Par Thierry Wolton
L'islamisme, ce nouveau totalitarisme
Tout est allé si vite depuis le 11 septembre 2001 que chacun a eu le sentiment de perdre le fil logique de l'histoire. Ce livre permet de reprendre pied face aux événements. Les attentats perpétrés depuis plus d'une décennie n'ont épargné aucun continent. Vingt-neuf pays ont été victimes d'attaques terroristes. Des nations aussi différentes que la Russie et Israël, l'Indonésie, l'Australie et l'Arabie Saoudite, et des dizaines d'autres, sont sur le pied de guerre. Les moyens militaires, policiers et financiers engagés sont considérables. Nous voilà bien en présence d'un nouveau conflit mondial qui a déjà fait deux millions de morts.
Ce livre apporte des réponses simples, claires et précises à toutes les questions que nous nous posons sur le monde tel qu'il (ne) va (plus). En une cinquantaine de réponses concises, la complexité du monde est expliquée, dans un ouvrage accessible à tous. Précisons que Thierry Wolton est l'auteur de grandes enquêtes (« Le KGB en France », « La France sous influence ») et de nombreux essais sur le monde contemporain (« L'Histoire interdite », « La Fin des nations », …).
Lancé par les néoconservateurs américains avant le 11 Septembre, repris par le président Bush, le débat fait toujours rage aux États-Unis sur la nature totalitaire ou non de l'islamisme. Pour George W. Bush, on assiste aujourd'hui à un combat stratégique du «monde civilisé contre les successeurs des nazis, des fascistes, des communistes et autres totalitaires du XXe siècle».
Peut-on souscrire à une telle analyse ? Parler d'un totalitarisme islamiste nécessite de préciser ce qu'est une idéologie totalitaire, par essence religion séculière ; de voir s'il est possible de parler d'idéologie en ce qui concerne l'islamisme, qui prétend s'inspirer d'Allah et, si oui, en quoi cette idéologie serait totalitaire et quelle fonction remplit-elle auprès de ceux qui y adhèrent ou la subissent.
Pour aller à l'essentiel, le totalitarisme se distingue de la dictature ou du despotisme par l'adhésion populaire qu'il a toujours suscité. Mussolini fut longtemps le héros d'une majorité d'Italiens, Hitler sut mener les Allemands à la guerre, des millions de Soviétiques ont pleuré Staline à sa mort, nombre de Chinois sont toujours en deuil de Mao... La terreur n'est pas une explication suffisante pour comprendre comment les ressortissants des régimes totalitaires ont fini par aimer leurs bourreaux. L'idéologie est la raison essentielle de ce soutien populaire. Elle a pour fonction d'unir par des sentiments identitaires des citoyens isolés, de donner sens à leur communauté par un mythe absolu et exclusif, de leur faire reconnaître pour chef celui qui sait traduire ces impératifs en émotions collectives. Support du totalitarisme, l'idéologie doit revêtir un caractère utopique et postuler le règlement radical des problèmes de la société. On retrouve ces caractéristiques dans l'islamisme qu'on peut définir comme une interprétation politique de l'islam. [NDLR : En cela même, il ne s’évade pas du politiquement correct et demeure malgré tout assez conformiste]
Les idées d'Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans et le maître à penser de l'islam fondamentaliste, sont apparues en même temps que les autres idéologies totalitaires du XXe siècle, après la Première Guerre mondiale. On y retrouve le fond commun à toutes les pensées totalitaires : anti-occidentalisme, antilibéralisme, anti-individualisme et une explication globale du monde, de son fonctionnement et de sa destinée, en l'occurrence par la gnose islamiste.
Ce n'est pas un hasard si les islamistes ont embrasé les sociétés musulmanes dans les années 1970 quand les conditions socio-économiques ont été favorables à l'expansion de leur idéologie. Exode rural, urbanisation massive, boom démographique, alphabétisation des jeunes, tous ces bouleversements les ont servis. Ils y ont puisé leur énergie, ils y ont trouvé leurs militants en offrant un débouché idéologique à ceux qui se sentaient déboussolés par la poussée de la modernisation. Comme hier le communisme et le fascisme, l'islamisme sert de refuge dans un moment de transition où sont bousculées les hiérarchies, les solidarités traditionnelles. La religion des oulémas, des docteurs de la loi, avait du mal à suivre les transformations en cours. La nouvelle génération d'islamistes a considéré qu'elle n'avait plus besoin d'eux pour commenter les textes sacrés, et elle a cultivé sa vision politique de l'islam. À l'intérieur des pays musulmans comme à l'extérieur, dans les communautés éparpillées dans le monde, l'expansion de l'islamisme a correspondu au phénomène de globalisation, elle en a été, en quelque sorte, la réponse. Pour faire face à la destruction des sociétés traditionnelles, l'idéologie islamiste propose en effet de refonder une communauté imaginaire (utopique) où les identités qu'elle permet de (re)construire n'ont plus besoin de territoires. Une planche de salut pour des individus déracinés et acculturés.
