pas eu recours au vol pour les faire siens.
Le propre d’une valeur morale est qu’elle s’impose à moi. Elle formule une obligation intrinsèque et donc universelle. Un exemple a contrario est utile pour mettre les choses au clair. Prenons les expressions suivantes : « étire toi tous les matins » ou « n’écoute jamais de Mick Jagger ». Ces impératifs répondent à des préférences personnelles, qui ne regardent que moi : garder la forme physique ou rester dans son temps au lieu d’écouter des vieilleries. Ce n’est pas une obligation intrinsèque : à savoir une obligation qui vaut pour elle-même et qui existe en tant que telle, dont je prends simplement acte. C’est une obligation que je m’assigne à moi-même et qui ne m’est pas extérieure.
Certes, de telles formules emploient un langage moral. Elles ont la forme, mais non le fond d’une proposition morale. Il ne suffit pas de donner une formulation morale à tel comportement pour qu’il soit effectivement moral. Je peux m’amuser à m’assigner l’impératif de ne manger que mexicain, néanmoins c’est une obligation qui ne vaut que pour moi et qui n’a rien d’objectif.
Ces remarques valent également pour les obligations auxquelles j’assigne autrui. Ce n’est pas parce que je demande à autrui de faire quelque chose, fût-ce sous la menace physique, que l’action d’autrui sera morale. Si je veux soumettre untel au devoir de manger mexicain, ce devoir n’en est pas un ; il n’a rien d’objectif. Je fais comme si ce devoir existait en dehors de moi mais ce devoir n’existe pas en tant que tel.
Le principe de non-agression est un principe objectif. Il vaut en tant que tel, indépendamment des préférences personnelles de l’agent. Puisque cet impératif est objectif, chaque homme peut le connaître objectivement. En ce sens, il est universel. J’entends démontrer maintenant cet état de fait.
Une justification ontologique
Un homme est propriétaire de lui-même. Plus précisément, il est propriétaire de sa pensée, de son corps et de ses biens. Par conséquent, il jouit comme il l’entend d’un certain nombre de facultés, tant que les limites de son espace propre sont reconnues.
La propriété de soi est évidente par elle-même. On ne peut la nier sans commettre une contradiction performative. Réfuter la propriété de soi consiste en une action qui prouve par elle-même l’existence de cette propriété.
Nier la propriété de soi, celle de sa pensée, de son corps, de ses biens, revient, tout d’abord, à prouver qu’on est propriétaire de son esprit mais également de son corps. C’est agir d’une façon qui prouve qu’on est le possesseur de sa pensée, qu’on dispose comme on veut de ses idées et qu’il est techniquement impossible à autrui de régir le cours de notre pensée, à moins qu’il ne nous oblige à confier nos pensées, nous fasse subir un lavage de cerveau ou nous force à consommer des substances qui nous ôtent le contrôle de notre esprit.
C’est également agir d’une façon qui prouve qu’on est le possesseur de son corps, qu’on s’en sert comme on le veut, en agissant par exemple sur ses cordes vitales ou en se servant de ses doigts pour taper sur le clavier d’un ordinateur. Quand autrui me blesse, cela revient à m’ôter le libre exercice de la propriété de mon corps.
Enfin, argumenter à l’encontre de la propriété de soi présuppose l’appropriation ou la faculté d’appropriation d’un certain nombre de biens : un stylo, pour jeter ses idées sur le papier ; un micro, pour amplifier le son de sa voix devant un amphithéâtre, entre autres exemples.
Voilà en quoi la propriété de soi est évidente par elle-même. L’acte de nier la propriété de soi prouve la propriété de soi ; et ce, au niveau aussi bien de l’esprit et du corps que de la propriété extérieure. Le principe de non-agression est justifié par le caractère objectif de cet espace propre.
Agresser autrui en sa personne ou en ses biens, c’est disposer selon mon bon vouloir de ce qui ne m’appartient pas. À ce titre, c’est commettre ce qui doit ne pas avoir lieu. La nature même d’un homme, sa nature de propriétaire, interdit qu’il soit tué, blessé ou spolié.
