Si ! Si ! Le PS a bougé un doigt. Les socialistes, pétrifiés dans leur hibernation, viennent de «reconnaître l'économie de marché». François Hollande a même parlé, samedi, d' «aggiornamento». Cependant, rien n'étant simple dans ce parti comateux, il a ajouté : «… Mais nous avons un rapport critique au capitalisme et nous combattons le libéralisme». Néanmoins, celui qui disait hier ne pas «aimer les riches» parle des vertus de «la création de richesse». Cela tombe bien, c'est ce que demandent les gens.
Il faut dire que l'étatisme socialiste, que s'efforçait de contourner la gauche une fois au pouvoir, était une curiosité dont seuls la Corée du Nord et Cuba osent encore vanter les réussites. Alors que les plus dogmatiques des syndicats, à commencer par la CGT, semblent prendre la voie du réformisme indiquée par Nicolas Sarkozy, il est tentant de voir une semblable influence élyséenne dans l'apparent réveil de la gauche devenue la plus bête du monde.
Reste que le capitalisme et le libéralisme ne sont pour rien dans la paupérisation des classes moyennes. Elles payent, au contraire, les réticences face à la libre entreprise et l'initiative privée. Sept millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté (817 euros par mois). La France est, avec la Bulgarie, le seul pays de l'Union où 17% des salariés sont au smic, contre 8,6% en 1991. La baisse du pouvoir d'achat n'épargne pas certains fonctionnaires : 17% ont vu leur traitement progresser moins vite que l'inflation.
Quand Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance, parle ces jours-ci, après d'autres, d'une France «sur la pente du déclin», il est difficile de lui donner tort, en dépit des indignations de ceux qui confondent lucidité et défaitisme. La chasse aux «déclinologues», ouverte par ces gardiens de la pensée lisse, n'a eu pour effet que de retarder une révolution culturelle enfin enclenchée.
La gauche déclamatoire, qui s'offusque des sans-abri avant de filer en vacances, n'est plus crédible. Le socialisme, qui a longtemps inspiré la politique, a sa large part dans le retard économique que supporte la nation. Aujourd'hui, des salariés ou des retraités redoutent de devenir à leur tour SDF. Aussi le PS doit-il poursuivre son adaptation au monde et accompagner les réformes. Qu'il se rassure, le libéralisme ne mord pas.
Le poids de la Sécu
La baisse du pouvoir d'achat ne tient pas seulement à la lourdeur de mécanismes juridiques et fiscaux qui découragent les entrepreneurs à produire davantage, ou à l'inflation de l'immobilier, des loyers et de l'essence. Le poids de la Sécurité sociale s'avère aussi insupportable, alors que la santé est supposée gratuite. Une étude de Georges Lane, professeur à l'université Paris-IX-Dauphine, publiée par Les Contribuables Associés et révélée par Valeurs actuelles, fait apparaître l'ampleur des prélèvements. En additionnant les cotisations du salarié et de son employeur, toutes deux prélevées sur la valeur du travail effectué, Lane constate, sans être démenti, qu'une personne qui gagne le smic (1 341,03 euros brut ; 1 053 euros net) verse en fait 609 euros par mois à la Sécurité sociale ! Pour sa seule assurance-maladie, cette personne paie 32% de plus que ce qui lui est reversé : un racket, rendu illisible par la complexité des versements.
Dernièrement, des députés UMP ont demandé la création d'une commission d'enquête sur les fraudes aux prestations et aux cotisations sociales (Assedic, CMU, RMI), dont le montant est estimé entre 20 et 40 milliards d'euros. Cette vigilance serait la moindre des choses. Tout comme il devient nécessaire de réformer l'Aide médicale d'État (AME), gouffre de 445 millions d'euros par an, également payé par la solidarité nationale. L'AME, qui permet un accès gratuit aux soins pour les clandestins, serait à l'origine d'abus dénoncés par les députés UMP Thierry Mariani et Claude Goasguen. Ils estiment que «la prestation moyenne par bénéficiaire s'élève à 2 500 euros par an contre 1 500 euros en moyenne pour un assuré au régime général». Le smicard, sur la paille, paye aussi pour ceux-là. Normal ?
