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La grande peur de la
« défaillance du marché »
François-René Rideau
Pour justifier l'intervention de l'État, les étatistes de tout poil, à commencer par les fonctionnaires chargés de la propagande officielle, inventent des scénarios-catastrophes du genre « que se passe-t-il si les fournisseurs de tel type de service font tous faux bond et ne satisfont pas le public? » Ces ratiocinations suivent un modèle standard, et on peut leur donner une réponse standard.
L'exemple repose systématiquement sur la supposition que la défaillance d'un acteur est une catastrophe irréparable, qu'il n'y a pas un marché national pour pallier les déficiences locales, que toute solution au problème devrait avoir pour base la reconduction des acteurs défaillants et de leurs comportements, etc. Il repose aussi sur des évaluations fantaisistes de ce qui serait économiquement possible, par des personnes qui se veulent extérieures et supérieures au marché. Mais aussi et surtout, ces arguments posent en pétition de principe que l'État est à même de faire mieux et de corriger ces
Or, si un problème est isolé, s'il ne concerne que les frustrations vites oubliées de quelques personnes, franchement, il ne vaut pas la peine d'en parler. Nul ne doit à ces personnes la satisfaction de leurs problèmes sinon elles-mêmes. Mais à mesure qu'un problème concerne plus de personnes pendant plus de temps, à mesure que davantage de personnes sont prêtes à allouer davantage de ressources à résoudre ce problème, alors les sommes en jeu croissent, alors la concurrence devient d'autant plus rude pour satisfaire cette demande; aussi, il se trouvera promptement quelqu'un pour remplacer tout acteur défaillant. Ainsi, si par hasard dans un quartier donné tous les acteurs se révélaient insuffisants pour remplir une mission à forte demande, cela serait dans un marché libre une opportunité pour l'émergence d'un nouveau concurrent ou l'implantation d'un concurrent extérieur au quartier(2).
Mais par delà ces considérations de théorie économique, voici, selon moi, la bonne façon de présenter le principe du marché libre, en termes pratiques.
Pensez-vous, personnellement, que dans tel quartier, il y a vraiment une forte demande sans réponse? Ma foi lancez-vous! Plutôt que de demander que d'autres résolvent le problème à votre place, qui plus est avec de l'argent prélevé de force sur autrui – ce qui est l'attitude passive d'un esclave ou l'attitude active d'un tyran –, prenez vos responsabilités! Mettez vos actes en accord avec vos paroles! Appuyez vos affirmations putatives par des actions effectives(3).
Si, le premier, vous réagissez et faites une offre qui réponde à la demande, votre entreprise sera couronnée de succès, et cette réussite sera à la fois la reconnaissance de votre talent d'entrepreneur, la récompense des services rendus à tous vos clients, un encouragement à continuer, et la mise à votre disposition de ressources pour exercer davantage votre talent, ici ou ailleurs. Si au contraire, vous n'étiez qu'un arrogant affabulateur, vous ferez faillite, et cette faillite sera à la fois le témoin de votre erreur, l'assurance que vous n'aurez plus les moyens de mettre votre bêtise à l'oeuvre, et une désincitation à imiter votre erreur pour tous vos émules potentiels. Et si votre faillite était due à l'influence de mauvaises idées ou pratiques qui n'excluent pas que vous ayez eu quelques bonnes idées ou pratiques dans le lot, ma foi, d'autres que vous seront libres de suivre votre exemple sur les points qu'ils croient bons en changeant ceux qu'ils croient mauvais; et vous-mêmes serez libre de trouver de nouveaux investisseurs pour une nouvelle entreprise amendée, si vous savez les convaincre. Avec un peu de chance, les pertes financières vous seront une sonnette d'alarme et vous permettront de vous corriger avant la sanction finale de la faillite.
