Spéciale 18 juin - De Gaulle et les Alliés
La France Libre et ses alliés: aux origines d'une reconnaissance
Pour de Gaulle il s'agit avant tout que les soldats français se battent sous le drapeau français et ne constituent jamais une «légion française dans l'armée britannique». Ces conditions sont garanties par accord avec Churchill le 7 août 1940. Il en est de même des subsides que le gouvernement anglais verse à la France Libre, il s'agit d'un prêt qui sera remboursé une fois que la France aura retrouvé sa souveraineté. Le prêt est habilement négocié par René Pleven et Pierre Denis, gestionnaires des «finances» de la France Libre. Mais pour négocier sur un pied d'égalité, il est nécessaire de disposer d'atouts. Or De Gaulle n'a pu ni éviter la signature de l'armistice, ni rallier l'Empire. Certes Churchill et le général Spears éprouvent beaucoup de sympathie pour ce général rebelle qui ne se résigne pas à la capitulation de son pays, mais ils ne peuvent couper brusquement les ponts avec la France officielle. C'est dans ce contexte que la France Libre doit s'affirmer diplomatiquement. II faut compter également que des haut-fonctionnaires et des diplomates français de haut rang, tels Jean Monnet, Paul Morand ou Alexis Léger, qui non seulement ne se rallient pas à l'initiative gaulliste, mais la contestent ouvertement.
Le 27 juin 1940, Churchill dans son bureau de Downing Street, lance à De Gaulle : «Vous êtes seul ? Eh bien, je vous reconnais tout seul! » Le 28, c'est par communiqué officiel que la reconnaissance de De Gaulle comme « chef de tous les Français libres, où qu'ils se trouvent, qui se rallient à lui pour la défense de la cause alliée» est enregistrée. Ni le Foreign Office ni le War Office n'accueillent la nouvelle avec enthousiasme.
Le dialogue De Gaulle-Churchill: entente cordiale?
Le fait que Churchill ait refusé le 23 juin «toute indépendance» au gouvernement Pétain, est un atout de première importance pour la France Libre. Au commencement de juillet s'ouvrent des négociations entre de Gaulle et les Britanniques en vue de reconnaître la légitimité d'un «Comité français». René Cassin sert la partie française et sir William Strang, l'anglaise. Les Français sont intransigeants sur toutes les questions d'intégrité territoriale et de «maintien de l'Empire». Des accords sont signés le 7 août 1940 entre De Gaulle accompagné de René Cassin d'une part, et Churchill, Strang et Spears de l'autre. Le traitement des FFL, la question financière et l'indépendance de l'administration civile de la France Libre, satisfont de Gaulle.
Suit alors l'envoi de deux lettres de Churchill à de Gaulle, dont la dernière est confidentielle. La première garantit au nom du «gouvernement de Sa Majesté» la volonté d' «assurer la restauration intégrale de l'indépendance et de la grandeur de la France». La seconde apporte une précision : «L'expression "restauration intégrale de 1"indépendance et de la grandeur de la France ne vise pas d'une manière rigoureuse les frontières territoriales. (...) Mais bien entendu, nous ferons de notre mieux.». Il n'est pas de manière plus explicite, et diplomatiquement plus acceptable, de signifier à la France que la guerre contre l'Allemagne n'annule pas une ancienne rivalité. De Gaulle répond à la missive de Churchill avec le ton pondéré que la situation du moment lui autorise : «J'espère que les circonstances permettront un jour au gouvernement britannique de considérer ces questions avec moins de réserves».
Et De Gaulle, s'il ne le dit pas dans ses "Mémoires", doit certainement, en homme d'Etat qu'il est, le comprendre. Mais alors qu'en Europe les intérêts de guerre convergent, il n'en est pas de même en Méditerranée ni au Proche Orient. L'importance accordée par de Gaulle à l'Empire n'est pas uniquement motivée par la possibilité que la France y trouve de mener une guerre efficace contre les Allemands : l'Empire lui offre une légitimité territoriale indispensable dans son rapport aux alliés.
L'élargissement du conflit vers la Méditerranée orientale à partir de 1941 fait rejouer de vieilles rivalités coloniales, restées sous-jacentes et qui vont empoisonner les relations entre les deux alliés. La question de la Syrie et du Liban étant la première grande épreuve diplomatique de la France, elle est aussi l'occasion d'un affrontement entre Churchill et De Gaulle. Mais au delà de ces conflits naturels entre impérialismes rivaux, il y a également le souci de Londres de ne rompre avec Vichy qu'en dernière instance, après s'être assuré qu'il n'y a aucune possibilité d'empêcher le gouvernement français de tomber entièrement sous la coupe d'Hitler. Cette politique confidentielle continue, même après Mers el Kebir et Dakar.
La nécessaire alliance franco-russe
Le déclenchement de l'opération Barbarossa des 21 et 22 juin 1941 contre l'Union soviétique présage pour le général de Gaulle du tournant décisif de la guerre malgré la défaite russe et la rapidité de l'avancée allemande.