Objection
Le lecteur malin rétorquera éventuellement que je passe du positif au normatif. Que je déduis d’un être ce qui doit être. Soit, un homme est propriétaire de lui-même ; mais on ne peut en déduire qu’il faille respecter cette propriété. Une telle objection ne va cependant pas plus loin que le sophisme.
Toute propriété est celle de quelqu’un, et donc, elle n’appartient pas aux autres. La propriété, par définition, revient de droit à son possesseur. Par conséquent, elle pose une limite à ne pas franchir, un interdit à ne pas transgresser. La propriété n’a pas à être fondée en droit, la propriété est un droit. Il n’y a pas lieu de distinguer entre propriété et droit de propriété ; toute propriété est à elle-même son propre droit.
Pas plus qu’un voleur n’est le propriétaire de ce qu’il a pris à autrui, un maître n’est le propriétaire de son esclave. La propriété est un droit objectif, pas une convention. Ce n’est pas la volonté du législateur qui détermine ce qui doit appartenir à un homme, c’est la nature d’un homme qui détermine ce qui lui appartient de fait, à charge pour le droit positif d’en prendre acte.
La propriété n’est pas un droit qui découle d’un fait ; c’est un droit qui existe de fait. La propriété, c’est un droit constitutif de la nature humaine ; pas un droit dérivé de la nature humaine.
La solidarité doit rester volontaire
En résumé, le principe de non-agression est un principe objectif, en cela qu’il prend acte d’un fait : la propriété de soi. Un homme est par nature propriétaire de lui-même ; sa nature assigne des interdits, qui existent en tant que tels, indépendamment de mon bon vouloir.
Le principe de non-agression ne peut tolérer aucune exception puisqu’il prend acte d’un interdit inconditionné. Un homme est le propriétaire de lui-même en toutes circonstances. On ne peut l’obliger, fût-ce de temps en temps seulement, à prêter assistance aux autres. Le contraindre physiquement à rendre service aux autres, que ce soit en l’obligeant à faire don de sa personne ou de ses biens, c’est toujours le priver du libre exercice de ce qui lui revient de droit.
Le principe de non-agression ne saurait donc s’incliner face aux revendications socialistes. Ce qui ne dévalorise en aucune façon la générosité, la bienveillance ou la solidarité. Mais ce comportement doit rester volontaire. C’est sur ce point que les libertariens rentrent en désaccord avec les socialistes.
Les arguments moraux en faveur du socialisme, sous sa forme radicale ou sous sa forme « light » social-démocrate, partent d’une conception altruiste de la morale. On peut exprimer en ces termes le principe altruiste : « fais du bien d’autrui ton bien propre, de ses intérêts propres ton intérêt personnel ». Ou encore : « sers à chaque fois que l’occasion t’en est donnée, et qu’il ne peut le faire par lui-même, les intérêts de ton prochain. »
Ce qui est moral, par définition, doit avoir lieu. Quitte à user de la contrainte physique pour que soit ce qui doit être. Les libertariens estiment que la force est légitime pour défendre les propriétés. Les socialistes, qui se réclament du principe altruiste, estiment que la force est légitime pour aider les individus à se prêter assistance les uns aux autres. Nous avons vu plus haut qu’il ne suffit pas de formuler un acte en un langage moralisant pour que cet acte soit moral dans les faits. Ce n’est pas parce que les socialistes estiment qu’on a le devoir de prêter assistance aux autres, que ce devoir existe de fait.
Pas de principe concurrent
Pour le coup, on est obligé de sauter du positif au normatif quand on veut défendre le principe altruiste. De quel droit un homme peut-il prétendre à ce que les autres servent, fût-ce sous la contrainte physique, ses intérêts à lui ? Il est tentant d’estimer qu’un homme étant un être vivant, sa nature lui assigne la finalité de survivre, ce qui n’est possible qu’à la condition de disposer de tout ce que sa survie requiert.
