Le bloc-notes d'Ivan Rioufol
Le souvenir des jours anciens s'accroche aux « progressistes ». Ils aimeraient tant que revienne ce temps où ils étaient craints. Mais : « The times they are a-changing » (Bob Dylan). Les tests ADN sont approuvés par 56 % des sondés et adoptés par le droit européen. Selon l'observatoire des évolutions socioculturelles de la Cofremca, 57 % sont favorables à la suppression des régimes spéciaux de retraite et 75 % pensent qu'il faut réduire dépenses publiques et impôts. La nostalgie, camarade.
Cette gauche d'hier ne veut pas mourir. On la comprend. Mais elle radote dans son monde clos. « Un combat commence ! », a prévenu dimanche François Hollande, qui aimerait, au-delà du volet sur la lutte contre la fraude au regroupement familial, que tout le projet de loi sur l'immigration soit retiré. Didier Le Reste, le secrétaire de la CGT-cheminots, en appelle pour sa part au militantisme communiste pour bloquer les transports en commun. Dans quel monde vivent-ils ?
La France moderne ne peut se reconnaître dans ces hommes immobiles et ces syndicalistes issus du XIXe siècle, qui refusent de s'interroger sur les problèmes posés par l'immigration de masse ou qui défendent des régimes spéciaux liés à un système en faillite. D'ailleurs, si le pays est dans cet état d'incertitude sur son avenir, c'est bien à cause de ces militants archaïques. Ils affectent de parler peuple mais ne se font plus comprendre. Face à eux, le gouvernement a déjà trop reculé. Les recours aux tests ADN et au service minimum dans les transports, par exemple, ont été largement édulcorés. La gauche y a vu de la faiblesse. Faudrait-il un Sébastien Chabal, qui a malgré tout porté l'équipe de France de rugby, pour lever les ultimes obstacles à l'entrée dans le XXIe siècle ? Les Français attendent la vraie rupture. Eux aussi pourraient descendre dans la rue.
La pensée show-biz
En fait, les socialistes ne se consolent pas de la défaite de Jean-Marie Le Pen, qui par ses dérapages avait rendu inabordables les questions liées à la cohésion nationale. Un déni dont la gauche a toujours su tirer profit. Aussi tente-t-elle de ressusciter le FN, dont elle voit l'ombre derrière le député UMP Thierry Mariani, l'auteur de la proposition sur le regroupement familial, ou le ministre Brice Hortefeux. Mais quand Bertrand Delanoë ose le parallèle, dimanche, entre le nazisme et le recours à la génétique pour prouver une filiation, c'est le maire de Paris qui mime l'extrême droite dans ses outrances.
Alors qu'un séparatisme culturel et ethnique s'installe (je décris cette réalité occultée dans un livre, La Fracture identitaire, qui paraîtra chez Fayard le 2 novembre), il est stupéfiant d'observer avec quelle hypocrisie ces gens-là se détournent des faits. Ils disent se mobiliser pour les droits de l'homme quand ils critiquent ces tests adoptés par douze pays voisins. Mais qu'ont-ils dans les yeux ? Un lecteur me signale, cette semaine, ce débat sur la chaîne qatarie al-Jezira : « La France pourra-t-elle maintenir ses traditions face à la montée de l'islam ? » Le show-biz n'en pense rien.
L'absence de réflexion sur la nouvelle immigration s'accompagne de son lot de désinformations ou de rétentions d'information. Cette semaine, des médias ont soutenu que la France serait le plus restrictif des pays d'Europe en matière de regroupement familial, alors qu'elle est en réalité dans la moyenne (www.integrationindex.eu). J'ai également sous les yeux un arrêté du ministère de l'économie du 19 juillet 2007 relatif aux résultats du recensement de la population par zones géographiques : son article 8 interdit la diffusion de ces données. À quand la transparence sur l'état de la France ?