Seul un bouleversement des comportements parviendra à tirer la France vers le haut. Tout est à remettre à plat, à commencer par ce ruineux système de santé. Les esprits sont prêts. Mercredi, un sondage BVA a montré l'intérêt de l'opinion pour la voie choisie par Sarkozy concernant le rachat des RTT ou le travail le dimanche, même si les recettes de la gauche (prime à l'emploi, augmentation du smic, baisse de la TVA) trouvent toujours un écho chez ceux qui restent indifférents à l'endettement public. D'ailleurs, la grève des fonctionnaires du 24 janvier, décidée par six syndicats qui réclament à l'État fauché des augmentations de salaires, s'annonce comme un pénible remake.
Retour aux 40 heures
Pas de meilleure illustration d'une révolution des mentalités que le référendum de cette semaine dans l'usine de pneumatiques Continental à Sarreguemines (Moselle) : 75% des votants ont accepté le retour aux 40 heures pour assurer la compétitivité de l'entreprise, en contrepartie d'une hausse moyenne des salaires de 6%. Le oui, unanime chez les cadres, a été soutenu par 69% des ouvriers. Invités mercredi par le président à accélérer leur mutation pour accompagner les réformes sociales de 2008, les syndicats doivent se résoudre à prendre le train en marche, s'ils ne veulent pas être largués.
Rumeurs
Rumeurs de crise : 2008 n'augurerait rien de bon pour un capitalisme dévoyé notamment dans la dérive américaine des subprime. La gauche dira : «Je l'avais bien dit !» Mais le capitalisme sait reconnaître ses erreurs. Il les corrige vite, lui. Joyeux Noël et bonne année !
Kadhafi : bilan d’une visite
Le bloc-notes d’Ivan Rioufol du 14 décembre 2007.
Au-delà des contrats signés, la visite de Kadhafi en France a eu trois mérites. Le premier a été de donner l’occasion aux belles âmes, voyant en lui le profil du tyran, d’ouvrir enfin un œil sur l’état d’asservissement du monde arabe et son aspiration à davantage de libertés. Le deuxième a été de permettre à Rama Yade, ministre venue d’Afrique, de s’identifier à la République en rappelant les «principes et valeurs qui font que la France est un pays semblable à nul autre». Quant à la cacophonie gouvernementale née de cette venue, elle invite à s’interroger – troisième mérite – sur la cohérence de la diplomatie française.
L’indignation du PS contre la présence du «Guide de la révolution» est à comparer à son silence devant l’hommage national rendu naguère à Yasser Arafat, ou aux excuses de François Hollande devant Abdelaziz Bouteflika exigeant la repentance pour la colonisation de l’Algérie. Observer la gauche se faire plus exigeante que George Bush sur le respect de la démocratie en Libye fait douter de sa cohérence. Plus convaincante a été, pour cela, la colère un brin surjouée de la Marianne noire, chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’homme. Entendre cette jeune femme musulmane défendre la nation et sa culture a illustré ce que pourrait produire idéalement une France multiethnique restée fidèle à ses héritages.
Pour autant, le pouvoir n’est pas critiquable de vouloir commercer avec cet homme en quête de respectabilité. Comme le remarque le sénateur Michel Charasse (Europe 1, mardi) : «Si on achetait du pétrole dans les pays purs, il y a longtemps qu’on roulerait en voitures à pédales.» D’ailleurs, les États-Unis et la Grande-Bretagne, tombeurs de Saddam Hussein, sont déjà les partenaires établis d’une Libye jugée fréquentable depuis qu’elle a renoncé, en 2003, à l’arme nucléaire. Faudrait-il tirer un trait sur les marchés conclus cette semaine ? Notre économie ne peut se permettre cette fantaisie.
Ce qui choque, en revanche, tient à l’effacement de la France. Elle n’a pas voulu entendre, chez son hôte, sa justification du terrorisme, ses leçons de démocratie, son refus de reconnaître Israël, son dédain des droits de l’homme, sa négation du génocide au Darfour. C’est Sarkozy qui a été sermonné par Kadhafi à propos des immigrés «aux droits violés par la police» et qui a été invité à «bien traiter la communauté africaine» et à «répondre à ses revendications». Personne n’a dit : «Ça suffit !»