D’où la justification ontologique du socialisme : un homme a droit à ce que les autres garantissent sa subsistance ; en d’autres termes, les autres ont le devoir de garantir sa subsistance, quitte à ce qu’on les contraigne physiquement à satisfaire cette exigence quand ils se montrent réticents. Un homme a droit à être nourri, logé, soigné par les autres.
Ce qui cloche avec un tel argument, c’est qu’il constitue un non sequitur : un homme, certes, est un être vivant, confronté à l’alternative de survivre ou mourir ; mais cela ne prouve en aucune façon que sa raison d’être sur Terre soit de survivre, qu’il naisse avec une finalité, une mission à accomplir ici bas.
Un œil est un dispositif ainsi conçu qu’il nous permet de voir ; mais il n’a pas pour but de nous permettre de voir. Prétendre le contraire revient à déduire le devoir-être d’une chose à partir de son être, ce qui n’est pas logique. Un œil n’a pas pour but de voir ; crever les yeux d’un homme, ce n’est pas porter atteinte à la finalité qui découlerait de leur nature. Par conséquent, celui qui a les yeux crevés n’a pas droit à ce qu’on prenne les yeux des voyants pour les lui donner.
Pour satisfaire sa faim, un homme doit ingérer des aliments, son appareil digestif n’a pas pour autant la finalité de satisfaire ce besoin. Un homme n’a pas droit à ce qu’on le nourrisse.
Il n’y a donc pas de justification ontologique du principe altruiste. Ce n’est qu’une convention, un devoir fictif. Nous avons vu que le principe de non-agression est, pour sa part, objectif. Le principe altruiste n’est donc pas une concurrence sérieuse.
Une défense de la solidarité
Pour un altruiste, quelqu’un qui se réclame du principe altruiste, la solidarité est un devoir. En fait, sa position procède d’un sentiment plus fondamental, propre à la plupart d’entre nous, selon lequel il serait désirable ou souhaitable que les autres, et pas seulement nous, puissent accomplir leurs projets personnels.
Ce sentiment, qu’on peut qualifier de généreux ou bienveillant, nous pousse, par exemple, à céder notre place dans le bus. Entraîné par sa fièvre généreuse, l’altruiste pense qu’il a le devoir de servir ses semblables ; mais en fait, qu’il soit désirable que chacun atteigne ses fins propres, cela ne signifie pas que nous ayons le devoir de lui prêter main forte. Qu’il soit désirable que chacun puisse se payer des soins, ne signifie pas qu’il faille instaurer une assurance santé obligatoire. D’une façon générale, qu’il soit désirable que tout un chacun soit heureux en ce bas monde, cela ne signifie pas que nous ayons le devoir de rendre heureux nos semblables.
Voilà en quoi la solidarité peut être défendue, sans que ce ne soit d’un point de vue moral. Pourquoi s’opposer à ce que nous estimons désirables de faire, pourvu que nous n’empiétions pas sur le droit des autres ?
Conclusion
En d’autres termes, le respect de la personne et des biens d’autrui nous est dicté par la raison, mais la générosité vient du cœur. Cette vérité a quelque chose d’anodin. Mais les socialistes la foulent au pied quand ils proclament leurs idéaux coercitifs. Défendre sans concession le principe de non agression n’a rien d’extrémiste ; c’est faire preuve de discernement et de bon sens. La propriété de soi est objective ; pourquoi ne pas exiger le respect inconditionné de nos droits ? L’altruisme n’est pas objectif ; pourquoi se soumettre et soumettre les autres à un faux devoir ? Nous estimons néanmoins qu’il est désirable de servir notre prochain ; que faut-il de plus pour se montrer généreux ?
par André Dorais
La différence entre la morale et l’éthique est historique. Les philosophes de l’Antiquité parlaient d’éthique, alors que les Latins l’ont traduit par la morale. On associe davantage la morale aux prescriptions de la religion, mais comme la plupart des gens, j’utilise ces termes indifféremment.
