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Tout ça ne vous rappelle rien ?
lundi 21 juin 2010 - Nick de Cusa
Groupes de pressions qui se déchirent pour se partager un juteux butin. Incapacité à régler des différends, embrayage direct sur la grève, le blocage et la prise en otage du pays accompagnés de noms d’oiseaux. Le tout sous couvert de défense de l’intérêt général.
Le pays entier est en émoi. Déception, dépression honte, rage, colère, c’est un torrent. Oublions la pire marée noire de l’histoire, oublions Draguignan ou toute autre nouvelle secondaire, la Une des journaux est consacrée à la nouvelle qui compte : les bleus se désagrègent. Pire : le monde entier se moque de la Grande Nation.
Vite, que des têtes roulent, débarrassons nous de ces fauteurs de troubles si égoïstes et mal élevés qui donnent de notre beau pays, le plus beau du monde n’oublions pas, une image si déplorable. Et comment a-t-on pu en arriver là ? Certains journalistes en pilote automatique devant simplement produire de la copie pour toucher leur subvention d’Etat, ouvrent le tiroir « explications pour quand les choses vont mal » et en sortent LA cause obligatoire de tous les maux du pays : le fric, le bling bling, la société de consommation. Bref, l’ultra libéralisme sauvage.
Le lecteur perspicace aura tout de suite saisi que cette explication n’explique rien, puisque ces « causes » s’appliquent de la même façon aux 31 autres équipes et que, selon le principe « mêmes causes, mêmes effets », elle devraient toutes être en train d’insulter un entraineur schpountz que sa maman vient défendre à la radio parce qu’il ne sait pas le faire lui-même, et toutes refuser de s’entrainer. Or la nôtre est bien la seule à se donner de la sorte en spectacle.
Et si pour trouver l’explication, on prenait une ou deux minutes pour faire un pas en arrière et observer un tableau plus large. Voyons. Groupes de pressions qui se déchirent pour se partager un juteux butin. Incapacité à régler des différends, embrayage direct sur la grève, le blocage et la prise en otage du pays, accompagnés de noms d’oiseaux. Le tout sous couvert de défense de l’intérêt général. Superstructure de notables qui s’auto promeuvent tous de façon consanguine pour se sucrer luxueusement des fruits du travail de ceux qui prestent –prestent peu, certes, depuis la glorieuse année 2000, il est vrai.
Et n’oublions pas l’essentiel : ces bandes ou troupes concurrentes, jeunes musclés au langage fleuri d’un côté, notables bedonnant, grisonnants, ayant acquis leur place par quelque pitoyable bidouillage de l’autre, prêts à défendre leur part du butin jusqu’au bout, ayant complètement oublié, aveuglés qu’ils sont par leur cupidité, le mur qui se rapproche à grande vitesse, et prêts enfin à démolir tout ce bel édifice qui était pour eux si profitable.
Ajoutons enfin le gouvernement qui intervient directement dans l’affaire, puisque bien sûr il n’y a que l’Etat qui peut régler les problèmes. Surtout en foot, on sait bien depuis la grande époque des sélections Nigérianes faites par Sani Abacha, ou depuis que le Colonel Guei avait séquestré l’équipe de Côte d’Ivoire dans une caserne pour la discipliner militairement, que la prise de contrôle direct du gouvernement dans le football amène immanquablement de brillants résultats, que dis-je, des titres à la pelle.
Tout cela ne nous rappellerait-il pas étrangement quelque chose ? Un certains pays ?
Cette équipe qui nous fait honte à tous, finalement, ne nous représente-t-elle pas à la perfection ? J’irais jusqu’à dire, ne reflète-t-elle pas notre bon pays comme un miroir ?
Si vous m’y autorisez, je profiterais juste de l’occasion offerte par ces cocasses péripéties pour rappeler que l’appel de Contrepoints à céder notre place à l’Irlande prend désormais tout son sens.
Sauf que, finalement, comme me l’écrivait l’autre jour un ami, avouons, on n’aurait pas autant rigolé.