Le 28 juin, Maïsky, ambassadeur russe à Londres, apprend de René Cassin et de Maurice Dejean l'offre de collaboration militaire entre les FFL et l'armée soviétique. Le 26 septembre 1941, le Gouvernement russe reconnaissait le Général comme chef de tous les Français libres et l'assurait de sa volonté de restaurer l'indépendance et la grandeur de la France.
Dans ses "Mémoires", le général de Gaulle présente ainsi les relations qu'il envisage d'entretenir avec la Russie de Staline : «Je ne doutais évidemment pas qu'une victoire à laquelle les Soviets auraient pris une part capitale pourrait, de leur fait, dresser ensuite d'autre périls devant le monde. On devait en tenir compte, tout en luttant à leurs côtés, c'est à dire vaincre. (...) D'autre part, la présence de la Russie dans le camp des Alliés, apportait à la France combattante, vis à vis des Anglos-Saxons, un éléments d'équilibre dont je comptais bien me servir ». C'est le partisan de l'Alliance franco russe de 1935 qui parle, l'homme qui avait répondu à Léon Blum au moment de la non-intervention dans la guerre espagnole.
De cette vision du problème découle la relation particulière entre le Général et Bogomolov, ancien ambassadeur russe à Vichy devenu ambassadeur à Londres. A partir du 25 novembre 1941, la France Libre envisage l'envoi de troupes sur le front de l'Est. Mais l'état major britannique s'y oppose et la participation française à la guerre soviétique se limite à la création du régiment aérien Normandie Niemen.
Le 20 janvier 1942, sur les ondes de la BBC, le général de Gaulle rend un vibrant hommage aux alliés russes et célèbre l'échec de l'offensive allemande devant Moscou et Leningrad. Cet éloge de l'héroïsme russe porteur d'un immense espoir pour les Français libres, figure comme un des moments forts d'une amitié franco-russe en guerre. « La France qui souffre est avec la Russie qui souffre. La France qui combat est avec la Russie qui combat. La France, sombrée au désespoir, est avec la Russie qui sut remonter des ténèbres de l'abîme jusqu'au soleil de la grandeur .»
Les relations de la France Libre avec la Russie se renforcent au fur et à mesure que les succès de l'Armée Rouge s'affirment. Au cours de son voyage à Londres, en mai 1942, le ministre soviétique des Affaires étrangères, Molotov, déclare au Général de Gaulle, après l'avoir reconnu «représentant de la vraie France», que l'URSS désire avoir avec la France «une alliance indépendante» de la Grande Bretagne et des Etats Unis. C'est là un objectif de grande importance pour la France Libre. En effet, elle a l'occasion de dépasser le stade des relations bilatérales avec l'Angleterre et de se préparer à un rôle médiateur, qui pourrait s'avérer plus tard nécessaire. D'ailleurs le gouvernement anglais sent les risques d'une telle situation et exerce des pressions pour limiter les accords possibles entre De Gaulle et Staline. Il est vrai qu'à partir de l'entrée en guerre des Etats Unis, l'Union soviétique elle-même privilégiera ses possibilités d'entente avec Roosevelt qui ne porte pas De Gaulle dans son coeur, sur l'alliance franco russe. La politique de la France Libre vis à vis de l'Union soviétique, fidèle à l'esprit de la traditionnelle alliance franco russe, permet au général De Gaulle de s'assurer la loyauté de la partie communiste de la Résistance à l'intérieur, et l'appui russe en cas de négociation au moment du rétablissement de la souveraineté française. C'est-à-dire, l'unité nationale et une alliance continentale.
De Gaulle-Roosevelt: les vicissitudes d'une alliance transatlantique
La France Libre a mauvaise presse en Amérique qui lui préfère Vichy, quelles que soient les conséquences morales de ce choix. De Gaulle ne cède cependant jamais à la tentation d'une intransigeance oublieuse des nécessités de la politique. Lorsque ses relations se tendent avec Londres à cause de rivalités locales, il se tourne vers Washington pour lui offrir son concours. Les aérodromes d'Afrique et ses ressources en homme appuient matériellement ses démarches. Ces tentatives datent d'avant l'entrée en guerre de l'Amérique. Le 19 mai 1941, le Général s'adresse à son proche collaborateur René Pleven : "Etant donné l'attitude presque belligérante des Etats Unis, le moment est venu pour nous d'organiser nos relations avec l'Amérique. Je vous confie personnellement cette mission." Le travail de Pleven doit être discret par rapport à l'Angleterre.
En juin, De Gaulle qui se trouve au Caire, fait porter au consul général des Etats Unis un aide mémoire, qui en insistant sur la situation précaire de l'Angleterre face à une attaque allemande, offre l'AEF, où le gaullisme a triomphé, comme base arrière à l'aviation américaine. La signification de l'acte est double : d'une part le Général fait participer à la guerre un territoire français, afin de mettre «la France dans la guerre», et d'autre part il se pose en interlocuteur indépendant de la première puissance industrielle du monde, il tente de s'imposer comme membre à part entière du «club des Grands». Le refus de l'offre par Washington est dû également à deux raisons : l'hostilité personnelle de Franklin Roosevelt à de Gaulle et l'espoir de voir Weygand livrer sans combat l'Afrique du Nord à l'armée américaine. Parallèlement à cette diplomatie du court terme, de Gaulle tente avec la mission Pleven d'imposer la France Libre comme gouvernement légitime de la France, aux Etats Unis. Il s'agit de conquérir à la fois l'establishment politique américain et l'opinion publique, c'est-à-dire la presse.