Kant est un des plus grands philosophes qui ait existé. Si j’avais à enseigner l’éthique à l’aide de quelques classiques, je choisirais Aristote et Spinoza pour leurs descriptions des vertus, Kant pour son analyse de la liberté et Murray N. Rothbard pour son analyse de l’agression. Évidemment, l’agression n’est pas une vertu, mais son étude facilite l’identification de tout ce qui se fait passer pour vertu. Bien qu’ils aient procédé différemment, Kant et Rothbard ont conclu à l’éthique de la liberté comme représentante de la justice universelle. En démasquant la prétention éthique du politique, Rothbard en indiquait toute l’exigence pratique.
Une synthèse de ces morales conduit à en retracer les limites. En effet, diviser l’éthique en deux champs distincts permet de mieux circonscrire le type de prescription qui s’y rattache. Ainsi, je regroupe les vertus, à l’exception de la justice et de la prudence, sous l’éthique du bonheur, soit une étude du caractère, tandis que l’éthique de la liberté est confinée aux questions de justice. Celle-ci a pour principe la non-agression. Malgré sa simplicité elle n’est pas respectée, ou si peu. Comment en viens-je à ces conclusions?
La raison comme liberté
Si les auteurs susmentionnés ont leur propre conception de l’éthique, je considère néanmoins que celles-ci se complémentent davantage qu’elles se contredisent. Kant cherchait les fondements de la morale. Il a trouvé la liberté, qu’il caractérisait comme étant une « idée » et une « supposition nécessaire de la raison ». En d’autres mots, la liberté est pour lui, comme pour tous les auteurs qui l’ont suivi, un axiome, c’est-à-dire une vérité indémontrable. Cependant, à le lire il est difficile de ne pas établir une équivalence entre raison et liberté.
En effet, en quoi diffère la raison de la liberté de penser? Pourquoi dire que la raison est un attribut ou une caractéristique de l’homme et la liberté un axiome? Pourquoi faire cette différence? A-t-on mieux démontré la raison que la liberté? Dire que la liberté est la raison n’est certes pas conventionnel, mais cela n’enlève rien à ceux qui en font un postulat et décrit tout aussi bien, voire mieux, la nature humaine.
En réalité, ces concepts sont non seulement interchangeables, on les éliminerait que cela n’y changerait rien. En autant que vous sachiez distinguer le pouvoir exercé par la force de celui exercé par la raison, vous serez en mesure de décrire la réalité.
L’éthique comme raison pratique
Dans cette optique, la liberté (la raison) n’est pas seulement le fondement de l’éthique, mais le fondement de toute science. À son tour, le fondement ou plus précisément le principe de l’éthique, de la raison pratique, est la non-agression. Avant d’être un devoir, le principe de non-agression est un intérêt. L’homme reconnaît qu’il a intérêt à coopérer avec autrui ou, à tout le moins, à ne pas l’agresser. L’éthique est d’abord un calcul, c’est-à-dire qu’elle demeure toujours la raison.
La coopération permet de combler ses désirs plus rapidement. Cet intérêt de coopérer implique également un désir de maintenir la vie. Un homme ne peut prendre le temps d’argumenter cette vérité sans en même temps la prouver. Ici se fondent la description et la prescription, la raison et l’éthique, l’être et le devoir être. L’éthique de la liberté est rationnelle.
Le principe de l’éthique
Vouloir maintenir la vie d’autrui pour profiter de sa coopération constitue la base du principe de non-agression. Au même titre que le fondement moral kantien, le principe de non-agression est universel, c’est-à-dire qu’il est à l’avantage de tous sans être au détriment de personne.
Une agression est une attaque contre une personne. Toutefois, on la définit généralement de manière extensive. L’agression physique en est la pire forme. Le vol commis sous la menace d’agression n’est pas loin derrière. Ravir le bien de quelqu’un, sans le menacer, ne constitue pas une agression physique, mais en étirant la définition et en considérant que cet acte subtilise une partie de l’homme lui-même, on dira que cela en constitue la forme la plus ténue. Cependant, que l’on accepte ou non de qualifier la fraude et le vol simple comme des agressions, cela n’en demeure pas moins inacceptable.