« Evra, Gallas, Anelka et Ribery ont surnommé Gourcuff "la Nouvelle Star", nous a confié notre source qui souhaite garder l'anonymat pour des raisons évidentes. Ces quatre joueurs avaient pour rituel de mettre une claque derrière le crâne de Gourcuff à chaque fois qu'il passait devant eux dans l'allée du bus. Un jour, Evra est allé plus loin que d'habitude et Gourcuff a répondu. Alors que le ton montait entre les deux joueurs, A. Diarra s'est interposé et a signifié à Evra que s'il voulait avoir à faire à Gourcuff, il devrait d'abord avoir à faire à lui. Sur ce, Ribery, Gallas et Anelka se sont levés pour montrer leur soutien à Evra, alors que les Bordelais Carrasso et Planus en ont fait de même pour montrer leur soutien à leurs coéquipiers en club. C'était très tendu ».
Passeport bleu pour le nihilisme
1. La Genèse.
En France, quand un radical-socialiste déclare benoîtement qu’une chose anormale est normale, c’est le signe infaillible que nous sommes partis pour une longue spirale du déclin. Voyez le déficit de la nation, vanté comme une technique économique « normale » pendant trente ans. Au bout : faillite. Dans le cas du football français, le radical-socialiste, c’est Jacques Chirac, et l’événement profondément anormal qu’il trouve anodin, voire normal, c’est le coup de tête de Zidane, il y a quatre ans.
Or, rien n’est moins normal que ce coup de tête inaugural, car le football est un fait civilisateur, c’est-à-dire une manière collective d’élever un grand nombre de jeunes, ainsi que le furent et le sont parfois encore des institutions comme le service militaire, le parti communiste, le patronage, ou le scoutisme. Et quand l’exemplarité, à la tête de ces institutions, vient à manquer, ça donne… que le coup de tête de Zidane est au foot ce que les curés pédophiles sont à l’Eglise : une catastrophe, disproportionnée en raison de la responsabilité particulière de celui qui doit, par fonction, endosser un rôle exemplaire. N’importe quel sous-lieutenant sait ça.
Dans le cas d’une faute venue de haut, il n’y a qu’une issue : que la sanction tombe de plus haut encore, vite, fort et clair. La sanction n’est pas tombée. La civilisation, attaquée, ne s’est pas défendue. Elle a excusé, et c’est tout juste si elle ne s’est pas excusée. La jurisprudence Chirac-Zidane: le mou bénit les coups du fort.
Nous n’aurions jamais dû jouer le match contre l’Afrique du Sud, car l’offense faite en 2010 au pays et au sport dépasse de loin la tête de Zidane quatre ans plus tôt. Avec la nouvelle génération, on est passé d’un scandale artisanal à l’obscénité à l’échelle industrielle.
En tout cas, cette culture de l’absence de sanction a engendré la haine de soi de cette équipe, car une faute non sanctionnée est un passeport pour le nihilisme. Depuis, à son sommet, le foot français s’est installé dans l’ambiance d’une boîte SM. Qu’est-ce qu’une boîte SM ? La complicité de plusieurs haines de soi. Le but du jeu : faire des confettis de plus en plus petits avec le sentiment de sa dignité.
2. La chute.
A partir de là, on ne parle de morale sportive de l’équipe de France que pour évoquer son tabassage en règle : c’est un petit jeu décadent dans un coin de cette immense orgie romaine qu’est devenue la vie de ce groupe. Aux portes de l’orgie, la FFF et l’entraîneur de l’équipe ne sont plus que des videurs au service de ces très improbables fêtards, essayant comme ils le peuvent d’interdire à la presse et au public de voir le très décadent spectacle.