Ainsi, en l'absence d'un monopole ou de réglementations élevant une barrière à l'entrée du marché, il n'y a que des lâches et des hypocrites pour prétendre qu'une demande n'est pas satisfaite. Si vous avez le courage d'une opinion sincère, lancez-vous! Le marché libre n'est pas, comme l'État chéri de vos fantasmes, une divinité supérieure de laquelle on doit attendre passivement le salut: vous faites partie de ce marché libre: si vous voyez mieux que les autres une opportunité, c'est à vous et à nul autre de la saisir(4); et si vous ressentez plus que les autres un besoin, c'est à vous de rendre attrayante l'entreprise de le satisfaire. Et plus la demande est
« En l'absence d'un monopole ou de réglementations élevant une barrière à l'entrée du marché, il n'y a que des lâches et des hypocrites pour prétendre qu'une demande n'est pas satisfaite. Si vous avez le courage d'une opinion sincère, lancez-vous! Le marché libre n'est pas, comme l'État chéri de vos fantasmes, une divinité supérieure de laquelle attendre passivement le salut. » | ![]() |
Et si « vous n'avez pas le temps » car votre activité actuelle est tellement plus productive et plus sûre pour vous-même que celle dont vous vous faites le chantre, eh bien engagez les ressources que vous gagnez par ailleurs pour les investir dans cette autre activité que vous prétendez si utile(5); si comme vous le prétendez tant d'autres personnes ressentent le même besoin que vous, vous n'aurez aucun mal à susciter un fournisseur à votre besoin commun. À défaut de trouver un entrepreneur parmi vous, recrutez-en un. Et s'il faut pour cela fournir des garanties d'investissement à un entrepreneur potentiel, déposez vos fonds et promesses de fonds chez un notaire, avec engagement de les investir ou de les dépenser auprès d'un fournisseur qui satisferait à vos critères, en agréant un juge réputé impartial pour tout litige à ce sujet; si vous collectez assez de fonds assortis de conditions raisonnables, il se trouvera bien quelqu'un pour relever le défi; dans le cas contraire, ce sera la preuve que votre évaluation était erronée, que la valeur accordée par vous et ceux qui ressentent ce
D'aucuns étatistes mettront en avant l'objection d'un « manque de
À ce moment, les socialistes mettent en avant « l'impérieuse nécessité » dans laquelle se trouvent les
La
Ce que proclament vraiment les étatistes, c'est qu'ils sont des êtres supérieurs, source de prévoyance, d'autorité, d'organisation, d'intelligence, dont le commun des mortels est dépourvu; ce qu'ils revendiquent, c'est qu'il faut leur conférer le pouvoir (absolu, dans le cas des socialistes) sur la masse des inférieurs. Derrière toutes les pseudo-justifications, il n'y a rien d'autre que cette revendication aristocratique (et totalitaire, pour les socialistes). Ceux qui voient un problème potentiel dans le marché libre et refusent de voir le même problème en pire dans l'État font deux poids deux mesures. En prétendant que l'État est une solution, ils font une pétition de principe; plus encore, quand on examine en détail le fonctionnement social, on voit qu'ils vont à l'opposé de la raison. Ce n'est pas qu'ils raisonnent à l'envers – c'est qu'ils ne raisonnent pas, mais croient par superstition, superstition alimentée par la propagande des véritables exploiteurs, ce que leur disent les privilégiés de l'État.
Ceux qui justifient l'intervention politique par des scénarios catastrophes ne comprennent pas plus la nature d'un marché libre que celle de l'État; ils en restent à la pensée magique(6). La grande peur des
François-René Rideau est un informaticien français. Parmi les sites qu'il anime, Bastiat.org est consacré à l'oeuvre de l'économiste libéral Frédéric Bastiat, Le Libéralisme, le vrai contient ses essais, et Cybernéthique est son blog apériodique.
[1]: Sur le sophisme de la défaillance de marché (market failure), voir par exemple cet article The Market Failure Myth de D.W. MacKenzie.
[2]: Bien sûr, des réglementations strictes et autres lois protectionnistes peuvent empêcher ou ralentir considérablement cette implantation; mais dans un tel cas, la permanence de la pénurie n'est évidemment pas due à la concurrence (c'est-à-dire à la liberté), mais bien à l'absence de concurrence (c'est-à-dire à l'intervention coercitive de l'État).
[3]: Les américains ont cette excellente expression: put your money where your mouth is, littéralement « mettez votre argent là où se trouve votre bouche »; bref, appuyez vos dires par un engagement concret.
[4]: Dans son article Are Bubbles Efficient?, Robert Blumen raconte cette blague connue, dans laquelle des « économistes » discutant de l'économie en termes de marchés magiquement en équilibre permanent trouvent par terre un billet de cent dollars, et passent leur chemin en disant que si ce billet avait vraiment de la valeur, le marché aurait déjà escompté cette valeur. La morale de l'histoire est que contrairement à ce que suppose l'approche classique, l'équilibre des marchés ne se fait pas magiquement, et n'est pas l'objet fondamental de la science économique. Au contraire, comme l'avance l'approche « autrichienne » de l'économie, l'objet fondamental de la science économique est bien l'action humaine de ceux qui voient et saisissent les opportunités d'amélioration pour eux-mêmes et leurs congénères. Et cette action humaine constitue la force dont la résultante est de s'approcher d'un point d'équilibre dynamique (quand cette force est en rétroaction négative) ou au contraire de faire évoluer la société vers le progrès (quand cette force est en rétroaction positive), voire les deux à la fois selon la projection choisie. En fin de compte, il n'y a pas d'équilibre, il y a que des opportunités qui sont autant d'incitations à l'action; l'équilibre n'est qu'un point mouvant où tendent momentanément ces actions, dans l'approximation rarement pertinente où l'information se découvrirait et circulerait beaucoup plus vite que ne se déroule l'action.
L'erreur des économistes classiques et autres étatistes est donc de voir en l'économie un phénomène déshumanisé qui se déroulerait sans l'homme, malgré lui, comme une malédiction qui le détourne de la « vie vraie », alors qu'au contraire, vue correctement comme domaine de l'Action Humaine, elle est un phénomène consubstantiel à la nature humaine, elle est la vraie vie.