On n’a pas besoin de sonder les gens pour s’assurer qu’une vaste majorité est d’accord avec le principe de non-agression, car cela est dans l’intérêt de tous. Il s’agit d’un principe établi par l’évolution de la raison. Il vise toute action humaine. Celui qui n’en tient pas compte est potentiellement dangereux. Aucune morale ne peut prétendre être légitime et universelle si elle ne respecte pas ce principe.
Propriété et liberté: deux concepts permettant d’atteindre un même but
Le concept de non-agression est un principe, c’est-à-dire premier devoir de l’homme. Ce devoir lui permet d’espérer rester en vie, car sans ce principe sa vie est constamment menacée. La raison pratique lui indique de respecter l’homme pour ce qu’il est, soit un propriétaire. Un homme ayant comme seule richesse ce qu’il porte sur le dos n’en demeure pas moins l’unique autorité de ses actes. Il est propriétaire de lui-même, maître de ses choix.
Le concept de propriété renvoie à l’homme et à ses possessions, tandis que le concept de liberté renvoie à la raison et la raison pratique, par conséquent à toute action humaine. Puisque l’homme tente de mettre en pratique ses idées, respecter celles-ci implique le respect de ses actions. En termes abstraits, respecter la liberté signifie également le respect des libertés. Respecter la propriété signifie essentiellement la même chose. Ces concepts ne sont pas synonymes, mais ils se recoupent beaucoup.
Les libertés ne se limitent pas seulement à celles se retrouvant dans les chartes des droits, mais à toutes celles entendues sous le concept de liberté ou de propriété. Ces libertés, qui deviennent droits individuels sous le sceau de la légalité, se ramènent toutes au principe de non-agression. Respectez ce principe et vous accomplissez tous vos devoirs. Faites-le en partie et vous commettez une injustice.
« Vous n’êtes pas plus "progressiste" parce ce que vous taxez 70% des revenus plutôt que 20%. Vous n’êtes pas plus "solidaire" parce que vous augmentez les subventions. Vous n’êtes pas plus "juste" parce que vous faites des soins de santé un monopole d’État. » | ![]() |
Dans son intérêt, l’homme doit à autrui la non-agression. Les problèmes commencent lorsqu’on traite ce devoir d’essence individuelle en devoir collectif. On interprète d'abord la lettre des droits plutôt que l’esprit, ensuite on les confond avec des droits soi-disant collectifs (démocratiques, sociaux et économiques). Ce faisant, on multiplie l’obligation. Or, l’homme n’a pas à subir d’autres contraintes que celles qu’ils s’imposent à lui-même tant et aussi longtemps qu’il n’agresse personne. La multiplication des contraintes n’est pas dans son intérêt. Le politique va en sens inverse de l’éthique.
L’imposture de la morale sociale-démocrate
La morale démocratique (étatiste, égalitaire) n’a de morale que la prétention. Il s’agit d’une morale qui s’impose par la force coercitive de la loi. Par conséquent, elle ne peut prétendre à l’universalité, car ce critère implique un désir qui soit imposé par la seule force de la raison. Les gens veulent la non-agression, mais beaucoup moins veulent la taxation. Celle-ci est établie de manière coercitive et cela suffit pour disqualifier ce régime de morale.
Cette morale est instable, car elle tente de s’établir en ayant recours à un seuil ou à un degré quelconque impossible à déterminer. Ses partisans se disputent entre eux à savoir si la générosité commence avec un salaire minimum à 10$, 20$ ou 50$ de l’heure; si le niveau d'imposition est abusif à partir de 20%, 50% ou 75% des revenus; s’ils doivent étendre le contrôle des prix à d’autres secteurs d’activités; s’ils doivent ajouter d’autres monopoles à ceux qu’ils détiennent déjà dans les services des soins de santé, d’éducation, de sécurité, etc.