En tant qu'idéologie totalitaire, le communisme visait à atomiser les individus en les arrachant de leurs racines sociales, politiques, culturelles, voire familiales, pour mieux les dominer, les contrôler. L'islamisme, lui, propose des repères (codes) à des individus déjà déracinés. La démarche est différente mais le résultat est le même : il s'agit dans les deux cas d'unir par des sentiments identitaires – la communauté socialiste, la communauté des croyants – des personnes isolées, de donner sens à leur communauté grâce à un mythe absolu et exclusif, le parti ou la Oumma. Pour cette raison, l'islamisme tient de l'idéologie politique et non de la croyance religieuse.
La conception totalitaire de l'islamisme apparaît pleinement quand l'idéologie s'impose à l'échelle d'un pays. Comme dans les autres variantes du totalitalisme, il se propose de construire une société idéale, de réaliser l'Utopie à partir de l'infaillibilité de l'idéologie, dans ce cas le Coran. Les talibans, qui ont imposé leur loi sur l'Afghanistan de 1996 à 2001, interdisaient notamment les oiseaux chanteurs parce qu'ils pouvaient perturber la prière, les cerfs-volants furent bannis car en allant les décrocher des arbres, on risquait d'apercevoir des femmes non voilées chez elles, la taille des barbes était calculée au centimètre près pour ressembler au Prophète... En son temps, l'Iran de Khomeyni a offert un sanglant exemple du rôle de l'islam en idéologie totalitaire dans la guerre qui a opposé son pays à l'Irak de Saddam Hussein dans la décennie 1980. Sur le brassard que portaient les jeunes gens ou les enfants envoyés sur les champs de mines pour frayer un passage à leurs aînés, au prix de leur vie, c'est le mot «islam» qui était inscrit. «L'islam est en danger», répétait le régime. Il n'était pas dit que la patrie, l'Iran, le peuple, la liberté étaient en cause. C'était l'islam qui tenait lieu de pays, de famille, d'éthique, ce qu'ont repris ensuite les terroristes islamistes qui ensanglantent le monde. Tout cela est le propre d'une idéologie totalitaire.
Thierry Wolton, « 4e Guerre mondiale », Grasset, janvier 2006
"Il y a chez les musulmans ou chez les exégètes de l'islam une volonté d'exonnérer la religion de toute responsabilité dans la guerre actuelle qui n'est pas sans rappeler la manière dont le communisme fut longtemps innocenté des crimes commis en son nom sous prétexte qu'il s'agissait d'une déviation du système et de son idéologie.
Selon une formule consacrée, on pourrait dire que l'islam est responsable mais pas coupable de ce qui est fait en son nom." Thierry WOLTON
La 4e Guerre mondiale aura-t-elle lieu?
Elias Levy
![]() | ![]() Thierry Wolton: "En allant porter la guerre en Irak, les Américains ont choisi le terrain d'affrontement." photo: Annah Opale |
Sommes-nous en plein dans la 4e Guerre mondiale?
"Oui. La 4e Guerre mondiale a débuté en 1979, année de l'arrivée au pouvoir en Iran de l'ayatollah Khomeiny. À l'origine, ce conflit était une guerre à l'intérieur de l'islam, entre les musulmans chiites, très minoritaires - ils représentent à peu près 17 % de l'ensemble des musulmans - et les sunnites, fortement majoritaires. La prise du pouvoir des chiites en Iran a provoqué une espèce d'"émulation islamique" chez les sunnites. Ces derniers ne voulaient pas laisser le monopole de la contestation, de la radicalisation et du fondamentalisme aux seuls chiites. Ainsi, les sunnites se sont mis à leur tour à faire de la surenchère idéologique et religieuse. Cette guerre, presque civile, au sein de l'islam débouchera 20 ans plus tard sur une guerre menée par les islamistes contre l'ensemble de l'Occident."
La crise iranienne chambarde-t-elle les géopolitiques du Moyen-Orient et du monde?