[5]: Là encore, les américains, qui comprennent mieux que nous le principe de fonctionnement d'une économie libre, ont cette expression: money talks — « l'argent parle ». Le seul moyen sincère et honnête pour signifier que l'on attribue vraiment de la valeur à quelque chose que l'on n'a pas la compétence pour faire avancer soi-même, c'est de dépenser son argent en conséquence.
Pour prévenir la réaction outragée des détesteurs de l'argent, les américains ont encore cette expression time is money, « le temps c'est de l'argent ». L'argent, c'est ce que rapporte l'usage le plus productif de votre temps, mis au service de ceux qui savent le mettre au plus grand profit d'autrui, en combinant votre spécialité à celles complémentaires d'autres personnes. Ensuite, vous pouvez à votre tour employer cet argent, qui peut se concevoir comme la concrétisation d'une « dette sociale » à votre égard, pour employer des spécialistes capables d'effectuer les tâches qui vous tiennent à cœur. Souvent pour réparer une plomberie défectueuse, il vaut mieux travailler trois heures et payer une heure de travail de plombier que d'essayer soi-même et passer six heures en essais et erreurs, achat de pièces et énervement; de même pour aider les nécessiteux, il vaut souvent mieux travailler quelques heures en plus et faire une donation du produit de ce travail à une charité spécialisée dans une telle entreprise, que de passer un temps bénévole à faire maladroitement ce que d'autres feront mieux à votre place.
Bien sûr, en fin de compte, chacun est seul juge de la meilleure façon de passer son temps. Mais l'emploi judicieux de l'argent, cet intermédiaire universel, loin d'être un signe de « matérialisme », est au contraire un signe d'efficacité dans l'usage de ressources matérielles, au service des causes qui sont celles des hommes, qu'elles satisfassent des appétits matériels ou des aspirations spirituelles — si tant est qu'on pusse délimiter pertinemment le matériel et le spirituel.
[6]: Sur les sophismes utilisés pour justifier l'État, et sur la pensée magique sous-jacente à ces sophismes, lire mon essai L'État, règne de la magie noire.
[7]: Pour l'analyse d'un cas particulièrement aigu de cette névrose, voir mon article Schizophrénie socialiste, commentaires sur la pièce « Dans la solitude des champs de cotons » de Bernard-Marie Koltès.
La justification habituelle « philanthropique » de l'intervention de l'État réside, en autres, pour les étatistes dans le concept vague et un peu passe-partout de défaillance du marché. En fait, il s'agit là d'une justification a posteriori des premières interventions de l'État, une justification de l'augmentation du pouvoir de l'État, et de son emprise, bien éloigné de buts prétendument philanthropiques.
En réalité, l'emploi par l'État de la coercition lorsqu'il intervient, implique nécessairement des conséquences néfastes, puisque l'État ne vient pas comme un être surnaturel, hors du monde, qui ne fait que, par exemple, modifier les répartitions de richesse. La violence que l'État fait aux hommes induit une agression au sens propre du terme, et une appréhension, qui n'aurait pas eu cours dans une société de liberté où la répartition de la richesse - issue de la création - est spontanée. Il s'ensuit que, dans la plupart des cas, l'intervention conduit à un effet contraire au but recherché par le philanthrope. Les exemples sont nombreux, on pourrait ici citer l'explication rothbardienne de la crise de 1929, prétendument emblématique des faiblesses du capitalisme : elle trouve sa source dans le protectionnisme et l'interventionnisme des années 1920, ainsi que dans les décisions arrêtées par la toute jeune Federal Reserve américaine sur le marché monétaire (voir aussi l'article étalon-or).
Il advient donc de l'intervention de l'État une série d'aggravations des situations présentes, mais qui ne sauraient être attribuées à l'État qui se caractérise, pour beaucoup d'étatistes, par une sorte d'infaillibilité. Attitude encouragée d'ailleurs par la croyance de suivre des idées progressistes, qui vont "dans le sens de l'Histoire", avec pour objectif d'améliorer sciemment le sort des "classes défavorisées". Sorte d'emprunt à la dialectique matérialiste marxiste. En ce sens, les étatistes ne sont pas conscients de la causalité des effets pervers de l'interventionnisme. Ils s'expliquent, pour eux, par une sorte de "causalité libre", sans source. Cette "causalité libre", à partir de laquelle les étatistes cherchent à élucider l'origine des "effets indésirables ou non souhaités", ne serait alors qu'une propriété d'émergence des interactions individuelles, incapable d'être prévue au niveau microscopique (ou microéconomique), mais qui est observable au niveau de la macroéconomie.
Cependant, la pensée est également pervertie par un autre principe, à partir de ce point : le marché, ensemble des actions individuelles, est donc imprévisible, peut conduire à des "dérives", il ne pourrait alors être utilisé comme remède à quelconque situation. L'État s'impose donc comme la solution d'une force personnifiée, et qui s'attribue des objectifs précis. Et on note, en bout de course, une projection de la conception de l'État sur celle du marché, où celui-ci devient personnifié. D'où la matérialisation des multiples "dérives du marché", qui ne pourraient en aucun cas être laissées "à ses forces aveugles indomptables".