S’ils n’invoquent pas directement la morale, les partisans de la social-démocratie la sous-entendent par l’utilisation constante de concepts à connotation morale. Or, on ne peut pas invoquer la morale ou la justice en termes de degré. Vous n’êtes pas plus « progressiste » parce ce que vous taxez 70% des revenus plutôt que 20%. Vous n’êtes pas plus « solidaire » parce que vous augmentez les subventions. Vous n’êtes pas plus « juste » parce que vous faites des soins de santé un monopole d’État. Inversement, vous n’avez pas moins de « morale » à réduire le taux de taxation. Vous pourriez être la personne la plus charitable au monde tout en abolissant la taxation et le gouvernement.
La morale étatique est fausse, car elle vise un résultat sans tenir compte des moyens pour y arriver. Pour ses partisans, la morale est dans l’égalité. Ils visent une égalité économique ou, à tout le moins, une plus grande redistribution des richesses afin que tout le monde reçoive plus ou moins la même chose. Il y a plusieurs problèmes avec cette approche, mais le principal est que pour y arriver vous devez utiliser la force coercitive de l’État. Or, utiliser des moyens coercitifs pour arriver à ses fins est nécessairement immoral.
Les sociaux-démocrates essaient par des moyens tous plus démagogiques les uns que les autres à convaincre les gens que taxer est un mal nécessaire pour faire le bien. La vérité est que vous ne pourrez jamais justifier rationnellement qu’un bien peut résulter d’un mal sans tomber dans des raisonnements spécieux.
Une morale, pour être légitime et universelle, doit viser les moyens et non les résultats. Si vous visez des résultats, tels que l’égalité économique, et que vous prenez des moyens coercitifs pour y arriver, vous êtes injuste et immoral. Que cette façon de procéder soit le lot des sociétés d’aujourd’hui n’y change strictement rien. Le fait d'être appuyé par une majorité permet certes avoir le dernier mot, mais non parce que cette dernière a raison, plutôt parce qu’elle s’impose par la force. Une majorité, même démocratique, n’est pas un gage de moralité et de justice, mais tout au plus le fondement d'un pouvoir exercé par la force. La morale n’est pas une question de majorité, pas plus qu’elle se mesure en termes de degré. La morale est une question de principe.
Délimitation de l’éthique
L’éthique a pour champ toute l’activité humaine. Vous ne pouvez pas ne pas en tenir compte sans être considéré dangereux pour les autres, car toute autre science et toute autre activité lui sont subordonnées. Elle n’a qu’une seule exigence: la non-agression entendue de manière extensive. La plupart des gens n’ont aucune difficulté avec ce principe tant qu’on ne considère pas la taxation comme étant un vol. Pourtant, personne ne paie volontairement les taxes. Celles-ci sont justifiées par des arguments fallacieux qui tentent de subordonner l’éthique aux autres sciences.
En subordonnant l’éthique, notamment au politique, cela laisse le champ libre aux gouvernements pour faire à peu près n’importe quoi. Il n’existe pas une telle chose qu’une justice applicable en droit et une autre applicable en éthique. La justice est à la recherche de la vérité et non de l’autorité. Il n’y a qu’une seule justice universelle: l’éthique de la liberté ou le droit tel qu’il doit être.
En plaçant la légalité d’un système normatif au-dessus de l’éthique vous abaissez celle-ci à celle-là. Vous obtenez un droit qui n’a pour seule légitimité que la force légale. Or, donner son assentiment à la légalité d’un système juridique sans se soucier de savoir s’il est légitime ou non, c’est faire preuve d’un relativisme moral. En tant que membre d’une société, vous êtes partie intégrante d’une morale ou d’une éthique. Vous n’en sortez pas. Il n’existe pas de science de l’homme amorale.