Une faiblesse française
En encourageant le repenti, la France a montré une faiblesse. D’autant que le personnage, qui soutient l’islamisation de l’Europe (bloc-notes du 2 novembre 2007) et a réaffirmé ces jours-ci que «la seule religion est l’islam» («La croix que vous portez n’a aucun sens, comme vos prières», a-t-il dit mardi), a aussi invité « les Africains» vivant en France à «défendre leurs droits» en créant «leur parti». La libération des infirmières bulgares, emprisonnées et torturées pour de faux crimes, pouvait justifier l’invitation à Paris, en geste de gratitude. Mais ces empressements à faire croire que le leader bédouin se serait converti aux Lumières (Roland Dumas : «Kadhafi a un comportement très clair qui le rapproche des Occidentaux») ont montré une confusion des esprits. Elle n’aide pas à rendre lisible la diplomatie française.
«J’envoie des signaux à la rue arabe», explique Sarkozy. Cependant, à vouloir ainsi relativiser ses précédentes prises de position pro-américaines et pro-israéliennes, il en vient à additionner les concessions à l’opinion musulmane. Le discours tenu l’autre jour à Constantine le montre : si l’excuse pour la colonisation n’a pas été prononcée, le président a dénoncé le «système colonial injuste par nature», vu comme une «entreprise d’asservissement et d’exploitation». Or jamais l’Algérie ne demandera pardon pour ses actes passés de piraterie sur les côtes de Provence ou de Corse, ou pour le massacre des harkis après les accords d’Évian.
Ce même déséquilibre se retrouve dans la manière dont le chef de l’État joue unilatéralement l’apaisement, se faisant l’avocat de «la diversité, de l’échange, du métissage, de l’ouverture à l’autre». De tels propos ne sont jamais tenus en face. Si l’Occident est prié de s’ouvrir à l’immigration et au multiculturalisme, les pays musulmans savent exiger, pour eux-mêmes, le respect de la «Terre d’islam». Il est à craindre que le projet de Sarkozy d’Union de la Méditerranée, discuté avec Kadhafi, ne prenne la tournure du partenariat Euro-Méditerranée, lancé à Barcelone en 1995 : après s’être prêté à un inventaire des exigences islamiques, il a fini dans un monologue européen.
Union occidentale
La politique arabe de la France, inaugurée dès 1543 par François 1er invitant le corsaire Barberousse, a ses évidentes vertus de bon voisinage. Mais elle risque d’aggraver, désormais, un déséquilibre dont l’Occident, divisé et fragilisé, fait déjà les frais. Aussi est-ce moins une Union méditerranéenne qu’une Union occidentale qui reste à construire. Ce qui est la conclusion de La Fracture identitaire (de votre serviteur) est aussi l’argument qu’approfondit Édouard Balladur dans un livre qui vient de sortir ( Pour une Union occidentale entre l’Europe et les États-Unis, Fayard). «L’Occident doit s’organiser pour défendre ses principes, ses convictions, sa civilisation ; c’est un devoir politique et moral», écrit l’ancien premier ministre. Sarkozy l’entendra-t-il ?
«Actes criminels»
Pressé par le président de «condamner» les attentats d’Alger, Kadhafi a pris son temps avant de dénoncer des «actes criminels». S’en contenter ?
Les signes d’un sursaut
Le bloc-notes d’Ivan Rioufol du 7 décembre 2007.
Les Français veulent se sortir de leur pétrin. Ils le prouvent à chaque occasion. Le récent mouvement social, qui bataillait pour conserver les régimes spéciaux, a dû se plier à l’opinion réformatrice qui est en train d’isoler également la contestation étudiante. Les dernières émeutes ont donné lieu, singulièrement sur Internet, à un flot de commentaires qui ont révélé, jusque dans leurs excès, l’urgence d’un débat sur la cohésion nationale. Quant à l’État providence, la vache sacrée est poussée dehors, sans remords. Oui, un sursaut se profile.
Cette fois, l’État n’augmentera ni le smic, ni les primes à l’emploi, ni ces autres cadeaux (baisse de la TVA, de la taxe sur l’essence) que suggérait le PS en ignorant la dèche publique. «Je ne suis pas le père Noël. Il n’y a pas d’argent dans les caisses», a rappelé l’autre jour Nicolas Sarkozy. Récemment, il avait reproché à François Fillon d’avoir parlé d’une «situation de faillite», qui annonçait la rigueur. Mais si le mot n’est pas dit, il est désormais appliqué. Personne ne hurle.