René Pleven est l'homme de la situation. Grand connaisseur des Etats Unis, homme d'affaires et souple négociateur, il atténue l'image de raideur du général De Gaulle. En dépit de la méfiance à l'égard de la France Libre du State Department (ministère des Affaires étrangères) et des diplomates influents que sont Cordell Hull et Summer Welles, Pleven rencontre de la compréhension chez le conseiller présidentiel Henry Morgenthau. Le secrétariat à la Guerre est également sensible à ses arguments. La cause de la France Libre trouve enfin un certain appui médiatique avec le New York Herald Tribune. La mission Pleven aboutit à une triple offre américaine de collaboration sanitaire avec la Croix-Rouge : intégration de Pleven en tant qu'"expert" français à des débats interalliés ; et envoi d'un observateur en Afrique. De Gaulle, méfiant devant le caractère peu politique de l'offre, n'accepte que ce dernier point.
En août 1941, est signée la «Charte de l'Atlantique» entre Roosevelt et Churchill. Le Premier ministre de l'empire britannique doit s'accommoder du caractère formellement anticolonialiste de celle-ci. De Gaulle réagit avec froideur, s'indignant de l'absence de la France à la signature d'un tel accord, et refusant l'idée «d'un non-agrandissement territorial» après la victoire. Pour manquer de souplesse, sa réaction est néanmoins confidentielle. Pleven continue à marquer des points. Après une conférence de presse du Secrétariat d'Etat Cordell Hull le 5 septembre, favorable à la reconnaissance du mouvement gaulliste, des relations presque officielles avec la France Libre sont envisagées. De Gaulle choisit le syndicaliste Adrien Tixier pour le représenter à Washington contre l'industriel Adrien Boegner. Ce choix n'est pas des plus habiles compte tenu des milieux d'affaires auprès de la Maison Blanche. Le ler octobre, René Pleven est néanmoins reçu par le ministre d'Etat adjoint Summer Welles qui offre quelques maigres garanties. Le 11 novembre 1941, la France Libre est associée au crédit illimité que représente la loi de «prêt-bail» américaine sur la livraison d'armement. Le colonel Cunnigham et l'ancien ambassadeur en France Laurence Taylor se rendent en AEF comme observateurs américains auprès de l'administration gaulliste. Cela soulève l'indignation de Vichy et de son représentant en Afrique du Nord, Weygand. L'ambassadeur de Roosevelt auprès de Pétain, l'amiral Leahy, s'inquiète aussi du rapprochement de plus en plus évident entre Vichy et l'Allemagne.
Mais le choix de la Maison Blanche reste Vichy, et Pétain bénéficie toujours d'un grand crédit auprès du Président. La révocation de Weygand, les choix nettement pro allemands de Darlan, n'influencent en rien Roosevelt en faveur de De Gaulle. Au contraire, ménager Vichy pour l'amener dans le giron américain reste la ligne de conduite. Les progrès de la mission Pleven sont stoppés lors du rappel de Cunnigham par Washington. L'entrée en guerre des Etats Unis le 7 décembre 1941 ne modifie pas la diplomatie américaine à l'égard de la France. Le 29 janvier, le provichysme de Washington est confirmé par le secrétaire d'Etat Cordell Hull dans un entretien avec Adrien Tixier devenu représentant de De Gaulle à Washington.
Par la suite, aussi bien dans l'affaire d'Afrique du Nord que jusqu'à la mort du président Roosevelt, l'administration américaine fera son possible pour écarter De Gaulle et la France Libre. Les Français d'Amérique influents auprès du secrétariat d'Etat, tels jean Monnet ou Alexis Léger, seront toujours hostiles à la personne du Général et maintiendront Roosevelt dans ses préventions. On a beaucoup parlé de l'anticolonialisme américain et de la méfiance toute démocratique devant le pouvoir personnel du général De Gaulle. Ces éléments ont certes leur rôle à jouer mais il faut peut-être expliquer la méfiance américaine par des intérêts plus immédiatement pragmatiques. Une France rétablie dans sa puissance, associée à la victoire alliée, peut en effet paraître gênante dans le jeu européen des Etats Unis.
Ainsi tous les efforts américains qu'entreprend la diplomatie de la France Libre, porten-t-ils sur la reconnaissance d'une légitimité française et d'une souveraineté intacte. Il est en revanche normal que les Etats Unis cherchent des interlocuteurs auprès du pouvoir français le moins souverain, ainsi auprès de Weygand, de Darlan, quand il ne s'agit pas de simples militaires sans aucune légitimité politique, comme Giraud. Le projet AMGOT prend la suite de l'échec des «expédients provisoires».
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