Se contenter de la légalité d’un système juridique, c’est déjà montrer ses couleurs. Le relativisme moral est injuste et immoral s’il permet l’agression. Dans la mesure du possible le scientifique tente de rester impartial dans l’exercice de ses fonctions, mais il lui est impossible d’être amoral tant qu’il vit en société. Celui qui endosse l’agression doit être combattu. Or, les politiciens, juges, avocats, sociologues, économistes, historiens et autres commentateurs de l’action humaine tentent-ils de réduire l’agression ou d’en promouvoir une forme différente? Le premier camp est libéral, le second social-démocrate.
Aujourd’hui, la tendance est à identifier (assimiler) la morale à la démocratie. Le problème, c’est que vous n’arriverez jamais à trouver un niveau d'imposition qui corresponde à l’éthique, car celle-ci n’est pas une question de degré. Plus longtemps vous chercherez l’éthique à travers un régime politique, plus grandes seront vos chances de tomber avec lui, car celle-ci est une perversion de celle-là.
À force de taxer les gens, la démocratie réduit le choix individuel. Lorsque le choix est réduit, la richesse l'est autant. Richesse qui vous simplifie la vie et qui vous permet de l’apprécier. La morale démocrate conduit à une forme d'égalité, mais une égalité dépourvue d’originalité et d’initiative, une égalité dans la pauvreté et la misère.
Certains prétendront que la morale n’est pas le fruit de l’homme, mais de son créateur. Tant que les gens respectent le principe de non-agression les morales religieuses ne posent aucun problème à l’éthique. Si un homme adhère volontairement à une religion en connaissance de cause, un libéral n’en a rien à redire.
Les vertus
L’éthique de la liberté ne dit rien des vertus, si ce n’est par l’entremise de la justice, mais elle leur laisse toute la place. La pratique des vertus est souhaitable, alors que la justice est un devoir. Un homme généreux et courageux est certes intéressant, mais s’il ne respecte pas la propriété d’autrui comment peut-il prétendre être juste? Un homme qui ne répond pas d’abord de la justice ne peut prétendre agir moralement. Taxer les uns pour donner aux autres n’est pas plus un acte de générosité que de justice. Vous ne pourrez jamais être généreux en distribuant l’argent des autres contre leur gré, car la générosité est la vertu du don et celui-ci ne peut être que volontaire.
L’éthique de la liberté est calculatrice et par là elle est froide. Toutefois, elle est essentielle à une vie en société, bien qu’insuffisante au bonheur. La pratique des vertus vient combler en partie ce vide. Ne dit-on pas que le plaisir est de donner? Les vertus sont toujours du ressort de la raison, mais elles font également place aux sentiments.
Certes, justice et générosité concernent l’une et l’autre nos rapports avec autrui (du moins principalement: on peut en avoir besoin aussi pour soi-même); mais la générosité est plus subjective, plus singulière, plus affective, plus spontanée, quand la justice, même appliquée, garde en elle quelque chose de plus objectif, de plus universel, de plus intellectuel ou de plus réfléchi. La générosité semble devoir davantage au coeur ou au tempérament; la justice, à l’esprit ou à la raison (André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus).
L’éthique du bonheur est une étude du caractère. Les vertus en sont le contenu, le bonheur le but. Le désir est le premier moteur de l’homme, mais il doit céder sa place à la raison pour le guider. Sans l’aide de celle-ci il risque de prendre des vessies pour des lanternes. À trop contenir celui-là sa vie peut être juste, mais triste. Le bonheur est possible sans la justice, mais il risque alors d’être éphémère. La justice est donc une condition du bonheur durable. L’homme ne saurait s’en passer, mais il ne s’ensuit pas qu’il ait besoin de l’État.
Le libéral a pour sujet de prédilection la philosophie de l’action, la praxéologie, c’est-à-dire l’étude de l’action humaine, qui reconnaît d’emblée l’éthique de la liberté. Cette étude peut lui donner un air sérieux, froid, et peut-être l’est-il en réalité, mais il n’est pas obligé d’en rester là. L’éthique du bonheur est ouverte à tout le monde, mais elle se pratique d’autant plus facilement qu’il y a éthique de la liberté.