La remise en cause des 35 heures après accord entre partenaires sociaux ou par le rachat des RTT, annoncée par le chef de l’État, signe la désacralisation des congés et des loisirs. Même le travail le dimanche est approuvé à 50 %. Mardi, un sondage de Libération a montré qu’une majorité juge efficace la réhabilitation du travail dans l’amélioration du pouvoir d’achat. Un coup d’œil dans le rétroviseur montre le chemin parcouru : un pays sous cloche et pantouflard s’éloigne. Le premier ministre parle en libéral sans choquer quiconque, quand il affirme «vouloir libérer le travail» afin de relancer l’offre. La simplification du Code du travail, discutée à l’Assemblée, est censée aller dans ce sens. L’assistanat est en mal d’avocats. Qui dit regretter ce vieux monde ? Seul François Bayrou, mimant de Gaulle, croit utile d’entrer en «résistance», alors même que la nation se dégage enfin de ses pesanteurs idéologiques.
Une révolution des mentalités s’est installée, grâce à une habile pédagogie des réformes, plus symboliques qu’efficaces. En Espagne, le modernisme pousse le socialiste Zapatero à défendre cette semaine la suppression de l’impôt sur la fortune «afin d’intégrer le groupe de la majorité des pays européens». Les Français n’en sont pas là. Mais ils peuvent en entendre beaucoup. La droite sera-t-elle à la hauteur de leurs attentes ?
Refondation culturelle
Reste que la France a du mal à admettre son état. Ce n’est pas seulement sa fracture identitaire qui reste indicible, bien qu’elle crève les yeux du premier venu. C’est sa personnalité même qui s’estompe. La semaine dernière, l’hebdomadaire américain Time titrait sur «la mort de la culture française» en soulignant qu’elle avait perdu son statut de «superpuissance». L’insolence a fait rugir Maurice Druon dans Le Figaro. Il n’empêche : l’«exception culturelle française», cet héritage de Vichy, ne produit plus pour l’essentiel que des œuvres plates et prétentieuses, tandis que la littérature égotique ne franchit plus les frontières depuis longtemps. En France même, les intellectuels médiatiques sont devenus muets. Il est vrai que la plupart des salonnards n’ont pas vu venir ces temps complexes.
Le débat civilisé et constitutif de «l’esprit français» n’arrive plus à dépasser le stade des négations, des invectives, des injures. Cette carence dans l’analyse critique explique en partie le désastre qui accable l’école. Cette semaine, deux enquêtes internationales rappellent cette réalité. Selon le Programme international de recherche en lecture scolaire (PIRLS) du Boston College, les écoliers français lisent de moins en moins bien. Selon une enquête de l’OCDE, ils décrochent aussi en sciences et en mathématiques. C’est bien une part de la culture qui est, là aussi, laissée en friches, dans la crainte d’affronter les pédagogues.
Pour autant, ce serait une erreur de croire les Français insensibles à ces phénomènes d’arasement. D’autant qu’ils s’ajoutent à une créolisation de la langue dont même Fadela Amara, chargée de la politique de la Ville, se fait l’interprète complaisant. Nadine Morano, porte-parole de l’UMP, n’a pas tort quand elle lui reproche d’«utiliser des expressions comme “à donf” ou “je kiffe”», en faisant remarquer : «Dans un entretien d’embauche, on n’est pas pris.» Plus généralement, un désir d’exigence dans la transmission culturelle se devine à travers les enquêtes. Le terrain est propice à une refondation culturelle.
«Pas approprié»
Le sursaut attendu passe aussi par l’abandon des repentances unilatérales et par le refus de se soumettre davantage aux intimidations des fondamentalistes. De ce point de vue, Sarkozy a su rétablir un peu de fierté nationale, cette semaine en Algérie, en ne formulant pas les excuses exigées pour la colonisation, dont il a cependant admis l’injustice. Cependant, il s’est prêté à l’intoxication des islamistes en estimant : «Il n’y a rien de plus semblable à un antisémite qu’un islamophobe.» S’il y a du racisme à critiquer un juif pour son origine, il n’y en a aucun à critiquer l’islam comme dogme religieux ou système politique. Reconnaître le délit d’islamophobie, créé par les intégristes iraniens, revient à condamner au silence ces musulmans qui mettent en garde contre la pensée totalitaire de l’islam radical. En admettant que l’usage de ce terme n’était «pas approprié», François Hollande deviendrait-il vigilant ?
Hommage aux harkis
Si la nation doit des excuses, c’est aux harkis qu’elle a abandonnés. En rendant hommage, mercredi, à ces musulmans qui avaient choisi de défendre la France, le chef de l’État a réparé une véritable injustice. Un sursaut, là aussi.