Tout le monde (ou presque, et il faudra faire scrupuleusement le tri) se tient mal dans cette équipe, non pas par une espèce de fatalité, de concours malheureux de circonstances, ou de mauvaise éducation (car des voyous sublimés par un projet collectif, un rôle, un maillot, on en voit tous les jours), mais bien parce qu’ils sont là pour ça. Ils sont là pour éclater deux trucs, « cousin » : la France, et le sport. La France, d’abord, parce qu’ils pensent qu’ils ne vont quand même pas représenter ce pays dont le pouvoir suprême les encourage depuis la dernière coupe du monde à continuer de sortir des clous … Ce groupe est officiellement installé dans l’obscène (c’est-à-dire en dehors de la scène du sport, et en dehors de la représentation du pays), en mode doigt d’honneur, et l’équipe sauvage pousse l’avantage toujours plus loin, pour voir si elle peut se payer un pays tout entier. Et de fait, elle peut, rien ne l’en empêche.
Sur le plan sportif, ensuite, ils sont beaucoup moins que nul, parce que pour avoir zéro il faut avoir au moins rendu une copie. Ils font mieux, ils trahissent carrément l’esprit de cette équipe, je veux dire l’esprit que les Français aiment retrouver en elle à travers les générations et les talents. Et en effet, rien de ce qui fait le style traditionnel de l’équipe de France – inventivité, fair-play, « furia francese » (un truc qui nous vient de Louis XII, quand même), dosage subtil de sens collectif et de charges individuelles débridées, improvisations folles et belles à voir sur une trame stratégique fragile mais inspirée ; et même ces effondrements soudains qui sont, parfois, comme un magnifique hommage de l’excès de talent à la défaite – n’a été représenté sur le terrain. Non : des atomes confits, des mécaniques esseulées, des solitaires à gueule de bois, des singularités fantomatiques et stériles, des mutins sans objet.
L’air mécontent et pétrifié de Domenech, et son peu d’aménité envers la presse s’expliquent non pas, me semble-t-il, par une bizarrerie de caractère, mais par le fait que son honneur est engagé à ce que ça ait l’air propre alors que c’est pourri, que ça ait l’air de marcher alors que ça rampe, et que ça semble fonctionner alors que ça explose… Je ne dirais pas du tout qu’il a manqué d’honneur – c’est-à-dire d’une définition de lui-même à laquelle il tient -, il en a au contraire beaucoup, il m’a l’air fier, il a fait face dans son genre, mais il a commis l’erreur énorme de décider que puisque tout merdait en grand, son honneur était engagé à faire en sorte que cette équipe ait l’air d’être quelque chose alors qu’elle n’était rien. Rien : même pas une mauvaise équipe. L’honneur de Domenech, c’est celui d’un videur de boîte louche. Sa fiche de poste : interdire qu’on vienne y voir. Le problème, c’est que la terre entière voulait y voir … à la fin, ça n’est pas tenable. Soi-disant entraîneur d’une bande de non sanctionnés en saturnales permanentes, Domenech, c’est le paradoxe du chômeur en poste, du responsable irresponsable, c’est la tête absente d’un attelage d’intouchables sans courroies et sans volonté, qui n’a plus rien de sportif.
3. L’enfer.
Bref, la trame métaphysique est dantesque, et c’est logiquement Jérôme Bosch qui vient à l’esprit au spectacle des saynètes sulfureuses de la séquence Mondial. Brêve typologie pour un travail de mémoire futur :
Scènes de purges : t’es pas de ma bande, je te passe pas le ballon. Pas la moindre idée de transcendance nationale n’a effleuré l’esprit de ces joueurs.
Scènes de paranoïa en salle de presse : je veux bien répondre à vos questions si vous n’en posez pas. Yeux lourds, violence pure, animalisation du rapport aux médias. « Orangemécanisation » de la relation entre le public, l’encadrement, les joueurs, la presse…
Scènes de vestes : ah ouais, l’ennemi n’est pas qu’intérieur, il y a aussi une équipe adverse qui vient de nous en coller une sur le terrain. Rentrons vite à l’hôtel purger l’ennemi intérieur (voir plus haut).
Scènes de purée intellectuelle : le groupe va bien, dit un membre quelconque de l’équipe, mais le groupe va mal, mais le groupe va bien parce qu’il a envie d’aller mieux, enfin le groupe regrette, assume, souffre, et puis d’ailleurs il a envie de porter le maillot. On va tout donner. On arrête tout. Vous me suivez ?