Monde ancien
C'est ce monde ancien qui, soutenu par le PS, a manifesté hier en empoisonnant une fois encore les usagers des transports. « Cette grève sera très forte, j'ai même le sentiment qu'il ne devrait y avoir quasiment plus de trains, de bus ni de métros », avait effectivement prévenu, dimanche, Xavier Bertrand, ministre du Travail. Était-il opportun de faire ainsi la promotion d'un mouvement corporatiste, qui cherche à soustraire les régimes spéciaux d'un alignement sur la fonction publique ? Cet énième blocage du pays donne surtout des arguments à ceux qui réclament la remise en cause du monopole public dans les transports collectifs. Le gouvernement, qui a l'opinion derrière lui, ne peut perdre ce conflit. Les syndicats sont d'autant moins crédibles dans ce combat dépassé que les révélations quotidiennes sur les connivences financières entretenues, depuis toujours, par certains d'entre eux avec le patronat de la métallurgie devraient inciter à moins d'arrogance, y compris du côté de la CGT. Cette pratique patronale est évidemment injustifiable. Reste à savoir dans quelles poches de syndicalistes, voire d'hommes politiques, sont allés ces billets distribués en douce.
Rupture
Confirmation officielle, hier, du divorce du couple Sarkozy, annoncé par des médias depuis lundi. Longtemps le respect de la vie privée aura été pour la presse la limite infranchissable. La aussi, fin d'une époque.
Le bloc-notes d'Ivan Rioufol
De farouches syndicats sont soupçonnés d'avoir accepté, pour prix de leur acquiescement, l'argent liquide du patronat de la métallurgie, tandis que des responsables d'une prestigieuse entreprise se seraient comportés vis-à-vis d'elle en petits parieurs tuyautés : des pratiques dévoilées par les affaires Gautier-Sauvagnac et EADS. Deux cas distincts, qui méritent mieux que la loi contre la corruption adoptée mercredi soir à l'unanimité des députés, et qui vise à sanctionner les faiblesses « de tout agent public ». Le sujet est plus vaste.
La présidente du Medef, Laurence Parisot, commentant lundi les millions d'euros retirés depuis des années par le président de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), se dit « en état de choc, sidérée, incrédule ». Idem chez l'ancien ministre de l'Économie et des Finances, Thierry Breton, qui assure ne pas avoir eu connaissance des modalités de vente des actions détenues par le groupe Lagardère dans la société aéronautique européenne EADS (Airbus). Ils semblent sincères. Là est le problème.
L'opacité financière des syndicats, par exemple, n'est pas vraiment une révélation. Si l'on y ajoute les mises à disposition de permanents payés par leur administration d'origine, apparaissent des pratiques relevant de l'abus de bien social, du détournement de fonds, de l'emploi fictif. Il est sain que ces passe-droits émergent. Mais pourquoi ceux qui savaient, à commencer par la gauche « morale », n'ont-ils jamais rien dit de ces relations sociales faisandées ? Dans ce contexte, aggravé par des soupçons de tricheries chez EADS, le choix du gouvernement de dépénaliser le droit des affaires vient comme un cheveu sur la soupe. Certes, une série de petits délits pénaux s'ajoutant aux délits civils ou commerciaux peuvent être supprimés. Mais ce serait une faute de réformer la prescription de l'abus de bien social ou de toucher au délit d'initié. La France du XXIe siècle doit défendre une éthique exemplaire si elle veut être crédible.
La confiance ébranlée
Cet État, silencieux face à des financements syndicaux occultes et à des pratiques patronales proches de l'abus de confiance, se trouve aussi mêlé, comme actionnaire d'EADS, à une présomption de délit d'initiés. L'affaire implique 1 200 dirigeants et cadres, qui auraient plumé leur propre société en connivence avec Bercy. Une note le prouverait : celle de l'Agence des participations de l'État du 20 janvier 2006, lui conseillant de céder une partie de ses 15 %, comme le font, au même moment, ceux qui auraient eu vent des retards de livraison de l'A 380. Certes, l'État n'a rien vendu. Mais que venait-il faire dans ce capitalisme de prédateurs ?
Et quel rôle a joué la Caisse des dépôts et consignations ? Peu avant l'effondrement du cours de l'entreprise, le 14 juin 2006, l'organisme public rachète au prix fort (600 millions d'euros) 2,25 % du capital dont voulait se débarrasser Arnaud Lagardère, en laissant semble-t-il l'État-Bercy dans l'ignorance. Ce puissant acteur financier, qui gère l'épargne des Français sans même un contrôle parlementaire, accusera une moins-value de 200 millions dans ce marché de dupe. L'omerta a ses raisons que la raison ignore. Mais cette gestion monarchique insulte la démocratie.
Lundi, Nicolas Sarkozy a affirmé que l'enquête devait « aller jusqu'au bout pour savoir quelles ont été les responsabilités de l'État ». Cependant, c'est la légitimité de la présence de ce dernier au coeur d'un projet industriel soumis à concurrence qui devrait être posée, plutôt que de proposer une taxation supplémentaire des stock-options. L'ennemi du capitalisme est l'alourdissement des prélèvements et l'avachissement de la morale, surtout quand les pouvoirs publics participent à ce délitement. Le libre marché fonctionne sur la confiance. Le soupçon est son virus. Il a été introduit dans EADS.
Immigration (suite)
La gauche papoteuse reste dans les banalités à propos de ces deux affaires. Ces jours-ci, elle concentre ses attaques contre le recours à l'ADN pour prouver une filiation dans le cadre d'un regroupement familial. Les immigrationnistes, fer de lance d'une contestation voulant à nouveau « lepéniser » ses contradicteurs, ont trouvé une alliée avec Fadela Amara, membre du gouvernement : elle a jugé « dégueulasse » qu'on « instrumentalise l'immigration ». François Fillon, épinglé lui-même pour avoir parlé de « détail » à propos des tests, l'a reçue mercredi pour lui témoigner sa confiance. Passons.
Ressort de ces polémiques, la récurrente absence de réflexion sur la nouvelle immigration de peuplement et la manière dont elle doit trouver sa place dans une nation héritière de valeurs jusqu'alors partagées par les précédents arrivants européens. Ce vide se retrouve dans la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI), ouverte mercredi et consacrée à l'éloge convenu de « l'ouverture à la diversité ». La posture épargne de s'interroger sur la faillite de l'intégration, qui reste au coeur du malaise identitaire français.
« Petit con »
Mercredi : Bernard-Henri Lévy est traité de « petit con » par le bras droit de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, qualifié précédemment de « raciste » par BHL. La France issue des Lumières saura-t-elle débattre, un jour ?
Le bloc-notes d'Ivan Rioufol
Rappel d'une évidence : les Français, mobilisés à 85 % pour la présidentielle, ont voté sans ambiguïté pour la rupture. Une révolution culturelle a été préférée à l'immobilisme socialiste. Ce choix invite à se séparer d'un modèle étatique qui a été rejeté, pour s'ouvrir au libéralisme que Jacques Chirac considérait comme « une perversion de la pensée humaine ». Aussi le chef de l'État ne doit-il pas redouter l'électrochoc. C'est pourtant l'impression qu'il donne.Quand Jack Lang, sollicité par Nicolas Sarkozy, se dit prêt, lundi, à « rendre service » pour une « oeuvre d'intérêt général », il est permis de ne plus comprendre la stratégie élyséenne. Cette figure de la gauche narcissique illustre un passé dont les gens ne veulent plus. Symbole de la bonne conscience et de la poudre aux yeux, Lang a contribué à brouiller les esprits, au nom du relativisme et de la flatterie des émotions.
La rupture ne peut pas se conduire avec ceux qui l'ont combattue, au prétexte de briser aussi le clivage droite-gauche : ce raisonnement devient vite absurde quand la démarche politique se réclame d'un parler clair. À moins d'entendre Jack Lang ou Julien Dray, autre pressenti, renier leur passé, les réformes ne peuvent être menées qu'avec des convaincus. Lever les sectarismes contre les libéraux serait plus logique.
N'en déplaise aux nostalgiques de l'assistanat, l'opinion semble prête à sauter le pas. Lundi, un sondage du Parisien a montré que 66 % des interrogés estiment urgent de réformer la fonction publique, vue par 61 % comme une charge pour les contribuables. Les Français soutiennent la mise à plat des retraites, mesurent les risques du surendettement du pays, ne croient plus aux vertus des 35 heures, n'entendent pas soutenir les grèves des corporations, etc.