Scènes de type Agonie de l’Empire Soviétique : vous prenez un type en costume gris avec une cravate en tergal, vous le mettez devant un semi de logos, et il vous livre un discours dont le sous-texte est le suivant : je, président de la FFF, ne comprends rien à ce qui se passe, mais il y a une FFF dont je suis le président, et ça, c’est du solide, c’est du pognon, c’est un système, et ça résiste au connard qui est à ma gauche et qui se prend pour le capitaine de l’équipe. Enfin je crois, que ça y résiste.
Scènes de prise d’otages dans des cars, auxquelles il ne manquait plus que le GIGN en embuscade.
J’en passe…
4. La rédemption bidon.
Tout ça faisait gentiment des bulles de souffre jusqu’à l’arrivée pour la scène finale de madame Roselyne (Roselyne ?) Bachelot, affublée d’un regard mystique qu’elle a piqué pour l’occasion à Ségolène Royal. Elle dispensa aux joueurs un cours de moraline et improvisa une psychothérapie de groupe, au terme de laquelle les joueurs pleurèrent.
Pleurèrent.
Pleurèrent !
C’était la scène lacrymale, pour que notre honte fût entièrement consommée.
Je sais : pleurer, en langage psy, veut dire qu’ils ont extériorisé leur souffrance, et que c’est bon pour leur psyché. Ils vont pouvoir entamer leur travail de deuil grâce à la labialisation de leur douleur intime… Enfin, quelque chose comme ça.
Le spectacle de ce télé-pseudo-repentir, de cette média-morale à deux balles, de cette pleurnicherie mondiale relayée par satellites, de cette alliance du psychologisme et de la démagogie ont brisé en moi quelque chose comme les derniers remparts démocratiques. Je suis tenté par le boulangisme à cause de Roselyne, et je vais finir par en appeler carrément à l’armée : mon royaume pour un adjudant-chef de régiment d’infanterie parachutiste, qui viendrait, avec sa science des coups de pompe dans le cul, s’occuper de l’équipe de France !
Car ce n’était pas ça qu’il fallait faire, ce numéro de cellule psychologique doublée de référent de Cité, madame la ministre. Il fallait leur dire : demain, vous ne jouez pas, bande de petits cons. Aujourd’hui, vous reprenez l’avion, tas de minables. OK on fera le tri plus tard entre les meneurs et les autres, mais là, tout de suite, vous êtes virés. Vous dégagez, vous regardez vos pieds, vous suivez les flèches jusqu’à l’aéroport.
Car l’expiation « par le jeu », le rachat « sur le terrain », n’ont aucun sens tant que la sanction pour outrage n’a pas eu lieu. Et d’ailleurs, logiquement, le match France-Afrique du Sud, que nous n’aurions pas dû jouer, ne nous a rien appris que nous ne sachions déjà : ce n’est pas parce qu’il a la gueule de bois qu’un nul arrogant devient moins nul que dans son état normal. Ce n’est pas parce qu’on pleure qu’on a raison.
5. La refondation sur des bases liquides
La prochaine étape, c’est Venise. Il va falloir refonder sur des bases liquides. Liquides, car madame Bachelot a fait comme Chirac : elle a nié l’offense, et les mufles, revenus de leurs larmes, se tapent sur les cuisses, car ils n’ont nullement été inquiétés. Elle a considéré que cette équipe était notre équipe, que ces joueurs étaient les enfants de la patrie. Elle a voulu réparer les prétendues blessures psychologiques, là où il aurait fallu laver les fautes dans la sanction. Elle a tricoté du compromis lacrymal, là où il aurait fallu juger. L’ultime séquence présidentielle, à base de voiture officielle venant chercher Henry à l’aéroport, n’a qu’un sens : avertir les prochains membres de l’équipe que quoiqu’ils fassent, qu’aussi loin iront-ils dans l’odieux, il ne leur arrivera rien.
Bref, pour l’avenir, je sens qu’on tient quelque chose de liquide.