L'impatience qu'affiche François Fillon quand il qualifie, lundi, d'« urgence nationale » la réforme des fonctionnaires est celle des électeurs qui ont choisi de changer d'époque. Bien sûr, Sarkozy a cinq ans pour moderniser le pays et ce n'est pas au bout de cinq mois qu'un bilan se dresse. Cependant, en voulant prolonger une ouverture théâtrale, le chef de l'État prend le risque de s'écarter de ses priorités et de perdre de vue ceux qui l'ont élu.
Pétitionnaires : le retour
Cette gauche sermonneuse, qui fascine le pouvoir, reprend son rôle de juge autodésigné. Reviennent les pétitionnaires, à l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de recourir aux tests ADN pour prouver une filiation dans un regroupement familial. Les courroucés, qui se gardent de dénoncer l'oppression des femmes dans les cités, alignent leur nom cette semaine dans Charlie Hebdo et Libération, bottins mondains des donneurs de leçons. Ils disent voir une « dérive inquiétante » dans la vérification biologique du lien filial, destinée à contrer l'usage répandu des faux états civils.
Ceux qui parlent de « rafles » et de « camps », quand la police arrête des clandestins, soutiennent que les immigrés seraient, avec ces tests autorisés par le droit européen, comparables aux Juifs sous l'Occupation. Des énormités d'autant moins relevées que Charles Pasqua, qui défendit l'« immigration zéro », vient rejoindre le choeur des vertueux en rappelant « l'usage qu'ont fait les nazis de la génétique ». Une partie de la droite, gagnée par les outrances réservées naguère aux maîtres censeurs : un des effets de l'ouverture...
Ces tests produiraient, dit-on, une inégalité de traitement entre l'étranger et son hôte. Mais il faut alors contester l'obligation de maîtriser la langue, de signer un contrat d'accueil, d'apporter un revenu minimum, conditions qui ne sont pas exigées non plus des Français. L'ancien président Konaré (Mali) fait remarquer que ce recours au test génétique n'est « pas du tout conforme à notre conception de la famille, de la société ». Mais est-il illégitime que celui qui s'invite se plie aux moeurs du pays qui le reçoit ?
Pourtant, le gouvernement recule. Brice Hortefeux a promis au président sénégalais Abdoulaye Wade « de tout faire pour gommer les effets négatifs de l'amendement Mariani (proposant les tests) ». Quand l'épiscopat français suggère cette semaine de lever ces « conditions toujours plus restrictives mises au regroupement familial qui est un droit toujours à respecter », au moins a-t-il l'excuse de son angélisme.
À propos de Guy Môquet
Faudrait-il suivre cette gauche qui se dit irréprochable ? L'Institut d'études sur l'immigration et l'intégration, dont l'inauguration a été repoussée hier, fait l'objet de suspicions de la part d'historiens qui lancent une pétition (encore une) pour dénoncer « une reprise en main de la droite » dans la recherche sur l'immigration. Curieusement, ces professionnels sourcilleux ne se sont jamais manifestés jusqu'alors pour dénoncer les sous-évaluations avérées de ces phénomènes par l'Insee.
Quant à l'hommage à Guy Môquet, jeune militant fusillé en 1941 (sa lettre sera lue le 22 octobre dans les lycées), le PCF veut se le réapproprier afin de ne pas « gommer le sens et les valeurs de son engagement » (L'Humanité, mercredi). Mais Môquet ne fut pas, de lui-même, un résistant. Arrêté en octobre 1940 par la police française, il défendait le pacte germano-soviétique, à l'exemple de son père et du Parti. Il a été exécuté par les Allemands en représailles d'un attentat commis à Nantes contre un officier par trois jeunes communistes, après l'invasion de l'URSS par Hitler à l'été 1941. Éloge du totalitarisme
Et revoilà Che Guevara : Olivier Besancenot en tresse les louanges, au 40e anniversaire de sa mort. Cet éloge du totalitarisme et de la violence laisse bien sûr nos moralistes impassibles.